mercredi 7 mars 2018

Désert



Quitter la ville vers le Grand-Sud a souvent un parfum d’aventure, pour le moins d’évasion. Que ce soit par la Nationale 7, la route de Gibraltar, d’Ushuaia, ou la piste vers Tamanrasset, c’est toujours un peu la même chose : une pointe d’excitation, de la curiosité, et cette sensation unique de liberté associée à un soupçon d’appréhension de l’inconnu.

D’Abu Dhabi nous roulons donc plein Sud vers la frontière avec l’Arabie Saoudite. Deux routes parallèles : l’une réservée aux voitures, l’autre aux camions, interminables lignes droites dans le désert absolu. Du sable, des dunes, de vastes plaines arides et vibrantes où se développent d’improbables mirages, oasis évanescentes pouvant tourner la tête du voyageur égaré et assoiffé.
Confortablement installés dans notre imposant 4x4 Américain nous sombrons dans une agréable torpeur, profitant de ces horizons infinis bercés par le ronron rassurant du gros V8.
De temps à autre quelques derricks remontent l’or noir à la surface, rappelant qu’en des temps anciens se sont développées ici de vastes forêts. Puis, conséquences de changements climatiques naturels, la nature a fait son œuvre, submergeant la luxuriante vie organique de paysages minéraux sous lesquels les microorganismes permirent la synthèse d’énergies fossiles à l’origine de la prospérité de notre époque, aussi de son dérèglement climatique accéléré. Et le génie des Hommes de développer, au pas de charge, de nouvelles solutions énergétiques plus pérennes.

A la lumière déclinante, le sable ondulant prend des allures d’océan doré, vagues et creux vers où se perd le regard, attiré par le magnétisme de cette nature aux perspectives inhabituelles. Plus on plonge dans ce monde minéral, plus on en ressent la puissance à l’état brut, de celle que l’on ne peut vraiment dompter, juste chercher à s’y adapter, comme un curieux mais modeste visiteur.

Au bout de la route, les hommes d’ici ont édifié un lieu de villégiature unique en son genre, qasr (ou ksar), village traditionnel fortifié, équipé de tout le confort moderne au milieu des dunes ondoyantes.
Pour qui ne connait pas le désert, il s’agit sans nul doute d’une expérience unique propice à la « zénitude ». Le paysage est celui, en vrai, des péplums orientalistes où l’on s’attend à voir surgir de derrière la dune une méharée de bédouins enturbannés où bien la troupe de Lawrence d’Arabie.
Nous y sommes pour nous reposer « loin du monde » et ce n’est pas difficile.




mardi 6 mars 2018

L'an de grâce 1439



La prospérité d’Abu Dhabi est à l’image de celle des Emirats Arabes Unis, toute jeune fédération née sous le leadership du visionnaire et éclairé cheikh Zayed ben Sultan Al Nahyane dans les années 1970. 
Grâce à lui et la manne pétrolière, les 7 émirats sont devenus une nation moderne et ouverte sur le monde à la pointe de la modernité.
En découvrant la ville, difficile de croire que seulement 3 générations nous séparent des bédouins, pêcheurs et quelques commerçants qui vivaient ici.
Cet extraordinaire bon en avant reste assorti de traditions où se mêlent toutes les subtilités des cultures arabes et persanes, malheureusement galvaudées par le contexte géopolitique actuel où se confondent trop souvent religion musulmane et islam radical.

La ville s’étale sur un chapelet d’iles reliées entre elles pas de spectaculaires lignes de ponts.
Sur les iles principales s’élèvent de rutilants buildings de verre inspirés des skylines des villes américaines. Les architectes du monde entiers s’en sont donnés à cœur joie pour ériger d’ambitieux projets aux designs originaux financés par de riches « princes Arabes ». L’effet d’ensemble obtenu est souvent spectaculaire, avec parfois le (trop) clinquant des palais des Mille et Une Nuit tel que dans l’imaginaire collectif. Mais ne boudons pas notre plaisir de circuler tranquillement sur ces larges avenues, sans un coup de klaxon, jusqu’à la grande Mosquée très récemment rebaptisée par le Prince héritier, « Mosquée Marie, Mère de Jésus » ! comme une main tendue à la Chrétienté, un pont en l’Orient et l’Occident. Imaginez l’émoi de renommer Notre Dame en « Cathédrale Amina, mère de Mahomet »…
L’endroit est tout simplement splendide, vaste lieu de culte aux proportions parfaites, d’une blancheur immaculée, propice à la méditation, quelque soit la confession du visiteur.
Un calendrier Hégire rappelle ici que nous sommes, pour les musulmans, en l’an 1439 (calendrier lunaire un peu complexe) démarré à l’occasion de l’émigration de Mahomet et ses disciples vers la ville de Médine en 622.
Du haut des Ethiad Towers la vue est imprenable sur la citée.
D’un côté le scintillant lagon émeraude strié par l’étrave de quelques navires croisant au large, de l’autre, séparé par un long remblai arboré de bougainvilliers fleuris, les buildings dominant les vastes avenues au carré.
Etonnamment, telles des palais de poupées perdus dans cet environnement urbain ultramoderne, subsistent à quelques carrefours des petites mosquées traditionnelles de quartier quelque peu anachroniques.

