jeudi 10 octobre 2024

Viande de culture

Trafic aérien encombré sur l’aéroport de Singapour. Attendant l’autorisation du contrôle pour engager l’approche en longue finale, le triple 7 d’Air-France fait des ronds dans le ciel chargé de gros cumulus tropicaux. La nuit a été longue, sommeil haché, ponctué de rêves étranges.
Kiss landing à 17h locales. Formalités d’entrée d’une incroyable fluidité : plus d’agent de douane pour contrôler les documents de voyage, mais une première porte automatique après scan du passeport, puis une deuxième après prise des empreintes et photo. En tout moins de 30 secondes !

L’arrivée dans l’atmosphère moite de la baie de Singapour est des plus saisissantes avec ses spectaculaires édifices modernes : en arrière-plan du musée d’art contemporain flottant tel une fleur de lotus géante devant la skyline, le monumental Marina Bay et ses 3 tours surplombées d’une élégante plateforme en demi-lune.

Nous sommes là pour une raison inédite. Demain notre filiale Vital Meat organise, avec un chef local réputé, une dégustation de recettes de viande de poulet cultivée, en avant-première de l’autorisation officielle des autorités singapouriennes pour la commercialisation du produit. Juste révolutionnaire après presque 6 ans d’effort.



18h, les invités arrivent au restaurant de Jun Hao : investisseurs, industriels, distributeurs, officiels, journalistes…
Notre petite équipe est sur son 31. Jeans et tee shirts noirs façon startuppeurs. Je joue le rôle du « vieil » entrepreneur cool. Celui qui a initié et supporté le projet depuis la création. L’objectif de l’évènement est d’attirer de nouveaux investisseurs à rejoindre l’entreprise pour passer au stade industriel une fois les autorisations obtenues. Ce qui ne saurait tarder.

18h20, Etienne, notre CEO, lance la soirée avec un petit mot d’accueil et de présentation. Puis le chef Juan Hao lui succède en racontant sa rencontre avec l’entreprise et son intérêt pour notre innovation répondant aux nouvelles attentes sociétales, bien-être animal et environnementales, tout en permettant de cuisiner des plats délicieux.
Et c’est partie pour le show :
Nous démarrons avec une chips de peau de poulet, dorée et craquante. A s’y méprendre.
Les regards et expressions des invités en disent long sur leur surprise devant le résultat. Et le chef d’ajouter que les chips sont bien composées de 80% de viande cultivée. Ni plus, ni moins.
Puis il annonce le second plat : raviole de poulet cultivé, dans son bouillon. Produit très doux, très différent du premier mais à l’incontestable saveur de poulet.
Les commentaires vont bon train : incroyable ! Etonnant ! Délicieux ! Les invités échangeant sans filtre leurs impressions dans un belle convivialité.
Jun Hao présente alors le troisième et dernier plat : la fameux « chicken rice » singapourien agrémenté d’un tofu façon noix de St Jacques.
Nous sommes alors dans une autre dimension. Celle où il devient possible de considérer manger de la viande sans élever ni tuer d’animaux.

Bien sûr, rien ne remplacera jamais l’entrecôte ni le poulet du dimanche. Mais nous ouvrons une option complémentaire permettant d’assurer la durabilité des filières de production animales de qualité, moins productivistes, fortes de meilleures pratiques d’élevages et environnementales, en parallèle de nouveau produits carnés issus de culture cellulaire. Peut-être le meilleur des deux mondes.

 

 

mercredi 7 août 2024

Instant d'éternité !

