jeudi 10 octobre 2024

Viande de culture

Trafic aérien encombré sur l’aéroport de Singapour. Attendant l’autorisation du contrôle pour engager l’approche en longue finale, le triple 7 d’Air-France fait des ronds dans le ciel chargé de gros cumulus tropicaux. La nuit a été longue, sommeil haché, ponctué de rêves étranges.
Kiss landing à 17h locales. Formalités d’entrée d’une incroyable fluidité : plus d’agent de douane pour contrôler les documents de voyage, mais une première porte automatique après scan du passeport, puis une deuxième après prise des empreintes et photo. En tout moins de 30 secondes !

L’arrivée dans l’atmosphère moite de la baie de Singapour est des plus saisissantes avec ses spectaculaires édifices modernes : en arrière-plan du musée d’art contemporain flottant tel une fleur de lotus géante devant la skyline, le monumental Marina Bay et ses 3 tours surplombées d’une élégante plateforme en demi-lune.

Nous sommes là pour une raison inédite. Demain notre filiale Vital Meat organise, avec un chef local réputé, une dégustation de recettes de viande de poulet cultivée, en avant-première de l’autorisation officielle des autorités singapouriennes pour la commercialisation du produit. Juste révolutionnaire après presque 6 ans d’effort.



18h, les invités arrivent au restaurant de Jun Hao : investisseurs, industriels, distributeurs, officiels, journalistes…
Notre petite équipe est sur son 31. Jeans et tee shirts noirs façon startuppeurs. Je joue le rôle du « vieil » entrepreneur cool. Celui qui a initié et supporté le projet depuis la création. L’objectif de l’évènement est d’attirer de nouveaux investisseurs à rejoindre l’entreprise pour passer au stade industriel une fois les autorisations obtenues. Ce qui ne saurait tarder.

18h20, Etienne, notre CEO, lance la soirée avec un petit mot d’accueil et de présentation. Puis le chef Juan Hao lui succède en racontant sa rencontre avec l’entreprise et son intérêt pour notre innovation répondant aux nouvelles attentes sociétales, bien-être animal et environnementales, tout en permettant de cuisiner des plats délicieux.
Et c’est partie pour le show :
Nous démarrons avec une chips de peau de poulet, dorée et craquante. A s’y méprendre.
Les regards et expressions des invités en disent long sur leur surprise devant le résultat. Et le chef d’ajouter que les chips sont bien composées de 80% de viande cultivée. Ni plus, ni moins.
Puis il annonce le second plat : raviole de poulet cultivé, dans son bouillon. Produit très doux, très différent du premier mais à l’incontestable saveur de poulet.
Les commentaires vont bon train : incroyable ! Etonnant ! Délicieux ! Les invités échangeant sans filtre leurs impressions dans un belle convivialité.
Jun Hao présente alors le troisième et dernier plat : la fameux « chicken rice » singapourien agrémenté d’un tofu façon noix de St Jacques.
Nous sommes alors dans une autre dimension. Celle où il devient possible de considérer manger de la viande sans élever ni tuer d’animaux.

Bien sûr, rien ne remplacera jamais l’entrecôte ni le poulet du dimanche. Mais nous ouvrons une option complémentaire permettant d’assurer la durabilité des filières de production animales de qualité, moins productivistes, fortes de meilleures pratiques d’élevages et environnementales, en parallèle de nouveau produits carnés issus de culture cellulaire. Peut-être le meilleur des deux mondes.

 

 

mercredi 7 août 2024

Instant d'éternité !

