jeudi 17 novembre 2016

Et s'il n'en restait qu'une ?



Hanovre est de ces villes du Nord de l’Allemande laborieuse et un peu triste. Tout y est bien rangé, mais sans goût. C’est efficace, massif, carré, Germanique.
Ce qui frappe aussi en arrivant ici ce sont les nombreux immigrés dans les transports publics. L’Allemagne vie une véritable mutation sous le leadership d’Angela Merkel qui, portée par un élan sincère de générosité coïncidant avec les intérêts d’un pays à la démographie atone, a décidé d’accueillir des centaines de  milliers de réfugiés du Moyen Orient, frigorifiés sous leurs bonnets trop grands et leurs écharpes râpées pour leur premier hivers en Europe. Et ils sont là, déracinés mais en sécurité, ceux-là mêmes qui vont assurer un relai de croissance à l’économie la plus puissante d’Europe et amener peut-être la fantaisie qui manque à ce pays. Tandis que chez nous on ergote sur l’accueil de quelques milliers de personnes, inhibées par les propos démagogiques de certains leaders d’opinions relayés à bon compte par une frange montante de la population. Ou comment se développe le ferment du populisme, cette ambiance détestable de défiance permanente du « système » et qui conduit aux extrémismes les plus irrationnels. Et il faut bien reconnaître que nos politiques, même s’ils ne sont heureusement pas tous à mettre dans le même sac, ne nous aident pas beaucoup pour en limiter les effets.

Accoudé sur un mange-debout, je partage un café avec collègue Allemand. Nous sommes sur un important salon professionnel dans le plus grand centre d’exposition au monde, celui-là même qui avait accueilli le flop de l’Exposition Universelle 2000. La rigueur ne suffit pas et il eut sans doute fallu y ajouter une touche « latine » pour que l’évènement puisse briller d’avantage. Heureusement que nos voisins ne sont pas les meilleurs partout.
Et le sujet du moment est évidemment l’improbable élection de Trump aux USA après le choc du Brexit en Grande Bretagne, la montée des extrémismes en Europe Centrale, sans oublier évidemment la guerre au Moyen-Orient remuant bien des fantasmes sur le choc de civilisations et qui semble ne jamais devoir s’arrêter. Propos de comptoir sur l’état du monde et une certaine déliquescence de nos démocraties en se demandant le pourquoi du comment. Et se dire que nos grands-parents et parents ont sacrément « fait le job » pour construire cette Europe de paix et stabilité dont nous avons bénéficié et que beaucoup ont maintenant tendance à oublier. Et se demander aussi comment nous en sommes-nous arrivés là ? Cette espèce de montée insidieuse des périls qui menace la stabilité du monde.
Jurgen et moi nous rappelions ce que nos grands-parents nous racontaient des horreurs de la guerre en Europe : l’exode, les bombardements, la captivité, le massacre des minorités, la faim, le manque de tout. Cela fait partie de notre histoire commune, celle que collectivement nous ne voulons plus jamais revivre et qui a permis de construire cette belle amitié entre ennemis héréditaires. Puis les trente glorieuses jusqu’au premier choc pétrolier de 1973. Et depuis, la crise économique « permanente »  – on n’a toujours pas vue « le bout du tunnel » pourtant annoncé en 1975 par Chirac alors 1er ministre – crise heureusement adoucie par les amortisseurs sociaux imaginés par nos gouvernants de l’époque mais qu’il va bien falloir aussi un jour moderniser. Car le monde change.
Alors ici comme ailleurs on cherche des bouc-émissaires : l’Europe, nos gouvernants coupés des réalités et parfois corrompus, l’immigration, les  différences de cultures et de religion. 