Le Stade de France est en ébullition pour cette soirée olympique d’Athlétisme. Plein comme un œuf, le chaudron, devrais-je plutôt dire le creuset où se mêlent pour un soir les cultures du monde retient son souffle. Derrière nous des Britanniques et des Jamaïcains. Devant des Américains. A notre droite une famille de bretons dont le papa ne peut s’empêcher d’essayer d’attacher un drapeau régional au parapet, aussitôt rabroué par des gens d’Europe Centrale car il obstrue une partie de leur champ de vision. Finalement il renoncera sous les commentaires acerbes de son adolescente : « la honte papa ! ». A notre gauche des jeunes français férus de course à courses à pied.
Au terme d’une superbe soirée où se sont succédé les dieux du stade – coureurs de 200 m, 1500, 3000 steeple, 5000, discoboles – les finalistes du saut à la perche s’affrontent dans un dernier joute au-dessus de 6 mètres.
Tel un tournois médiéval, ils s’élancent sur la piste, perche en avant comme une lance de chevalier pointée pour désarçonner l’adversaire. Sauf qu’ici l’adversaire n’est autre qu’une barre montée à près de 6 mètres. Et il en faut de la bravoure pour s’élancer de la sorte : courir le plus vite possible, aller piquer la perche dans une petite goulotte, la plier au maximum en se retournant pour se faire propulser vers le ciel pieds en avant, enrouler la barre sans la toucher, et se laisser tomber sur un tapis de mousse. Plus de question de compétiteurs à déjouer, mais le défi de soi-même face à la barre. Et d’ailleurs, depuis le début du concours, la connivence de ces sportifs d’exception est flagrante. Ils se parlent, s’encouragent, s’applaudissent.
Armand du Plantis vient de franchir 6 m à son premier essai. Personne n’a fait mieux. Il est donc déjà champion olympique sous les hourras d’une foule enthousiaste. Il pourrait s’arrêter là. Quelques mots avec son dauphin, un sympathique Américain qui l’encourage. Puis avec son coach. Il demande alors une barre à 6,10 m pour tenter de battre le record olympique. La foule exulte. Le voilà qui se repositionne sur la piste d’élan. Il sollicite le soutien du public qui lance un clap parfaitement cadencé sur sa course d’élan. La perche se cale parfaitement dans la butée, s’arrondit comme si elle allait se briser, puis se détend en le propulsant vers la barre qu’il franchit au premier essai sous un tonnerre d’applaudissement et de vivats enthousiastes.
Electrisée, la foule se lève et demande le record du monde.
Va-t-il y aller ?
Ses concurrents l’encouragent. Il consulte de nouveau son coach et demande 6,25 m pour une tentative de record du monde. L’ambiance devient indescriptible. En ébullition le stade l’encourage à tout va. C’est un véritable délire collectif déclenché par un seul objectif. Etablir un nouveau record. Pouvoir assister ensemble à l’exploit que personne n’a encore réussi. L’énergie générée par une telle ferveur est palpable. Soutenu par 80 000 personnes comme s’il s’agissait de leur propre tentative, Armand Du Plantis endosse maintenant la responsabilité d’un exploit collectif.
Dans un air vibrant comme je ne l’avais jamais ressenti, il se positionne de nouveau pour sa course d’élan. Inutile de demander davantage de soutien. C'est impossible tant l'ambiance est à son paroxysme. Le voilà donc qui s’élance de nouveau, tord la perche au maximum, s’élève, se retourne, passe les pieds au-dessus de la barre, l’enroule, mais la touche de peu en redescendant. Elle tombe derrière lui sous les hooooo de la foule qui l’applaudit et l’invective aussitôt à recommencer.
A-t-il d’autre choix ?
De nouveau il consulte son coach, prend son temps, s’étire dans une apparente décontraction, et se positionne encore une fois sur la piste d’élan. Le public retient son souffle. Il lui fait alors appel. Dans une clameur à ressusciter tous les héros de l'olympe, perche de 5,2 m fermement en mains, il lance sa course avec détermination. A 36 km/h il la plante avec courage dans la goulotte. La torsion extrême le propulse tel une fusée vers la lame posée à 6,25. Ses pieds puis ses jambes l’esquivent, puis fléchissent, tandis que ses bras tendus lâchent la perche redevenue parfaitement droite. Avec élégance, tout son corps enroule cette barre sans la toucher comme si sa vie en dépendait. Instant d’éternité où le temps semble s’arrêter. Le stade se lève alors dans une clameur d’une rare puissance, accompagnant la descente du champion depuis son Everest jusqu’au tapis de mousse où il exulte tel un zébulon sortant de sa boite.
6,25 m. Nouveau record du monde ! Nous venons d’assister – devrais-je dire participer ? – à ce qui n’avait jamais été fait auparavant.



