vendredi 30 décembre 2011

"Une brève histoire de temps"

Une année vient de s’écouler sur la grande horloge universelle qui tourne inexorablement au rythme de 365 jours par an, 24 heures par jour, 60 minutes par heure… rythme cosmique contre lequel rien ni personne ne puisse faire quoi que ce soit pour en ralentir la cinétique, impossible quête du Graal de l’immortalité, chimère heureusement intouchable qui hante l’imaginaire de l’espèce humaine.
Einstein avait bien réussi à mettre une partie de ce merveilleux mystère en équation dans sa théorie de la relativité générale résumée par la géniale équation E = MC², dont l’une des vertigineuses applications est le lien de la 4ème dimension – le temps – aux 3 dimensions déjà connues de l’espace : où comment un voyageur interstellaire voyageant à une vitesse proche de la lumière et revenant à son point de départ aurait gagné du temps sur celui de son port d’attache... Mais ça, ce n’est pas encore pour demain.

« Ô temps, suspend ton vol ! » écrivait Lamartine à la recherche du plaisir de l’instant dans ses « Méditations Poétiques ». Profiter du moment présent, savourer chaque seconde comme une gorgée d’un délicieux élixir, plutôt que croire que le bonheur finira par arriver. Certainement une partie du secret...
Mais n’y aurait-il pas une approche complémentaire dans cette recherche de la félicité ?
A défaut de pouvoir ralentir la course du temps, en remplir chaque instant pour en augmenter la densité, lui donner le maximum de consistance et dilater autant que possible chaque seconde pour en profiter pleinement. Faire ce que l’on souhaite, plutôt que croire que cela viendra un jour, plus tard, au risque d’arriver au bout du parcours sans avoir pu vivre ses rêves.

Avec la nouvelle année, je vous souhaite sincèrement « tout le bonheur du monde » :
- La santé pour vous permettre d’allonger autant que possible votre propre flèche du temps (jusqu’à 100%...) et disposer des moyens physiques de réaliser vos projets les plus chers !
- Des projets magnifiques pour dilater à l’infini chaque seconde !
- Le Bonheur enfin, cette faculté de savourer goulument tous les instants !

Sûr, 2012 sera une année exceptionnelle pleine d’opportunités qu’il ne faudra pas manquer.

***

Merci à vous tous, les quelques 3000 lecteurs réguliers de ces petites chroniques sans autre prétention que de vous donner, de temps en temps, quelques minutes de plaisir autant qu’elles m’en procurent à les écrire.

mardi 6 décembre 2011

Objectif Aconcagua !

D’un clic je viens de valider la résa du billet d’avion, point de non retour pour une nouvelle aventure dont je ne mesure pas encore tout à fait les dimensions. Objectif Aconcagua ! Du haut de ses 7000 m, point culminant du continent Américain au cœur de la Cordillère des Andes et plus haut sommet de la planète en dehors du massif Himalayen. Même pas peur…
Départ le 1er février 2012 en compagnie de Bruno, mon frère, et Claude un ami.

Tout cela a commencé en 2009, lorsque j’ai découvert l’ivresse « des hautes solitudes » en atteignant avec un groupe de grimpeurs le sommet du Kilimandjaro, 6000 m, sommet du continent Africain, indélébile expérience tant physiologique que psychologique.

Adolescent, comme tout le monde j’avais lu les récits de montagne de Frison Roche et Maurice Hertzog, restés enfouis comme des fantasmagories extraordinaires hors de portée du commun des mortels. Il y a quelques années un reportage télé sur l’ascension du Kili dont la monté semblait accessible avait réveillé une petite voix dont la musique devint rapidement un irrésistible refrain. Pas de doute, il fallait y aller voir. Alors bien sûr, rien à voir avec les exploits cosmiques des Grands Alpinistes ; juste la satisfaction d’effleurer leurs sensations, respirer quelques unes des rares molécules d’air qui à ces altitudes auraient pu irriguer leur poumons, et finalement attraper le virus, contaminé par cette irrésistible envie d’y retourner fouler un monde étrange, presque en apesanteur entre ciel et terre : lumière cristalline, maîtrise de la respiration, le corps et l’esprit au ralenti dans un air glacé au milieu de titanesques cahots géologiques.
L’été dernier l’ascension du Mont-Blanc fut la rechute fatale à cette étrange addiction, de celle des amoureux des déserts ou des immensités polaires où l’homme ne peut être qu’un éphémère et modeste invité.

Dans deux mois nous y serons et je vous ferai partager l'aventure.

samedi 3 décembre 2011

Foz do Iguacu

8h30 du matin. Le Boeing 737 de la compagnie brésilienne Gol décolle de la piste 14 du petit aérodrome de Foz do Iguaçu. Sur fond de ciel indigo l’appareil s’incline doucement, large virage à droite dans la belle lumière de ce début de journée striant la cabine de rayons dorés à travers les rangés de hublots. Puis le capitaine annonce :
- Mesdames, Messieurs, à la droite de l’appareil les chutes d’Iguaçu,
avant d’incliner l’avion avec élégance pour permettre à chacun d’admirer le spectacle, et quel spectacle ! Un enchevêtrement de dizaines de cataractes vertigineuses – au confluent de la rivière Iguaçu et du fleuve Parana – dont les chutes vaporisent une brume humide diffractant la lumière en de multiples arcs en ciel sur fond de forêt tropical. Juste magique.
Nous sommes exactement à la frontière du Brésil, de l’Argentine et du Paraguay. La nature a développé ici des forces vives extraordinaires et les hommes ne s’y sont pas trompés, se regroupant là pour finalement se retrouver sur trois pays.
Je profite du spectacle en me promettant d’y revenir pour le redécouvrir les pieds sur terre, puis retombe insensiblement dans une agréable torpeur, bercé par le ronron des moteurs…

- What would you like to drink Sir ? me demande gentillement l’hôtesse poussant dans l’allée centrale son chariot chargé de boissons en tout genre.
- Water please, no ice.

Je bois à petites gorgées en repensant à la conversation d’hier soir avec notre client Roberto, chaleureux et volubile entrepreneur Brésilien, la cinquantaine bien entretenue, affichant sans retenue une belle réussite professionnelle construite avec audace : grosse berline sportive, jet privé…

Après le diner il me reconduit à l’hôtel à bord de sa rutilante Mercedes AMG. Ca change de la Logan de location… Même s’il est déjà tard, nous ne rentrons pas directement. Vitres teintées grandes ouvertes il m’emmène « faire le centre ville » de Cascavel où il est visiblement connu comme le loup blanc, saluant ses connaissances à renfort d’appels de phares et de grands gestes amicaux.
- Tu vois, dit-il en pointant du doigt un bar bien placé le long de l’avenue principale ? Et bien il est à moi.
Le « Wood’s bar », un bar à concert où des musiciens et chanteurs se produisent chaque semaine.
Je ne peux évidemment que le féliciter pour son initiative, même si je m’étonne toujours de ce mélange des genres, et tandis que nous continuons « la parade » sur la grande avenue, Roberto prend soudainement un air plus profond :
- Dis moi Fred, que ce passe t-il en Europe ?
- A quel point de vu ?
- La crise ! Ou allez-vous ? Que va-t-il se passer ? me demande t-il le regard marqué d’une pointe d’inquiétude que je ne lui connaissais pas.
Je réponds en expliquant que notre système est en train de se gripper, que « L’avenir n’est plus ce qu’il était » mais que personne ne veut regarder la vérité en face, chacun s’accrochant à ses acquis, ou du moins ceux qu’il croyait être acquis.
Et d’ajouter :
- Je crois que nous touchons les limites d’un système social mis en œuvre dans une période de forte de croissance économique, basé sur la consommation de biens d’équipement soutenu par une démographique dynamique.
- Or vous avez déjà tout et vous ne faites plus beaucoup d’enfants… me lance t-il tout de go.
- C’est un peu vrai dois-je bien reconnaître.
- Regarde chez nous ajoute t-il. Les gens rêvent tous d’un avenir meilleur et travaillent durs pour cela.
- Qu’est ce que veux dire pour eux un avenir meilleur ?
- Et bien vivre comme chez vous, en Europe. Que chacun dispose du confort moderne et de la « sécurité sociale ». Mais tu vois Fred, ce qui m’inquiète, c’est que si votre système devait s’écrouler, cela pourrait totalement changer les perspectives, non seulement les vôtres, mais aussi les nôtres. Et alors il faut imaginer autre chose dès maintenant, avant que nous ne nous retrouvions dans la même situation.
- T’as une idée ?
- Pas vraiment une idée, plutôt une réflexion. Pendant des décennies les pays occidentaux se sont développés et enrichis sur le dos des pays du sud (nous entre autres…). Et vous en avez bien profité n’est ce pas ? Et bien nous, les « nouvelles puissances », il va falloir imaginer construire notre développement économique durable tout en soutenant le vôtre. Sinon je crains que nous allions au devant de risques majeurs dans un monde où chacun serait alors tenté de ne défendre que ses intérêts particuliers.

Entrepreneur - philosophe réaliste le Roberto…

lundi 28 novembre 2011

Baja California

Au bout du ponton de planches de bois blanc incrustées de sel, un cormoran se sèche paresseusement les ailes dans une brise légère.
Ancré à quelques encablures, un yacht semble comme posé sur un lit de paillettes étincelantes dont les reflets se perdent sur la ligne d’horizon marquée par une fine bande de terre ocre sous un ciel d’un bleu profond.
Bordée de cactus géants poussant entre les rochers du désert, la plage de sable blanc où nous sommes attablés sous une paillotte, dégustant des palourdes géantes crues, un verre de téquila à la main, ressemble un peu au paradis. Il faut dire qu’ici le soleil d’hivers a des allures d’été, dans un microclimat où il ne pleut que 5 jours par an : Baja California, Mexique.
L’ambiance est détendue. C’est dimanche après-midi et après seulement un jour et demi de discussions, nous venons de signer un protocole d’accord prometteur avec de futurs partenaires pour le lancement d’un projet stratégique en génétique aquacole. De jeunes entrepreneurs enthousiastes animés d’un ardent désir de construire quelque chose d’innovant et d’utile. Deux frères magnifiquement complices : Carlos, le plus jeune, grand et fin garçon aux cheveux brins coupés courts ; Gustavo, l’ainé, look de surfeur Californien à la corpulence plus épaisse et au visage poupin éclairé d’un éternel sourire en coin. Il ait des gens avec lesquels les ondes passent tout de suite, ils font parti de ceux-là. Gageons que ce soit de bon augure pour la suite.
Nous parlons pêche, montagne, sports, femmes (les nôtres évidemment), enfants, voyages, gastronomie, sautant d’un sujet à l’autre sans véritable fil conducteur, profitant juste du plaisir d'un moment magique où l’on démarre une nouvelle entreprise pleine de promesses. L’heure n’est pas encore à la confrontation parfois ingrate avec la réalité économique, toutes ces bonnes raisons que nous aurions pour ne pas y aller. Nous sommes ici dans notre rôle d’entrepreneurs : imaginer un avenir radieux, puis tout faire pour le rendre possible.

