vendredi 31 août 2012

Un petit pas pour un homme d'exception

Neil Amstrong s’en est allé. Il est de ces grands hommes que j’aurais vraiment aimé rencontrer, avoir le privilège de m’assoir face à lui l’écouter raconter son odyssée vers la lune avec ses équipiers Buzz Aldrin et Mickael Collins. C’était en 1969 et depuis personne d’autre qu’une poignée d’astronautes Américains n’a fait de plus lointain voyage, concrétisation du formidable défi lancé par le Président Kennedy seulement 8 ans plus tôt : envoyer un équipage se poser sur la lune et le ramener sain et sauf à la maison ! C’était « impossible » et ils l’ont fait, mobilisant l’Amérique toute entière au service de cette grande ambition.

Regardez le visage de Neil Amstrong de retour dans le module d’atterrissage après ses premiers pas sur la lune. Barbe naissante, encore dans sa combinaison couverte de poussières du sol lunaire, il vient d’enlever le heaume de son scaphandre, casque audio encore vissé sur les oreilles.
Buzz Aldrin prend alors un instantané.
Le regard de Neil Amstrong, son sourire presqu'enfantin expriment une émotion d’une rare profondeur, satisfaction intense empreinte de modestie, après avoir été le premier homme à marcher sur une autre planète. Il vient de réaliser une extraordinaire prouesse suivie en direct par des centaines de millions de personnes de part le monde. A cet instant il représente l’Homme dans ce qu’il a de meilleur – l’audace, la maîtrise, l’intelligence, la sensibilité – quelques heures seulement après avoir été le premier à fouler le sol sélène et prononcer cette phrase inoubliable : « un petit pas pour un homme, un bon de géant pour l’humanité ». Amstrong a certainement conscience de l’importance de l’instant, mais que peut-il bien ressentir après tant d’émotions ? Depuis le décollage au sommet de la fusée géante Saturne V à Cap Canaveral 3 jours plus tôt, le vol intersidéral de quelques 350 000 km laissant derrière lui notre planète telle que personne (si ce n’est les équipages des missions préparatoires Apollo s’étant approchés de la lune) ne l’avait encore jamais vu, dans son entièreté, sphère bleutée au milieu des étoiles, l’alunissage manuel suite à la défaillance du système automatique, le flash de la lumière crue du soleil inondant le sas à l’ouverture de la porte du module, la vue spectaculaire sur un paysage inconnu « d’une magnifique désolation », la descente de l’échelle du LEM, et l’instant magique où il pose le pied sur le sol poussiéreux.
Quelles ont été ses impressions, ses émotions ? Dans quel état se trouve t-il a cet instant précis ?
Sans aucun doute ressent-il l’intense satisfaction du devoir accompli, lui qui si modestement ne s’attribua que peu de mérite dans le succès de cette grande entreprise.
Mais son visage exprime bien d’avantage, quelque chose autour de la grâce, de l’accomplissement total, un sentiment de bonheur universel que chaque terrien peut percevoir en le regardant. Quelque chose aussi comme de la reconnaissance pour les centaines de millions de gens soutenant du bout de l’âme cette incroyable aventure humaine, bien au-delà de toute autre considération.
A cet instant la gratitude qu’exprime le visage de Neil Amstrong est d’une bouleversante sincérité.
S’est-il senti porté par l’humanité toute entière, lui le représentant de notre espèce dans cette entreprise encore inégalée ?
En le regardant dans les yeux, j’ai le sentiment qu’à cette seconde Amstrong sait ce qu’il doit au genre humain et l’exprime de la plus belle des manières.