mardi 6 août 2024

Verdun

Remontant des Vosges à bord de notre fabuleux Gemini, on s’est dit Verdun. Ville légendaire de la grande fresque historique nationale. Suivant les indications vers le mémorial, nous entrons dans la forêt. C’est la fin d’après-midi, le moment de s’arrêter. Un petit parking nous accueille devant un ancien blockhaus de la « grande guerre ». Il n’est pas tard, mais sous les arbres, le ciel chargé d’où s’échappe un léger crachin donne au paysage une couleur grise à contre-saison.
Tandis que Flo regarde les JO sur l’écran embarqué, je pars jogger sur la petite route forestière. Laissant derrière moi la pancarte « Fort de Vaux », je trottine vers le nord. Sur ma gauche la forêt s’éclaircit, laissant apparaître une vaste zone ouverte couverte de cratères de quelques mètres de diamètres, certains partiellement remplis d’eau. Puis une indication mentionnant « ancien village de Fleury ». Je réalise que le paysage est celui d’un bombardement vieux de plus d’un siècle ayant totalement anéanti la localité. Plus loin, un ancien magasin de stockage de munitions est indiqué, puis un point d’observation. Encore un peu plus loin un boyau où s’abritaient les combattants. Cette forêt paisible et verdoyante où je coure est donc la nature ayant repris ses droits sur l’enfer. J’essaie de l’imaginer : bruit incessant des bombardements – détonations, sifflements, explosions – projections de terre et de boue, cris des soldats, chair à canon envoyée ici au nom de nationalismes entretenus par des pouvoirs impérialistes ou populistes. Je ne sais pour quelle raison, mon rythme cardiaque accélère, tout comme ma foulée, comme pour échapper à une étrange oppression, de celle ressentie il a quelques années à l’occasion d’une visite du camp d’extermination d’Auschwitz…
Quelques kilomètres encore et je tourne à droite en direction de Douaumont. Saisissante perspective sur le cimetière devant l’ossuaire monumental. En pente douce, plus de 15 000 croix parfaitement alignées marquent les tombes de jeune hommes morts au combat. Au-dessus, l’ossuaire regroupant les restes exhumés du champ de bataille, 150 000 hommes, anonymes pour la plupart, de toutes origines et confessions. Au cœur de cette forêt verdoyante, recouvrant tel un linceul l’enfer de ces lieux, la dimension du mémorial me fait l’effet d’une décharge d’adrénaline contre les absurdités du monde, comme-ci celles rappelées ici étaient ailleurs tombées dans l’oubli.
Un peu plus de 5 km déjà parcourus dans un autre espace-temps. Je rebrousse chemin. Sur la route du retour, impossible d’échapper à la claque émotionnelle de ces lieux, et ne pas ressentir l’âme de tous les hommes massacrés ici. Et comme si tout cela n’avait pas suffi, 20 ans plus tard, juste une génération, nos aïeuls remettaient cela. Et comme si tout cela n'avait pas suffi, un peu plus d'un siècle plus tard Poutine lançait son agression contre l'Ukraine.



samedi 6 juillet 2024

Aux antipodes

Surabaya, Indonésie. 