De nouveau mon regard se perd dans le paysage : - d’un côté le ponton, la mer scintillante, le ciel bleu dégagé - de l’autre le désert, les rochers anguleux, les cactus - illustrations naturelles d’un projet d’entreprise que l’on engage pour le meilleur.

vendredi 18 novembre 2011

"Spock à Entreprise ?"

Quand j’étais enfant il m’arrivait parfois de regarder sur la télé noire et blanc de la maison, Star Treck, la fameuse série de science- fiction crée dans les années 60 (du siècle dernier…), dans laquelle l’humanité du XXIIIème siècle part en exploration spatiale à bord du fabuleux vaisseau « Entreprise », à la rencontre d’autres civilisations extra-terrestres.
Si je me souviens bien, tous les épisodes étaient prétextes au développement d’histoires aux valeurs humanistes dans un sympathique cocktail d’effets spéciaux aujourd’hui très « vintage ». Les protagonistes disposaient alors d’incroyables outils de communications qui à l’époque paraissaient totalement improbables. Nous étions émerveillés par ces petits appareils qui tenaient au creux de la main et permettaient de communiquer instantanément en direct avec sa communauté tant par la voix que par l’image ; et nous pensions que ça n’arriverait jamais.

Presque un demi-siècle est passé et nous n’avions à priori pas encore rencontré d’extra-terrestres (du moins c'est ce qu'on nous dit...) ni même quittés notre petite planète ; alors qu’à l’époque les promesses de la conquête spatiale semblaient presque sans limite. La réalité est que depuis la dernière mission lunaire Appolo 17, il y 40 ans, les hommes ne sont plus sortis de l’orbite terrestre, et que seuls des robots se sont rendus sur Mars. Le progrès n’est pas toujours celui attendu…

A cet instant vous vous demandez peut-être où je veux en venir.
En fait je devais cette semaine faire un saut aux Etats-Unis et, comme à d’habitude, profiter de l’occasion pour partager avec vous une petite rubrique de voyage. Des circonstances douloureuses m’ont obligé à annuler ce déplacement où je devais notamment retrouver d’importants clients Chinois. Du coup, nous avons monté au dernier moment une téléconférence. Rien de bien extraordinaire me direz-vous. Certes, sauf que cette téléconférence n’a nécessité rien d’autre qu’un simple ordinateur portable connecté à la box de la maison. Deux 2 clics et me voilà en direct avec Des Moines, dans l’Iowa (16h pour eux, 23h pour moi), où mes équipiers Américains accueillent physiquement nos amis Chinois. Nous nous présentons par écrans interposés, puis je pilote depuis mon ordi, le diaporama de présentation du groupe sur leur vidéoprojecteur. Magique ! D’autant plus que chacun peut en faire autant via Skype, et que ça ne coûte rien de plus que votre abonnement internet. Plus fort que Monsieur Spock !

Très franchement, qui aurait pu imaginer qu’une telle avancée technologique soit réellement possible, disons… il y a seulement 10 ans ?
Alors bien sûr, et fort heureusement ce type de communication ne peut complètement remplacer les vraies rencontres, celles où l’on « se touche », où les ondes émotionnelles passent vraiment. Mais quant même, quel progrès extraordinaire où la réalité a parfaitement rejoint la fiction.

Quand nous étions enfants nous rêvions d’un futur excitant et prometteur en regardant Star Treck.
Certains rêves se sont réalisés presqu’avant l’heure, d’autres pas. Mais la réalité dépasse par bien des aspects le champ alors imaginé des possibles dans des domaines tout à fait inattendus.

Aujourd’hui, de quel avenir prometteur rêvons-nous ?

samedi 24 septembre 2011

"L'avenir n'est plus ce qu'il était !"

Par les temps qui courent, voyager au Vietnam procure une incomparable sensation de sérénité.
Je ne parle évidemment pas des déplacements erratiques, englué dans le flot vrombissant d’essaims de petites motos - bien que l’ambiance reste toujours très bonne enfant - mais du contact avec les gens d’ici, comme s’ils avaient quelque chose de plus, un supplément d’âme exprimant naturellement le goût du bonheur, plaisir simple d’être ici et maintenant, traduit sans plus de manière par des relations non seulement toujours souriantes et courtoises, mais aussi joyeuses. Cela est d’autant plus frappant que ce peuple aurait de bonnes raisons d’en vouloir à l’occident qui l’a si souvent mal traité. Mais il n’en est rien apparemment. Et leur sens de l’accueil n’a d’égal que leur gentillesse spontanée. De là à imaginer que certains l’aient interprété comme de la faiblesse voir de la soumission ?
Tant les français que les américains ont à leur époque chèrement payé cette grossière erreur de jugement qui, remise en perspective, ne donne que plus de valeur à ce peuple magnifique capable de résister puis de dépasser les agressions.
Ne toucherions-nous pas ici à la vraie sagesse ?

Dans le lobby de l’hôtel quelques écrans diffusent en « live » les nouvelles du monde, successions de courbes en dents de scie descendantes montant l’effondrement spectaculaire des bourses occidentales, images de salles de marché où des traders surexcités semblent perdre les pédales, analyses de la situation par des spécialistes bien coiffés en costumes sombrent et cravates rouges ou bleues, Rolex au poignet gauche agitant de la main droite leur stylo Mont-Blanc telle une baguette magique. Puis ce sont les politiques occidentaux qui défilent pour expliquer qu’il n’y a aucune raison de paniquer, qu’il faut rester confiant tout en se serrant la ceinture ; sans aucun courage pour dire très clairement que le monde change vraiment, qu’en occident nous avons vécu au dessus de nos moyens, qu’il s’agit maintenant de payer la note tout en acceptant de partager la richesse avec le reste du monde dont nous avons bien profité. Ceux-là même qui nous regardent maintenant avec un peu de mansuétude, peut-être pas tout à fait fâchés par ce qui « nous » arrive.

« Le futur n’est plus ce qu’il était » a dit un jour Yogi Berra (très grand joueur Base Ball américain des années 60) signifiant, dans son style inimitable, que l’avenir ne se déroule plus selon les attentes du passé. Il avait sacrément raison.
Nous sommes dans une période de ruptures majeures où les modèles issus du passés n’apporteront pas la réponse aux défis qui nous attentent. Et le pire, c’est que personne ne semblent vouloir en parler franchement.

Préparons-nous à changer, à reconstruire sur de nouvelles bases un modèle économique et social capable de prendre en compte les nouveaux enjeux d’un plus grand partage de la richesse au niveau mondial, tout en gérant de manière mieux raisonnée la consommation des ressources disponibles.
Car je suis tout fait convaincu que c’est bien de cela dont il s’agit.
Le reste n’est que spéculation financière parfois immorale dont les principaux bénéficiaires prennent aujourd’hui une raclée. Devrions-nous vraiment les plaindre ?

samedi 10 septembre 2011

Tango ou Samba ?

Buenos Aires est de ces villes qui ont une âme et dont on ne peut rester indifférent. Pas vraiment belle, ni moche non plus, mais avec ce je ne sais quoi de charme un peu suranné.
Ici la « 5ème Avenue » s’appelle « L’Avenue du 9 juillet » (jour de l’indépendance). Il y avait la plus belle Avenue du monde, la plus longue aussi, alors les argentins ont inventé la plus large et l’affiche fièrement. Il faut bien dire qu’ils n’y sont pas allés de main morte : mieux vaut retenir sa respiration pour traverser, avec pas moins de 8 files de voitures, 4 dans chaque sens, plus les contres allées et les larges trottoirs scrupuleusement entretenues chaque matin par les résidents des pas de porte avec force jets d’eau, ballets brosse et huile de coude. Au moins ici il ne reste ni mégot, ni papiers gras, ni crotte de chien. Pour autant l’avenue ne présente pas de grand intérêt, sauf peut-être une curieuse obélisque érigé au milieu.
C’est plutôt du coté des passants qu’il faut regarder. Le matin des « nounous pour chiens » promènent en laisse de véritables meutes très éclectiques avec toute sorte de représentants de l’espèce canine - du plus gros au plus petit et de toutes les couleurs - que les maîtres leur ont confié pour la journée ; assez étonnant. Le soir on retrouve les maîtres sur leur 31 marchant tranquillement bras de dessus bras dessous, comme s’ils se rendaient à un bal de tango Argentin, Messieurs en costumes italiens cheveux gominés coiffés en arrière, Mesdames fardées et perchées sur des talons hauts cliquetant sur le pavé. Drôle de représentation façon sud européenne très années 30.

S’arrêter dans un café est ici un plaisir : commander un cortado (expresso à la mode espagnole) et le siroter tranquillement juste en observant les gens commentant l’actualité dans la langue de Cervantes soutenue de gestuelles latines très expressives.

Trafic intense dans les rues ou des bus hors d’âge aux chromes encore rutilants chargent et déchargent des grappes de passagers pressés. Dans le flot de la circulation, des milliers de petits taxis jaunes et noirs sillonnent la ville en tous sens, au gré des courses commandés par les passagers souvent entassés à 3 sur l’étroite banquette arrière. Quelques vieilles Ford Falcon, très joli modèle fabriqué ici dans les années 70 continuent d’assurer le service de conducteurs désargentés.

En ville de nombreux théâtres aux façades défraîchies présentent des spectacles de tango commercial aux touristes essentiellement venus de pays voisins. Ah le tango Argentin, danse de séduction certes, mais surtout hymne à la virilité locale que la gente masculine ne se prive pas ici d’exhiber : cheveux gominés, costumes à l’Italienne, chaussures lustrées impeccables - ou chemises ouvertes sur torses velus, ceinturons de cuir et bottes - selon que l’on soit citadin ou gaucho venu faire sont petit tour en ville. Plutôt rigolo, même si je force un peu le trait.