lundi 27 août 2012

Navigation dans le delta du Mekong

Bercés par le « teuf-teuf » régulier du poussif moteur de l’embarcation en bois où nous sommes installés sur des chaises en osier tressé, dans une demi-torpeur nous nous enfonçons parmi les ramifications du delta du Mékong. C’est la mousson, et comme chaque après midi, une pluie lourde et tiède ajoute à la moiteur ambiante. Protégés sous une bâche fixée sur les arceaux métalliques faisant office de toit, nous profitons du paysage luxuriant de cette exubérante nature tropicale.
De part et d’autre du bras étroit ou nous sommes engagés, la mangrove plonge d’impressionnantes racines dans l’eau terreuse, comme des milliers de pailles aspirant l’abondant liquide couleur chocolat chargé d’alluvions.
Par moment, l’onde de notre sillage va se perdre dans un champs de lotus ondulant, où les poissons se plaisent à frayer à l’abris des larges feuilles flottantes ornées de fleurs magnifiques se refermant à la mi-journée pour se protéger des pluies diluviennes de la deuxième partie de journée.
Derrière le premier rideau de mangrove, des palmiers d’eau produisent d’impressionnantes noix ressemblant à de gros boulets métalliques affublés de piques triangulaires, puis une dense forêt de cocotiers chargés de milliers de noix vertes au pied desquels poussent des bananiers.
Au détour d’un méandre, nous débouchons sur un embarcadère sommaire où l’on surcharge de noix de coco de lourdes barques joufflues. Seulement signalées par quelques antennes TV dépassant de la végétation très dense, les maisons du village restent invisibles. A cet instant je ne peux m’empêcher de penser aux militaires occidentaux engagés ici en « opérations » dans des conditions à des années lumières de leurs repères habituels. Ils n’avaient aucune chance, ce qui a conduit les états major à décider de l’utilisation d’armes de destructions massives – défoliants et autres bombes au napalm – pour le résultat que l’on connait…

L’étrave de notre petit bateau continue de fendre doucement les eaux paisibles de ce dense réseau de ramifications. A la faveur d’une éclaircie, sous les rayons ardents du soleil la forêt fumante d’évaporation se resserre sur ce bras étroit où, entre les rideaux d’arbres, s’offre le spectacle d’un ciel contrasté chargé de lourds nuages bourgeonnants prêts à décharger leurs trombes d’eau.
Nous croisons quelques pêcheurs tout sourire à notre passage. Tandis que certains collectent des nasses savamment disposés dans la mangrove, d’autres, debout sur de frêles canots de bois lancent en surface, apparemment « au hasard », de larges filets arrondis dans un magnifique geste circulaire à la manière des faucheurs de blés au temps de nos grands parents, avant de les remonter immédiatement avec délicatesse, dans l’espoir d’attraper quelques poissons passant par là.

Ici la nature est généreuse et les hommes l’ont bien compris, exploitant ses ressources parcimonieusement ; subtil équilibre respecté depuis des générations.

samedi 25 août 2012

Apocalypse

Visiter à Saigon le musée de la guerre du Vietnam est une expérience dont on ne ressort pas indemne, de celle vécue au mémorial de Caen, où, indépendamment de toute considération politique ou partisane, les horreurs de la guerre vous sautent à la gueule comme la morsure cruelle d’une bête épouvantable à face humaine.
La cruauté des images n’a pourtant rien de plus spectaculaire que « les bons films » que l’on regarde tranquillement installé dans son canapé, sauf qu’ici les images, d’ailleurs bien souvent de qualité médiocre, montre une effrayante réalité de souffrances humaines qui touche profondément, comme si, bien plus que les photos un peu floues prises sur le vif, il y avait aussi un peu de l’âme des personnes fixées sur la pellicule.
Au delà même de sa propre émotion devant ces saisissantes images de destruction totale, corps déchiquetés, personnes terrorisées, maisons effondrées, nature meurtrie par la puissance de machines de guerre nées du génie humain…, on ressent aussi celle des autres visiteurs, mélange de sentiments échangés de manière non verbale par une attitude, un regard, une posture, une larme. Et je ne vais pas mentir en reconnaissant sans honte avoir plusieurs fois remis mes lunettes de soleil pour cacher mes yeux soudainement noyés, lorsque débordé par l’émotion le regard devient flou et que l’organisme se rebelle devant tant d’horreur, dans un élan d’empathie difficilement contrôlable.
A certain moment, ni tenant plus je me retourne faire quelques pas « à distance ». De l’autre côté de la salle une vieux Monsieur pose tête baissée sa main sur une grande photo murale. Une jeune fille visiblement désemparée quitte en pleur la salle tandis qu’un solide gaillard, assis à quelques mètres, hagard, laisse couler de chaudes larmes sur son T-shirt O’Neill.

Je ressorts au bras de ma femme avec la nausée, un peu groggy, mesurant la chance de n’avoir pas vécu de situation de guerre et me demandant qu’elle serait mon attitude dans ce type de circonstance où les hommes perdent la raison, égarés dans d'inimaginables comportements monstrueux.
Dans la cour je croise le regard d’Anne visiblement encore sous l’émotion.



