samedi 25 mai 2024

Le rucher extraordinaire d'Inzerki

Les allégories de l’Atlas dépeignent souvent un monde merveilleux où se mêlent paysages extraordinaires, couleurs à nulle autre pareilles, culture Berbère originale, animaux fabuleux – comme les fameux lions de l’Atlas, plus gros et plus féroces qu’ailleurs, disparus dans les années 50 – et pratiques séculaires singulières. C’est d’ailleurs l’une d’entre elle que nous allons découvrir aujourd’hui, et je dois le reconnaître avec un peu d’excitation.

Quittant la route secondaire d'Agadir à Marrakech, nous nous engageons sur une piste de latérite vers le village d’Inzerki niché dans les premiers contreforts de l’ouest de l’Atlas. D’abord assez large, la piste se resserre rapidement en longeant un petit oued verdoyant avant de le traverser. Puis, montant dans la montagne, elle se transforme en un sentier muletier rocailleux suivant les ondulations du relief. Au détour d’un virage serré, un serpent de plus d’un mètre file devant ma roue, avant de disparaître dans un fourré asséché. Nous continuons notre progression jusqu’à une petite plateforme où nous stoppons les machines pour mieux scruter l’environnement. Pas d’erreur possible, à moins d’un kilomètre, de l’autre côté d’une étroite vallée, parfaitement intégré dans l’environnement de terre ocre, une construction inédite dans les mêmes teintes à flanc de colline. Difficile de se faire une idée d’échelle à cette distance. Mais la construction est imposante. Nous en approchons en traversant la vallée par l’étroit chemin pour nous arrêter dans un cul de sac la surplombant. Un escalier de pierres abrupt descend dans la pente vers une maison de pisé effondrée. Comme sorti de nulle part, un homme sympathique nous aborde dans un français parfait :
-    Vous cherchez le rucher ?
-    Oui, tout à fait.
-    Venez, je vous y conduis. C’est un peu plus bas. Je suis apiculteur. Je travaille ici.
-    Et ça marche bien pour vous ?
-    L’année est très difficile à cause de la sécheresse. De 42 essaims, je n’en ai plus qu’une dizaine. C’est dur. Je vais vous faire voir.

Nous descendons entre des terrasses pour nous retrouver face à des cases de peut-être 1,2 m de long sur 1,8 m de hauteurs, séparée en 4 compartiments, 3 petits et un grand, construites en bois et terre crue.
-    Vous savez, il y a plus de 1000 cases, et la construction initiale date du16ème siècles.
Et il ajoute non sans fierté sous sa casquette et derrière ses petites lunettes :
-    C’est ici le plus ancien rucher collectif du monde. Il est classé au patrimoine mondial. Il n’y a pas si longtemps, plus de 40 familles d’apiculteurs travaillaient ensemble sur ce site remarquable.
Remarquable, il est bien plus que cela…


-    Et comment ça marche ?
-    Les colonies d’abeilles, 25 à 30 000 vivent dans des ruches en forme de tubes de 30 cm de diamètre et 1 mètre de long que nous disposons dans les cases. Deux par case. Une fois les ruches cylindriques pleines, les abeilles construisent alors des rayons supplémentaires dans les cases. C’est le miel que nous récoltons.
-    Et pourquoi cet endroit ?
-    Parce qu’il est parfaitement orienté, plein sud, entouré d’arbres à fleurs dans un climat normalement favorable. C’est pour cela que les familles amenaient ici leurs essaims pour la saison. Pour les faire produire davantage. Mais depuis quelques années, ça diminue beaucoup, à cause de la sécheresse. Et il faut bien dire que les moyens de production modernes sont bien plus efficaces.
-    Surement, mais votre miel est unique et rare.
-    C’est vrai, et c’est pour cela que vous ne trouverez jamais en magasin. Uniquement auprès de la dizaine de producteurs survivant encore avec cette pratique ancestrale.

Accompagnés d'Issam nous poursuivons notre déambulation avec précaution afin de ne rien abimer de ce patrimoine si fragile. Marcher uniquement sur les chemins étroits pour ne pas affaisser les toitures. Toucher ces charpentes polies par les années comme une caresse pour en ressentir les vibrations.
Mais il faut bien l’admettre, si rien n’est fait, le rucher extraordinaire d’Inzerki ne sera rapidement plus qu’un souvenir.



1 commentaire:

Anonyme a dit…

Quel dommage que vous rentriez. Vos visites et vos aventures vont nous manquer. Flo n’est peut-être de mon avis 😀