Arrivant sur notre salon professionnel, un convoi de voitures noires précédées de motos flashant comme dans une fête foraine s’engouffre sur l’allée principale devant le hall d’entrée. Tous les visiteurs sont immédiatement bloqués par des agents de sécurité prévenants, demandant avec courtoisie de ne pas traverser la rue et d’attendre. Ce que fait calmement la foule sans une protestation.
Déjà plus d’un quart d’heure que nous attendons. Rien ne se passe. A peine entrée dans le hall d’exposition, le vice-Président du 4ème pays le plus peuplé du monde, presque 300 millions d'habitants, entouré d’une cour de militaire décorés comme des sapins de Noël, en ressort et vient s’installer au Starbucks du coin de l’avenue sous une nuée de journalistes. Les visiteurs toujours bloqués de l’autre côté gardent leur calme en observant la scène quelque peu surréaliste.
-    Vous êtes Français ? me demande en anglais une jeune femme blonde, dans un ensemble veste pantalon coordonné au vert de ses yeux et chaussée de Stan Smith.
-    Comment le savez-vous ?
-    Vous avez l’air tellement Français, et c’est indiqué sur votre badge.
-    Evidemment… Et vous ?
-    Australienne.
-    Vous êtes là pour affaire je suppose.
-    Tout comme vous j’imagine. Nous sommes dans les technologies de traitement de l’eau, et vous ?
-    La génétique des crevettes.
-    Ah oui, Blue Genetics. Vous êtes sponsor de l’évènement.
-    En effet…
-    Je peux vous poser une question ?
-    Je vous en prie…
-    Que se passe-t-il chez vous en France ?
-    A quel point de vue ?
-    Politique évidemment…
-    Cela vous intéresse ?
-    On en parle chez nous et sur les réseaux sociaux. Votre pays merveilleux (je site exactement ses propos), celui des libertés et des droits de l’Homme, qui semblait pouvoir échapper aux pires populistes…
-    Que voulez-vous savoir ?
-    Ce qui se passe…
-    Là il nous faudrait plus que deux minutes. Mais disons que les gens ont oublié leur chance de vivre en France et que le pouvoir a fait quelques maladresses.
-    Mais qui n’en fait pas ?
-    Vous avez raison. Une distance s’est creusée entre nos gouvernants et les gens qui semblent les rejeter.
-    Les rejeter pour quoi ?
-    Pour ce qu’ils n’ont pas encore essayé, mais dont ils ne semblent pas avoir conscience. Cela me rend malade… Beaucoup de régimes fascistes sont arrivés aux commandes démocratiquement pour ensuite, insidieusement, renier sur les libertés individuelles et installer des pouvoirs autocratiques. Et il est alors trop tard.
-    C’est vrai que la période est particulière. Vous avez vu ce qui se passe aussi aux Etats-Unis. Effrayant ! (C’est toujours elle qui parle). Il faut que Biden sorte du jeu au profit d’une femme.
-    Vous pensez à Kamala Harris ?
-    Non, à Michèle Obama !
-    Je ne l’avais pas imaginé. Mais vous avez raison, elle balayerait probablement Trump et la politique étrangère, notamment, en serait grandement changée…
De l’autre côté de l’avenue ça semble bouger un peu. Le vice-Président s’est levé et finit par repartir, empruntant ostensiblement le tapis rouge déroulé jusqu’à sa voiture. Le convoi repart.
-    J’ai été ravie de bavarder avec vous.
-    Moi aussi. Bonne journée !

Nous pouvons rejoindre le hall. La vie reprend son cours comme si de rien était.
Marchant vers notre Stand parfaitement placé, je me demande pourquoi, presque partout dans le monde, les hauts représentants de l’état semblent tellement sur une autre planète dans leurs déplacements sur le terrain. Certes, il y a des contraintes logistiques et de sécurité. Mais tout de même. Cette distance…

 

lundi 1 juillet 2024

Le virage 4

Au bas de la montée, l’Alpine retenue par une petite cale placée derrière la roue arrière gauche au bout d’un manche à balais tenu par un commissaire de piste, je regarde les doigts du starter égrenant les 5 dernières secondes. Régime calé à 3000 tours, la voiture ne demande qu’à bondir. 

