mardi 19 avril 2022

Liberté chérie !

A écouter certains commentaires, il serait de bon ton de considérer maintenant le Rassemblement National, ex-Front National, comme un parti politique « comme les autres ». Sous le leadership de Marine Le Pen, le mouvement se serait adouci, acquérant une certaine honorabilité dans un paysage politique contesté par une opinion publique désabusée par l’effondrement des partis dit traditionnels.

Imaginer qu’au premier tour des présidentielles 2022, le parti de Jaurès pointerait à moins de 2%, et les descendants du Gaullisme à moins de 5% était inconcevable. Pourtant les français l’ont fait, plaçant Le Pen en 2ème position, Mélanchon juste derrière, puis en 4ème position, Zemmour, ce polémiste aux accents de dictateur primaire dont les thèses et l’intolérance font froid dans le dos. 

Face à lui « Marine » ferait presque office de gentille fille. (Dans mon esprit la traduction féminine de « chic type ».)

N’ayons pas la mémoire courte.

Affirmer que « la France n’est pas responsable de la rafle du Vél d’Hiv,

que la grève est un système archaïque,

que la peine de mort doit exister dans notre arsenal juridique,

qu’il faut arrêter de rembourser l’avortement,

que les syndicats sont les complices des délocalisations et de l’augmentation massive du chômage,

que la parité homme - femme est contraire à la méritocratie républicaine,

que l’antisémitisme est dû à l’implantation de l’islamisme dans notre pays,

que la France est une université de djihadistes,

que les casseurs sont évidemment des délinquants d’origine immigrée », est juste immoral.  

Faire l’éloge de Trump et Poutine, et vouloir sortir de l’Union Européenne est complètement irresponsable.

Faut-il donc se résoudre à ce second tour entre notre Président sortant et Marine Le Pen ? Ou plus exactement, faudrait-il considérer cette situation comme normale ? 

Sans aucunement contester le résultat des urnes, je ne parviens pas à m’y faire.

Ne toucherions-nous pas ici un grand paradoxe du système démocratique ?

Des gens épris de liberté qui soutiennent une candidate portant les valeurs exactement opposées à ce quoi ils aspirent...

Tout cela parce que dans notre société évidemment imparfaite, cherchant des bouc-émissaires, on en rejette la responsabilité sur celles et ceux qui dirigent le pays de cocagne dans lequel nous avons la chance inouïe de vivre. Et qu’il n’y aurait donc rien à perdre à essayer...

Mais bon sang que si. Il y a beaucoup à perdre !   

Nous avons jusqu’ici été collectivement intelligents, acceptant des compromis certes imparfaits, mais dans l’intérêt général qui a permis de faire de notre pays l’un des endroits où il fait le mieux vivre dans le monde, particulièrement bien protégés par l’état providence qui joue tout son rôle dans la période troublée que nous traversons. Rejeter « le système » au profit de populistes aux théories fumeuses faites d’intolérance et de replis sur soi n’est rien moins qu’un suicide, et je ne peux m’y résoudre. 

J’en vois qui sourit en lisant ces quelques lignes, pensant que patron d’une assez grande entreprise je ne pourrais que soutenir Emmanuel Macron. Dans le cas précis évidemment oui. Et je pense en effet que nous avons un bon Président. Mais, en esprit libre j’aurais vraiment aimé avoir le choix. Et force est de constater que pour la 3ème fois, après Le Pen – Chirac, puis Le Pen – Macron, je ne l’ai pas, et, comme beaucoup, en suis très frustré.

Et si ça avait été Mélanchon au lieu de Le Pen ?

Cette rubrique anecdotique n’aurait pas vu le jour. Car même si je ne lui aurais pas donné ma voix, il ne me semble pas du tout porter les mêmes valeurs, en tout cas ses électeurs. Nous retrouvons là une partie de la gauche traditionnelle désabusée par la déliquescence du Parti Socialiste, des gens épris de justice sociale, et une frange de protestataires antisystème. Rien à voir avec le fascisme à peine édulcoré du mouvement de Madame Le Pen.