jeudi 3 novembre 2022

Edimbourg, Paris, Vienne


Edimbourg, Paris, Vienne. Trois semaines, trois capitales Européennes. Que ce soit pour y travailler, retrouver famille ou amis le temps d’un week-end et en profiter pour découvrir quelques facettes méconnues, à chaque fois ce plaisir d’une immersion dans la grande fresque historique et culturelle de « notre partie du monde ». 

Il y a bien sûr l’architecture, ce que l’on voit au premier coup d’œil et qui impressionne : grands boulevards haussmanniens, constructions victoriennes, palais impériaux érigés pour la postérité des grands Hommes qui nous ont précédé. Devrais-je également dire Femme ? Injuste mais réelle connotation masculine de ces réalisations spectaculaires faites pour partie de testostérone.

Les universités aussi, fierté des grandes cités. Celles qui ont formé des générations de femmes et d’hommes, piliers de notre civilisation aux racines profondes.

Tous ces lieux de commémoration, souvent des hauts faits militaires, cicatrices des soubresauts politiques de notre continent profondément ancrés dans les narratifs historiques à l’origine de nos nations. Rappels qu’il fallut se battre pour devenir ce que nous sommes, des peuples libres dans un vaste espace démocratique où les citoyens sont égaux en droits.

Et ces musées, si nombreux, si variés, où les visiteurs se retrouvent pour partager des émotions artistiques, scientifiques, techniques, historiques, tout ce qui fait la singularité du genre humain.

Comment oublier la découverte de l’œuvre magistrale de Jean-Michel Basquiat - fulgurante et dérangeante, sur la négritude Américaine dans les années 70-80 - artiste New-Yorkais mort en 1988 à l’âge de 28 ans ? Ou la puissance esthétique des créations de Gustave Klimt au début du siècle dernier ? Quand des milliers de visiteurs du monde entier se pressent devant leurs toiles, passant de l’une à l’autre en laissant porter, ou pas, par l’esprit de leurs créateurs... L’art qui relie les humains au-delà de toute autre considération, moments de grâce où les émotions esthétiques transcendent les différences pour connecter les esprits vers une dimension supérieure : de tous âges, genres, origines, on se retrouve dans ces lieux d’une incroyable puissance émotionnelle, à la recherche de l’émerveillement, de la surprise, du frisson, d’un souvenir, d’une gêne parfois. Pour à chaque fois en sortir différent, meilleur peut-être, plus humain sans doute.

En rejoignant la grande avenue en bas de la perspective depuis le palais du Belvédère, nous tombons sur un monument commémorant la libération de Vienne par l’armée rouge en 1945. Impeccablement entretenu, dans le plus pur style soviétique triomphant, les soldats Russes glorifiés en héros d’une épopée libératrice. Et en arrière-plan, peintes sur le mur d’enceinte, les deux longues bandes jaune et bleue du drapeau ukrainien, ironique illustration d’un nouveau soubresaut de l’histoire de notre continent qui semblait appartenir au passé.

 

 

mardi 27 septembre 2022

Pas tombés, pas cassés !

 
Quitter le Grand Sud est à chaque fois un moment nostalgique. Allez savoir pourquoi un puissant magnétisme nous oblige à nous retourner pour fixer des images indélébiles : les paysages d’une beauté minérale brute, la lumière crue d’un ardent soleil, les fascinantes oasis, la sobriété des gens qui vivent ici, également la poussière et les odeurs de cet environnement rude auquel on s’est adapté pour un trop court moment.
 
Mais puisqu’il faut bien rentrer, autant le faire en musardant. Alors nous prenons le temps par les chemins de traverse, choisissant soigneusement les plus petites routes blanches ou jaunes de la carte Michelin. Celles à « virolos » qui passent aussi dans les villages de la Tunisie authentique. Rouler le nez au vent en répondant par des petits signes amicaux aux enfants tout excités par le passage de nos machines trop bruyantes. S’arrêter boire des cafés en essayant de papoter avec les gars du coin et, plus loin, à l’heure du déjeuner, dénicher une gargote pour y manger la cuisine familiale sous les sourires des femmes en cuisine.
 
