dimanche 21 novembre 2010

Parti vers l'Est, revenu par l'Ouest

Détroit – Paris : dernier « run » pour rentrer à la maison, impatient de retrouver les miens après un tour complet de la planète en 12 jours, 3h et 27 minutes, ponctués de nombreux rendez-vous de travail avec tant de gens différents que j’en ai un peu le vertige. Incroyable compression de l’espace-temps, parfaite illustration du concept de village mondial.
Je rentre avec le sentiment du devoir accompli, vidé, mais comme toujours heureux et ému à l’idée de retrouver les êtres chers.
Chemin faisant, en terminant un tel voyage je me repose la sempiternelle question : où fait-il bon vivre ? A peu près convaincu que la plupart des gens doivent répondre la même chose : « chez moi » ; démonstration s’il en était besoin que le bonheur à plus à voir avec le cœur qu’avec les conditions matérielles. Evidemment lorsque l’on peut concilier les deux…

Assis dans l’avion en place 21D, mon voisin ronfle bruyamment. Malgré le léger sédatif pris pour dormir lors de mes vols intercontinentaux je n’arrive pas à m'assoupir ; sans doute l’accumulation des décalages horaires et l’excitation du retour provoquant un désordre hormonal que l’organisme ne parvient pas réguler. L’esprit divague, réflexions décousues, improbables associations d’images défilant dans une semi-torpeur. Le temps passe lentement, trop lentement, bercé par le ronron des moteurs de l’A330, sans doute le plus bel avion de transport actuel, long courrier bimoteur fin et élégant. De temps en temps une hôtesse passe proposer un verre d’eau, histoire de ne pas trop se déshydrater dans l’air sec de la cabine climatisée.
Je jette un œil par le petit hublot de la porte. A son pourtour quelques cristaux de glace se sont formés, comme une fine dentelle autour d’un miroir. Nous sommes au milieu de l’Atlantique. A l’Est le ciel commence à rosir.

- Mesdames, Messieurs, votre commandant. J’espère que votre vol a été agréable. Nous commençons notre descente vers Paris Charles de Gaulles où le temps est gris, la visibilité de 400 mètres et la température de 6° Celsius. Pour votre information nous ferons un atterrissage automatique.

A l’évidence un pilote passionné ce commandant. Toujours agréable de sentir l’intérêt du professionnel pour ce beau métier.
Malgré le brouillard l’avion pause les roues sur le tarmac dans un parfait « kiss landing ». Incroyable technologie.
Juste une heure pour attraper la connexion de Nantes et boucler ma grande boucle. Plus que suffisant.

jeudi 18 novembre 2010

Monsieur le Président,

Français arrivant d’Asie, je suis depuis quelques jours au cœur de ce grand et beau pays dont vous avez la charge.