Le foot est ici une deuxième religion, entretenue par la rivalité avec le grand voisin Brésilien. Il faut dire que les relations entre les deux pays a parfois quelque chose de grand guignolesque pour qui voit cela de loin. C’est Tango contre Samba et les plaisanteries fusent entre les deux pays à la matière de celles entre Belges et Français. Sauf que nous n’avons ni tango, ni surtout Samba, dommage… et que la musette ne fait plus fantasmer grand monde.
Mais pour en revenir sur les relations tumultueuses entre Argentins et Brésilien, je me demande s’il n’y aurait pas derrière tout cela qu’une histoire de jalousie entre deux cultures latines hautes en couleurs ? D’un côté les Brésiliens envieux de la virilité Argentine quelque peu machiste exprimée dans le Tango, de l’autre les Argentins envieux (on les comprend) de la sensualité féminine brésilienne exprimé dans la samba.
Théorie « à 2 balles », je vous l’accorde, qui bien sûr n’engage que moi ; et encore…

dimanche 4 septembre 2011

Vol de jour

Samedi fin d’après-midi, nouveau départ vers l’Amérique Latine : 45 minutes de voiture jusqu’à l’aéroport de Nantes pour un petit vol vers Paris attraper la connexion du vol de nuit vers Sao Paulo. Pas vraiment envie de partir en plein week-end, mais les « optimisations d’agenda » sont parfois (souvent) nécessaires.

Le temps est à l’orage, ciel chargé de spectaculaires cumulonimbus bourgeonnant verticalement, tel des choux fleurs géants dont le sommet se heurte à la stratosphère en dessinant de gigantesques enclumes. L’avion zigzague doucement entres ces énormes usines électriques volantes qu’il faut mieux éviter si l’on veut ne pas se faire secouer violemment. La lumière décroissante de cette fin d’après-midi ajoute au spectacle, belle partie de pilotage pour ceux qui ont la chance de tenir les commandes.
Atterrissage agité sous les trombes d’eau à Charles de Gaulle. Au freinage les aérofreins moteurs propulsent une gerbe de bruine épaisse vers l’avant de l’appareil, comme s’il se trouvait piégé dans une tornade d’où il ne parvenait pas à s’extraire.

Retour au calme dans l’aérogare. Sans plus d’explication un SMS m’indique que le vol pour Sao Paulo prévu ce soir est reporté à demain matin 8h. Merde ! Le programme déjà tendu va se compliquer et il va falloir se taper un vol de jour.

Soirée sans intérêt dans un hôtel sans âme aux frais d’Air-France. La moindre des choses. En fait l’appareil que nous devions prendre serait resté en Asie pour problème technique, et il a fallu en préparer un autre. D’accord, mais dans ce cas ils auraient quant même pu prévenir plus tôt.

Chargement particulièrement lent de l’appareil, par bus, au large de l’aérogare 2F.
Nous finissons par décoller à 9h.
C’est parti pour un long vol de jour contre le temps, 11 heures pour dessiner une belle trajectoire vers le sud-est croisant l’équateur au dessus de l’Atlantique.
A travers le hublot, loin sous l’appareil, les petits cumulus clairsemés ressemblent à de délicates fleurs de coton flottant au dessus de l’océan qui projettent leurs ombres furtives sur les flots moutonneux.
De temps à autre on distingue un navire laissant derrière lui un sillage d’écume telle une fléchette sur la mer, comme une réponse à l’éphémère trainée de condensation dessinée dans l’azur par notre triple 7.
A l’horizon, ciel et mer se confondent dans un dégradé laiteux marqué d’une fine ligne brune semblable à la tranche d’une galaxie photographié par Hubble.
A bord quelques hublots restés ouverts diffusent d’éblouissants rayons de lumineux, tel des rayons laser illuminant la cabine. Nous ne sommes plus vraiement sur terre, envahis par une douce torpeur, bercés par le ronronnement régulier des moteurs de notre beau « vaisseau » blanc.
...
Heure d’arrivée 14h57 indique le moniteur de contrôle. Encore 6 heures de vols tandis que nous fonçons à 900 km/h vers le Brésil sans réelle impression d’avancer, paradoxe du voyageur aérien pour qui, malgré la vitesse de déplacement, le temps continue de s’écouler lentement.

lundi 29 août 2011

"La fleur de lotus vient au milieu de la boue"

Si vous êtes lecteur régulier de mes petites chroniques, peut-être vous souvenez-vous de celle titrée : « Ne jamais vendre la peau du panda… » (juin dernier), complainte du businessman embourbé dans des négociations chinoises qui semblaient ne jamais devoir aboutir.
Reprenons donc où nous en étions restés, disons au jogging de ce matin sous une pluie légère délicieusement tiède, agréable sensation de courir sous sa douche. Serait-ce un bon présage ?
Cela fait tout de même 2 jours que je suis là en embuscade, planqué dans l’hôtel à quelques centaines de mètres des bureaux de notre contact, près à sortir de ma boite pour essayer d’emballer l’affaire sitôt que Huang, mon coéquipier Chinois me fera signe. En attendant c’est lui qui bosse en face à face avec ses compatriotes selon les « coutumes » locales, échangeant seulement avec moi quelques SMS pour calibrer les termes finaux du contrat. Situation un peu surréaliste. Et à voir sa tête au retour des séances de discussion ça na pas l’air facile.

Nous en sommes maintenant au troisième et dernier jour. Aujourd’hui doit avoir lieu la rencontre décisive avec le Président de l’entreprise. Huang a prévenu :
- Soit nous signons, soit nous échouons définitivement !
Deux autres coéquipiers arrivent spécialement en renfort : un de Shanghai, l’autre de France.
Petit déjeuner de concertation avant le rendez-vous capital prévu à 10h.
9h55, coup de fil de nos interlocuteurs sur le portable de Huang. Ils veulent le revoir seul dans un premier temps. Soit ! Nous le laissons donc repartir seul à la bataille.
Je ronge mon frein installé dans la chambre à lire l’excellent bouquin de Nicholas Taleb « Le Cygne Noir » - sur la puissance de l’imprévisible - en espérant que le titre ne soit pas ici prémonitoire d’une nouvelle désillusion.
10h55, coup de fil de Huang :
- Vous pouvez venir.
Nous partons sans un mot vers le lieu du rendez vous situé au 3ème étage de l’immeuble au coin de la rue suivante.
Salutations chaleureuses suivies d’une tasse de thé. Tout de go on nous colle sous les yeux le contrat imprimé en anglais-chinois pour relecture. Deux petites corrections puis signature expresse ! Photo souvenir et sans plus attendre tout le monde dans le minibus vers le restaurant pour le déjeuner de clôture. Bien que stupéfaits nous sommes évidemment très heureux. Mais qu’avait-il bien pu ne pas marcher la dernière fois ?
- Rien, nous dit Huang. Le Président voulait juste ne pas aller trop vite et tester notre résistance et motivation.
Tu parles, cela faisait tout de même la 3ème fois que nous nous rencontrions. Il est parfois des subtilités qui m’échappent. Mais ne boutons pas notre plaisir.

Nous arrivons au restaurant pour un grand numéro :
Tout le monde est en joie. Connaissant assez bien les usages en de pareilles circonstances, je propose amicalement une règle du jeu prudente :
- Chers amis, pour cette occasion exceptionnelle, je porte un toast à notre nouveau partenariat sans aucun doute porteur d’avenir. Et d'ajouter avec humour : au fait, que diriez-vous qu’à cette occasion nous buvions tous la même chose et surtout au même rythme ? (ceci pour éviter que nos amis Chinois ne nous fasse boire à tour de rôle sans avoir eux-mêmes à accompagner systématiquement les toasts...)
Approbation générale dans une franche rigolade.
A peine installé le Président disparait, laissant ostensiblement ses clés et son portable à sa place. Je suis à droite de la place vide, David à gauche, tandis que nos collègues Chinois sont installés à suivre avec nos clients autour de la table ronde.
Alors que nous attendions du vin, on nous sert au raz bord un premier verre d’alcool de Lotus à 52°. Pas de ces petits verres à eau de vie généralement utilisés pour le digestif, mais un verre à eau. Et si la couleur peut faire illusion, les seules vapeurs suffisent à désinfecter l’atmosphère. Et on commence à trinquer dans un premier temps doucement en attendant le retour du Président. Nous en sommes à la moitié du deuxième verre lorsqu’un gars fait irruption dans la salle, l’air consterné, expliquant que le Président, retenu pour un instant dans une autre salle avec des officiels, a été contraint de faire cul-sec à un verre entier, et qu’indisposé par ce geste héroïque il n’était plus en mesure de nous rejoindre immédiatement… C’est cousus de fil blanc ; nous sommes piégés mais n’avons pas d’échappatoire. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur nous descendons le deuxième verre entre les plats qui arrivent sans discontinuer.
- Mange me dit David. Mange, ça aide à faire passer.
- Tu parles…
La température monte et nous sommes déjà « bien avancés » lorsque le Président revient dans la pièce, s’assoit frais comme un gardon, et fait resservir une tournée générale. Le bougre !
La suite est plus difficile, voire confuse : si je me souviens bien, à la tournée générale en a succédé une autre, puis nous sommes partis pour une petite marche digestive dans un jardin de lotus, un peu titubants, essayant tant bien que mal de ne pas tomber dans les bassins boueux où s’épanouissent ces fleurs magnifiques… Puis retour à l’hôtel, retrouvant le Vice Président, qui avait étrangement disparu, allongé de tout son long et dormant comme un bébé sur la banquette arrière du minibus… effort « surhumain » pour ne pas vomir pendant de trajet, avant que je ne m’effondre enfin sur le lit dans un état que je ne saurais décrire, perdu dans des vapeurs éthyliques nauséeuses.