Tandis que nous rentrons à pied vers notre hôtel, notre promenade nous mène dans un quartier d’antiquaires où toutes sortes de vieilleries sont exposées à l’attention des chineurs : mobilier des années 30, montres patinées au poignet de propriétaires "disparus", lunettes de pilote américains, briquets tempête, horloges à balancier, vaisselle en argent ; objets témoins d’une époque pas si lointaine où Saigon était un enclave occidentale un peu chic au cœur de l’extrême orient.
Posée sur une table haute des albums photos. J’en ouvre un au hasard et tombe sur des instantanés de familles, françaises peut-être, clichés kodak des années 70 aux couleurs délavées, et ne peut m’empêcher de ressentir un certain malaise. Que sont devenus ces gens souriants et visiblement heureux ? Par quelles circonstances cet album s’est-il retrouvé là ? Gêné je referme l’album et poursuit mon chemin.

mardi 21 août 2012

Belles rencontres dans un village Viêt

Nous déambulons sans but précis dans les ruelles d’un village traditionnel Viêt, croisant les regards d'habitants affairés à leurs occupations quand une voix faible et éraillée semble nous interpeler. Passé l’instant de surprise Pieter et moi nous approchons d’un tout petit homme assis sur le seuil d’une porte. Il souhaite visiblement nous dire quelque chose. Son visage émacié et échevelés aux airs de petit chat est éclairé de deux billes noires très expressives au milieu d’une figure marquée de très jolies rides d’expression. Une barbichette clairsemée entoure un sourire radieux orné d’impressionnants chicots noirs tels que je n’en ai rarement jamais vu. Nous finissons par décoder certains mots de français. Agé de 89 ans, très fièrement le p’tit homme nous récite quelques règles de grammaire du cours élémentaire, suivies de mots nostalgiques et bienveillants sur son instituteur Français. Trop brève rencontre avec un témoin d’une époque où la langue de Molière était encore enseignée à l’école des colonies d’Indochine, et qui avait tant à raconter.

Un peu plus loin nous stoppons devant la porte d’une très vielle maison en bois, lorsqu’un homme souriant et joufflu, coiffé d’une belle et dense chevelure blanche nous invite à entrer chez lui. Franchissant le seuil nous traversons une petite cour carrée pavée de grosses pierres polies par le temps, avant de pénétrer dans une pièce assez sombre, construction traditionnelle en bois sur toute une longueur de la cour, recouverte de petites tuiles de terre cuite en forme de cœur sur une seule pente. Donnant sur la cour, trois ouvrants en bois à pans multiples ressemblant vaguement aux volets de nos maisons des années 70. A l’intérieur, au centre un petit temple bouddhiste, à gauche des photos jaunies des aïeuls fixées sur le mur, à droite une simple table de bois sur laquelle trône une théière et quelques tasses crasseuses, entourées de bancs où nous nous asseyons. Le plancher hors d’âge de la pièce est monté sur des sortes de pilotis 15 centimètres au dessus du niveau de la cour. Notre hôte s’assoit face à nous, dos au mur sur lequel, ostensiblement de nombreux « diplômes » encadrent une typique gravure traditionnelle de paysage. Tout sourire il a visiblement envie de parler et ne se fait pas prier pour raconter avec force conviction son histoire traduite par Trieu :
Agé de 65 ans il représente la 7ème génération d’une même famille ayant habité cette « antique maison » (je cite le traducteur) construite par ses ancêtres en 1740. Une telle construction ancienne en bois est tout à fait exceptionnelle au Vietnam. Mais notre homme est surtout un vétéran de la guerre contre les Américains. Armé d’une jolie baguette de bois, il nous compte ses faits d’armes lors de 5 engagements « décisifs » où il fut impliqué, pointant les distinctions correspondantes dont il fut gratifié pour sa bravoure. Puis il nous montre ses blessures, éclats de bombe toujours incrustés dans les chaires qui lui valurent un retour à la maison, mentionnant avec émotion la disparation de son frère qui n’avait pas eu la même chance combat, remerciant Bouddha de lui permettre de profiter encore aujourd'hui de la vie. Et de conclure en ces termes :
- Maintenant nous sommes bon amis avec les Américains, avec un chaleureux et sincère sourire.
Puis, visiblement soulagé de nous avoir raconté tout cela, il nous offre le thé sans plus de manière.
Au moment de sortir, franchissant le seuil de la porte je lui pose la question sur ce qu'il allait faire de cette maison.
- La transmettre à mes enfants pour qu’ils puissent faire de même avec les leurs. C’est notre bien le plus précieux.