La fin d’après-midi s’étire comme les ombres des buildings, donnant une nouvelle dimension à la ville. 
La température devient plus douce, l’heure où les gens sortent profiter du moment toujours magique où le soleil tombe dans la mer. Nous quittons la ville vers le Grand Sud.


dimanche 4 mars 2018

Le Louvre d'Abu Dhabi



Installés dans notre canapé nous regardions les informations lorsqu’il fut question de l’inauguration du Louvre d’Abu Dhabi. Nos regards se sont croisés, et sans parler nous sommes dits qu’il fallait y aller voir tant l’impression donnée par le court reportage était forte : au cœur d’un Moyen-Orient tellement tourmenté, un havre de paix dédié à l’art universel.
Que des hommes de là-bas l’aient imaginé était comme une géniale étincelle.
Qu’ils soient allés jusqu’à sa concrétisation lui donne une dimension peu commune, dépassant tous les aprioris, pour mettre en lumière ce que les Hommes ont en commun de plus beau, cette capacité de générer des émotions gratuites à partir de leurs créations.

4 mois plus tard nous y voilà donc, heureux d’être là, parmi les « premiers privilégiés » à découvrir cet endroit si singulier conçu par l’architecte Jean Nouvel.
9 ans de travaux pour édifier un ensemble contemporain unique, à lui seul un chef d’œuvre : dôme d’acier et d’aluminium tressés laissant passer l’air et la lumière, sous lequel sont organisés les modules rectangulaires présentant les œuvres, le tout entouré des flots turquoises du Golfe Persique. L’impression ressentie est d’une rare intensité, magnétisme attirant les visiteurs jusqu’à les absorber complètement.
En entrant on se sent immédiatement protégé des affres du monde, immergé dans une dimension où l’esthétique et l’émotion vous enveloppe tout entier. Puis l’on est transporté dans la grande frise chronologique, sobrement mise en scène, depuis les premiers objets de l’ère préhistorique, jusqu’aux plus récentes œuvres contemporaines. Tenter de les décrire n’aurait pas grand sens. Il faut pouvoir les regarder en vrai pour en ressentir toute la puissance émotionnelle. Mais la magie est ailleurs, dans la convergence artistique et spirituelle de cultures pourtant si différentes.
D’Europe, du Moyen-Orient, d’Asie et d’Amériques, cette manière qu’on (eut) les hommes de rechercher et représenter Dieu, d’imaginer l’au-delà, tenter de comprendre l’univers, développer leur zone d’influence, montrer leur pouvoir, maîtriser leur environnement, provoquer des émotions… comme si, d'où que nous soyons, quelque chose de supérieur nous reliait plutôt que nous différenciait.  

Flâner parmi toutes ces œuvres à quelque chose de fascinant, presque étourdissant. On marche lentement pour suivre le fil de cette histoire de l’humanité au long de laquelle quelques personnalités singulières se sont exprimer de manière originale, laissant aux générations future des créations artistiques de leur époque : ici un biface d’apparat en silex, plus loin une urne funéraire précolombienne, un sarcophage Egyptien, un Coran enluminé, une Bible millénaire, une Torah, des textes Bouddhistes, des jarres Chinoises d’une incroyable finesse, des statues antiques aux proportions parfaites, un paravent Japonais subtilement calligraphié, des tableaux de peintres classiques Européens montrant avec force détails la vie de leur époque, des portraits de personnalités dont l’un, saisissant, de Voltaire irradiant toute l’intelligence du philosophe, pour terminer devant d’abstraites et multicolores œuvres contemporaines.

Attiré par les puits de lumière, on s’approche régulièrement des larges bais vitrées donnant sur la grande halle merveilleusement illuminée par les rayons du soleil traversant, tels des rayons laser, l’enchevêtrement de la structure métallique couvrant les salles d’exposition.
Puis l’on sort des salles pour retrouver la caresse de l’air tiède circulant sous le dôme, agréable sensation de plénitude parmi tous ces gens venus du monde entier partager un moment hors du temps et des cahots du monde.
Croiser ces regards est un moment de grâce absolu où chacun se sent membre de la même communauté des Hommes, ceux-là mêmes à l’origine de toutes ces merveilles laissées en héritage aux générations futures.