Très honnêtement on ne peut pas dire que l’accueil initial sur le territoire des Etats-Unis d’Amérique soit particulièrement chaleureux : attente interminable aux douanes et agents jouant les gros bras. Sans vouloir vous offenser, cela ressemble un peu à ce que l’on nous jouait lorsqu’il s’agissait d’entrer en URSS avant la pérestroïka. Mais il vrai que depuis l’attentat du 11 septembre 2001, le rapport au monde de l’Amérique à changé, et il faut bien admettre que vous n’y êtes pour rien.
La barrière une fois franchie l’immersion est un immédiate : décors impeccables, souvent impressionnants, parfois un peu kitsch. Enseignes lumineuses au dessus des bars diffusant de l’excellente musique rock où vos compatriotes mangent à toute heure de la junk-food avec les doigts en buvant bières et soft drinks. Evidemment les dégâts sur la santé ne vous ont pas échappé, et je crois même que votre épouse a crée pour l’exemple un petit jardin bio dans le parc de la Maison Blanche. Rigolo mais à mon avis pas très efficace.
En revanche, ce qui est très sympa en arrivant en Amérique, c’est qu’aussitôt repéré par les vos compatriotes (allez savoir comment), ils n’hésitent pas à vous aborder très naturellement, histoire de savoir d’où venez, ce que vous venez faire et s’ils peuvent vous donner un coup de main. Bien que j’avoue n’avoir pas essayé, j’imagine même qu’ils seraient fiers de vous filer 10$ si on leur demandait, flattés d’une telle reconnaissance par le modeste étranger venu goûter la réussite de leur American Dream.
C’est vrai qu’ils sont tellement fiers de leur drapeau qu’il en y a partout. Même si ça fait parti du décor, à force ça fini par lasser.
Unie derrière le drapeau votre nation est extraordinairement solidaire des p’tits soldats acteurs de la « pax americana ». Pas toujours facile à comprendre pour le visiteur non averti.
Comme vous savez, vous avez un grave problème de santé public. L’obésité oppressante où le slim devient presque l’exception prend des proportions catastrophiques. Je n’imagine pas que cela ne puisse avoir de conséquences non seulement sur les coûts de la santé, mais aussi sur le dynamisme de votre grand pays. Mais ce que je vous dis…
En revanche, en pleine crise économique vos compatriotes arborent un comportement exemplaire. Si à l’évidence ce n’est pas simple pour tout le monde tous les jours, autant que je puisse en juger les gens ici ne se plaignent pas, n’hésitent pas à se remettre en cause, font preuve de souplesse et de mobilité ; certainement l’un des génies de l’Amérique qui nous donne un bel exemple.
Tellement confiants dans leur capacité à améliorer leur situation économique, leur consommation frénétique basée sur les systèmes de crédit revolving n’est-il pas un peu dangereux ? Pas sûr que la dépression actuelle après la crise des subprimes servent de leçon. Mais finalement où est la raison dans cette affaire ?
Et même si le roi dollar est un peu battu en brèche, le billet vert reste ici LA valeur étalon, référence absolue de la réussite sociale.
Heureusement Dieu est là pour donner bonne conscience à tout le monde. D’ailleurs n’avez-vous pas vous-même prêté serment sur la Bible ? Curieux tout de même pour un grand pays à vocation laïque.
Mais reconnaissons honnêtement que malgré ses excès, votre démocratie fait l’admiration de beaucoup pays englués dans des systèmes vieillissants où le renouvellement politique n’existe pas…
Votre élection a d’ailleurs inspiré beaucoup de citoyens non américain dont je fais parti, et votre popularité internationale redore partout l’image des Etats-Unis qui en avait tellement besoin.

Votre temps étant précieux je ne voudrais pas abuser. Si je peux me permettre un dernier mot : soyez prudent. Autant votre popularité est grande en dehors de vos frontières, autant il existe aux Etats-Unis une frange significative de la population conservatrice activiste n’ayant pas encore digérée votre élection qui utilise tous les prétextes pour vous faire porter le chapeau de la crise actuelle, prête à tout pour vous écarter du pouvoir…

Recevez Monsieur le Président mes plus respectueuses salutations.

mardi 16 novembre 2010

Autour de la terre

10 000 m d’altitude quelque part au dessus de l’archipel du Japon.
Distraitement je jette un œil sur le moniteur de suivi du vol : vitesse sol 1185 km/h ! Je crois bien n’avoir jamais volé aussi vite. Poussés par un puissant jet-stream nous filons vers Chicago dans un triple 7 d’American Airlines.
Comme toujours pas très glamour les compagnies Américaines. A part le commandant de bord très sympa, l’équipage commercial est « délabré » : hôtesses difformes en tenues négligées, pas un sourire aux passagers, procédures de sécurités expédiées de manière approximative, service brutal… Zéro absolu pointé.

L’avion est plein. Moitié d’Américains, moitié de Chinois. Choc des cultures et des civilisations : fat boy contre M. Lee.
Le contraste d’attitude est saisissant : d’un coté de corpulents occidentaux sûrs d’eux rentrant à la maison, de l’autre des « petits Chinois » modestes et curieux, presque complexés, mais partant à la découverte d’un monde qui les fascine. Coca Cola contre thé vert.