Le Stade de France est en ébullition pour cette soirée olympique d’Athlétisme. Plein comme un œuf, le chaudron, devrais-je plutôt dire le creuset où se mêlent pour un soir les cultures du monde retient son souffle. Derrière nous des Britanniques et des Jamaïcains. Devant des Américains. A notre droite une famille de bretons dont le papa ne peut s’empêcher d’essayer d’attacher un drapeau régional au parapet, aussitôt rabroué par des gens d’Europe Centrale car il obstrue une partie de leur champ de vision. Finalement il renoncera sous les commentaires acerbes de son adolescente : « la honte papa ! ». A notre gauche des jeunes français férus de course à courses à pied.
Au terme d’une superbe soirée où se sont succédé les dieux du stade – coureurs de 200 m, 1500, 3000 steeple, 5000, discoboles – les finalistes du saut à la perche s’affrontent dans un dernier joute au-dessus de 6 mètres.
Tel un tournois médiéval, ils s’élancent sur la piste, perche en avant comme une lance de chevalier pointée pour désarçonner l’adversaire. Sauf qu’ici l’adversaire n’est autre qu’une barre montée à près de 6 mètres. Et il en faut de la bravoure pour s’élancer de la sorte : courir le plus vite possible, aller piquer la perche dans une petite goulotte, la plier au maximum en se retournant pour se faire propulser vers le ciel pieds en avant, enrouler la barre sans la toucher, et se laisser tomber sur un tapis de mousse. Plus de question de compétiteurs à déjouer, mais le défi de soi-même face à la barre. Et d’ailleurs, depuis le début du concours, la connivence de ces sportifs d’exception est flagrante. Ils se parlent, s’encouragent, s’applaudissent.
Armand du Plantis vient de franchir 6 m à son premier essai. Personne n’a fait mieux. Il est donc déjà champion olympique sous les hourras d’une foule enthousiaste. Il pourrait s’arrêter là. Quelques mots avec son dauphin, un sympathique Américain qui l’encourage. Puis avec son coach. Il demande alors une barre à 6,10 m pour tenter de battre le record olympique. La foule exulte. Le voilà qui se repositionne sur la piste d’élan. Il sollicite le soutien du public qui lance un clap parfaitement cadencé sur sa course d’élan. La perche se cale parfaitement dans la butée, s’arrondit comme si elle allait se briser, puis se détend en le propulsant vers la barre qu’il franchit au premier essai sous un tonnerre d’applaudissement et de vivats enthousiastes.
Electrisée, la foule se lève et demande le record du monde.
Va-t-il y aller ?
Ses concurrents l’encouragent. Il consulte de nouveau son coach et demande 6,25 m pour une tentative de record du monde. L’ambiance devient indescriptible. En ébullition le stade l’encourage à tout va. C’est un véritable délire collectif déclenché par un seul objectif. Etablir un nouveau record. Pouvoir assister ensemble à l’exploit que personne n’a encore réussi. L’énergie générée par une telle ferveur est palpable. Soutenu par 80 000 personnes comme s’il s’agissait de leur propre tentative, Armand Du Plantis endosse maintenant la responsabilité d’un exploit collectif.
Dans un air vibrant comme je ne l’avais jamais ressenti, il se positionne de nouveau pour sa course d’élan. Inutile de demander davantage de soutien. C'est impossible tant l'ambiance est à son paroxysme. Le voilà donc qui s’élance de nouveau, tord la perche au maximum, s’élève, se retourne, passe les pieds au-dessus de la barre, l’enroule, mais la touche de peu en redescendant. Elle tombe derrière lui sous les hooooo de la foule qui l’applaudit et l’invective aussitôt à recommencer.
A-t-il d’autre choix ?
De nouveau il consulte son coach, prend son temps, s’étire dans une apparente décontraction, et se positionne encore une fois sur la piste d’élan. Le public retient son souffle. Il lui fait alors appel. Dans une clameur à ressusciter tous les héros de l'olympe, perche de 5,2 m fermement en mains, il lance sa course avec détermination. A 36 km/h il la plante avec courage dans la goulotte. La torsion extrême le propulse tel une fusée vers la lame posée à 6,25. Ses pieds puis ses jambes l’esquivent, puis fléchissent, tandis que ses bras tendus lâchent la perche redevenue parfaitement droite. Avec élégance, tout son corps enroule cette barre sans la toucher comme si sa vie en dépendait. Instant d’éternité où le temps semble s’arrêter. Le stade se lève alors dans une clameur d’une rare puissance, accompagnant la descente du champion depuis son Everest jusqu’au tapis de mousse où il exulte tel un zébulon sortant de sa boite.
6,25 m. Nouveau record du monde ! Nous venons d’assister – devrais-je dire participer ? – à ce qui n’avait jamais été fait auparavant.



mardi 6 août 2024

Verdun

Remontant des Vosges à bord de notre fabuleux Gemini, on s’est dit Verdun. Ville légendaire de la grande fresque historique nationale. Suivant les indications vers le mémorial, nous entrons dans la forêt. C’est la fin d’après-midi, le moment de s’arrêter. Un petit parking nous accueille devant un ancien blockhaus de la « grande guerre ». Il n’est pas tard, mais sous les arbres, le ciel chargé d’où s’échappe un léger crachin donne au paysage une couleur grise à contre-saison.
Tandis que Flo regarde les JO sur l’écran embarqué, je pars jogger sur la petite route forestière. Laissant derrière moi la pancarte « Fort de Vaux », je trottine vers le nord. Sur ma gauche la forêt s’éclaircit, laissant apparaître une vaste zone ouverte couverte de cratères de quelques mètres de diamètres, certains partiellement remplis d’eau. Puis une indication mentionnant « ancien village de Fleury ». Je réalise que le paysage est celui d’un bombardement vieux de plus d’un siècle ayant totalement anéanti la localité. Plus loin, un ancien magasin de stockage de munitions est indiqué, puis un point d’observation. Encore un peu plus loin un boyau où s’abritaient les combattants. Cette forêt paisible et verdoyante où je coure est donc la nature ayant repris ses droits sur l’enfer. J’essaie de l’imaginer : bruit incessant des bombardements – détonations, sifflements, explosions – projections de terre et de boue, cris des soldats, chair à canon envoyée ici au nom de nationalismes entretenus par des pouvoirs impérialistes ou populistes. Je ne sais pour quelle raison, mon rythme cardiaque accélère, tout comme ma foulée, comme pour échapper à une étrange oppression, de celle ressentie il a quelques années à l’occasion d’une visite du camp d’extermination d’Auschwitz…
Quelques kilomètres encore et je tourne à droite en direction de Douaumont. Saisissante perspective sur le cimetière devant l’ossuaire monumental. En pente douce, plus de 15 000 croix parfaitement alignées marquent les tombes de jeune hommes morts au combat. Au-dessus, l’ossuaire regroupant les restes exhumés du champ de bataille, 150 000 hommes, anonymes pour la plupart, de toutes origines et confessions. Au cœur de cette forêt verdoyante, recouvrant tel un linceul l’enfer de ces lieux, la dimension du mémorial me fait l’effet d’une décharge d’adrénaline contre les absurdités du monde, comme-ci celles rappelées ici étaient ailleurs tombées dans l’oubli.
Un peu plus de 5 km déjà parcourus dans un autre espace-temps. Je rebrousse chemin. Sur la route du retour, impossible d’échapper à la claque émotionnelle de ces lieux, et ne pas ressentir l’âme de tous les hommes massacrés ici. Et comme si tout cela n’avait pas suffi, 20 ans plus tard, juste une génération, nos aïeuls remettaient cela. Et comme si tout cela n'avait pas suffi, un peu plus d'un siècle plus tard Poutine lançait son agression contre l'Ukraine.



samedi 6 juillet 2024

Aux antipodes

Surabaya, Indonésie. 