« La fleur de Lotus vient au milieu de la boue » a dit un jour le poète Chinois.
Faisait-il allusion à la manière dont les plus belles affaires se traitent ici ?

vendredi 26 août 2011

Beer Festival à Qingdao

Sans doute y a-t-il quelques buveurs de bière réguliers dans les lecteurs assidus de mes petites chroniques. A ceux-là je suggère de ne pas poursuivre la lecture de celle-ci. Ils pourraient être déçus et ne plus revenir sur le blog. Ce qui serait dommage pour une simple histoire de bière, cas particulier dont il n’y a vraiment aucune raison de tirer de généralités. Quoi que…

L’action se déroule à Qingdao, sympathique cité balnéaire de 8 millions d’âmes sur la côte nord-est de la Chine donnant sur la Mer Jaune.
C’est encore l’été et dans la journée les familles en villégiature profitent des lieux dans une ambiance bonne enfant.
On s’étale sur la plage ensoleillée d’où émerge la guérite du maître nageur surveillant les baigneurs. Les enfants construisent les châteaux de sable ou jouent au cerf-volant. Au large quelques hors bords rebondissent sur la houle dans des gerbes d’écumes. Ici et là on s’amuse à des jeux de raquette où de ballon, tandis que les garçons roulant les mécaniques reluquent discrètement les jeunes filles aux maillots très pudiques. Peut-être d’ailleurs la seule vraie différence avec la plage de St Brévin les Pin où, au grand plaisir des observateurs attentifs, chacune fait de son mieux pour minimiser les marques de bronzage. Et je ne vous parle pas du front de mer de Copacabana où il devient parfois carrément difficile de distinguer le maillot. Comme si plus on allait vers l’ouest, plus le centimètre carré de bikini coûtait cher. C’est à n’y rien comprendre, sauf à imaginer que payer cher une ficèle libère les filles de toute inhibition…
Mais là je m’rends compte que je m’éloigne du sujet et que les buveurs de bière dont l’intérêt commence à monter sont toujours là. Ce qui, soyons parfaitement honnêtes, n’a rien à voir avec la bière… Tant pis. Vous l’aurez bien cherché.

Chaque année se déroule ici la fête de la bière. Pas une p’tite fête de quartier comme on en trouve fréquemment. Non, du lourd, du solide, du germanique ! Il faut dire que Qingdao fut une enclave Allemande au début du siècle dernier, jusqu’à ce que les Japonais les en délogent manu militari puis qu’elle redevienne chinoise dans les années 20. C’est sous initiative Allemande qu’a été installée une brasserie industrielle, puis est née la fameuse « Tsingtao Beer », célèbre à travers tout l’Empire du Milieu et au-delà vers le Levant.
Si, comme nous l’avons vu, il existe des inégalités culturelles pour les observateurs des filles sur la plage, et que de ce point de vu mieux vaut être Brésilien que Chinois, tous sont égaux devant la bière ; surtout après…

Vous payez donc 20 Yuans (environ 2 €), et accédez à l’enceinte du festival. Au début ça ressemble à une ambiance de fête foraine, mais à y regarder de plus près il y a des signes qui ne trompent pas :
Tout d’abord toutes ces grandes tentes arborant fièrement une marque de bière où l’on fait tout son possible pour retenir le chaland en lui présentant des shows pitoyables, pin-up se dandinant sur des talons aiguille à contre rythme de musiques « traditionnelles » ou du dernier tub à la mode, concours de beuverie (qui boira la pinte en un minimum de temps), vente aux enchère de lots minables, dons de gadgets beaufs en tout genre, tout cela pour le fixer une bonne fois pour toute sur des bancs de bois autour de tables crasseuses et lui faire ingurgiter un maximum de breuvage, sans doute histoire de fidéliser le client. Marques de bières Chinoises bien sûr, mais aussi Allemandes, Hollandaise, Tchèques, sur de ridicules airs de musiques bavaroises ici totalement hors de propos. Mais il faut bien reconnaître qu’après quelques chopes ça n’a plus vraiment d’importance.
Entre les tentes, bien qu’il y ait des stands toilettes, ayant perdu toute notion de dignité, on se soulage comme on peut : messieurs debout se pissant sur les pieds en chantant… mesdames accroupies par terre sans plus de façon…
Plus loin les stands de fête de foraine où ceux qui ont pu aller jusque là vont se faire secouer sur des manèges, histoire de vérifier qu’ils ont l’estomac bien accroché, à moins qu’il ne s’agisse de faciliter une évacuation forcée histoire d’y retourner. Tout cela dans un bruit assourdissant. Vous pensez que l’exagère ?
Histoire de ne rien manquer à la fête, j’achète quant même une canette de bière blanche Allemande à deux jeunes filles déguisées en lapin (allez savoir pourquoi) tenant le stand de la marque. Elle est tiède et je n’arrive pas à finir. M’approchant d’une poubelle pour la jeter, un mince filet de liquide s’écoule à côté. Dans la pénombre une petite fille est en train de faire pipi sous l’œil bienveillant de sa maman…
En ayant assez vu je sorts de l’enceinte du « festival » et tombe sur les mendiants, fait rare en Chine, faisant la manche. Je lâche 10 yuans en me disant qu’eux ont tout compris, presque certains de soudoyer quelques sous aux festivaliers éméchés.

En marchant vers l’hôtel à un kilomètre de là, de la viande saoule hurle des chansons entrecoupées d’invectives incompréhensibles. Vous me direz que c’est normal pour qui ne parle pas le Chinois. On parie que ça n’a rien à voir ?
Ici et là la police tente de gérer une circulation chaotique, entre crissements de pneus et coups de klaxonnes intempestifs. Même s’il est vrai que la législation contre l’alcool au volant s’est ici considérablement renforcée (et je peux réellement témoigner de la sobriété des chauffeurs parmi nos clients) je préfère ne pas avoir à prendre de voiture ce soir.

Dans les couloirs de l’hôtel le personnel tente avec difficulté de calmer quelques individus complètement ivres.
Entrant dans ma chambre au 10ème étage du Kilin Crown j’ouvre la fenêtre. Des notes de musique montent jusqu’à la chambre, airs repris en cœur tel des hurlements sortant du Karaoké provisoire installé au coin de la rue sous le chapiteau d’une brasserie.

Sacrée soirée !

mardi 23 août 2011

Petite conversation sur l'économie du monde...

Bangkok est l’une de ces villes étouffantes où se précipitent en masse les touristes. Je me suis souvent demandé pourquoi, alors qu’il y a tant de lieux de villégiature tellement plus agréables.
Certes il y a le soleil « garanti », l’exotisme bon marché d’une Asie amicale et accessible bien orchestré par les tours opérateurs, les fantasmes de certains hommes… et aussi cette propension qu’on les humains à se regrouper ; dans les villes pour travailler où sur la plage de Saint de Mont pour les vacances. Alors pourquoi pas Bangkok en effet ?

Après les Européens de l’Ouest, ce sont maintenant les Russes qui débarquent en masse. Non pas la riche nomenklatura, ceux que l’on retrouve dans les palaces Parisiens, Londonien, de Nice ou Monaco, mais la classe moyenne, « populaire », tous ces gens pour qui un tel voyage représente déjà une aventure, loin de leurs repères habituels, totalement assistés dans un « tour package » sans surprise où ils en auront pour leur argent.



Terminant la discussion business de notre rencontre, mon interlocuteur - que j’appellerai Robert - et moi nous attablons pour un rapide déjeuner au restau Italien du coin. Pourquoi se priver de valeurs sûres à l’autre bout du monde. Spaghetti aux fruits de mer, peut-être pas très original mais vraiment délicieux. Tandis que nous devisons sur l’état de l’économie mondiale, entre un gros Russe bruyant accompagné d’une « poupée » locale, presqu’une enfant. Ca me coupe l’appétit…
Nous devisions donc sur l’économie mondiale ne pouvant que constater le marasme dans lequel s’englue le monde dit développé face à la montée en puissance de pays émergeants, et le déplacement du centre de gravité vers l’Asie. Evidemment indiscutable cette tendance lourde amenait Robert à quelques remarques intéressantes. La quarantaine rondouillarde, cheveux roux vifs et peau claire, Robert est Américain d’origine Irlandaise mais vit en Asie depuis maintenant 18 ans ; d’abord au Vietnam où il a rencontré sa femme puis maintenant en Thaïlande avec leurs 2 jeunes enfants. Ce métissage culturel lui donne un point vu intéressant sur la marche du monde qui bien que subjective mérite attention.
- Tu sais me dit-il en substance, je ne suis pas si optimiste que cela concernant les économies émergeantes, et pas si pessimiste que cela concernant l’Europe et les USA. Il reste aux pays émergeants encore énormément de chemin à parcourir.
Et tandis que j’opine, d’ajouter :
- Les racines profondes, la culture générale, l’ouverture ou monde, ils sont encore loin. Bien sûr ils voient leurs conditions matérielles s’améliorer, mais il reste une importante marche à franchir.
J’étais en Angleterre il y a quelques semaines. Dans une usine de transformation de volaille je discutais avec les opérateurs. Et il me rappelait ce que nous leur devions à eux, les « ouvriers ». Et bien tu vois, ici ça peut pas arriver. Faute d’éducation les gens sont trop dociles au travail. Ils exécutent mais ne réfléchissent pas. Une bêtise, même s’ils la voient, ils la reproduiront 100 fois si personne ne leur demande de corriger, de peur de prendre une initiative malheureuse.
- Et où veux-tu en venir ?
- Et bien je veux dire qu’en Europe ça n’arrive plus. Les gens revendiquent, manifestent, protestent en défendant leurs prérogatives – là les français vous êtes champion du monde – mais sont concernés par ce qu’ils font, le font savoir et veulent en toucher les dividendes. C’est toute la différence. Et tu vois, nous en sommes encore ici au « servage ». Quelques dirigeants d’entreprises « intelligents » l’ont bien compris et en profitent, voir en abusent à leur avantage. C’est ce qui se passait en Europe il y a un siècle.
- Je suis d’accord, mais en quoi cela doit nous permettre de rester optimiste de l’autre coté du monde ? Car il est bien évident qu’ils n’en resteront pas là.
- Et bien tu vois, nous sommes ici l’usine du monde ou des centaines de millions de petits bonshommes exécutent en masse des taches de bases à faible valeur ajoutée. Le seul avantage se situe au niveau du coût horaire. « L’intelligence » est encore de l’autre coté du monde, là où sont imaginés et conçus tout ces produits et services innovants.
- C’est vrai lui dis-je, mais en même temps tous ces petits bonshommes s’enrichissent, consomment et contribuent à faire tourner la machine économique.
- D’accord ajoute Robert, le concept d’Henri Ford, faire que ses propres ouvriers deviennent ses meilleurs clients. Et pendant ce temps là, pendant qu’ici nous produisons, en Europe et aux USA de plus en plus de gens prennent le temps de réfléchir et d’inventer l’avenir. A ton avis où se trouve la vraie valeur ajoutée ?
- Tout à fait d’accord avec toi Robert, encore faut-il que chacun en ait bien conscience et veuille faire l’effort d’aller dans cette voie de la valeur ajoutée par l’innovation, la culture, la formation, l’effort intellectuel !
- Hé Fred, que faites-vous dans votre Groupe ? Que viens-tu me vendre ? Des canards, des poulets, où le travail génétique que vous y faite ?