Tunis est en vue et nous changeons de monde pour entrer dans la modernité d’une capitale et son cloaque de circulation, jusqu'à l’hôtel Saint Georges déniché sur internet.
Délicieusement vintage, l’établissement nous accueille à l’ancienne : personnel prévenant derrière un comptoir en bois des années postcoloniales. Un bataillon de garçons de café en fin de carrière assure un service impeccable, dans des tenues qui ne le sont pas moins, en français parfait avec professionnalisme et gentillesse. A l’avenant salles et chambres un peu surannées mais parfaitement entretenues avec mobilier d’époque.
A l’heure du diner l’endroit est bondé. Des hommes bien sûr, mais aussi des jeunes gens, filles et garçons, en totale décontraction. Nous sommes au bon endroit pour boire une bière, quitter les bottes de moto et faire le bilan de cette belle escapade.
-       C’était bien ?
-       Super bien mais presque avec un goût de trop peu !
-       T’as raison, mais bon, le plus important est de l’avoir fait sans tomber ni casser.
-       Ouais, et maintenant il va falloir reprendre le cours normal de notre vie...
-       Par ce que ça ne fait pas partie du cours normal de notre vie ?
-       Bien sûr. Où avais-je la tête ? On va cirer les bottes et les remiser jusqu’à la prochaine aventure.
-       Tu penses à quoi ?
-       Vers Samarcande, l’an prochain...
 
 
 

lundi 26 septembre 2022

Jebel

 
Les nuits dans le Désert sont à nulles autres pareilles. Celle-ci ne fit pas exception. Sous un ciel d’encre piqueté d’étoiles, et dans un silence absolu, juste se laisser aller à un vertige stellaire, aspiré par l’immensité de l’univers, avec comme seul bruit de fond, ses propres battements de cœur et sa respiration. De là à partir en lévitation... Selon Facebook, Certaines personnes perchées l’auraient expérimenté. Pour ce qui nous concerne, profitant pleinement de l’apesanteur en position allongée, avons juste passé une nuit exceptionnelle au terme d’une journée qui ne l’était pas moins.
 
Parfaitement reposés, nous roulons 62 kms pour finir en panne sèche pile au premier point de ravitaillement. Jour de chance. Cette fois-ci de l’essence Libyenne en bouteille d’eau, de première qualité selon le vendeur, clope au bec dans les vapeurs d’hydrocarbures de son échoppe.
 
Des pistes sablonneuses d’hier nous visons aujourd’hui celle longeant vers l’Est et par le Sud le Jebel Tegaga depuis Kebili. Grand moment de moto façon spéciale de Rallye. Ca roule (très) vite tout en jouant sur les appuis de la machine. Un pied total dans un environnement grandiose aux perspectives d’une rare profondeur. Sous un ciel indigo, sur notre gauche à une dizaine de kilomètres, la ligne de crête du massif rocheux. Sur notre droite s’étale une immense vallée caillouteuse au-dessus de laquelle vibre l’air surchauffée de la fin de matinée. Devant nous, bien tracée, le ruban clair de la piste comme la promesse d’un eldorado. Rouler dans de telles conditions est l’essence même du voyage d’aventure. De grands espaces vierges où l’on se sent seul au monde, et la promesse de « découvertes » exceptionnelles au bout du chemin.
Nous croisons quelques troupeaux de dromadaires, puis de rares campements nomades profitant des pâturages. J’ai toujours été émerveillé par la faculté d’adaptation des humains et des animaux dans ces terres inhospitalières, particulièrement par la relativité de la notion d’abondance quand il est question de pâturages. Ceux-là mêmes que nous imaginons verts et denses sont ici pour nous invisibles qui ne voyons qu’un immense champ de pierres. Mais à y regarder de plus près, de modestes touffes d’herbes sèchent parviennent à s'y développer, suffisantes pour satisfaire l’appétit de petits troupeaux caprins.
 
L’eldorado espéré nous conduit jusqu’à El Hamma. Et comme dans toutes les entrées de villes ici, ce sont des tonnes d’immondices plastiques s’étalant sur des kilomètres, qui nous accueillent. Situation qui n’a fait que s’aggraver depuis des années. Dans ces pays en développement, le monde moderne fait des ravages... Le chantier de nettoyage est immense tout comme le changement de comportement à opérer. Ce qui est possible dans nos sociétés d’abondance mais qui passe en second quand il est juste question de survivre.
 