Arrivant sur notre salon professionnel, un convoi de voitures noires précédées de motos flashant comme dans une fête foraine s’engouffre sur l’allée principale devant le hall d’entrée. Tous les visiteurs sont immédiatement bloqués par des agents de sécurité prévenants, demandant avec courtoisie de ne pas traverser la rue et d’attendre. Ce que fait calmement la foule sans une protestation.
Déjà plus d’un quart d’heure que nous attendons. Rien ne se passe. A peine entrée dans le hall d’exposition, le vice-Président du 4ème pays le plus peuplé du monde, presque 300 millions d'habitants, entouré d’une cour de militaire décorés comme des sapins de Noël, en ressort et vient s’installer au Starbucks du coin de l’avenue sous une nuée de journalistes. Les visiteurs toujours bloqués de l’autre côté gardent leur calme en observant la scène quelque peu surréaliste.
-    Vous êtes Français ? me demande en anglais une jeune femme blonde, dans un ensemble veste pantalon coordonné au vert de ses yeux et chaussée de Stan Smith.
-    Comment le savez-vous ?
-    Vous avez l’air tellement Français, et c’est indiqué sur votre badge.
-    Evidemment… Et vous ?
-    Australienne.
-    Vous êtes là pour affaire je suppose.
-    Tout comme vous j’imagine. Nous sommes dans les technologies de traitement de l’eau, et vous ?
-    La génétique des crevettes.
-    Ah oui, Blue Genetics. Vous êtes sponsor de l’évènement.
-    En effet…
-    Je peux vous poser une question ?
-    Je vous en prie…
-    Que se passe-t-il chez vous en France ?
-    A quel point de vue ?
-    Politique évidemment…
-    Cela vous intéresse ?
-    On en parle chez nous et sur les réseaux sociaux. Votre pays merveilleux (je site exactement ses propos), celui des libertés et des droits de l’Homme, qui semblait pouvoir échapper aux pires populistes…
-    Que voulez-vous savoir ?
-    Ce qui se passe…
-    Là il nous faudrait plus que deux minutes. Mais disons que les gens ont oublié leur chance de vivre en France et que le pouvoir a fait quelques maladresses.
-    Mais qui n’en fait pas ?
-    Vous avez raison. Une distance s’est creusée entre nos gouvernants et les gens qui semblent les rejeter.
-    Les rejeter pour quoi ?
-    Pour ce qu’ils n’ont pas encore essayé, mais dont ils ne semblent pas avoir conscience. Cela me rend malade… Beaucoup de régimes fascistes sont arrivés aux commandes démocratiquement pour ensuite, insidieusement, renier sur les libertés individuelles et installer des pouvoirs autocratiques. Et il est alors trop tard.
-    C’est vrai que la période est particulière. Vous avez vu ce qui se passe aussi aux Etats-Unis. Effrayant ! (C’est toujours elle qui parle). Il faut que Biden sorte du jeu au profit d’une femme.
-    Vous pensez à Kamala Harris ?
-    Non, à Michèle Obama !
-    Je ne l’avais pas imaginé. Mais vous avez raison, elle balayerait probablement Trump et la politique étrangère, notamment, en serait grandement changée…
De l’autre côté de l’avenue ça semble bouger un peu. Le vice-Président s’est levé et finit par repartir, empruntant ostensiblement le tapis rouge déroulé jusqu’à sa voiture. Le convoi repart.
-    J’ai été ravie de bavarder avec vous.
-    Moi aussi. Bonne journée !

Nous pouvons rejoindre le hall. La vie reprend son cours comme si de rien était.
Marchant vers notre Stand parfaitement placé, je me demande pourquoi, presque partout dans le monde, les hauts représentants de l’état semblent tellement sur une autre planète dans leurs déplacements sur le terrain. Certes, il y a des contraintes logistiques et de sécurité. Mais tout de même. Cette distance…

 

lundi 1 juillet 2024

Le virage 4

Au bas de la montée, l’Alpine retenue par une petite cale placée derrière la roue arrière gauche au bout d’un manche à balais tenu par un commissaire de piste, je regarde les doigts du starter égrenant les 5 dernières secondes. Régime calé à 3000 tours, la voiture ne demande qu’à bondir. 