Nous retrouvons la rue sous la pluie. A petits pas rapides, une vielle dame courbée vaque à ses occupations.
Nous recroisons le p’tit bonhomme échelé et édenté qui tout sourire nous lance quelques mots incompréhensibles.
A la sortie du village, sous un très ancien préau, lieu de rassemblement traditionnel pour les palabres, un homme seul, jambes croisées, perdu dans ses pensées ne semble pas nous remarquer passer devant lui.

dimanche 19 août 2012

Le triangle des émotions peut faire oublier le chemin qui ramène à la maison...

Je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous quelques morceaux choisis des propos pleins d’humour de notre amis Trieu lorsqu’il évoque les charmes de la gente féminine.

L’autre jour, alors que nous roulions dans les rues de Hanoï, tandis que Flo et Anne s’émerveillaient sur les très jolies cages à oiseaux en bois proposées par des marchands, tout de go, Trieu pose la question suivante :
- Savez-vous quelle est la différence entre les cages à oiseaux et les jupes des filles ?
- Euh… et bien non.
- C’est très simple pourtant : lorsque la cage est ouverte le petit oiseau s’envole. Alors que lorsque la jupe est ouverte le petit oiseau peut rentrer.

Nous sommes au comptoir d’enregistrement de Vietnam Airlines pour notre vol vers Saigon. Une jolie hôtesse s’occupe des formalités d’enregistrement et Trieu se retourne vers moi le regard encanaillé avant de lâcher la phrase suivante :
- Au soleil les tenues des jeunes filles sont parfois transparentes. C’est joli n’est-ce pas ?
Je ne peux évidemment dire le contraire, même si je ne fais pas bien le lien avec la situation, par temps pluvieux dans un hall d’aéroport à la lumière blafarde.
Et d'ajouter :
- Il arrive même que l’on puisse apercevoir le triangle des émotions. Avant de partir dans un irrésistible fou rire communicatif.
Puis de conclure de manière fort à-propos :
- Et la montée du désir peut faire oublier le chemin qui ramène à la maison.

Reconnaissons que nous sommes ici bien loin de nos blagues parfois grivoises quand il est question de sexe.

Visite à l'oncle Hô

De la baie de Ha-Long terrestre nous devions poursuivre jusqu’au golf de Tonkin pour découvrir le coté maritime de cette baie légendaire. Mais la météo en a décidé autrement et nous avons du rebrousser chemin vers Hanoï face à l’arrivée du typhon « Kai-Tak » en provenance des Philippines.
Donc retour à la capitale secouée par de violentes bourrasques sous une pluie diluvienne. Et partout dans les rues, des images quelque peu surréalistes de branches cassées, motos renversées, bâches et tôles envolées. A un carrefour un arbre entier tombé sur un taxi. Sûr, ça souffle et il ne doit pas faire bon se trouver en mer. Ce sera donc pour une autre fois.
Plan B : une petite visite à « l’oncle Hô », puis déambulations dans les villages traditionnels Viêts au nord ouest de la Hanoï.
Homme de culture, communiste convaincu, humaniste reconnu, « L’oncle Hô » est le surnom affectueux donné par les Vietnamien au père de la nation Hô Chi Minh, personnage à l’origine du Vietnam actuel, devenu légendaire. C’est lui qui proclama l’indépendance du pays en 1945, a battu les Français à Dien Bien Phu, oeuvra sans relâche pour la réunification du pays suite à la partition entre le nord et le sud au milieu des années 50, et ce jusqu’à sa mort en 1969 en pleine guerre contre les américains. Il ne pu donc voir son rêve exhaussé de son vivant, mais sa vision marqua tout un peuple qui aujourd’hui le vénère comme un saint homme, tant et si bien que, contre sa volonté, son corps est aujourd’hui exposé dans un mausolée ouvert au public à la façon de celui de Lénine au Kremlin… Notez bien que la comparaison s’arrête là.
L’approche du lieu est empreint de solennité : sous bonne garde militaire, et ce jour là sous une pluie battante, on marche doucement sur 2 lignes vers une massive construction carrée ornée de colonnes grecques supportant une toiture évoquant vaguement une fleur de lotus. Dans la file, des touristes évidemment, mais surtout beaucoup de Vietnamiens de tous âges venus ici en pèlerinage. Déjà l’ambiance est au recueillement. On accède à l’imposant bâtiment fait de granit poli et de marbre par un escalier entrant du côté gauche, et aussitôt la température chute fortement. Puis l’escalier tourne à droite pour continuer sa monté en sens opposé jusqu’à une porte sous bonne garde. Au franchissement du seuil, 2 soldats vous regardent de la tête au pied, tenue décante exigée, et indiquent d’une mimique tout à fait claire que les bras du visiteur doivent rester pendants : ni dans le dos, ni dans les poches. Sur la gauche, protégé par un sarcophage de verre, sous une lumière blafarde, le corps embaumé de Hô Chi Minh allongé les bras le long du corps recouvert d’une étoffe rouge. Son visage paisible, couleur cire, ses cheveux impeccablement coiffés tout comme sa barbichette clairsemée, ses mains aux longs doigts, c’est bien lui.
Plantés aux 4 coins du sarcophage, 4 soldats parfaitement immobiles veillent sur le corps du grand homme. Le mouvement de la visite tourne à bonne distance autour du tombeau par la gauche. Passé l’instant d’émotion devant cette image assez surréaliste, je regarde discrètement les visiteurs vietnamiens. Rien de très démonstratif, juste un recueillement intense de quelques secondes, où, en passant aux pieds du défunt, beaucoup esquissent un signe de tête discret, ou joignent les mains à plat pour un instant. Puis on ressort comme on est rentré, sans s’arrêter, de l’autre coté du bâtiment, descendant l’escalier sans bruit pour retrouver chaleur et moiteur tropicale. A ce moment seulement les langues se délient, doucement, sans éclat de voix. Le temps comme suspendu pour un instant « reprend son vol ».