Sur ce, un client Américain se mêle à notre conversation.
Encore sous le choc de l’élection de Trump nous le taquinons sur la « décadence de l’empire Américain ». Mais il n’est pas en reste :
-       Trump ne va durer au maximum que 4 ans. Il sera encadré et j’espère bien qu’on l’oubliera vite. Cela dit les gens n’ont pas tant voté pour lui que contre Hillary qui représente selon eux la déliquescence de notre système démocratique…
Puis d’ajouter fort à-propos :
-       Mais n’avez-vous pas très prochainement aussi vos élections présidentielles en France ? Et qui voyez-vous revenir ? Vos vieilles gloires devenues politiciens professionnels et qui s’accrochent bien souvent à leurs intérêts… Et cela fait le jeu de Marine Le Pen… Vous pourriez aussi être surpris du vote des français.
-       Pas faux. Mais on ne va pas laisser faire ça. Le risque principal est probablement que que nous n’ayons pas d’autre choix que de voter contre elle au second tour des présidentielles.
-       Tu vois, toi aussi tu entres dans une logique du contre ; contre celle qui a d’ailleurs été l’une des premières à féliciter Trump !
-       Nous n’en sommes par fiers…
-       Et ce jeune gars qui a été ministre pendant un court moment et qui parle très bien l’Anglais ?
-       Tu veux parler d’Emmanuel Macron je suppose. Il démarre sa campagne et pourrait créer une surprise, selon moi la bonne surprise, en bougeant les lignes. Mais je crains que les français parfois bien trop conservateurs n’osent pas faire confiance à un si jeune homme. Mais attendons d’en savoir plus. La course est encore longue.

Toujours accoudés à la table, sourire au coin de l’œil, rejoignant pouces et index de ses deux mains en forme de cœur au niveau de son nombril, Jurgen ne peut s’empêcher de prendre la pause si chère à la chancelière en ajoutant non sans un pointe de fierté :
-       Nous on a en Angela. Et très honnêtement on ne peut que reconnaître le travail accompli. Retrouver un leader de sa trempe ne sera pas facile. Elle est à la tête du pays depuis 11 ans et pourrait bien encore créer la surprise.

Sûr qu’on n’a pas assez d’Angela !


jeudi 3 novembre 2016

"Les dames sévères"



Pour un Européen de l’Ouest, d’avantage encore pour un latin, en Russie le contact avec les vendeuses dans les magasins est assez déconcertant. On s’attend à se faire accueillir comme aux Nouvelles Galeries, avec un minimum d’égard, un sourire peut-être, mais rien de tout cela. Au contraire s’installe une froide distance avec le client, comme s’il gênait. Et plus on fait l’effort du contact « commercial », plus la distance se crée. Etrange situation dont j’ai découvert, grâce à notre guide Héléna (voir chronique précédente), quelques fossiles d’une époque révolue dont les derniers spécimens sévissent encore. Il s’agit des « dames sévères », espèces en cours d’extinction ayant prospéré pendant la période soviétique où le milieu était particulièrement favorable.
Resituons le contexte de l’époque : nous sommes en URSS où la population subit de fortes restrictions sur un grand nombre de produits de première nécessité. Pour se les procurer, les consommateurs devaient faire la queue pendant des heures devant les magasins. Les gens de ma génération ont tous vus ces images des années 70-80. Ils avaient alors le temps de désirer vraiment, avant de les acheter (peut-être), les produits recherchés en espérant qu’il y en reste.
Et au bout de la queue, il y avait le plus souvent une dame qui octroyait paires de chaussures 37 tant attendues ou boites de fruits au sirop. En réalité ces "dames sévères" n’étaient pas là pour vendre comme nous l’entendons dans une économie de marché où l’offre pléthorique oblige à toutes les astuces commerciales. Elles représentaient juste le dernier maillon du système d’économie planifiée, celles qui attribuaient, telles des gardes chiourmes, les denrées disponibles au peuple de prolétaires, rôle qu’elles assumaient sans joie comme des dames pipi.