Trois, deux, un, c’est parti ! Première jusqu’ en zone rouge, deuxième puis troisième à fond dans le léger droite. En ligne de mire les bottes de paille annonçant le premier virage serré du même côté. Sur les freins je repasse en deux pour ré-accélérer à fond en appui, roue avant droite sur la corde. La courbe n’en finit pas pour enfin se desserrer sur une brève ligne droite. Troisième à fond. Levé de pied sur le même rapport pour attaquer le gauche à 90° plein gaz et bondir sur le prochain virage à droite en léger devers. Délicat. La voiture survire légèrement et le talus n’est pas loin… Replacer toute de suite l’auto à droite de la chaussée pour attaquer correctement le virage quatre, à gauche. Léger coup de frein et de volant pour la mise en appui, tout en rétrogradant rageusement avant d’écraser l’accélérateur en visant le point de corde puis la sortie à l’extérieur de la courbe. A cet instant plus rien n’a d’importance que la trajectoire, ligne imaginaire qui aimante le regard et que l’on voudrait idéale. Pur bonheur quand, dans un crissement de pneus jouissif, la voiture amorce la glisse « parfaite », celle que l’on voudrait prolonger comme un pas de danse à la fois léger et viril, sensation unique de maîtrise de la machine tellement valorisante pour le pilote. Et déjà le virage cinq à angle droit, d’où l’on sort au raz des arbres en troisième, avant de plonger dans la dernière courbe à gauche, là où il faut un gros cœur pour ne pas lever le pied au risque de sortir violemment, et filer jusqu’à l’arriver.

Une minute et dix-neuf secondes d’adrénaline !

 

dimanche 26 mai 2024

A chacun sa façon d'atterrir

 
Nous arrivons au terme de cette aventure. Elle fut intense physiquement et émotionnellement, nécessitant un sas de décompression avant de reprendre le cours normal de nos vies ; si tant est que ce voyage n’en faisait pas partie…

Sans réelle contrainte de temps pour Didier, cela passe par le chemin des écoliers. Atterrir en douceur en prolongeant la déambulation, doucement, au gré de ses envies.
Pour moi c’est de maintenant rentrer « vite » à la maison retrouver les miens, me reposer un peu, soigner la moto, avant de reprendre avec envie le boulot tout début de semaine prochaine.
Et pour nous deux, probablement ce besoin non exprimé de se retrouver seuls quelques jours pour digérer tout cela...

Nous comprenant mieux que bien, sans tension ni malentendu, nous nous séparons donc pour ces derniers jours sur le chemin du retour à la maison.

L’un sans l’autre cette épopée n’aurait pas été possible. De l’échouage de Chinguetti à l’enfer de Rosso, notre tandem a permis d’en sortir par le haut, sachant compter sur l’autre autant que nécessaire dans les moments les plus difficiles. Et le partage, parfaitement en phase, de toutes ces émotions, ces découvertes inattendues, ces rencontres inédites.

Une autre dimension de l’aventure a aussi été le partage avec vous, chers fidèles lecteurs et lectrices de mes chroniques qui j’espère ne vous ont pas lassé.
Dans les prochaines semaines, Didier publiera également des petits films de nos pérégrinations. Sûr que vous ne les manquerez pas.

Cette histoire se termine donc bien. Déjà nous pensons à la suivante.

PS : et merci beaucoup à mon équipe de direction du peu de dérangements durant cette escapade.


samedi 25 mai 2024

Le rucher extraordinaire d'Inzerki

Les allégories de l’Atlas dépeignent souvent un monde merveilleux où se mêlent paysages extraordinaires, couleurs à nulle autre pareilles, culture Berbère originale, animaux fabuleux – comme les fameux lions de l’Atlas, plus gros et plus féroces qu’ailleurs, disparus dans les années 50 – et pratiques séculaires singulières. C’est d’ailleurs l’une d’entre elle que nous allons découvrir aujourd’hui, et je dois le reconnaître avec un peu d’excitation.

Quittant la route secondaire d'Agadir à Marrakech, nous nous engageons sur une piste de latérite vers le village d’Inzerki niché dans les premiers contreforts de l’ouest de l’Atlas. D’abord assez large, la piste se resserre rapidement en longeant un petit oued verdoyant avant de le traverser. Puis, montant dans la montagne, elle se transforme en un sentier muletier rocailleux suivant les ondulations du relief. Au détour d’un virage serré, un serpent de plus d’un mètre file devant ma roue, avant de disparaître dans un fourré asséché. Nous continuons notre progression jusqu’à une petite plateforme où nous stoppons les machines pour mieux scruter l’environnement. Pas d’erreur possible, à moins d’un kilomètre, de l’autre côté d’une étroite vallée, parfaitement intégré dans l’environnement de terre ocre, une construction inédite dans les mêmes teintes à flanc de colline. Difficile de se faire une idée d’échelle à cette distance. Mais la construction est imposante. Nous en approchons en traversant la vallée par l’étroit chemin pour nous arrêter dans un cul de sac la surplombant. Un escalier de pierres abrupt descend dans la pente vers une maison de pisé effondrée. Comme sorti de nulle part, un homme sympathique nous aborde dans un français parfait :
-    Vous cherchez le rucher ?
-    Oui, tout à fait.
-    Venez, je vous y conduis. C’est un peu plus bas. Je suis apiculteur. Je travaille ici.
-    Et ça marche bien pour vous ?
-    L’année est très difficile à cause de la sécheresse. De 42 essaims, je n’en ai plus qu’une dizaine. C’est dur. Je vais vous faire voir.