Long vol au dessus du Pacific, immense océan bleu profond à l’horizon duquel, à travers le hublot je distingue clairement la courbure de la terre. Un jour il faudra j’aille voir plus voir haut, là où le ciel est noir et piqueté d’étoiles, histoire d’embrasser la planète d’un seul coup d’œil…
Parti de Shanghai à 18h pour arriver à Chicago le même jour à la même heure, 14 heures de vol d’un continent à l’autre, portant notre projet d’entreprise autour du globe je poursuis ma course contre temps.

A détruire !

Nous roulons vers nos installations de Pixian, dans la grande banlieue de Chengdu, à bord d’une magnifique Mercedes 350 ML flambant neuve directement importée des Etats-Unis – compteur de vitesse en miles, température en degrés Fahrenheit – prêtée par notre constructeur de bâtiments.
Un peu surpris par le côté pour le moins ostentatoire de l’engin, Shuchen, notre manager local, m’explique que nous devons aujourd’hui impressionner nos interlocuteurs. Il faut faire riche, et ici les signes extérieurs sont de puissants leviers. Zut, je n’ai ni Rolex ni costume Armani. Il falloir faire sans les accessoires mais avec la grosse auto...
En fait même si pour nous n’est encore officiel, n’ayant encore reçu aucun avis, il est déjà certain que allons devoir rapidement abandonner notre siège social et unité de production principale. Nous partons donc pour rencontrer les officiels et tenter d’obtenir la meilleure indemnisation possible, raison du grand jeu.
Et Shuchen de me prévenir :
- Tu vas voir, c’est impressionnant.
- Qu’est-ce qui est impressionnant ?
- Tu verras par toi-même…

Nous entrons dans Pixian totalement empoussiérée et encombrée par des norias de camions de chantier chargés de gravas, puis prenons la direction de nos installations. La route est maintenant carrément défoncée par le balai incessant des camions jusqu’à ce qu’une déviation nous oblige à emprunter une voie détournée. Incroyable « spectacle » : sur des kilomètres on démolit maisons et boutiques. Quelques habitants hagards semblent un peu perdus au milieu de cet immense chantier de destruction massive. Certains récupèrent les briquettes rouges, matériaux de construction de base des maisons, pour les entasser dans de petites remorques derrière des triporteurs – vélo ou moto façon pick-up – et finalement les revendre un peu plus loin aux entrepreneurs en charge de la reconstruction de lotissements neufs à l’autre bout de la ville… Ici un canapé rouge échoué sur les décombres d’une maison, là une baignoire émaillée comme une barque flottant encore dans la tempête. Ambiance de bombardement où les constructions encore debout sont marquées d’un idéogramme au milieu d’un grand cercle tracé à la peinture rouge signifiant : « A détruire ».
Je fais préciser à Shuchen :
- A détruire où à démolir ?
- A détruire, Fred. C’est bien écrit à détruire.
Mais finalement quelle importance ?
Et Shuchen d’ajouter, visiblement affecté :
- C’est triste n’est-ce pas ?
Le moins que l’on puisse dire en effet.
Il s’agit en fait d’un gigantesque projet d’implantation industriel de 400.000 personnes, vous avez bien lu quatre cent mille, relocalisé ici et nécessitant non seulement la construction d’immenses usines de matériels électroniques, mais aussi de nombreux logements. Ni plus ni moins qu’une ville entière ! J’en ai la chair de poule, avec cette impression de vivre l’improbable scénario d’un film d’anticipation dont le titre pourrait être quelque chose du genre : Electronic’City.
Chine, usine du monde…
Nous arrivons sur nos installations, ilot au milieu des gravats. Surréaliste.
- Et pour nous, que va-t-il se passer ?
- Nous sommes sous pression, et allons devoir dégager dans les prochains mois. Me répond Shuchen. Et d'ajouter :
- Mais nous allons résister pour obtenir la meilleure indemnisation possible. Tu comprends, c’est tactique de leur part.
- Mais de la part de qui ?
- Et bien de l’administration.
- Mais nous n’avons pas été prévenu n’est-ce pas ?
- C’est exprès. Ils veulent nous forcer à négocier l’indemnisation. Y’a pas de règle précise. Alors chacun compte ses sous…
Belle bataille en perspective.