Je réponds d’un sourire entendu, et sur ce nous concluons le rendez-vous.

Repartant vers mon hôtel je me dis que nous tenons là un partenaire convaincu et que peut-être notre groupe est sur une bonne direction.

dimanche 21 août 2011

Un américain à Shanghai

Shanghai a quelque chose de New-York ou San-Francisco, mégapoles côtières où des gens du monde entier se croisent dans une sorte de frénésie trépidante, mélange de cultures, incroyable melting-pot où se côtoient habitants de la cité, businessmen pressés, touristes en tout genre, dans une ambiance électrique dégageant une incroyable énergie positive.

J’y retrouve mes équipiers européens et américains pour une importante négociation avec un très grand groupe agro-alimentaire Asiatique (20 milliards de $ de chiffre d’affaires). Le Président en personne sera là, il s’agit de ne pas se louper. Nous avons tous un peu la pression, mais peut-être moins que nos interlocuteurs habituels au sein de la société pour qui la venue de leur Président est un enjeu considérable…
- Selon son intérêt, notre Président peut participer à la réunion une demi-heure ou trois heures nous avait t’on prévenu !
Nous étions avertis. A la surprise et satisfaction générale il restera six heures avec nous, preuve de son grand intérêt pour le projet.

Alors que nous avions été briefé sur le « dress code » requis pour la rencontre – costume cravate (je ferai personnellement l’impasse sur la cravate) – arrivant de Chicago un peu décalés et pensant faire un court arrêt à l’hôtel avec la réunion, sans le savoir nos collègues américains rejoignent directement le meeting à leur sortie de l’avion, pas rasés, en jeans froissés.
La surprise s’ajoutant à la fatigue ils ressemblent à deux adolescents qui auraient fait une grosse bêtise. Pas de lézard, tout le monde a bien compris la situation plutôt cocasse qui ajoute à la décontraction de l’atmosphère.

Pour Mark, solide Américain débarquant de l’Iowa, c’est le premier voyage en Chine. Tandis que nous allons dîner avec nos hôtes il se confond en excuses. J’ai beau lui expliquer qu’il n’y a vraiment aucun problème, je crois qu’il pense que j’en rajoute.
Pendant le repas je ne peux m’empêcher de sourire de ses yeux d’enfant découvrant un monde aux antipodes de ses repères habituels. Manger à la baguette légumes croquants, poisson et crevettes à la vapeur n’a rien de commun avec le sirloin steak de 400 grammes accompagnée de la grosse pomme de terre à la crème engloutis au steak-house de son quartier ; mais il s’en sort plutôt bien.

Le lendemain, au terme d’une excellente matinée de travail entre notre équipe et celle de nos partenaires, nous décidons de rentrer à l’hôtel à pied, convaincus que c’est « la porte à côté » ; Pieter et moi en tête, Jim et Mark suivant derrière.
Arrêt au Starbuck Café du coin. Mark reprend des couleurs dans cet environnement qu’il connait. Nous allons même jusqu’à manger un hamburger au Mac’Do face à la Pearl Tower (l’équivalent local de notre Tour Eiffel) pour le mettre parfaitement à l’aise. Du coup il est complètement sous le charme, fasciné par cet environnement ultra moderne aux antipodes de l’image de la Chine traditionnelle, véritable révélation de ce qui se passe ici, lui qui débarque de sa toute puissante Amérique.

Nous marchons depuis plus d’une demi-heure sous un soleil de plomb, avec 90% d’humidité, transpirant comme des coureurs de 10 000 m. Bien que convaincus de ne pas être bien loin de l’objectif, entre les spectaculaires perspectives verticales se reflétant sur les façades de verre cristallin des tours du quartier d’affaire, à l’évidence nous sommes bel et bien perdus. Je sens Mark légèrement stressé par cette situation plus comique qu’autre chose lorsque nous essayons avec difficulté de demander notre route à quelques jeunes gens passant par là.
- It’s amazing (c’est étonnant) ne cesse t-il de répéter. Amazing ! Amazing !
Nous finissons par retrouver l’hôtel…
C’est vrai que c’est étonnant et il n’est pas au bout de ses surprises.

Le soir je propose à mon équipe une petite sortie sur Nanjing Road, les Champs Elysée local.
- Taxi ? propose prudemment Mark…
Je lui réponds métro et observe avec amusement son étonnement.
Tandis qu’à la borne automatique nous achetons les tickets pour la station « People Square », j’entends les commentaires étonnés et admiratifs sur la propreté des lieux de mes amis Américains.

People Square Station : direction la sortie par un dédale de couloirs impeccables. Quelques marches puis sortie sur l’esplanade donnant sur Nanjing Road.
Mark est sous le choc, ébloui par les flashes électriques de milliers d’enseignes lumineuses mutlicolores.
- Ouah, plus impressionnant que Time Square (à New York) lâche t-il !
Avant d’ajouter :
- Et tous ces gens. Ils sont des dizaines de milliers, des centaines de milliers ! Tous jeunes. T’as vu, dans cette foule on compte les vieux sur les doigts de la main !

Le lendemain après-midi nous roulons vers l’aéroport. Je partage le taxi avec Mark qui rentre vers Chicago tandis que je poursuis mon voyage asiatique vers Bangkok.
Mark a le mot de la fin :
- Fred, la puissance change de côté, c’est ici que ça se passe maintenant.
Même pas peur de Jackie Chan Mark !

jeudi 21 juillet 2011

Epilogue

Etourdis pas l’ivresse des hauts sommets nous redescendons un peu hagards. Surtout rester concentré pour éviter l’accident toujours possible. Je pense à nos équipiers restés au refuge du Goûter. Sans eux non plus nous ne serions pas montés. Ce « succès » est aussi le leur. Nous y sommes allés par ce que nous sommes partis à 5, ce n’est pas discutable.
Nous les retrouvons autour d’un thé brulant, moment de joie partagé sans effusion. Il y a des regards qui en disent long et ça suffit.

Et maintenant, what’s next?
L’appel des « hautes solitudes » ressemble à celui du désert et des océans : grands espaces, nature absolue, beauté brute, puissance des éléments.
Et cette petite voix qui recommence :
- Tu ne vas pas t’arrêter là, il y encore tant à découvrir…
En foulant le sommet de l’Afrique j’avais abordé une nouvelle dimension.
Toucher celui de l’Europe fut une confirmation.
Dans le champ des possibles il y a Mera Peak au Népal, 6500 m, ou l’Aconcagua en Argentines, 7000 m, mais il faut au moins 30 jours et il n’y a pas que cela dans vie.
Les rêves font avancer. Il en reste tant…

mardi 19 juillet 2011

Merveilleux enfer

Bien qu’inoubliable la nuit au refuge du Goûter est à oublier : Didier allongé en chien de fusil sur une petite table, Pierrot sous la table sur un tapis de camping, Pascal et moi assis sur les petits bancs de part et d’autre de la même table et Jean-Louis dehors dans sa petite tente. Ca ressemble un peu au Radeau de la Méduse façon montagne…
Inutile de préciser que dans ces conditions, à presque 4000 m d’altitude et sans acclimatation, nous ne fermons pas l’œil et comptons les quarts d’heure.

1h30 du matin. Le responsable du refuge déboule dans le réfectoire en gueulant :
- Debout la d’dant. Vous avez 5 minutes pour dégager !
Avec Pascal nous ingurgitons à la hâte quelques barres de céréales, buvons un peu d’eau froide et nous équipons pour tenter l’ascension. Le ciel est clair. Il va faire froid c’est sûr.
De leur côté Didier et Pierrot trouvent un place inconfortable dans le sas d’entré avant de pouvoir squatter un dortoir lorsqu’ils seront libérés.

Dehors la pleine lune illumine le paysage d’une lumière argentée et glaciale. Le vent se lève amplifiant le froid Sibérien. Combien peut-il faire ? Moins 10, moins 15 ? Nous chaussons nos crampons de glacier, vérifions une dernière fois l’équipement, nous encordons, puis entamons doucement la montée à petits pas cadencés, au rythme de notre respiration et du crissement des crampons dans le neige gelée, Pascal en tête de cordée.
Est-ce bien la réalité ? Je profite de l’instant, marchant comme dans un rêve vers le toit de l’Europe sous le ciel étoilé. Instant de grâce.
La première partie de l’ascension, assez facile, rejoint un premier mamelon par une large pente glacée assez raide avant de longer une étroite ligne de crête à environ 4350 m. A notre droite une vue vertigineuse sur les vallées piquetée des éclairages des agglomérations. Où est le ciel ? Où est la terre ? Nous voguons dans une autre dimension.
Nous redescendons un peu dans une vallée avant d’entamer la longue montée finale. L’effet venturi du aux reliefs renforce le vent et le froid avec. Courte pause ravitaillement. A cette altitude et par ce froid manger et boire demande un effort pourtant indispensable. Pascal n’est pas au mieux, ne parvient pas à se réchauffer et demande de faire un pause intermédiaire au refuge de Vallot. Nous y sommes presque. Arrêt d’une demi-heure. Certes, ici il n’y a pas de vent, mais sans exercice l’organisme ne se réchauffe pas. Il faut repartir.
Nous ressortons de l’abri de fortune. Allez, c’est maintenant que ça se joue !
Je me sens très bien, presque euphorique. A l’est le ciel grise doucement annonciateur de l’aube. Après quelques minutes Pascal se retourne pour me lâcher :
- Ce ne va pas Fred. J’arrête !
- Hors de question Pascal. C’est l’occasion de ta vie. Tu as déjà du renoncer une fois à 4500 m (pour raison météo). Cette fois-ci c’est la bonne. Allez Pascal ! Dans 45 minutes le soleil va se lever. Tu verras ça ira mieux.
Nous repartons. Devant Pascal est en difficulté c’est évident. Il n’avance plus, titube légèrement. Je l’invective.
- Allez Pascal, accroche-toi ! Nous allons le faire ensemble.
- Non Fred, je n’en peux plus.
Mais il s’accroche et continue d’avancer.
Il est environ 6 heures lorsque le soleil pointe à l’horizon, illuminant le paysage d’une chaude lumière orangée projetant nos ombres à l’infini tels des géants. Nous sommes à 4500 m et la pente est forte. Les crampons scintillent au soleil. Pascal se retourne. Je lis l’épuisement dans son regard et passe en tête de cordée.
- Ne lâche pas Pascal. On y est presque.
A partir de cet instant nous ne faisons plus qu’un, sachant pertinemment que nos destins sont liés. Impossible de monter ou de descendre l’un sans l’autre.
Les premiers rayons du soleil nous réchauffent imperceptiblement mais le vent se renforce. Nous progressons doucement, s’arrêtant quelques secondes toutes les 2 ou 3 minutes. Je me sens parfaitement bien et tente de passer une partie de mon énergie à mon coéquipier.
4600 m, nous voyons le sommet, marchant prudemment sur une fine arrête glacée. Pascal repasse en tête pour mieux gérer son effort. Je sais que maintenant rien ne pourra l’arrêter.
4700 m, nous y sommes presque mais perdons le sommet de vu.
4750 m, la pente devient moins forte. Je ne marche plus, je vole, euphorique, jubilation intérieure, satisfaction personnelle d’être là, ici et maintenant.
4840 m indique mon altimètre. Nous y sommes ! Je regarde Pascal fixement en le remerciant du fond du cœur pour son effort. Il est ailleurs. A quoi pense t-il ? Je sais que sans lui je ne serais pas là. Lui sait également qu'il ne le serait pas sans moi. Nous ne parlons pas, profitant juste de l’instant magique au sommet de l’Europe. Je fais un 360° : La France, l’Italie, la Suisse. Si Dieu existe, à cet instant précis il est avec nous.