Nous descendons entre des terrasses pour nous retrouver face à des cases de peut-être 1,2 m de long sur 1,8 m de hauteurs, séparée en 4 compartiments, 3 petits et un grand, construites en bois et terre crue.
-    Vous savez, il y a plus de 1000 cases, et la construction initiale date du16ème siècles.
Et il ajoute non sans fierté sous sa casquette et derrière ses petites lunettes :
-    C’est ici le plus ancien rucher collectif du monde. Il est classé au patrimoine mondial. Il n’y a pas si longtemps, plus de 40 familles d’apiculteurs travaillaient ensemble sur ce site remarquable.
Remarquable, il est bien plus que cela…


-    Et comment ça marche ?
-    Les colonies d’abeilles, 25 à 30 000 vivent dans des ruches en forme de tubes de 30 cm de diamètre et 1 mètre de long que nous disposons dans les cases. Deux par case. Une fois les ruches cylindriques pleines, les abeilles construisent alors des rayons supplémentaires dans les cases. C’est le miel que nous récoltons.
-    Et pourquoi cet endroit ?
-    Parce qu’il est parfaitement orienté, plein sud, entouré d’arbres à fleurs dans un climat normalement favorable. C’est pour cela que les familles amenaient ici leurs essaims pour la saison. Pour les faire produire davantage. Mais depuis quelques années, ça diminue beaucoup, à cause de la sécheresse. Et il faut bien dire que les moyens de production modernes sont bien plus efficaces.
-    Surement, mais votre miel est unique et rare.
-    C’est vrai, et c’est pour cela que vous ne trouverez jamais en magasin. Uniquement auprès de la dizaine de producteurs survivant encore avec cette pratique ancestrale.

Accompagnés d'Issam nous poursuivons notre déambulation avec précaution afin de ne rien abimer de ce patrimoine si fragile. Marcher uniquement sur les chemins étroits pour ne pas affaisser les toitures. Toucher ces charpentes polies par les années comme une caresse pour en ressentir les vibrations.
Mais il faut bien l’admettre, si rien n’est fait, le rucher extraordinaire d’Inzerki ne sera rapidement plus qu’un souvenir.



vendredi 24 mai 2024

Reconnexion


Contournant Tan-Tan, nous longeons une sorte d’hippodrome géant, lorsque surgit une horde de dromadaires au galop poussés par gars armé d’une longue baguette à la main gauche, tandis que sa main droite gère la poignée gaz de la petite moto sur laquelle il est assis. Image drôle et exotique pour notre esprit occidental familier des courses de chevaux. Mais ici, le dromadaire, le plus souvent appelé chameau, est le meilleur ami de l’Homme. Parfaitement adapté aux conditions extrêmes du désert avec sa réserve de graisse, sa capacité à ingérer des grandes quantités d’eau en une fois, puis s’en priver de nombreux jours, ses longues pattes souples permettant d’enjamber les obstacles, ses larges pieds souples également pour ne pas s’enfoncer dans le sable, et sa faculté d’ingestion de presque toute matière organique, il peut transporter Hommes et matériels sur de longue distance sur tous les terrains, tout comme fournir lait et viande. Bref, le super véhicule saharien full options ! Alors pourquoi ne pas aussi jouer avec en le faisant galoper dans des courses effrénées ? Ce que font les gens d’ici, comme dans beaucoup d’autre pays du Moyen-Orient. Jeter un œil sur des vidéos, le spectacle en vaut la peine. Montés, ils ressemblent à des créatures de bande-dessinée laissant dans leur sillage un éphémère nuage de poussière, façon moto-cross dans Joe Bar Team.

Soudain le ciel se charge des gros nuages lâchant quelques gouttes éparses de pluies « sèche » immédiatement évaporée. Il fait presque froid jusqu’à ce que nous rejoignions les premiers villages typiques de ce Maroc rural, avec leurs cafés aux terrasses desquels les hommes se retrouvent pour discuter autour d’un thé à la menthe ou d’un café le plus souvent allongé de lait chaud. Culture du troquet tellement sympa ici.

Nous retrouvons donc avec plaisir ce Maroc traditionnel où vivent les gens. Celui aussi des petits commerces et des restaurants à Tajine et grillades où il fait si bon s’arrêter déjeuner pour quelques dizaines de Dirhams. Ce midi sur la place très animée du village de pêcheurs de Sidi-Infni, sorte de petite Jemaa El Fna provinciale.

Sur les petites routes à virolo, il fait bon rouler visière grande ouverte pour ne rien manquer de ce qui s’y passe. Capter les sons et les odeurs de cet environnement si différent du nôtre que l’on s’y sent privilégiés. Puis trouver au hasard le bon endroit pour s’arrêter. Hasard qui ce soir à bien fait les choses. Sur les conseils d’un gars rencontré sur le bord de la route, un très bel hôtel traditionnel, perdu dans un paysage de moyenne montagne, dominant une vaste vallée plantée d’arganiers au-dessus d’un lac. Rien n’a ajouter ni à enlever, juste profiter !




jeudi 23 mai 2024

Nostalgie

Sortir du désert a souvent un parfum de nostalgie, spleen de quitter un monde à part où la confrontation de l’être avec l’immensité brute, aride et rude, vous emmène dans une dimension inédite. Celle, bien au-delà du dépassement personnel, de la modestie face aux éléments naturels. Là où l’âme se révèle comme le lien immatériel entre soi et l’univers. Aucun doute, nous y reviendrions.

Les nuages orangés par réflexion de la couleur du sol se fond plus gros et plus nombreux, projetant sur la terre aride leurs ombres comme d’éphémères négatifs photographiques.
Sur le bord de la N1, les champs d’éoliennes se développent massivement là où le vent ne cesse quasiment pas de souffler.
Nous roulons face à ce vent qui nous avait poussé vers l’Afrique noire, soulevant des gerbes de sable doré venant crépiter sur les visières de nos casques. Les kilomètres défilent, un peu monotones. Pause toutes les heures pour soulager les fesses des pilotes soumises à rude épreuve depuis presque 4 semaines.