Entrant dans le bureau je branche mon ordinateur sur le cable ADSL. Bizarrement pas de connexion. On vient de nous couper l’internet. Les hostilités commencent.

samedi 13 novembre 2010

Quand deux époques se côtoient

Il est très possible que ma dernière chronique soir vous ait, si j’ose dire, laissé un mauvais goût… Et comme il ne faut surtout ne pas tirer de conclusion générale à partir de rares cas aussi « extraordinaires » soient-ils, je vous propose de passer à autre chose, toujours la Chine à deux visages.

Nous quittons ce matin la banlieue de Canton vers la campagne quelques 150 km à l’Est. Notre petite Citroën Elysée (ZX trois volumes fabriquée localement) de location se faufile dans un trafic dense dont un grand nombre de camions assurant la liaison entre la mégapole et le reste du pays. L’autoroute aérienne soutenue par d’énormes piliers de bétons longe la ligne de TGV également aérienne, dans de longue et belle trajectoires courbes et parallèles au dessus d’une alternance de zones industrielles et résidentielles. Ces milliers de blocs de bétons ajustés au millimètre sur des kilomètres ont quelque chose de pharaoniques, sorte d’aqueduc contemporain canalisant le flux de terriens motorisés.
Nous laissons l’autoroute pour nous engager sur une petite route de campagne également en béton zigzaguant entre les rizières. C’est la moisson. Dans les micros parcelles de petites machines récoltent les épis murs, les plus étroites étant moissonnées à la main à l’aide faucilles par des petites dames en habit traditionnel coiffées de chapeaux chinois ; images de carte postale postcoloniale auxquelles ne manquent plus que le noir et blanc et les bords jaunis.
De loin en loin les paysans ont étalé directement sur la route les grains de riz bruts, profitant du sol sec et lisse pour les faire sécher au soleil en les remuant régulièrement à l’aide de larges râteaux de bois. Ici une très vielle dame apparemment, tourne la manivelle d’une sorte de machine à baratter dans laquelle une jeune fille verse le grain séché tandis que l’autre coté sont expulsées les balles de riz volant aux quatre vents et qu’en dessous coulent régulièrement les grains blancs.
Un peu plus loin nous croisons une procession. En tête deux hommes portent le portrait d’une vieille dame installé sur une petite plate forme de bois dont les bras reposent sur leurs épaules. Au milieu du groupe on joue des percussions au son cuivré suivies d’un groupe de femmes toutes habillées à l’identique sous une large, longue et épaisse coiffe triangulaire de feutre blanc. Suivent enfin ceux que j’imagine être les proches de la défunte dans une ambiance visiblement bon enfant.
Nous traversons un village. C’est jour de marché. Petits commerçant et paysans vendent leurs articles installés pèle mêle sur la rue, accroupis devant les boutiques permanentes. On trouve de tout à l’image des marchés du monde : fruits et légumes, textiles, chaussures, quincaillerie et électronique de pacotille à trois sous qui n’en valent pas d’avantage. Ne pouvant passer en voiture nous attendons que l’on veuille bien nous faire de la place. Tout cela dans la bonne humeur.
La route devient "routin". Les images bucoliques de succèdent : bananiers appuyés à des maisonnettes de paysans-pêcheurs au bord de petits étangs où l’on élève traditionnellement des canards dont les fientes assurent la nourriture des poissons péchés deux fois l’an. Plus loin des buffles broutent en pataugeant dans la boue d’un fond de rizière encore humide ; puis des plantations d’Eucalyptus.