A l’évidence l’oncle Hô n’a pas voulu cela mais le destin de son enveloppe terrestre lui a échappé. Se retrouver là tel un pharaon conservé dans une  pyramide à sa gloire était très certainement hors de propos pour cet homme modeste qui souhaitait que ses cendres soient dispersées au nord et au sud du pays réunifié. Les circonstances du moment en ont décidé autrement et sa dépouille est devenue malgré lui le symbole d’une cause politique.

samedi 18 août 2012

Baie de Ha-Long

Après quelques jours à Hanoï, happé par la suractivité des habitants de cette ville surchauffée par les bouffées moites de l’atmosphère tropicale saturée d’humidité, où la moindre activité un tant soit peu physique vous transforme en corps dégoulinant de transpiration, retrouver les paysages verdoyants de la campagne, rizières rectilignes séparées d’étroits chemins de terre, juste un passage d’homme, où circulent à pied ou en vélo les fines silhouettes des paysans vacant à leurs occupations agricoles, a quelque chose de reposant.
Ici et là quelques buffles boueux s’ébattent paresseusement au creux des rares parcelles en jachères attendant le repiquage de la prochaine récolte, tandis que des troupeaux de canards blancs immaculés, vu de loin tels des fleurs sur des prairies parfaites, nettoient les rizières sous le regard bienveillant de leur « berger ».
Un peu plus loin, une petite pagode, ile spirituelle au milieu d’un océan de verdure, lieu de recueillement signalé par quelques lourds drapeaux multicolores flottant mollement au vent.
A sud et à l’est, la ligne d’horizon est barrée de remarquables contreforts calcaires assez marqués.
Après quelques kilomètres de vélos dans ce paysage bucolique typique d’Asie du Sud-est, nous stoppons déjeuner chez l’habitant. Repas simple et délicieux où Flo et Anne mettent la main à la pâte pour la préparation des fameux rouleaux de printemps. Nous sommes accueillis par une famille de paysans-maçons faisant maintenant aussi table d’hôte. Ici vivent modestement les grands parents aujourd’hui retraités, les deux fils paysans-maçons, leurs épouses en charge de la table d’hôte, et les deux petites filles visiblement aux mains des grands-parents. Des gens simplement charmants aux sourires lumineux et communicatifs, à tel point que l’on en oublierait presque la barrière de la langue.