Layoune, première ville significative depuis Nouackchott. Et sa magnifique oasis où des centaines de flamants roses ont trouvé refuge avant de poursuivre leur voyage vers le sud de l’Europe.

Puis Cap Juby, base Latécoère de l’Aéropostale sur la ligne du courrier Afrique – Europe où nous faisons escale pour un café. Endroit magique chargé d’ondes des pionniers d’une aventure légendaire dépassant largement sa dimension technique, quand des hommes, touchés par la grâce de leur mission au-dessus de ces terres vierges, ont magnifié leurs aventures dans des récits inoubliables. Et me revient alors la rencontre d’hier avec ce petit garçon angélique. Comment n’avais pas pensé au Petit Prince ? Merci à celles et ceux qui ont fait le lien en m’envoyant des messages suite à ma chronique. Merci beaucoup. Ça m’a réellement touché.

El Ouatia. Face à la mer nous contemplons le couché de soleil en écoutant le son unique de l’Océan. Devant nous, à un peu plus de 100 milles nautiques, les iles Canaries. Notre remontée se poursuit.

mercredi 22 mai 2024

Un ange est passé

 

Vers le Nord, nous refranchissons le tropique du Cancer sur la N1 au milieu de cette immensité désertique pour rejoindre la baie de Dakhla. Magnifique lagune où se dessine de subtils dégradés de ciel, de mer et de terre. Elégantes arabesques de sable et de sel, dans des eaux aux mille nuances de bleus, irisées par le soleil de fin d’après-midi sur lesquelles planent – tels de grands oiseaux multicolores – les kite-surfers venus ici s’exercer sur le spot parfait. Sorte de paradis de la glisse du bout du monde.

Naïma nous y accueille pour une soirée agréable et une nuit reposante.

Requinqués nous reprenons la route avec plaisir. A notre gauche s’étale l’Atlantique. L’eau turquoise du trait de côte se dilue dans l’océan bleu vers le la ligne d'horizon parfaite derrière laquelle se sont perdus les immigrants en quête d’eldorado rencontrés hier.

La lumière change doucement. Moins métallique peut-être. Le ciel aussi, d’un bleu moins poussiéreux, plus propre. L'air est plus respirable. Puis, imperceptiblement, quelques flocons nuageux évanescents apparaissent dans l’azur, signes avant-coureurs d’une prochaine sortie du Sahara profond.

Nous descendons de nos machines face à l’hôtel Namara de Boujdour. Tandis que Didier s’occupe des formalités d’enregistrement avec la sympathique jeune femme Sahraoui à l’accueil de l’établissement, sur le trottoir un petit garçon en blouse blanche revenant de l’école m’aborde avec jovialité. Dix ans peut-être, sourire jusqu’au oreilles et dents du bonheur :
-    Alors Monsieur, tu fais le tour du monde avec ta grosse moto ?
-    Pas tout à fait, juste un beau voyage en Afrique. Nous arrivons du Sénégal et de Mauritanie.
-    Tu sais, moi aussi je suis Mauritanien.
-    Et tu viens d’où ?
-    D’un petit village, dans le désert, à 100 kilomètres de Nouakchott. Et vous ?
-    Atar, Chinguetti, Tidjidja, Aleg, Diama…
-    Oh, Chinguetti, le berceau de notre civilisation !
-    Tu connais ?
-    Non, pas encore. Mais j’y compte bien.
-    Au revoir Monsieur. Je dois y aller.
-    Bonne chance alors.

Il me sourit. Un ange est passé.




mardi 21 mai 2024

Naufragés


De nouveau sur pieds après l’enfer de Rosso, nous reprenons la route transsaharienne vers le nord. Port d’attache à encore 5000 kilomètres. Immenses solitudes désertiques, immuables et magnétiques, tellement propices à l’introspection. Voyage dans une autre dimension quand le vide addictif ouvre des perspectives enivrantes. Route improbable ponctuée de stations-services délabrées tous les 300 kilomètres où rodent des chiens errants.

Au hasard nous stoppons dans l’une d’entre elles. Ambiance de western sous les bourrasques de poussière. Bouteilles de plastiques roulants sur le sol, vieux pneus cuits par le soleil, bouteilles de gaz rouillées et pompes hors services.
On entre dans la salle où siffle le vent à travers les ouvertures dézinguées. A l’intérieur quelques jeunes hommes désœuvrés attablés comme des zombis. Au comptoir on commande une boite de sardines, un œuf dur et du pain, puis nous attablons sur le regard curieux du petit groupe. Et nous commençons notre « pique-nique » en engageant la conversation.
Nous comprenons qu’ils sont Maliens, survivants d’un passage raté vers l’Espagne (quelques 3000 kilomètres plus au nord). 