Trois, deux, un, c’est parti ! Première jusqu’ en zone rouge, deuxième puis troisième à fond dans le léger droite. En ligne de mire les bottes de paille annonçant le premier virage serré du même côté. Sur les freins je repasse en deux pour ré-accélérer à fond en appui, roue avant droite sur la corde. La courbe n’en finit pas pour enfin se desserrer sur une brève ligne droite. Troisième à fond. Levé de pied sur le même rapport pour attaquer le gauche à 90° plein gaz et bondir sur le prochain virage à droite en léger devers. Délicat. La voiture survire légèrement et le talus n’est pas loin… Replacer toute de suite l’auto à droite de la chaussée pour attaquer correctement le virage quatre, à gauche. Léger coup de frein et de volant pour la mise en appui, tout en rétrogradant rageusement avant d’écraser l’accélérateur en visant le point de corde puis la sortie à l’extérieur de la courbe. A cet instant plus rien n’a d’importance que la trajectoire, ligne imaginaire qui aimante le regard et que l’on voudrait idéale. Pur bonheur quand, dans un crissement de pneus jouissif, la voiture amorce la glisse « parfaite », celle que l’on voudrait prolonger comme un pas de danse à la fois léger et viril, sensation unique de maîtrise de la machine tellement valorisante pour le pilote. Et déjà le virage cinq à angle droit, d’où l’on sort au raz des arbres en troisième, avant de plonger dans la dernière courbe à gauche, là où il faut un gros cœur pour ne pas lever le pied au risque de sortir violemment, et filer jusqu’à l’arriver.

Une minute et dix-neuf secondes d’adrénaline !

 

dimanche 26 mai 2024

A chacun sa façon d'atterrir

 
Nous arrivons au terme de cette aventure. Elle fut intense physiquement et émotionnellement, nécessitant un sas de décompression avant de reprendre le cours normal de nos vies ; si tant est que ce voyage n’en faisait pas partie…

Sans réelle contrainte de temps pour Didier, cela passe par le chemin des écoliers. Atterrir en douceur en prolongeant la déambulation, doucement, au gré de ses envies.
Pour moi c’est de maintenant rentrer « vite » à la maison retrouver les miens, me reposer un peu, soigner la moto, avant de reprendre avec envie le boulot tout début de semaine prochaine.
Et pour nous deux, probablement ce besoin non exprimé de se retrouver seuls quelques jours pour digérer tout cela...

Nous comprenant mieux que bien, sans tension ni malentendu, nous nous séparons donc pour ces derniers jours sur le chemin du retour à la maison.

L’un sans l’autre cette épopée n’aurait pas été possible. De l’échouage de Chinguetti à l’enfer de Rosso, notre tandem a permis d’en sortir par le haut, sachant compter sur l’autre autant que nécessaire dans les moments les plus difficiles. Et le partage, parfaitement en phase, de toutes ces émotions, ces découvertes inattendues, ces rencontres inédites.

Une autre dimension de l’aventure a aussi été le partage avec vous, chers fidèles lecteurs et lectrices de mes chroniques qui j’espère ne vous ont pas lassé.
Dans les prochaines semaines, Didier publiera également des petits films de nos pérégrinations. Sûr que vous ne les manquerez pas.

Cette histoire se termine donc bien. Déjà nous pensons à la suivante.

PS : et merci beaucoup à mon équipe de direction du peu de dérangements durant cette escapade.


samedi 25 mai 2024

Le rucher extraordinaire d'Inzerki

Les allégories de l’Atlas dépeignent souvent un monde merveilleux où se mêlent paysages extraordinaires, couleurs à nulle autre pareilles, culture Berbère originale, animaux fabuleux – comme les fameux lions de l’Atlas, plus gros et plus féroces qu’ailleurs, disparus dans les années 50 – et pratiques séculaires singulières. C’est d’ailleurs l’une d’entre elle que nous allons découvrir aujourd’hui, et je dois le reconnaître avec un peu d’excitation.