Nous reprenons les vélos pour quelques kilomètres entre les rizières jusqu’à un petit embarcadère où nous montons à bord de deux barques à fond plat très similaires à celles utilisés dans nos zones marécageuses. Debout à l’arrière de chacune des embarcations, un pousseur propulse le bateau à l’aide d’une longue perche de bambou, naviguant entre les prairies de jacinthes d’eau, les fleurs de lotus et les bouquets de papyrus, jusqu’à rejoindre la ligne de relief calcaire, nous engager dans d’étroites et sombres grottes peuplées de chauves souries sous la montagne, et en ressortir de l’autre coté dans un tout autre paysage, moment magique, immersion dans un monde irréel, hors du temps, images en cinémascope, de celles du très beau film d’Eric Wargnier, « Indochine », au cœur de paysages rendues célèbres lors de la période coloniale française en Extrême Orient : la baie de Ha-long terrestre.
Fermez-les yeux, et imaginez, sous une chaleur tropicale générant un brume légère, des canaux marécageux bordés de végétation luxuriante, entre de spectaculaires reliefs aux formes de pain de sucre comme posés sur l’eau et dont l’image se reflète sur l’onde, entre lesquels vous naviguez en silence, croisant ici et là quelqu’autres barques dont les occupantes tout sourire pêchent ou ramassent des végétaux pour leurs animaux. Et pas un bruit. Vous y êtes ?
Moment de grâce que l’on voudrait étirer, où l’on se dit que le monde recèle encore de ces trésors qu’égoïstement l’on aimerait presque ne garder que pour soit.

vendredi 17 août 2012

Conséquence du passé, cause de l'avenir...

Après 2 jours de pérégrinations urbaines, nous quittons Hanoï – ville grouillante d’activités, où l’on se demande comment la multitude de petits commerçants et autres restaurants parviennent à vivre de leur métier – vers la paisible baie d’Halong, paysages de rêve au creux du Golfe de Tonkin baigné par la mer de Chine Méridionale.
Conditions de circulation chaotiques, noyé dans un flot continu de motos bourdonnant tel des essaims d’abeilles. De temps à autres une incongrue voiture de sport de luxe – Ferrari, Maserati ou autre Aston Martin – étonnamment toutes de couleur jaune, symbolique quelque peu surréaliste de la reine des abeilles parmi ses ouvrières, avance difficilement comme protégée par le flux d’insectes tourbillonnants. Je souris en imaginant « l’angoisse » du conducteur exposé au risque d’une malencontreuse rayure de poignée de frein sur la carosserie du bolide…

Petit homme au regard malicieux derrière des lunettes rectangulaires aux verres crasseux, la quarantaine, Trieu (prononcer Tchô) est notre guide pour cette excursion. Avenant, pétillant d’intelligence, bavard, nous faisons connaissance en l’écoutant parler de son parcours peu commun : issu d’une famille de paysans il a exercé mille métiers, successivement lui-même paysan, professeur de Français, photographe, apiculteur, activité qu’il exerce toujours en complément de celui de guide touristique. Dans un français au vocabulaire choisi, il n’est pas peu fier de conter son histoire.
Tandis que nous roulons à 60 à l’heure sur l’autoroute de l’est, sur une chaussée pour le moins déformée, tressautant telles des bouteilles de Coca dans leur casier de livraison sur les banquettes du Ford transit de location, Trieu aborde des sujets plus profonds autour notamment des religions, revendiquant fièrement sa double confession Catholique et Bouddhiste, « histoire de prendre le meilleur des deux mondes » et ne pas risquer de manquer le paradis « au cas où il existerait vraiment… » Puis nous dévions sur quelques digressions concernant l’état du monde, selon son interprétation toute personnelle de la philosophie Bouddhiste.
Morceau choisi :
- Fred, sais-tu pourquoi la population mondiale croit à cette vitesse si dangereuse pour l’équilibre de la planète ?
- J’ai ma p’tite idée sur la question… Mais toi Trieu, tu vois ça comment ?
- Et bien c’est très simple. Il y a deux raisons liées : la première est que tous les animaux que nous mangeons se réincarnent en méchants enfants, pour se venger ! Cela fait donc d’avantage de mauvais humains sur terre. Et la deuxième, en plus de la première, est que manger de la viande stimule l’activité sexuelle ! Avant d’éclater de rire...
Il faut dire que Trieu, qui réfléchit beaucoup, a réponse à presque tout. Et d’ajouter, avec son délicieux accent aux intonations typiquement asiatiques :
- En fait, dans la philosophie Bouddhiste tout est logique dans la relation de causes à effets. Le présent est la conséquence du passé, et c’est pour cela que nous devons vénérer les anciens. Mais c’est aussi la cause de l’avenir. Et là est notre responsabilité immédiate. Alors tu vois, je suis plutôt de ceux qui préfèrent une maison basse, simple et solide, qu’une prétentieuse construction haute et vulnérable face aux éléments extérieurs.