Au terme d’un je crois fructueux rendez-vous avec un gros éleveur de volailles, nous sommes ici pour ça, nous rentrons vers Canton. Tandis que Hu conduit la voiture, assis à l’arrière en compagnie de Shuchen nous parlons budget 2011 avant de sombrer doucement dans un demi-sommeil, bercés par le ronron régulier du moteur.
L’arrivée sur Canton est calamiteuse, coincés dans des bouchons de camions dégueulant leur épaisses fumées d’échappement à hauteur de nos fenêtres. Pas d’autre choix que de se faire asphyxier en souriant.
Rapide dîner léger puis je monte me détendre au fitness center de l’hôtel. Sur l’écran géant est retransmit en direct la cérémonie d’ouverture des « Asian Games ». C’est vrai, j’avais oublié.
Jeux Olympiques de Pékin 2008, expo universelle de Shanghaï et Asian Games de Canton cette année. Ne cherchez plus où est la puissance économique.
Spectacle magnifique réglé au millimètre. Image d’une Chine moderne, accueillante, tolérante, tournée vers l’avenir et soucieuse de l’environnement. Bien sûr ne soyons pas naïvement béats, mais l’intention est là et la démonstration éblouissante.
Et de me demander ce qu’à tout juste deux heures de voiture peuvent bien penser les paysans croisés aujourd’hui en regardant ces images. Même pays, même moment, autre époque.

jeudi 11 novembre 2010

Aux frontières du réel

L’histoire que je vais vous relater m’a été racontée hier soir.
Autant vous prévenir tout de suite, elle est assez horrible.
D’aucun diront que je me suis fait mystifier, « long nez » perdu dans une soirée arrosée parmi des chinois passablement éméchés.
Possible, mais je ne le crois pas. Le contexte n’était plus aux plaisanteries mais plutôt aux confidences de fin de soirée, lorsque les langues se délient sans plus de retenue.
Du point de vu du conteur que je suis il est aussi assez délicat de rapporter une telle histoire, au risque de jeter le discrédit sur les Chinois, ce qui n’est en aucun cas mon état d’esprit tant il serait ridiculement réducteur de conclure en généralité quelque chose très certainement complètement marginal. Ceci étant dit :

Nous en étions en fin de repas à parler nourriture en référence au dicton chinois disant que « tout ce qui sur terre marche, rampe ou nage peut se manger », encore attablés devant les restes d’un délicieux crapaud, terminant à cinq une grande bouteille de cognac dans les volutes bleutées de cigarettes brunes bon marché.
- As-tu déjà mangé du serpent me lance Monsieur Wang (nom d’emprunt pour les raisons que vous pouvez imaginer) ?
- Evidemment lui répondis-je, et d’ajouter crânement, mais ce n’est rien à coté des « trois cris ».
Pour les non initiés, il s’agit d’un plat composé de petites souries vivantes tout juste nées : premier cri lorsqu’on les saisit entre les baguettes ; second en les trempant dans la sauce ; troisième à la mise en bouche.
- Et du cerveau de singe vivant, t’en as mangé me relance mon interlocuteur ?
- On me la raconté en effet, mais non je ne pourrais pas.
Nous parlons ici de manger du cerveau de singe vivant dont le haut du crâne est coincé dans un trou au milieu de la table puis décalotté d’un coup de sabre…
Puis d’ajouter :
- Mais il a y encore « mieux ».
Ne parlant pas la langue, peut-être a-t-il pu aussi dire « pire ». Laissons-lui le bénéfice du doute si vous voulez bien.
- Que peut-il y avoir de pire ? ajoutais-je.
- Manger de l’humain.
- De l’humain ?!.
Stupéfait, j’imagine alors quelque chose autour de cadavres sur lesquels serait prélevé quelque organe aux vertus extraordinaires. Les Chinois sont en effet très friands de tout ce qui symboliquement est susceptible d’apporter longévité ou puissance. Si vous voyez ce que je veux dire…
- Ben oui, de l’humain insiste t-il avec une pointe d’ironie.
Interloqué et dubitatif j’attends la suite…
- De l’embryon humain précise t-il.
- Comment cela ?
- Et bien des embryons humains de trois à six mois. Il parait que c’est bon pour la longévité.
A cet instant une impression indicible de dégoût accompagnée d'une grimace horrifiée m'envahit presque jusqu'à la nausée.
Et Monsieur Wang d’ajouter :
- J’en ai mangé une fois… sans le savoir. On ne me l’a dit qu’après !
Je me repasse aussitôt mentalement les plats du dîner. Comprenant mon inquiétude il précise fort "gentiment" qu’il n’y en avait pas au menu de ce soir. Et de me proposer un toast pour digérer l’information. Allez, cul sec !