Assis à déguster une excellente grillade de mouton, nous refaisons le monde sur ces considérations environnementales en regardant passer les gens et les véhicules déglingués.
-               Crois-tu qu’ils soient prêts à envisager de passer rapidement à l’électrique ?
-               Tu parles de quoi ? Des rasoirs ?
 

dimanche 25 septembre 2022

Stoppés par Le Grand Erg

 
L’étape du jour devait nous emmener de Douz vers Ksar Guilane, 120 kms par le Grand Erg Oriental, immense champ de dunes qui s’étale depuis la Mauritanie, Le Niger et l’Algérie, pour venir mourir en Tunisie. Regardez une carte Michelin de l’Afrique et vous découvrirez l’immensité de cet océan de sable...
Autant tuer le suspense tout de suite, nous avons dû renoncer à 25 km du but, incapables de trouver une passe praticable. A décharge il faut dire que nous ne sommes pas encore en saison touristique – aucune moto ni 4x4 encore croisés durant ce périple – et donc aucune trace fraîche dans une océan de sable.
La journée avait pourtant très bien démarré malgré la nuit médiocre à Douz, dans un hôtel miteux « comme on les aime ». Sauf que celui-ci nous ne l’avons pas aimé. Très bruyant, et cette épouvantable odeur d’égout qui remontait dans la chambre. Heureusement, hommes et machines étaient au top après la séance de mécanique de la veille et un passage chez le barbier – coiffeur - masseur.
 
Pénétrer dans un massif dunaire est la certitude de vivre une expérience unique, mélange d’émotions esthétiques, d’audace, de communion avec la nature et, pur ce qui nous concerne, de sport.
Partir tôt permet de profiter de la belle lumière et de la relative fraîcheur du matin.
Pour cette navigation nous disposons d’un logiciel sur smartphone proposant la trace d’un précédent passage de motard. En théorie il n’a qu’à suivre. Sauf que ladite trace date de 4 ans et que depuis le paysage a totalement changé. Alors il faut pouvoir interpréter et oser ouvrir sa propre piste en improvisant dans cet environnement mouvant. Car dans les ergs, les passes sont éphémères, rapidement recouvertes par le déplacement des dunes.
Nous progressons rapidement, surfant avec nos motos taillées pour cela comme des snowboardeurs sur une pente enneigée. Le truc est d’y aller avec suffisamment de vitesse, puis de gérer la glisse en jouant sur la poignée de gaz. Grisant, jusqu’au km 95 où nous tombons sur un imposant et vaste cordon perpendiculaire à notre progression. Or les dunes sont comme les vagues. D’un côté une douce ondulation, de l’autre, sous le vent, la pente raide où dégouline le sable. Si le premier est ferme et prévisible, le second est mou et instable. Du coup il devient particulièrement difficile et risqué de tenter de la franchir perpendiculairement. Sauf à tenter des figures de free style dont nous avons passé l’âge (et promesses faites à nos femmes)...
Alors on jardine en essayant de trouver le passage, navigant d’une dune à l’autre pour échouer dans d’infranchissables cul de sacs. En plein soleil à 35°, ça finit par fatiguer. On a bien essayé aussi de contourner, mais lorsqu’il s’agit d’un océan ça peut être long en l’absence totale de traces.
 
L’heure avance et nous sommes loin de tout. Nos réserves d’eau de la journée sont épuisées, nous fatigués, et si nous ne voulons pas passer la nuit dehors il faut rapidement prendre une décision.
La mort dans l’âme, et sans doute pour la première fois de nos périples en tous genres, nous décidons de faire demi-tour, tout en se disant que cela va être chaud coté carburant compte tenu des litres d’essence brûlés à jardiner. Et ça continue, car il faut maintenant retrouver « la route » du retour dans ce magnifique capharnaüm.
 
Alors que nous venons de rejoindre la piste, comme attendu la moto de Didier tombe en panne d’essence du fait d’un incompréhensible problème de transfert des réservoirs arrière vers l’avant. On fait avec les moyens du bord à l’aide d’une bouteille pastique.
 
18h, au coucher du soleil nous apercevons la cabane de désert où nous nous étions arrêté le matin prendre un thé. Tout sourire le gars nous accueille.
-       -     On peut manger ?
-       -     Oui M’sieur.
-       -      On pourrait dormir ici ?
-       - Y’a pas d’problème M’sieur.
-       - Vous auriez de l’essence ???
-       - A non M’sieur, j’ai pas.
 
Demain sera un autre jour. Inutile de forcer le destin. Nous restons là pour la nuit.