Certaines rencontres ne laissent pas indifférent.

samedi 4 août 2012

Intouchables

Tout a été écrit sur la condition humaine, alors quelques lignes de plus n’y changeront rien évidemment.
 Serait-ce pour autant un juste motif pour ne pas partager, sans autre prétention, quelques impressions de voyageur-entrepreneur privilégié, parcourant le monde à la poursuite d’un objectif de développement d’entreprise utile, globale, réellement contributrice d’un futur que l’on voudrait meilleur, histoire de se dire que l’on est fait pour quelque chose de positif et constructif ?

Voyager en Inde est toujours un choc, dans cet autre pays-continent à la démographie galopante, aujourd’hui 1 milliard 200 millions d’habitants, et qui devrait dépasser la Chine dans un proche avenir. De nombreux raccourcis sont utilisés pour qualifier les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) ces nouvelles puissances économiques : la Chine serait ainsi l’usine du monde, le Brésil la ferme du monde, la Russie la réserve d’hydrocarbures, et l’Inde ?
D’abord la plus grande démocratie, vertu indéniable pour les anciennes puissances coloniales que nous avons été et aujourd’hui si moralisatrices…
Certainement aussi l’un des plus grands bureaux du monde avec ses immenses call-centers délocalisés, mais surtout ses plateformes géantes au service des technologies de l’information où des milliers de jeunes ingénieurs inventent le monde numérique de demain.
Question industrie l’Inde n’est pas non plus en reste, avec de grandes entreprises dans l’automobile, le textile, la construction navale, le domaine spatial et j’en passe.
Mais dans ce pays magnifique fait de diversité, aux racines profondes et multiples facettes culturelles et religieuses, où les gens sont comme l’ont dit parfois avec peu de condescendance, « éduqués », il est quelque chose de particulier qui ne peut laisser indifférents même les moins sensibles : ces femmes et ces hommes des castes inférieures toujours considérés et traités comme des moins que rien, perdus dans un monde et une époque qui ne peut être le leur et que les autres semblent ignorer, ou plus exactement accepter comme un fait normal immuable.
On s’émeut à juste titre des conditions de la femme dans certain pays islamiques aux régimes qui n’ont rien de démocratiques. Mais là rien, ni commentaire ni critique exprimés, ou si peu, sous prétexte de vertueuse démocratie ayant fait les réformes nécessaires – ce qui est effectivement le cas, sur le papier, depuis des décennies – laissant le choix de « son état » à chacun. Je ne parle pas ici de la pauvreté « ordinaire », gangraine des grandes métropoles où en même temps que la prospérité affichée s’agglutine toute la misère du monde, mais d’autre chose à mon avis plus insidieux : admettre qu’il aurait des sous-hommes et agir en conséquence.
Rien de bien original pourra t-on dire. Il n’y a qu’à regarder comment sont exploités par exemple des esclaves modernes dans certains pays du Moyen-Orient, où les rentiers du pétrole profitent de manière inhumaine d’une main d’œuvre docile et très bon marché venue du Bengladesh. Pas faux, mais rien à voir en fait. Ces esclaves, aussi inacceptable soit évidemment la situation, le sont souvent pour des périodes somme toute assez courtes, sont malgré tout payés pour le travail rendu, le temps pour eux de faire un peu d’argent puis de rentrer à la maison. Comprenons-nous bien, je ne défends pas ce système qui me révolte aussi à plus d’un titre, mais essaie juste de remettre en perspective quelques insupportables observations de la condition humaine, telles que vues de manière très simple par ma petite personne.

Je suis évidemment très loin d’avoir tout compris des Intouchables. Il n’empêche que leur état me bouleverse et que je ne peux me résoudre à faire semblant de ne pas les voir.

jeudi 2 août 2012

"Les Dieux du stade"

Zhengzhou, Pékin, Bangkok, Colombo, Chennai... Bombay. Je ne touche plus terre. Les rendez-vous s'enchainent rapidement entre les vols presque supersoniques. Business toujours plus vite, toujours plus global. Etre ici et là au même instant.
Et partout des écrans allumés sur les JO, grande communion planétaire, moment rare, où même si c'est aussi un énorme business, les hommes s'affrontent pour le plaisir dans des joutes sportifs de haut niveau, gratuitement pour la grande majorité d'entre eux, moment unique où le plus important est de donner le meilleur de soi-même, aller plus vite, plus haut, plus loin.
Côté face, les sportifs, acteurs portant haut ces valeurs que l'on aimerait universelles : gout de l'effort, du dépassement personnel, esprit d'équipe, fair-play.
Côté pile, les yeux rivés sur des millions d'écrans de part le monde, des milliards de spectateurs suivent en direct les prouesses des champions. Il y a quelque chose de magique dans cette grande messe.
Pourquoi une telle fascination pour le sport en général par des gens qui bien souvent ne sont pas eux-mêmes sportifs ? Il n'est donc pas ici question de bien être, santé ou d'équilibre personnel…
Le goût de la performance peut-être ? Mais là encore nous parlons le plus souvent de celle des autres.
La beauté du geste ? Eventuellement, tant il est vrai que tous les sports pratiqués à haut niveau sont d'une esthétique qui ne peut laisser indifférents même les moins sensibles.