lundi 18 juillet 2011

Premiers vertiges

Petite nuit entrecoupée de rêves étranges, histoires d’expéditions alpines ayant mal tourné, fantasmagorie de ce fascinant inconnu que, dans un demi-sommeil, l’imaginaire tente d’appréhender sans rationalité.
Et s’il ne faisait pas beau, nous ne pourrions pas monter ! Plate excuse, histoire de ne pas y aller sans avoir à se dégonfler…
Et pourquoi faire cela alors personne ne nous y oblige ?

6h : je jette un œil pas la fenêtre. La couche nuageuse se déchire laissant apparaître un ciel cristallin entre les cimes immaculées. Ventre serré je m’oblige à ingérer un copieux petit déjeuner en échangeant quelques mots avec Didier. Le trac est perceptible, inutile d’en rajouter.
Nous retrouvons nos compagnons d’expédition au pied de l’immeuble, direction le Fayet pour prendre le petit train vers « le nid d’aigle », début de l’ascension à 2400 m.
Montant doucement sur la voie à crémaillère à des angles pour le moins inhabituel, nous traversons les bancs de brume matinale entre lesquels la montagne se dévoile furtivement comme pour mieux se faire désirer.
Nous y sommes. Objectif de la journée rejoindre le refuge du Gouter que nous apercevons 1450 m plus haut au bord d’une impressionnante coulée rocheuse.
L’ascension démarre tranquillement par un chemin rocailleux. Avec l’exercice, doucement « l’angoisse » se dissipe. Je cale ma respiration sur le rythme de ma marche, une expiration tous les deux pas pour faciliter l’acclimatation de l’organisme à l’altitude.
Sur notre droite un impressionnant glacier charriant des tonnes de glace et de roches mélangées descend de la montagne tel un bulldozer creusant un énorme sillon.
Sur notre gauche l’Aiguille du Midi pointe sur une ligne de crêtes acérées, monde minéral à l’état brut, piquant et acéré défiant le ciel.
Nous avançons doucement sous un soleil radieux, les yeux grands ouverts pour ne rien manquer du spectacle.
3000 m, pause déjeuné. Didier a du mal à réguler sa respiration. 900 m plus haut le Refuge du Gouter nous domine, qu’il va falloir rejoindre par la coulée rocheuse après avoir traversé au pas de course une zone de chute de pierres particulière dangereuse. Régulièrement des éboulis se déclenchent. On attend le « retour au calme » puis nous lançons successivement dans la courte traversée sous le regard vigilant des compagnons à l’affut de toute nouvelle alerte. Tout se passe bien.

La pente devient plus forte. Nous ne marchons plus mais progressons « à quatre pattes » sur les rochers vers l’objectif au dessus de nos têtes. Pris de vertiges et de nausées Didier est à la peine. Après concertation nous décidons de scinder l’équipe en 2 groupes, en tête Pierrot, Pascal et moi, derrière Jean-Louis et Didier.
Progression prudente sur un terrain impressionnant de part sa verticalité où la moindre erreur de prise peut être fatale. Je pense à mon camarade Didier en souffrance un peu plus bas qui n’a pas d’autre choix que de continuer d’avancer. Allez Didier !

Plus que 200 mètres. Au passage d’un goulet plus étroit en me contorsionnant je frotte mon sac à dos sur la paroi rocheuse et sens quelque chose se décrocher. Je me retourne et aperçois la tente tomber dans la pente. Merde, quel con ! Dans le meilleur des cas cette nuit la haut il fera moins 5°. A cette altitude impossible de dormir dehors sans tente. Les images se bousculent dans ma tête. Les options aussi dont la première de redescendre en espérant retrouver le petit sac de 3 kg couleur marron foncée arrêté parmi tous ces rochers. 250 mètres plus bas j’abandonne. Autant rechercher une aiguille dans une meule de foin. Il faut remonter calmement pour aviser. Je culpabilise « à mort » en pensant à mes compagnons, particulièrement Didier qui sera au bout du rouleau.
Arrivé au refuge du Gouter nous tombons sur un cloaque infâme où quelques dizaines de grimpeurs tentent de trouver un réconfort dans des conditions dantesques. Evidemment toutes les couchettes sont réservées. Après palabre avec un responsable très désagréable j’obtiens le droit de rester dans le réfectoire jusqu’à 1h30 du matin.
- Ca fait 145 euros et vous serez ensuite violemment expulsés juge t-il opportun d’ajouter !
Sans commentaires. J’enrage, ne réponds rien et paye cash à l’avance « la prestation ».
Avec Pierrot et Pascal nous tentons de nous installer dans un coin prenant grand soin de garder un peu de place pour Jean-Louis et Didier qui devraient finir par arriver dans ce bordel infâme.
L’ambiance est indescriptible : imaginez une sorte de cabane en bois ou s’entassent quelques grimpeurs dont certains déjà au bout du rouleau ne se comportent plus vraiment comme des Hommes normaux. C’est glauque, sale, inconfortable, ça pue mais au moins il fait chaud.
Une heure et demi plus tard nous nos deux compagnons nous rejoignent. Didier ressemble à un fantôme. Totalement épuisé il semble revenir d’outre tombe, d’un monde où il n’a pas eu d’autre choix que de s’échapper de la mort, mobilisant 120% de son énergie pour parvenir jusqu’ici. Emus aux larmes nous nous tombons dans les bras.
Honteux j’explique la situation. Didier me dit gentiment que toutes façons il ne se serait pas vu bivouaquer ce soir dans la tente et d’ajouter qu’il en resterait là dans cette ascension. Pierrot qui a cassé une chaussure doit aussi renoncer au sommet. Nous mangeons vite fait quelques barres de céréales en tentant d’évaluer la situation : Pascal se sent capable d’y aller après avoir du renoncer à 300 m du sommet en septembre dernier, je ne me vois pas en rester là, et Jean-Louis qui l’a déjà fait propose avec élégance de rester au refuge avec Didier et Pierrot.
Nous partirons donc à deux pour tenter l’assaut final et décidons de profiter du ciel clair pour une approche de nuit sous la pleine lune en partant dès 1h30.

jeudi 14 juillet 2011

Camp de base n°1

Chamonix était d’abord pour moi le nom des petits gâteaux à l’orange que mon père achetait de temps en temps quand nous étions enfants et que nous dégustions avec délectation comme de gros bonbons un peu collants.
Au pied du Mont-Blanc et de la mer de glace c’est surtout un charmant village, point de départ des grandes courses vers les plus hauts sommets alpins.
Nous y sommes. La météo du jour n’est pas très engageante, une épaisse couche de nuageuses plombant tout le paysage encadrant la vallée.
Nous sommes accueillis chez Michel, passionné de montagne vivant seul dans un minuscule studio en sous sol d’un joli chalet. Victime d'un récent accident de parapente, à regret il ne pourra nous accompagner. Il y a là Jean-Louis, notre sympathique chef d’expédition, ami d’enfance de Didier mon coéquipier d’aventures, ainsi que deux autres compagnons qui nous accompagnerons pour cette tentative d’ascension du toit de l’Europe en totale autonomie sans passer par les refuges.
Le briefing improvisé semble au premier abord un peu approximatif, entrecoupé d’anecdotes de montagnards racontant risques et péripéties de leurs précédentes courses en montagne, histoire d’exorciser les dangers non négligeables de ce type de tentative. Et il faut bien reconnaître que la pression monte pour les apprentis que nous sommes, comme un léger trac accompagné de très perceptibles signaux mettant le corps en alerte avant d’attaquer l’ascension. Des images d'aventures de montagne reviennent alors à l'esprit, récits de Frison-Roche lors de ces magnifiques expéditions alpines payées parfois au prix fort.

Matériels rassemblés après une escale au magasin du coin pour louer piolets et crampons de glacier, nous préparons les sacs à dos dans une légère excitation.
Pour l’ascension l’ennemi c’est le poids et le froid, quadrature du cercle au moment de fermer les sacs : prendre ou ne pas prendre la paire de chaussette supplémentaire ? 3 litres d’eau ou seulement 2,5 ? Et cette satanée tente qui pèse 3 kilos à elle toute seule ; sans parler de la popote, du casque et tout l’accastillage nécessaire pour monter encordés… Pas possible de faire moins de 15 kg !

23h45 : pas vraiment sommeil et pourtant il faut dormir. Réveil demain à 6h pour un départ à 7h. Les prévisions météo sont bonnes. J’ai déjà les jambes qui gigotent.

mercredi 13 juillet 2011

Prêt, partez !

Mercredi matin 9h30 : après avoir consulté la météo Suisse, un dernier mel de Jean-Louis confirme le probable créneau météo pour tenter l’ascension du Mont-Blanc vendredi et samedi. C’est décidé nous partons donc vers Chamonix en espérant que l’instabilité atmosphérique de la semaine ne vienne pas contrarier le plan à la dernière minute. Nous verrons bien…

Partir est déjà une libération : cela fait des semaines que nous parlons de l’expédition et la pression commençait à monter, entre excitation et légère appréhension.

