mercredi 31 mai 2023

Shanghai stars

 

Retrouver les étoiles de Shanghai. Ressentir de nouveau le magnétisme et l’énergie de la grande citée, poumon économique de la Chine mais pas seulement.
 
Nous traversons les vieux quartiers coloniaux, avenues bordées des platanes ombrageant les trottoirs devant les maisons construites à l’Européenne. De celles que l’on voit aussi à Pondichéry où à Saint Louis du Sénégal. Là-bas le plus souvent fermées ou abandonnées, ici bien vivantes devant lesquelles les jeunes chinois viennent flâner en amoureux. Parfum de romantisme un peu suranné mais tellement charmant. On s’y perd pour une courte parenthèse un peu hors du temps, s’y arrête prendre un café dans un vrai café, avant de reprendre notre déambulation vers le prochain rendez-vous dans un très joli restaurant, maison coloniale avec jardin où un top chef et son équipe propose une cuisine exceptionnelle, faite de saveurs inattendues, multitude de petits plats concoctés avec une remarquable précision. A ce niveau c’est du grand art, éphémères réalisations générant des émotions culinaires inoubliables.
-       Alcool ou vin me demande notre hôte ?
-       Plutôt vin. (On n’est jamais trop prudent.)
On nous propose alors un vin rouge local, ni bon ni mauvais, mais dont la dégustation détend l’atmosphère en toasts successifs célébrant nos retrouvailles, et pour le meilleur à venir – amitié, affaires, santé – jusqu’à ce que les esprits un peu échauffés nous entraînent dans de chaleureuses effusions. Il faut au moins ça pour se reconnecter après toutes les restrictions de l’extraordinaire période Covid où la peur a totalement sclérosé la société, entretenue par un pouvoir aux intérêts bien compris.
Un peu étourdis nous terminons dans le jardin avec un thé au jasmin purificateur.
Comme souvent en Chine, selon nos standards Européens le rendez-vous se termine en queue de poisson, chacun quittant la table presque sans presque un au-revoir.
 
Je propose à Huang Shi, mon collègue et ami Chinois de 30 ans, d’aller faire un tour sur les rives de la Rivière Huangpu et profiter de l’extraordinaire vue sur la skyline.
Nous attrapons un taxi, dernier modèle de voiture Chinoise électrique, par l’application Huber locale. Super efficace. Super service. Et nous voilà en route vers les étoiles, feu d’artifice lumineux sur les constructions ultra-moderne. Comme un voyage dans un vaisseau spatial entre rayons lasers, explosion de leds multicolores sur les façades de verre comme les effets spéciaux d’une super production hollywoodienne. Fenêtres grandes ouvertes pour ne rien rater du spectacle et profiter de la fraîcheur relative de la soirée, le « cab » nous dépose au grand carrefour de l’avenue Xinkaihe et Zhongshan.
D’un côté les imposants bâtiments datant de l’administration coloniale parfaitement entretenus. A cette époque Shanghai était LE poumon économique de l’Asie du Sud Est, rivalisant à sa manière avec New-York, autre eldorado des entrepreneurs-aventuriers de l’époque.
De l’autre, une large avenue piétonnière en surplomb de la rivière donnant sur la skyline en majesté sur la rive opposée. Il y dans cette spectaculaire perspective du Manhattan vue depuis Ellis Island, mirage d’un eldorado où tout serait possible.
Le magnétisme de ce paysage urbain est d’une rare puissance, aimantant le regard comme des papillons de nuit vers la lumière. Et il faut bien reconnaitre que l’expérience sensorielle est unique, de celle, dans un tout autre registre, de la contemplation d’une nature encore vierge. Il est ici question du génie de l’espèce humaine capable de telles réalisations. Et n’en déplaise au grincheux qui, de manière caricaturale, l’oppose aux enjeux environnementaux par ailleurs bien compris.
 
Profiter du paysage, mais aussi regarder les gens. Des milliers de jeunes Chinois venu ici s’enivrer de lumière, profiter des sunlights électriques et, pour beaucoup, se mettre en scène dans des selfies savamment mis en scène. Tous ces jeunes sont fiers, enthousiastes et confiants dans l’avenir. Ils rêvent, des étoiles pleins les yeux, de briller aussi. Devrait-on leur en vouloir ? Avons-nous le droit de juger à l’emporte-pièce du « haut » de nos repères occidentaux ?
Bien sûr qu’ici rien n’est parfait, pas plus que chez nous d’ailleurs. Mais dans les tous les cas il y bien deux façons de regarder l’avenir : avec confiance et optimisme ou méfiance et défiance.
 