Mais ne toucherions pas ici à quelque chose de plus profond ? Quelque chose autour de valeurs universelles sublimées par les sportifs dans leur recherche de l'excellence et dans l'effort ? Quelque chose d'unique autour duquel nous nous reconnaîtrions, habitants d'une petite planète, et dont le sport serait une puissante illustration ?

L'engagement, cette attirance pour la conquête de l'inutile, histoire de toujours repousser les limites, dépasser les frontières du possible, et se prouver notre talent individuel et collectif - brillante facette du génie humain - dans des instants d'une rare émotion capables de magnifier non seulement le corps, mais aussi d'atteindre l'âme.

mercredi 1 août 2012

Un train pour Zhengzhou

Petit matin pluvieux sur Pékin. En bas de l'hôtel des trombes d'eau délavent le bitume sombre et luisant de la rue. De part et d'autre du flux des voitures, sur les trottoirs semblent pousser des fleurs multicolores, centaines de parapluies partant au travail. Aller courir dans ces conditions pour revenir trempé et devoir refermer la valise sur des vêtements mouillés ? Pas pratique, je m'abstiens donc.

8h30, je retrouve mes collègues dans le lobby de l'hôtel. Nous partons vers la ville de Zhengzhou dans la province du Henan par le train. Pour tout dire pas mon moyen de transport favori en Chine, mais qui satisfait l'un de mes équipiers Chinois plutôt mal à l'aise en avion. Va donc pour le train !

L'arrivée à la gare ouest de Beijing est un capharnaüm. La pluie redouble tandis que pour acheter les billets nous faisons la queue dehors dans une bousculade invraisemblable à un tout petit guichet de 2 personnes au pied du hall immense. Et c'est trempés jusqu'aux os que nous attaquons une nouvelle file d'attente, cette fois-ci à l’abri, pour accéder aux quais ouverts seulement 15 minutes avant le départ. Rien d'autre à faire que d'observer les gens, petite société concentrée de Chine contemporaine :
Des paysans bruyants, casquettes crasseuses vissées sur le crane et barbichette clairsemée jouent au majong dans des éclats de voix qui, sans rien y comprendre, n'ont rien de très élégants.
Assise en face d'eux, une "mama" s'occupe de son petit fils, tandis qu'une jeune femme un peu "bimbo", à priori la maman, s'use les ongles sur son smartphone.
Un homme étrange passe faire la manche entre les rangs avec un certain succès. Visage et bras comme figés par d'importantes et anciennes brulures, il émane de lui un magnétisme presque surnaturel, de ces personnages de films d'horreurs sortant de je ne sais quelle catacombe. A quelques détails évidents il n'est matériellement pas dans la misère.
Juste devant nous, un peu excités, deux jeunes touristes occidentaux arborant une casquette Mao ornée de l'étoile rouge semblent comme deux naufragés d'un autre monde.
Un peu à l'écart, quelques businessmen attendent dans leurs costumes noirs trop grands en regardant les JO sur écran géant.

A l'ouverture des portes c'est le rush, vague humaine poussée par je ne sais quelle houle, comme si l'accès au train devenait une question de vie ou de mort, chacun profitant de la transpiration de l'autre dans la moiteur d'un jour de pluie d'été.
Voiture 17, sièges 23 et 25 : nous montons dans un train moderne, spacieux et confortable, impeccablement tenu ; propreté à la Japonaise. Et d'ailleurs ce train rapide ressemble beaucoup au Shinkansen, le TGV du Pays du soleil levant.
Dix heures précises, la rame démarre en silence seulement perturbé par les sonneries ininterrompues des téléphones portables des passagers, « insupportable » souvenir d'une époque pas si lointaine où téléphoner en train était aussi chez nous un signe de distinction à la mode...