Me remettant toute juste de mes émotions je ne peux m’empêcher de lui poser la question du prix :
- Entre 6000 et 20 000 yuans (600 à 2000 €) le plat ; évidemment suivant l’âge de l’embryon précise t-il.
Tu parles. Et pour me rassurer de répondre du tac au tac :
- Mais c’est interdit !
- Balle de touche répond t-il (L’équivalent en Français de notre expression « Jocker »).
Suis-je bête ? Comment en effet pourrait-il y avoir d’interdit contre l’inimaginable ?

mercredi 10 novembre 2010

Le jour le plus long

Lundi 5 heures du mat’ : p’tites nuit entrecoupée de rêves apparemment décousus. Dehors il pleut à verse, prémisse de la tempête annoncée. Le boule au ventre je descends petit déjeuner en écoutant distraitement France-Info : l’actualité sportive après le week-end puis la poursuite des mouvements sociaux contre la réforme des retraites et toujours les spéculations journalistiques sur le remaniement ministériel annoncé… Merde in France !
Pas faim et pas envie de partir. Y’a des jours comme ça où la pression professionnelle combinée au trop de plein de voyages, plus exactement à l’éloignement, pèsent lourd. Serait-il facile de faire autrement ? Tu parles...
Chercher cette énergie vitale qui me porte : la vie à fond dans toutes ses composantes – personnelles, familiales, amoureuses, amicales, professionnelles – en tentant de tout concilier. Quel défi ! Sûr le temps est le vrai luxe. Vouloir tout faire exige de vivre au chrono, au risque d’aller trop vite et ne plus voir que le défilement de paysages furtifs aux fenêtres d’un train lancé à grande vitesse, alors qu’on aimerait tant pouvoir profiter d’avantage, s’arrêter tranquillement, prendre le temps d’observer, de découvrir, tout simplement de mieux jouir de l’instant. Quadrature du cercle…
6 heures, je referme la porte de la maison encore endormie, quittant avec mélancolie une nouvelle fois les miens, port d’attache ô combien important.
Décollage dans 1h25. Je roule vite vers l’aéroport sous les trombes d’eau.
Parking de la voiture puis enregistrement « just on time ». Par hasard je croise en salle d’embarquement 4 équipiers de 2 entreprises du Groupe. Les uns partent vers les Amériques et l’autre vers l’Asie. Le monde est notre village. Quant à moi ce sera les deux : la Chine puis les USA, aujourd’hui Ying et Yang de l’économie mondiale. Je pars vers le soleil levant pour revenir à la maison par l’Ouest dans 12 jours, tour du monde express pour soutenir le développement de notre aventure industrielle.
Petit vol Nantes-Paris dans une désagréable somnolence un peu nauséeuse, puis transfert du terminal 2D au 2E, opportunité pour se dégourdir les jambes. J’émerge un peu en préparant mentalement mon rendez-vous téléphonique de 9h30.
Rapide arrêt à une boutique Duty Free acheter des parfums, cadeaux pour nos clients Chinois. Vendeuse souriante à l’accent Italien d’excellent conseil. Charmante.
9h45 : conférence téléphonique puis embarquement dans le triple 7 de China Southern Airlines. Avion à moitié plein, je suis surclassé en business. Petit privilège des grands voyageurs.
Sous les rafales l’avion décolle en crabe avec une heure de retard du au trafic ralenti par le temps exécrable sur la plate forme de Roissy CDG.
Ca turbule sec pendant la monté initiale. Nous traversons l’épaisse couche de nuage dont les volutes grises ressemblent à de la neige sale. Sans transition la cabine est d’un coup inondée d’une lumière intense, presque surnaturelle. Tels des lasers parfaitement alignés, les rayons du soleil transpercent les hublots remplissant l’espace de leur énergie cosmique. Au même instant l’air devient calme, lisse, froid, ciel d’un bleu profond au dessus d’une opaque couche de nuages immaculée.
Volant à 900 km/h vers l’Est nous atteignons notre altitude croisière. Mon trac se dissipe doucement dans la stratosphère, laissant pour quelques heures la pression sur la « Terre des Hommes », bercés par le ronron régulier des moteurs de la belle machine volante.
C’est vrai, j’aurais aussi aimé être pilote de ligne.