Quittant la route secondaire d'Agadir à Marrakech, nous nous engageons sur une piste de latérite vers le village d’Inzerki niché dans les premiers contreforts de l’ouest de l’Atlas. D’abord assez large, la piste se resserre rapidement en longeant un petit oued verdoyant avant de le traverser. Puis, montant dans la montagne, elle se transforme en un sentier muletier rocailleux suivant les ondulations du relief. Au détour d’un virage serré, un serpent de plus d’un mètre file devant ma roue, avant de disparaître dans un fourré asséché. Nous continuons notre progression jusqu’à une petite plateforme où nous stoppons les machines pour mieux scruter l’environnement. Pas d’erreur possible, à moins d’un kilomètre, de l’autre côté d’une étroite vallée, parfaitement intégré dans l’environnement de terre ocre, une construction inédite dans les mêmes teintes à flanc de colline. Difficile de se faire une idée d’échelle à cette distance. Mais la construction est imposante. Nous en approchons en traversant la vallée par l’étroit chemin pour nous arrêter dans un cul de sac la surplombant. Un escalier de pierres abrupt descend dans la pente vers une maison de pisé effondrée. Comme sorti de nulle part, un homme sympathique nous aborde dans un français parfait :
-    Vous cherchez le rucher ?
-    Oui, tout à fait.
-    Venez, je vous y conduis. C’est un peu plus bas. Je suis apiculteur. Je travaille ici.
-    Et ça marche bien pour vous ?
-    L’année est très difficile à cause de la sécheresse. De 42 essaims, je n’en ai plus qu’une dizaine. C’est dur. Je vais vous faire voir.

Nous descendons entre des terrasses pour nous retrouver face à des cases de peut-être 1,2 m de long sur 1,8 m de hauteurs, séparée en 4 compartiments, 3 petits et un grand, construites en bois et terre crue.
-    Vous savez, il y a plus de 1000 cases, et la construction initiale date du16ème siècles.
Et il ajoute non sans fierté sous sa casquette et derrière ses petites lunettes :
-    C’est ici le plus ancien rucher collectif du monde. Il est classé au patrimoine mondial. Il n’y a pas si longtemps, plus de 40 familles d’apiculteurs travaillaient ensemble sur ce site remarquable.
Remarquable, il est bien plus que cela…


-    Et comment ça marche ?
-    Les colonies d’abeilles, 25 à 30 000 vivent dans des ruches en forme de tubes de 30 cm de diamètre et 1 mètre de long que nous disposons dans les cases. Deux par case. Une fois les ruches cylindriques pleines, les abeilles construisent alors des rayons supplémentaires dans les cases. C’est le miel que nous récoltons.
-    Et pourquoi cet endroit ?
-    Parce qu’il est parfaitement orienté, plein sud, entouré d’arbres à fleurs dans un climat normalement favorable. C’est pour cela que les familles amenaient ici leurs essaims pour la saison. Pour les faire produire davantage. Mais depuis quelques années, ça diminue beaucoup, à cause de la sécheresse. Et il faut bien dire que les moyens de production modernes sont bien plus efficaces.
-    Surement, mais votre miel est unique et rare.
-    C’est vrai, et c’est pour cela que vous ne trouverez jamais en magasin. Uniquement auprès de la dizaine de producteurs survivant encore avec cette pratique ancestrale.

Accompagnés d'Issam nous poursuivons notre déambulation avec précaution afin de ne rien abimer de ce patrimoine si fragile. Marcher uniquement sur les chemins étroits pour ne pas affaisser les toitures. Toucher ces charpentes polies par les années comme une caresse pour en ressentir les vibrations.
Mais il faut bien l’admettre, si rien n’est fait, le rucher extraordinaire d’Inzerki ne sera rapidement plus qu’un souvenir.