Cruise control calé à 135 km/h, nous traversons la France en diagonale vers le sud-est, profitant de somptueux paysages le long de nos belles mais chères autoroutes. Agréable road-movie dans le flot des vacanciers descendant vers le soleil.
Conduite à l’Américaine du pick-up Nissan chargé à raz bord – matériel de camping, d’escalade, de randonné, de plongé, d’astronomie – pour 2 semaines de vacances itinérantes au contact de nature. Pour une fois nous n’irons pas loin, histoire le découvrir quelques merveilles de notre « douce France », tout de même la première destination touristique au monde. Il doit bien y avoir une raison : d’accord les françaises sont charmantes, la cuisine délicieuse et les vins parfois excellent, mais serait-ce suffisant ?
L’autre jour un client américain me disait qu’il adorait notre pays « par ce que sur un si petit territoire on découvrait tous les paysages du monde habités par un peuple de râleurs cultivant la douceur de vivre ». Pas mal résumé Harley !

dimanche 19 juin 2011

Ne jamais vendre la peau du panda...

Confiants nous en étions aux dernières virgules du contrat.
Il faut dire nous l’avions bien mérité. Trois ans de travail commercial en équipe, systématique, appliqué, laborieux. A écouter, comprendre, faire valoir nos arguments puis enfin convaincre.
Il en avait fallu des visites, en Chine bien sûr, mais aussi l’accueil des correspondants dans nos installations tant européennes qu’américaines.
Trois ans de patience pendant lesquels nous mangions comme eux, buvions comme eux, parlions des mêmes choses qu’eux, ne manquions aucune attention, histoire de renforcer les liens et parvenir enfin à la conclusion d’un accord.
Et cette fois devait être la bonne, nous n’en doutions pas. Nous étions donc venu en force mais décontractés finaliser un important accord tant pour nous que pour le client.

La salle de réunion était comme d’habitude parfaite : fleurs et fruits à chaque place nominative, panneau d’accueil personnalisé, vidéoprojecteur réglé au petit poil, service de boisson servi par de charmantes hôtesses.
On repasse donc à travers le contrat sans grande difficulté. Quelques détails à ajuster ici et là, mais rien de significatif. Les conditions commerciales semblent admises et avec David ne pouvons nous empêcher de parler de la bouteille de champagne à sabrer semaine prochaine avec notre équipe…
Pause déjeuner. Au moment où nous quittons la salle le Président lâche une petite phrase sibylline :
- Profitons du moment du déjeuner pour soumettre une dernière fois le document à nos partenaires.
Ses partenaires ; quels partenaires ? N’aurions nous pas encore tout compris du deal potentiel ?
Ambiance bonne enfant pendant le repas. On trinque, sans abuser, au succès de notre partenariat naissant.
Retour en salle de réunion. Tien le président n’est plus là. Avec une légère appréhension nous repassons à travers le contrat soit disant revu par les partenaires. Fort heureusement, pas de changements significatifs.
Courte interruption de séance avant l’impression papier pour signature pense t-on, quand l’un de nos interlocuteur revient un peu gêné à la table des négociations avec une revendication sur le prix.
Ne manquait plus que ça, nous qui pensions le point clarifié lors de la séance de la matinée.
On rediscute donc quelque peu contrariés par le procédé, faisant contre mauvaise fortune cœur en se disant que c’est finalement de bonne guerre. Il faut signer, nous arrondissons donc un peu les angles pour permettre enfin la conclusion.
Nouvelle interruption de séance demandée par nos interlocuteurs. Ca devrait le faire pense t-on. Surprise, ils reviennent quelques minutes plus tard, mine défaite, avec de nouvelles revendications extravagantes soit disant demandées par le Président qui brille toujours pas son absence. Ca ce complique…
La fin de l’après midi n’est qu’une suite de marchandages incohérents digne des souks de Marrakech alors que nous parlons ici d’un important contrat stratégique sur 5 ans renouvelables, de plusieurs millions de dollars. Il se passe un truc que nous ne comprenons pas…
18h, ici l’heure du dîner. Ambiance pour le moins tendue. Tien, le Président est là avec sa tête des mauvais jours. Je mets les pieds dans le plat en lui faisant part avec diplomatie mais de manière claire de notre déception au moment où nous pensions avoir trouvé les termes d’un accord équilibré. Nos coéquipiers Chinois sont au troisième dessous et, malgré la tension, devons absolument éviter de faire perdre la face à qui que ce soit. A l’évidence il y a un os, et nous acquérons la certitude que l’argument du prix n’est que le moyen de retarder la conclusion de l’accord. Nous campons donc sur notre position tout en insistant sur notre volonté de garder le contact et rester « bon amis ». Notre attitude ferme mais toujours constructive semble soulager nos interlocuteurs.

Retour à l’hôtel un peu frustrés. Tout cela n’aurait-il été qu’un grand jeu dont nous serions les objets ? Ici rien n’est impossible.
Il est presque minuit et je ne parviens pas à fermer l’œil, tournant et retournant en boucle toute cette histoire, plus déterminé que jamais à conclure ce deal.
5h du matin, le jour pointe. J’enfile mon short et mes Asics et descends courir le long de la plage. Dieu que c’est bon ! L’air frais, le corps en action, le stress qui s’évacue doucement et les idées se remettent en place. Une nouvelle journée qui commence.

vendredi 17 juin 2011

48 heures chrono

A bord du vol Air China Paris-Pékin : à 12000 m le bel A340 croise au dessus d’une couche laiteuse de nuage éclairée par la lune presque pleine dont la lumière argentée se réfléchi sur l’aile droite de l’appareil. A bort tout est calme, et tandis que mon voisin dort déjà, bercé par le ronron des réacteurs filtré par mon casque antibruit (super trouvaille), je me laisse aller à quelques pensées sur la nature des choses, repensant au propos d’un ami qui me disait le week-end dernier :
- Ca fait quelque chose de passer la soixantaine. On se rend compte que le temps qui passe devient plus précieux. Alors j’ai décidé de ne pas m’économiser comme le font trop souvent les gens d’un « certain âge », mais au contraire, de tout faire à fond !
Il vient de reprendre la danse contemporaine…
Et de me dire qu’il a vraiment raison, ma seule « angoisse » étant justement de ne pas avoir le temps de faire tout ce que j’aimerais entreprendre, poussé par cette inexorable flèche du temps à laquelle personne n’échappe. Alors oui, tout faire à fond pour ne rien manquer, au prix d’un engagement de tous les instants dont l’une des facettes est de parcourir le monde sans relâche, tant pour découvrir que réaliser des choses.
Sur ce, aidé par un petit cachet, doucement la torpeur m’envahit, coincé pour encore 8 heures dans le siège 20B.
- Would you like a breakfast sir?
Une gentille hôtesse me réveille d’un léger mouvement sur l’épaule. Super, dans ma somnolence aérienne je n’ai pas trop vu le temps passer.
- Omelette or noodles?
- Omelette please.
Bon, en guise d’omelette imaginez plutôt une sorte de mousse jaunâtre au fond d’une barquette en alu… Pas de quoi se régaler, mais on fait avec.

9h heures du matin à pékin, le milieu de la nuit à mon horloge biologique. Je marche comme zombi vers les « domestic transfers ». Porte C24 vers Qingdao. 4 heures d’attentes et les yeux qui piquent à traiter péniblement quelques mels mon ordinateur sur les genoux.
L’avion est bondé et l’espace entre les sièges au standard « S ». Et pourtant il serait bien que je dorme un peu en prévision du rendez-vous qui m’attend à l’arrivée. Pas moyen de trouver la bonne position, ce sera pour une autre fois.
Je saute dans un taxi vers l’hôtel. 10 minutes de micro-sommeil réparateur. Vite une douche, un coup de rasoir et de brosse à dent, une chemise propre pour rejoindre les clients dans le lobby. 18h pile. Just on time ! Ni vu ni connu, on se salut tout sourire et partons vers un restaurant. Cela fait plus de 42 heures que je suis « debout » mais dois faire bonne figure alors que je n’aspire qu’à m’allonger dans un bon lit pour dormir pour de vrai. Les marathons ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Vivre à fond qu’il disait…

Qu’est ce qu’on picole ! Heureusement, depuis quelques années la mode est au vin rouge que l’on boit ici comme autrefois les alcools forts : fréquence élevée mais petite gorgées cul-sec. Ah, l’amitié Franco-Chinoise.
On se quitte un peu saoul en se promettant de faire de bonnes affaires demain.

samedi 11 juin 2011

American Express

Retour à la maison, fin d’un sprint de 2 jours, voyage façon « American-express » au cœur des Etats-Unis – Iowa morne plaine – au contact des opérateurs des filières de production porcine : topo devant un parterre de 200 professionnels, rencontre de nos banquiers locaux, diner pantagruélique avec des clients (steaks d'une livre par personne, de quoi nourrir une famille toute entière...), coaching de nos équipes.
Sûr, à l’heure qu’il est les piles sont presque à plat, mais le week-end arrive.

Le hub de Chicago est immense. Trafic incessant d’avions sillonnant l’Amérique en tous sens et connexions de longs courriers avec le reste du monde.
Des milliers de gens au format XXL circulent dans les kilomètres de couloirs de cet immense aéroport, baigné comme souvent ici d’effluves de junk-food locale, fragrance un peu écœurante de friture sucrée.
Regard dans le vague je marche tranquillement vers la porte L8, vol American Airlines 42 vers Paris. Tien, la musique de fond est sympa. Du rythm’n blues. Le son devient plus fort. Puis un attroupement autour du Lorenzo Thompson Band jouant live « Sweet Home Chicago » : http://www.youtube.com/watch?v=vur_Zc5OEic
Quelle énergie ! Franchement « ça dégage » et ça fait du bien. Entrainés par le rythme, les gens bougent en cadence : imperceptibles déhanchement, pieds battant le mesure ou tapant franchement des mains. Sympa et rigolo à la fois. La musique a parfois quelque chose de magique : doucement les batteries se rechargent, comme celles des téléphones portables que l’on branche pour quelques minutes à la seule prise disponible, guettant la monté des barètes sur l’écran de contrôle. Tout sourire les regards se croisent. Moment agréable que l’on aimerait prolonger.
Mais je dois y aller pour ne manquer mon vol sur « COP Airlines », comme dirait Pieter. Traduire « Chicken Or Pasta Airlines », expression caricaturant le piètre service des compagnies américaines…
Au moment de tourner les talons un solide gaillard m’aborde spontanément :
- Where are you from man?
- I’m French and you?
- From Missouri. And where are you going to?
- Back home, in France.
- Safe trip guy!
- Thanks!
Je suis toujours étonné par la gentillesse et la curiosité spontanée des Américains engageant naturellement la conversation avec des inconnus dans les lieux publics. L’autre soir en parlant justement de cela avec un collègue, il me disait que quelqu’un avait un jour comparé les américains à des pêches : doux et tendre au premier abord, mais avec un noyau dur au milieu...