Mardi 5h30 : Petit matin calme sur l’aéroport de Canton au terme d’un vol de 10h30 au cours duquel le temps s’est compressé de 7 heures. Voyager vers l’Est grignote le temps heure par heure au long du franchissement des fuseaux horaires.
Dans une demi-torpeur je passe les formalités douanières Chinoises avant de me rendre au terminal B pour ma connexion vers Nanning porte B213.
A travers les verrières de l’aérogare je profite du levé du soleil sur le tarmac où commence le balai des avions vers toutes les destinations intérieures Chinoises.
Rapide stop au salon de la compagnie pour boire un jus d’orange et manger un œuf dur en envoyant les e.mail traités pendant mon vol depuis Paris. Quelle révolution technologique tout de même. Dire qu’il n’y a pas 15 ans, partir au bout du monde était synonyme de coupure avec sa base pour plusieurs jours. Tandis qu’aujourd’hui, presque partout sur le globe il suffit d’appuyer sur le bouton « on » de l’ordinateur et du téléphone cellulaire pour retrouver instantanément la connexion avec le monde, incroyable gain de temps en même temps que véritable addiction au signal de réception… Ne pas avoir de réseau n’est même plus supportable. Et je me souviens du propos de ma grand-mère paternelle, décédée il y a tout juste un quart de siècle au bel âge de 90 ans qui, à l’aurore d’une vie simple à la campagne, me répondit sans hésiter : « le téléphone », à la question de ce qui lui semblait avoir été le plus grand progrès technologique au cours de sa longue vie. Ce qui à l’époque m’avait semblé presque étonnant, elle qui avait vu naître l’électricité, l’automobile, l’avion, vu l’homme poser le pied sur la Lune…
Que dirions-nous aujourd’hui ?
Arrivée à Nanning où je retrouve mes équipiers Chinois accompagnés d’un client. Sans transition nous filons vers le couvoir pour une visite express. Il fait presque chaud et j’ai quelque peu l’impression de baigner dans mon jus, parti de la maison depuis déjà plus de 24 heures. En fait de visite de couvoir, nous passons surtout 2 heures à palabrer en fumant une sorte de pipe en bambou trempant dans un bac au fond duquel une eau pour le moins saumâtre fait office de filtre ; chicha à la mode chinoise. L’odeur acre de la fumée me monte à la tête et je prends une aspirine de précaution…
14h30 : entassés à 8 dans un minibus nous quittons Nanning vers Guilin, 400 km au Nord-Est. La journée continue les genoux coincés dans le dossier du siège de devant. Je n’arrive pas à trouver de position relaxante tandis que nous slalomons entre les camions sur l’autoroute. La route est longue…
20h : nous apercevons Guilin et je n’ai qu’une envie, m’allonger sur un vrai lit. Au lieu de cela nous entrons dans un restaurant pour diner avec des clients. Je m’invective intérieurement. C’est un marathon : « cours, Forest cours ! » Pas le moment de lâcher alors que les choses sérieuses commencent maintenant. Il s’agit de faire bonne figure, histoire de convaincre malgré la barrière de la langue. On picole. On rigole. Je joue le jeu. Et comme toujours en Chine, le dîner semble se terminer en queue de poisson par un « au revoir » un peu précipité sans poignée de main. Tout est normal.
21h30 : nous rejoignons enfin l’hôtel. J’ai une réunion téléphonique dans 30 minutes avec la France où il sera 15h et les USA où il sera 9h. Petite planète.
23h45 : fin de la réunion. Encore un appel sur skype avec la Belgique pour calage final d’un budget.
00h45 mercredi matin : fin du jour le plus long pour le p'tit soldat Grimaud, modeste acteur de la bataille économique mondiale .
Claqué, vidé, je m’affale sur le lit comme un zombi. Dormir vite maintenant. Demain sera un autre jour.