Déjà presqu'un quart de siècle que le système communiste s’est effondré. Les temps changent, mais le croisement de générations produit encore de tenaces stéréotypes.



mardi 1 novembre 2016

Pierre, Catherine, Elizabeth, Paul, Alexandre et les autres...



Saint Pétersbourg est de ces villes magiques où le patrimoine accumulé au long de l’histoire des Hommes en a fait une sorte de musée à ciel ouvert. A juste titre les gens qui vivent ici sont fiers de leur cité, de son architecture aux perspectives valorisantes, de ses palais impériaux, ses églises, ses ponts et canaux, ses galeries et autres théâtres… Toutes ces merveilles vers lesquelles vous conduisent tous les bons guides de voyages et que vous ne devez manquer évidemment sous aucun prétexte.
Les nôtres s’appellent Héléna et « Guide du routard » qui nous accompagnent pour cette jolie parenthèse familiale avec parents et fratrie, moments précieux à l’initiative de nos parents.
Cliché un peu facile, mais comment ne pas faire le rapprochement entre la « Nathalie » de Bécaud et notre Héléna, toute jeune et jolie femme blonde de 23 ans d’une étonnante maturité doublée d’une impressionnante culture historique. Et cet accent roulant charmant quand elle nous parle de « sa ville et ses merveilles ». Impossible alors de ne pas tomber sous le charme. Mais que les choses soient bien claire, Héléna a déjà épousé Sacha. Pour preuve la jolie photo de mariage sur son fond d’écran de smartphone.


L’immanquable de Saint Pétersbourg est évidemment le palais de l’Ermitage, parmi tant d’autres érigés au long de la saga impériale Russe où se sont succédés Tsars et Tsarines – Pierre Le Grand, La Grande Catherine, Elizabeth, Paul, Alexandre – épopée des Romanov avec leurs intrigues, complots, assassinats, jusqu’à la révolution Russe de 1917 et l’arrivée des Bolchéviques, puis la naissance l’Union Soviétique, la pérestroïka, l’effondrement du bloc de l’Est et le règne de l’omniprésent Poutine.

En parcourant ce palais-musée et ces magnificences, en écoutant cette histoire chaotique faite de soubresauts extraordinaires, impossibles de ne pas faire le parallèle entre le dévoiement du pouvoir perdant le sens des réalités, mégalomanes vivant dans un luxe extraordinaire sur le dos du peuple, en dehors de toute autre réalité que celle de ce monde « merveilleux » auquel s’accroche un petit cercle de courtisans et, quand la pression devient insupportable, les inévitables révolutions. Le pouvoir change alors de camp, jusqu’à ce qu’une nouvelle nomenclatura ne s’installe, puis à son tour, établisse un système déviant… J’admets volontiers la trop grande simplicité de mon propos, mais reconnaissons qu’au regard de la longue histoire de nos peuples il est tout de même difficile à contredire. Et si toute ressemblance avec l’actualité du moment ne serait que fortuite, nous en reparlerons peut-être au siècle prochain.
Le plus étonnant dans cette histoire, notre Histoire, n’est-il pas que rétrospectivement nous en retenons bien souvent le meilleur, même les fins heureuses des pires moments, comme une grande saga d’où émerge des héros qui en ont marqué le cour, fusse au prix d’abus – sous couvert de religion on parle alors opportunément de "sacrifices" – bien souvent inacceptables ? On en garde alors des souvenirs souvent idéalisés d’hommes et de femmes providentiels, de constructions remarquables, et au milieu de tout cela, comme une preuve irréfutable du génie humain, d’œuvres d’art pour "l'éternité". Alors qu’elles furent bien souvent financées sur le trésor public, et pour le seul plaisir et usage de leurs « généreux » mécènes. Mais ça l’histoire ne le dit pas.
Et de toute façon, ça n’a peut-être pas tant d’importance face à l’immortalité des chefs œuvres au regard de l’éphémère existence de leurs sponsors.
Ne boudons donc pas notre plaisir face à la beauté.