 

samedi 27 mai 2023

Yanti

 
A la queue leu leu, une noria de bus converge vers le mont Yangtou, province du Shanxi en Chine. Autour de la ville de Gaoping, toutes les routes sont bloquées pour laisser passer ce flux ininterrompu de dizaines de milliers de visiteurs, je devrais dire pèlerins, vers le temple érigé en hommage au légendaire empereur Yandi.

Yandi aurait régné antérieurement aux dynasties Chinoises, il a plus de 4000 ans, avant même le début de l’écriture. C’est dire combien la tradition orale relayée d’écrits à postériori ont dû magnifier sa légende d’inventeur de l’agriculture, de la monnaie, de la soie, et de tant d’autres progrès dont a bénéficié la civilisation de l’empire du milieu et bien au-delà sans doute...
 
Impeccablement organisé, sur le site l’accueil se fait dans un ordre parfait. Déchargement des visiteurs par groupes numérotés derrière un guide arborant une pancarte numérotée.
Et nous voilà parti procession, chacun paré d’un foulard jaune, à pied derrière une jeune fille au port altier tenant à bout de bras la petite pancarte telle un précieux étendard. Malgré la foule immense, impossible donc de la perdre.
 
Sur invitation d’un nouveau client avec qui nous allons officiellement signer, à cette occasion, un important contrat de fourniture de génétique porcine, notre groupe est constitué de ses nombreux partenaires, fournisseurs, clients, collaborateurs, autorités locales, amis. L’opportunité unique de renforcer des liens à la fois personnels et bien entendu spirituels...
 
De part et d’autre de l’allée nous conduisant vers le temple, des figurants vêtus de costumes traditionnels rouges et jaunes brandissent fièrement des oriflammes dorées, tandis que d’autres tapent en rythme sur de gros tambours traditionnels. Ici et là, la combustion lente de bâtons d’encens distille les volutes bleutées du parfum élevant les âmes.
 
L’allée nous conduit jusqu’à un escalier monumental montant tout droit jusqu’au temple. De part et d’autres des colonnes de pierre sculptées d’idéogrammes rendant grâce à Yanti.
Nous franchissons plusieurs portes imposantes dans la plus pure architecture traditionnelle chinoise : toitures de tuiles en céramiques ornées de pointes et dragons, sous lesquelles de magnifiques bas-reliefs sculptés et colorés s’étalent sur les imposantes charpentes. Iconographie d’histoires légendaires peuplées de personnages extraordinaires.
Au seuil des portes, un petit muret qui s’agit de franchir sans marcher dessus, au risque de s’attirer la foudre des esprits. J’avoue avoir fait la gaffe. Apparemment sans conséquence....
 
Enfin nous rejoignons l’esplanade bordant le temple.
 
Tel un bouda monumental, à l’intérieur on aperçoit la statue dorée au visage noir et grands yeux blancs de Yanti qui vous écrase de son regard impénétrable, comme pour vous ramener à votre modeste condition de mortel.
 
Notre guide nous amène jusqu’à un coin clairement délimité d’où nous allons pourvoir assister aux commémorations. La ferveur est évidemment palpable. Reprise d’une frise chronologique de la grande Chine millénaire à l’origine de tant de progrès. Succession de courtes allocutions, mais surtout d’hommages à Yanti, père de la civilisation Chinoise, avec remises de fleurs, danses traditionnelles puis lâché de ballons. Il est ici question de la Chine, pas du pouvoir de la Chine. Participent aussi de nombreux Taïwanais, tout autant Chinois, venus spécialement pour un éphémère retour aux sources de leur civilisation.
En tant que très rare étranger, à vrai dire je n’en ai pas vu d’autre, quelques visiteurs me demandant un selfie devant le grand temple, image qui circulera certainement comme une curiosité sur leurs réseaux sociaux.
Et lorsque je demande à mes hôtes la raison du visage noir de l’empereur, étonnés ils me disent ne s’être pas posé la question, consultent Baïdou (Google Chinois), pour me répondre qu’il se serait involontairement empoisonné en testant des plantes médicinales, après en avoir heureusement tant découvert aux vertus positives. 
Où comment meurent les légendes...
 
 

dimanche 21 mai 2023

Reconnexion

21h dans les Alpes Mancelles, en bordure d’un bel étang entouré de roseaux sur lequel s’étale un champ de nénuphars sur le point d’éclore. Quelques palmipèdes laissent une onde sur l’eau calme.