Babakar, jeune homme grand et fin aux yeux inquiets, nous explique dans un français nerveux :
-    Tu comprends, avec Wagner il ne fait plus bon vivre là-bas. Et il n’y a rien à faire si ton père n’est pas militaire ou politicien. On a donc décidé de s’en aller. On est parti à 105, d’abord à pied à travers le désert, puis sur une grande pirogue en bois avec 2 moteurs depuis les côtes Mauritaniennes. On a suivi la côte vers le nord comme de simples pêcheurs. Puis plus de carburant. Alors le bateau est allé se perdre dans la mer bleue. On a dérivé sans eau douce et sans manger pendant 7 jours. Certains sont morts. D’autre sont devenus fous et se sont jetés à l’eau. Grâce à Dieu nous avons été sauvés par des pêcheurs qui nous ont débarqué pas loin d’ici. Regarde mes pieds, regarde mes mains, ils sont encore tous gonflés par tout ce temps dans l’eau. On est des survivants ! On est des survivants je te dis !
-    Et maintenant, vous faites quoi ?
-    On attend. On est perdu. On pêche un peu pour survivre…
Nous sommes sans voix.
Venant d’on ne sait où, une petite dame entre dans la salle avec son bidon de 5 litres d’eau à la main et un simple cabas. Elle achète 2 œufs durs et un pain au patron de ce lieu improbable visiblement plein de compassion pour les naufragés. Personne ne parle plus. Juste des regards qui en disent long.

Un peu gênés nous quittons les lieux en leur souhaitant bonne chance. Ils nous sourient sans plus de commentaire.
Tels des intrus nous ne faisons que passer dans un monde qui n’est pas le nôtre. A moins que nous ne voulions le considérer comme le nôtre...

lundi 20 mai 2024

En enfer à Rosso



Nous étions entrés au Sénégal par le poste de Diama venant du Diawling National Park par la piste. Arrivée bucolique et agréable entre phacochères et envolées d’oiseaux au coucher de soleil.
Pour ne pas refaire la route à l’envers, bien qu’ayant très mauvaise réputation, nous prenons l’option d’en sortir par le poste de Rosso, seul autre poste ouvert vers la Mauritanie avec passage en bac du fleuve Sénégal.
Notre nuit à St Louis ne s’est pas très passée. Malgré la diligence de l’hôtelier qui n’avait pas hésité à tronçonner le portail pour permettre de rentrer nos motos, et l’ambiance bon enfant de l’établissement où nous avons (mal) diner, Didier et moi sommes attaqués par une crise de diarrhée aiguë pendant la nuit. Maladie classique du voyageur mangeant en conditions locales. Il fallait bien que ça finisse par arriver. Pas de chance, juste le jour d’un passage de frontière impératif, du fait de la durée très limité du « passavant », le visa des véhicules.
Hardis petits, on prend les pilules qui vont bien, on serre les fesses, et nous voilà donc en route vers Rosso.
Sur le bord de la route menant vers une sorte de cul-de-sac en fond du village poussiéreux, une file ininterrompue de camions de peut-être 2 kilomètres, puis un portail déglingué en fer forgé attaché par une grosse corde crânement tenue par un gars à la tête patibulaire. Nous nous arrêtons, enlevons nos casques et sommes immédiatement assaillit par toute une faune d’individus débraillés proposant leurs services pour « faciliter » le passage. Nous nous étions préparés et avions décider de faire sans aide en essayant de trouver le chemin dans cette cour des miracles.
Franchissement de la première étape, le poste de police, avec succès, sous la pression des passeurs. Puis nous passons au guichet de la douane. Contrôle des passeports, coups de tampon, et au moment de récupérer nos documents, tandis que le chef est en train de compter et agrafer ostensiblement des liasses de billet de banques, un agent nous dit sans broncher, "c’est trente euros pour la décharge administrative". Nous réagissons un peu vivement et la tension monte légèrement. Et c’est à ce moment que je suis rattrapé par notre désagrément de la nuit. Ma tête tourne un peu et je dis à Didier qu’il faut avancer sinon ça ne va pas l’faire. Nous payons. Repartant vers les motos, dans la foule quelqu’un m’appelle par mon nom. Comment peut-il savoir ? Je ne relève pas. Le gars du portail ouvre et nous avançons nos machines prêtes pour l’embarquement.
A partir de cet instant, pour moi tout devient confus. Je ne tiens littéralement plus debout et vais m’assoir par terre dans un petit coin à l’ombre. Je sais pouvoir compter sur mon équipier mais ne lui suis plus d’aucune aide. Le bac arrive et il faut charger les motos. Comment ne suis je pas tombé ? Impossible de tenir debout. Assis sur le pont dans un espèce de vertige incontrôlable, le bac démarre en crachant sa fumée de diesel qui me donne la nausée.
Quelques minutes plus tard, arrivée sur la rive Mauritanienne il faut décharger les motos. Je remonte tant bien que mal sur ma machine, manque de nouveau de tomber, descend en première la rampe immergées – pourvu qu’il n’y ait pas d’obstacle – ressort sur la terre ferme, gare difficilement ma machine à côté de celle de Didier, monte les quelques marches vers le poste de douane et m’allonge à l’ombre dans l’entrée sur le carrelage crasseux, sans demander mon reste, au nez et à la vue de toute la jungle locale du même acabit que celle de l’autre côté du fleuve. 