J’embarque pour une courte escale à la maison. Semaine prochaine de nouveau en Chine pour finalisation d’un important contrat. Le monde est parfois trop petit…

mercredi 1 juin 2011

Même pas peur !

A bord du petit jet régional Delta Airlines nous volons vers l’aéroport régional de N.E Arkansas, zigzaguant entre d’énormes cumulonimbus. La nuit noire est striée de spectaculaires éclairs illuminant pour un instant les nuages comme en plein jour, comme si le ciel allait exploser d’un moment à l’autre. Il faut dire que depuis deux semaines les conditions météo sont exceptionnelles dans les états du sud soumis à d’impressionnantes tornades dévastatrices détruisant tout sur leur passage. Plus de 300 morts ! Du jamais vu de mémoire d’homme.
A l’évidence ce vol agité se prolonge quand finalement le commandant de bord annonce :
- Mesdames et Messieurs, comme vous avez pu vous en apercevoir, les conditions météo nous obligent à contourner les nombreuses zones d’orage et nous devons nous dérouter vers Oklahoma City pour refaire le plein.
Soit ! Pas de commentaire dans l’avion, nous sommes aux Etats-Unis. Ici l’autorité du commandant ne peut être remise en cause.
Nous nous posons donc à Oklahoma City sous les trombes d’eau. Il est déjà minuit, nous sommes loin d’être arrivés et demain une très longue journée de 4 rendez-vous qu’il ne faudrait pas manquer nous attend.
45 minutes plus tard nous ré-embarquons.
- Décollage pour un petit vol de 35 minutes annonce le commandant.
Après 20 minutes l’avion recommence à zigzaguer entre les cumulonimbus chargés d’énergie. A travers le hublot je suis ébloui par les flashes incessants de spectaculaires éclairs illuminant les volutes nuageuses obscures, comme des déchirures vers les feux de l’enfer. Puis l’avion commence à s’agiter brutalement. Nous entrons dans une violente zone de turbulence, ballotés par d’impressionnantes embardées de tous côtés, à des angles effrayants, montant ou descendant comme une feuille d’automne au milieu des bourrasques. Cela dure depuis 15 interminables minutes. Dieu sait si j’aime voler et suis confiant en avion, mais je dois sincèrement avouer que là j’ai peur. En cabine les passagers sont également tétanisés, émettant à chaque embardé des cris retenus, quand le commandant resté jusque là étonnement silencieux – il faut dire qu’il avait fort à faire – annonce sans plus de précaution :
- Nous sommes pris dans une violente zone de turbulences et allons ESSAYER de nous poser…
- Essayer, essayer, mais t’as pas le choix mon pote me surprends-je à répondre tout de go !
(Il doit aussi faire chaud dans le poste de pilotage).

Le quart d’heure suivant est du même tonneau si j’ose dire. Je ne peux m’empêcher de penser que finalement nous n’étions pas si mal à Oklahoma City, quitte à louper les rendez-vous. J’ai la gerbe et pense à mes proches en me disant que ce serait tout de même trop bête de finir comme cela.

Au terme de 55 minutes d’un vol mémorable qui n’aurait du être que de 35, les roues touchent finalement le tarmac sous les bourrasques et les hallebardes d’une pluie diluvienne, atterrissage salué par les applaudissements des passagers et un « well done » spontané du pilote à la radio.
Il est 2h30 du matin. La nuit va être courte.

samedi 28 mai 2011

American paradoxe

Aéroport d’Atlanta, en attente devant le tapis automatique de sortie des bagages du vol en provenance de Paris, je croise le regard d’une femme déjà âgée mais encore pleine de charme. Ce visage souriant aux jolies rides d’expressions me dit quelque chose. Cheveux courts châtains clairs savamment ébouriffé, yeux cachés derrières une paire de lunette légèrement fumée… Jane Fonda. Nous sommes Lundi et c’était hier la clôture du festival de Canne. Elle rentre à la maison et je vais vendre de poulets. Chacun son business.

Le sud des Etats-Unis a parfois quelque chose de nostalgique. Campagne tranquille où les « farmers » survivent sur des fermes modestes de polyculture-élevage : granges hors d’âge devant lesquelles pourrissent vieux matériels agricoles et carcasses de voitures rouillées.
De part et d’autre de grandes avenues qu'il est "impossible" de traverser à pied tant elles sont larges, les petites villes concentrent les commodités d’usage : bars, motels, super-store, banques, fast-food, églises et stations service ; ambiance très seventies.
13h, nous stoppons sur le parking du « Wooden spoon » (cuillère de bois) entre vieux pick-up et énormes trailers, semi remorques sillonnant les Etats-Unis de part en part pour acheminer le fret sur ce territoire immense.
Devant le restaurant, bâtisse en bois défraichis, une petite terrasse du même acabit sur laquelle sont exposés toute une série de barbecues en fer forgé massif ; de quoi faire griller en même temps toutes les côtes d’un bœuf.
En entrant une jeune femme souriante, fine (ici ça se remarque), habillée d’une sobre robe à la mode 19ème siècle, type européenne du nord, cheveux tirés en arrière mis en chignons sous une petite coiffe en dentelle nous accueille. La salle à manger est bondée, client attablés autour de solides tables de bois massif et assis sur de rustiques chaises au format XXL permettant d’accueillir des postérieurs au même standard.
Demandant notre nom la jeune femme l’inscrit sur la liste des entrées en attendant qu’une table se libère. Incongru : elle porte des Nike de couleur verte assorties à sa robe façon Madame Ingalls dans "La petite maison dans la prairie".
Nous sommes chez les Nennonites, petite communauté chrétienne anabaptiste traditionaliste exilée de Hollande, proches des Amish, qui au 21ème siècle vivent encore selon des principes simples, vieux de plus de deux siècles, dont certains se traduisent par le refus de progrès techniques tels que la voiture (ils se déplacent encore en carriole à cheval), l’électricité non utilisée à la maison, ou encore la mode vestimentaire figée telle qu’elle était il y 200 ans. Drôle d’ambiance dans cette Amérique profonde ou deux mondes se côtoient comme si de rien n’était, illustration parfaite des valeurs profondes de liberté et de tolérance de ce grand pays aux paradoxes parfois surprenants.
Une fois n’est pas coutume, la nourriture est réellement délicieuse, cuisine paysanne simple aux proportions raisonnables : poulet grillé, quelques légumes verts et bien sûr l’inévitable purée, suivis d’un dessert à tomber par terre : crumble de fruit rouge à la crème. Je ne vous dit que ça… Même aux USA la tradition à parfois du bon, et vu l’affluence les clients ne s’y sont pas trompés.

samedi 14 mai 2011

"La France d'ailleurs"

Il s’agit d’un petit morceau d’hexagone comme sortie d’un autre temps où quelques « notables » portent la voix de la France façon grand siècle.
Ne vous y trompez pas, je parle ici de gens tout à fait charmants et même de bonne volonté, certainement issus des meilleures écoles d’administration françaises – il faut bien reconnaitre que là au moins nous sommes très forts – et que l’on a chargé de représenter les intérêts du pays, servir les ressortissants et promouvoir les intérêts commerciaux, via je cite : « le dernier des grands réseaux consulaires au monde, Monsieur ».
Aïe, aïe, aïe, typiquement français ce complexe de supériorité lorsqu’on essaie de faire valoir la Grandeur de la France dans des envolées lyriques quelque peu dépassées. Comme si « la grandeur » tenait plus du système que des résultats. On ne leur a sans doute pas bien expliqué. Et le problème c’est que la plupart d’entre eux ne semblent jamais avoir été confrontés à la réalité de la compétition économique internationale, comme s’ils habitaient un monde à part. Il y avait « la France d’en haut », « la France d’en bas », c’est un peu ici la France d’ailleurs…
… Et pendant ce temps les japonais et les Allemands travaillent de manière remarquablement efficace.

Mais revenons-en à notre petite histoire.

Consulat, consuls, ça vous dit ?
A ne pas confondre avec ambassade explique t-on. Tout de même, n’y aurait-il pas ici un peu double emploi ? Mais c’que j’en dis…
Imaginez donc une « petite » administration, disons plutôt moyenne, 150 personnes pas moins, confortablement installées dans de jolis bureaux au sommet d’une tour moderne du cœur d’une grande ville Chinoise, avec hygiaphone à l’accueil, comme à la SNCF, et vue imprenable sur la citée depuis le bureau panoramique du Consul Général, comme dans les films Américains ! Ca en jette lorsque vous venez exposer vos petites affaires.
On bavarde alors poliment autour d’un thé servi par de charmantes assistantes et évoquons les problèmes locaux en termes très diplomatiques. Et de se faire expliquer fort courtoisement que l’on a déjà parlé du sujet en question avec les autorités locales lors d’une réception officielle au cours de laquelle un courrier à été remis en main propre au ministre – rendez-vous compte – mais qu’il s’agit de faire bien attention de ne pas en faire trop pour ne pas choquer. A ce train là, sûr on n’est pas sorti de l’auberge, quand il faudrait parfois faire preuve – comment dire – d’un peu plus de « fighting spirit » comme diraient les anglais… Mais là nous risquerions d’aller trop loin en froissant nos interlocuteurs, alors qu’il est si confortable de rester bon amis pour le prochain dîner officiel.
On se quitte aimablement deux heures plus tard en se disant qu’on va se tenir informé de la suite… Tu parles.

En prenant l’ascenseur je ne peux m’empêcher de penser que c’est tout de même un peu nous qui entretenons cette petite société très policée de qui l’on serait légitimement en droit d’attendre plus, et qu’une nouvelle fois on va se débrouiller tout seul. J’aurais vraiment envie d’y retourner pour leur dire :
- Hé, les gars, sortez un peu de votre gentille torpeur. Le monde change !
Mais là franchement ce serait abuser.