mardi 6 août 2024

Verdun

Remontant des Vosges à bord de notre fabuleux Gemini, on s’est dit Verdun. Ville légendaire de la grande fresque historique nationale. Suivant les indications vers le mémorial, nous entrons dans la forêt. C’est la fin d’après-midi, le moment de s’arrêter. Un petit parking nous accueille devant un ancien blockhaus de la « grande guerre ». Il n’est pas tard, mais sous les arbres, le ciel chargé d’où s’échappe un léger crachin donne au paysage une couleur grise à contre-saison.
Tandis que Flo regarde les JO sur l’écran embarqué, je pars jogger sur la petite route forestière. Laissant derrière moi la pancarte « Fort de Vaux », je trottine vers le nord. Sur ma gauche la forêt s’éclaircit, laissant apparaître une vaste zone ouverte couverte de cratères de quelques mètres de diamètres, certains partiellement remplis d’eau. Puis une indication mentionnant « ancien village de Fleury ». Je réalise que le paysage est celui d’un bombardement vieux de plus d’un siècle ayant totalement anéanti la localité. Plus loin, un ancien magasin de stockage de munitions est indiqué, puis un point d’observation. Encore un peu plus loin un boyau où s’abritaient les combattants. Cette forêt paisible et verdoyante où je coure est donc la nature ayant repris ses droits sur l’enfer. J’essaie de l’imaginer : bruit incessant des bombardements – détonations, sifflements, explosions – projections de terre et de boue, cris des soldats, chair à canon envoyée ici au nom de nationalismes entretenus par des pouvoirs impérialistes ou populistes. Je ne sais pour quelle raison, mon rythme cardiaque accélère, tout comme ma foulée, comme pour échapper à une étrange oppression, de celle ressentie il a quelques années à l’occasion d’une visite du camp d’extermination d’Auschwitz…
Quelques kilomètres encore et je tourne à droite en direction de Douaumont. Saisissante perspective sur le cimetière devant l’ossuaire monumental. En pente douce, plus de 15 000 croix parfaitement alignées marquent les tombes de jeune hommes morts au combat. Au-dessus, l’ossuaire regroupant les restes exhumés du champ de bataille, 150 000 hommes, anonymes pour la plupart, de toutes origines et confessions. Au cœur de cette forêt verdoyante, recouvrant tel un linceul l’enfer de ces lieux, la dimension du mémorial me fait l’effet d’une décharge d’adrénaline contre les absurdités du monde, comme-ci celles rappelées ici étaient ailleurs tombées dans l’oubli.
Un peu plus de 5 km déjà parcourus dans un autre espace-temps. Je rebrousse chemin. Sur la route du retour, impossible d’échapper à la claque émotionnelle de ces lieux, et ne pas ressentir l’âme de tous les hommes massacrés ici. Et comme si tout cela n’avait pas suffi, 20 ans plus tard, juste une génération, nos aïeuls remettaient cela. Et comme si tout cela n'avait pas suffi, un peu plus d'un siècle plus tard Poutine lançait son agression contre l'Ukraine.



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