Fermez les yeux et écouter :
Des grenouilles commencent à coasser doucement.
Dans le petit bois derrière l’étang un coucou parmi les gazouillis ininterrompus d’oiseaux. Comme s’il s’agissait d’un concours de siffleurs, à qui fera le plus fort ou le plus mélodique. Au loin des corbeaux croassent au rythme de leur vol paresseux.
Dans la prairie où j’ai stationné le Gemini, le chant des grillons couvre les frottements délicats des herbes folles sous la brise légère. Telles des vagues éphémères, les feuilles des grands peupliers frémissent.
Comment ces bruits de la nature si puissants peuvent-ils passer inaperçus lorsqu’on n’y prête pas attention ? Masqués par le tumulte des activités humaines et par notre propre agitation, on en oublierait presque qu’ils nous entourent. Or il suffit de faire un pas de côté pour s’éloigner du brouhaha et les découvrir ou redécouvrir.
 
23h30, quelques pas dehors avant d’aller dormir. Comme à chaque fois, je lève les yeux vers le ciel étoilé, distingue la voie lactée, et pour un instant me laisse aller à un vertige stellaire, modeste terrien, passager éphémère de notre petite planète, grain de sable sur la plage immense de l’univers.
 
Ecouter les bruits de la nature, regarder les étoiles, retrouver ses repères...

samedi 20 mai 2023

Sur les rives du fleuve Niger

Faute à un pied récalcitrant, à grand regret je n’ai pas d’autre choix que d’abandonner le road-trip moto avec les amis pour me rabattre en solo sur le Gemini (notre camion de voyage). Pas drôle, mais y a quand même bien pire dans la vie.
Alors vers où aller ?
En cette période professionnelle particulièrement agitée, mon but étant de m’installer rapidement dans une « coolitude rassérénante », je choisis les bords de Loire par les plus petits routins, quasi au départ de la maison. Pas toujours nécessaire d’aller loin pour s’évader. Il suffit de vouloir sortir des sentiers battus, emprunter les chemins vicinaux, éventuellement quelques pistes agricoles, et se laisser guider, sans stress, par son instinct en disant que si je suis arrivé là je pourrai toujours rebrousser chemin.
 
Je remonte ainsi La Loire depuis Nantes, d’abord rive gauche sur la digue protégeant la campagne environnante des caprices du grand fleuve. A vrai dire cela fait des années que je ne l’avais pas vu si pleine. A tel point qu’un grand nombre de bancs de sables sont immergés sous des flots apparemment tranquilles mais dont le volume considérable s’écoule en arabesques tourbillonnantes et scintillantes. Courants légendaires et autres sables mouvants dont on nous mettait en garde étant enfant... Il y avait, dans le même registre, la remontée de la marée au Mont Saint Michel « à la vitesse du cheval en galop » que le maîtresse de CE2 nous décrivait avec émoi. Et cela prenait des dimensions considérables dans mon esprit d’enfant crédule.
 
Un pont Eiffel permet de rejoindre une grande île. La petite route me mène jusqu’à sa pointe Est pour se terminer dans la cour d’une maison abandonnée en contrebas du mamelon la protégeant des crues.
Je fais demi-tour et change de rive pour profiter d’une autre perspective depuis le coteau surplombant la vallée. Superbe point de vue sur le fleuve que la lumière du soir magnifie tel un serpent doré dans la campagne verdoyante.
Il est temps de chercher le bon bivouac. Ne pas se précipiter pour trouver l’endroit parfait. La troisième tentative est la bonne. J’atterris je ne sais comment sur la « gravel road » de la Loire à Vélo, apparemment sur un tronçon sans interdiction pour les véhicules motorisés. Quelques kilomètres sans croiser âme qui vive et je repère le spot idéal. A 20 mères devant moi une petite plage dorée où s’écoule tranquillement le fleuve. Quelques hirondelles viennent s’y abreuver en vol rasant. Plus loin une famille de cygnes, dont un noir, barbote sur un petit banc de sable aux côtés d’élégants échassiers aux becs orange courbés, tandis que tel un crocodile passe un bois flotté dérivant sur les flots. En contre-jour des nuées d’insectes ondulent entre les branches de saules.
 
Fermer les yeux et écouter le gazouillis des oiseaux. Les rouvrir. Je pourrais tout aussi bien être sur les rives du fleuve Niger, à moins de deux heures de la maison.