Dans le brouhaha ambiant, je distingue par moment la voix de Didier qui essaie de gérer la situation, à la fois les formalités d’entrer en Mauritanie et mon état pitoyable. De ma position prostrée à même le sol, je vois passer des pieds poussiéreux et des boubous gonflés par le vent. De temps en temps une personne bienveillante me touche l’épaule et s’enquiert de mon état. Mais je suis dans un état second, fiévreux et secoué de spasmes douloureux. Je demande du pain espérant que quelques bouchées puissent un peu me calmer. Quelqu’un m’en amène. Une autre personne me propose une natte, mais je n’ai pas l’énergie de me relever.
De son côté Didier est harcelé par toute cette mafia jouant sur la confusion du moment. Inquiet de mon état, il paye donc à tous les râteliers, sauf au dernier, pour faire avancer notre dossier le plus rapidement possible et s’extirper au plus vite de ce cauchemar.
Documents en main il vient me chercher. Je ne peux pas rester là. Je dois me relever. Je me relève, remet la tenue et remonte chancelant sur la moto. Au moment de partir un officier nous fait vider les bagages, le dernier râtelier non payé…
Nous partons enfin. Je roule devant comme un zombi à 60 km/h sous plus de 40°. Quelques kilomètres et nous nous arrêtons dans une boulangerie où je m’affale littéralement. Devant notre situation le propriétaire nous offre une natte et des coussins crasseux sur la terrasse dégoutante de son restaurant mitoyen. Dans cette situation seul le geste compte et le reste n’a plus d’importance. J’essaie de reprendre mes esprits. Reste encore 150 km jusqu’à Nouakchott et je ne sais pas encore comment je pourrais y arriver dans cet état.
Heureusement, Didier au petit soin reste cool. J’essaie de mon côté de générer des images positives pour oublier les spasmes. Une heure passe. Nous repartons en remerciant le restaurateur pour sa gentillesse. Après plusieurs arrêts nous atteignons Nouakchott à la nuit tombante. Je suis au bout de ma vie. 

Merci mon « poteau ». Tout seul ça n’aurait pas été possible.

PS : au delà du récit réel de cette aventure, Rosso est probablement l'un des pires passages de frontière au monde. En tout cas il en a la réputation. Didier et moi, pour en avoir franchi de nombreux, n'avons jamais vu cela.


samedi 18 mai 2024

Tout est possible en Afrique !



Quittant Dakar nous partons pour une trop courte excursion vers l’intérieur du Sénégal.
Apparaissent les premiers baobabs, arbres monumentaux dominant la brousse d’acacias.
Ici et là, des zones d’écobuage d’où s’élève une fumée âcre. C’est la fin de la saison sèche et on prépare les sols à la repousse d’herbe fraîche dès l’arrivée des premières pluies.

Notre arrêt à la nuit tombée nous fait descendre dans un improbable hôtel de campagne, le seul de la petite ville de Mbaké. Il a dû avoir son heure de gloire quand le patron était encore jeune. Aujourd’hui en fin de carrière comme son établissement. A l’entrée un lion naturalisé perd ses poils. A l’intérieur les couches de peinture se sont empilées pour former, au fil des années, une croute patinée dont les éclaboussures jonchent le sol et les vitres des fenêtres.
Venant de nulle part, baissant la tête pour franchir le seuil de la porte, un très grand homme en noir entre dans la salle. Il porte autour du cou des amulettes. Le garçon de service se précipite lui baiser la main, puis le patron. Je comprends le mot marabout. Sans doute vient-il pour un service particulier. Trente minutes plus tard il repart comme il était venu.

Nous reprenons la route vers Dahra. Très frappante est la forte poussée de l’Islam. Dans
toutes les localités des mosquées récentes dominent les habitations. Comme c’est vendredi, les chants lancinants presque continus des Muezzines occupent tout l'espace.
Dans chaque village, toujours cette activité de commerces et services qui semblent ne jamais s’arrêter. Puis ces cases en terre couvertes de chaumes protégées par des palissades légères parsemant la brousse.

Ne trouvant pas de restaurant pour la pause déjeuner, nous entrons dans le village de Koki. Au pied de la mosquée des « p’tites dames » vendent du pain, des mangues et du café. Nous leur en achetons et démarrons un pique-nique près d’elles, assis par terre adossés contre un mur ombragé. A peine installés qu’une flopée d’enfants s’approche en rond autour de nous, observant le moindre de nos faits et gestes, tandis qu’un autre groupe s’affaire autour des motos. Dix, vingt, trente, puis peut-être cinquante. Pour tout dire l’ambiance n’est pas très agréable, presque un peu oppressante. Mais bon, ce sont des enfants, alors on donne le change jusqu’au moment ou Didier propose aux p’tites dames de leur offrir des mangues. A peine a-t-il donné la monnaie que, telle une volée de pigeons affamés les enfants se précipitent sur les dames, les mettant à terre pour leur chaparder les fruits dans un nuage de poussière, puis disparaissent. Moment d’une rare violence qui nous laisse coi. Tombée durement de sa chaise qui s’est brisée, la plus jeune se relève un peu estourbie. Nous nous confondons en excuses quelque peu dépassés par ce qui vient de se passer.
Envolés, les enfants reviennent comme si de rien n’était. Les dames ne semblent pas leur en tenir rigueur. Mais l’atmosphère redevient pesante. Il est temps de reprendre la route.

Notre boucle Sénégalaise nous ramène à St Louis pour repasser demain en Mauritanie.

Premier arrêt dans un hôtel de passe dont le « maître d’hôtel » nous vente la splendeur passée. Nous passons notre chemin pour finir un peu plus loin « Chez Marie-José ». Problème, impossible de rentrer les motos par la porte métallique du grand portail. Devant notre gène, ni une, ni deux, le gérant demande à son homme de main de le tronçonner pour permettre le passage de nos précieuses machines. En moins d’une heure l’affaire est entendue. Tout est possible en Afrique !