jeudi 4 novembre 2010

Lapin à Moscou

Moscou a ce charme si bien chanté par Gilbert Bécaut dans sa chanson « Nathalie ». Capitale de culture et d’histoire où il fait bon se promener le long des grandes avenues, empruntant le métro baroque de la très grande époque soviétique lorsqu’il s’agit de traverser la ville par les sous-terrains.
Nous avons rendez-vous aujourd’hui avec un apparatchik de l’aviculture Russe, de ceux qui ont fait carrière en gré des opportunités politiques, surfant sur un système où la promotion n’est que le résultat de l’entretien d’intérêts bien placés basés essentiellement sur la flatterie, les « petits » cadeaux et la cooptation. Somme toute rien de bien original, mais passage obligé pour le développement de nos affaires dans le plus grand pays du monde.

En sortant de l’hôtel « Cosmos », ce voyage a décidément quelque chose de spatial, je passe sous l’immense statut du Général de Gaulle trônant devant le monumental bâtiment.
Clin d’œil à la France dans un pays où les héros politiques sont légion.
Le long de l’avenue des kiosques à journaux proposent une large offre de magazines, mais aussi de livres variés, de la littérature classique au dernier bouquin d’actualité. Nous sommes ici en pays d’écrivains.
L’hiver approche. Les passants pressés portent déjà grands manteaux et confortables fourrures.
Nous prenons le métro en direction de notre lieu de rendez-vous. Irina appelle le bureau de notre interlocuteur histoire de reconfirmer l’heure exacte de la rencontre. Je la vois alors froncer les sourcils en me regardant avec un air quelque peu désolé. Il y a visiblement un problème. Après avoir raccroché, elle m’explique très embêtée que notre homme a du répondre à une obligation protocolaire de dernière minute et ne pourra finalement pas nous recevoir… Un peu cavalier tout de même, d’autant que nous sommes venus principalement pour ça ! Se confondant en excuses, Irina m’explique toute sa surprise, très étonnée et déçue de n’avoir pas été informée préalablement de ce dédit pour le moins curieux, ajoutant que la secrétaire lui disait avoir contacté l’ambassade de France pour leur demander de m’informer de l’annulation du rendez-vous ! Procédé des plus singuliers ; dans la grande tradition des intrigues soviétiques. Y aurait-il eu influence de quelque concurrent bienveillant et bien renseigné pour nous barrer la route ? Tant pis, nous ferons sans. Le soir même je m’applique à lui adresser une fort diplomatique lettre d’invitation. La partie d’échec se poursuit.
Mon téléphone cellulaire sonne :
- Bonjour Fred, c’est Chantal à l’accueil, (elle m’appelle depuis le siège de Groupe en France), j’ai pour toi un appel de l’ambassade de France concernant votre rendez-vous à Moscou…
- Oui, oui, merci Chantal. Dis leur que je suis au courant.

C’est l’heure du déjeuner. Nous finissons dans un restaurant sous-terrain au cœur du quartier administratif de Moscou.
Tandis que nous dégustons un excellent canard aux choux, recette Tchèque, entre quelques standards Russes, la sono diffuse essentiellement des chansons françaises : Dutronc, Patricia Kass, Goldman, Alex Red et j’en oublie.
Devant mon étonnement Irina m’explique que c’est tellement joli à écouter et si romantique.
L’amitié entre les peuples…

mercredi 3 novembre 2010

Parfum de Perestroïka

Se rendre en Belarusse pour vendre des poules - oui, oui des poules, vous savez celles qui font des œufs que les gens mangent de mille et une façons - a pour moi de prime abord quelque chose de presque « exotique ». Rendez-vous compte, aller dans le seul pays européen officiellement non démocratique, sorte de dinosaure géopolitique, fragment restant de l’ex-URSS. Plutôt alléchant si l’on fait fit des conséquences pour ceux qui y vivent. Cela dit, sans non plus de scrupule pour ce qui me concerne, partant du principe que les échanges commerciaux restent l’un des plus sûrs moyens d’ouverture au monde. D’aucun diront que je me donne bonne conscience. Et bien qu’ils y viennent et ils verront que cela a du sens, surtout lorsqu’il s’agit de satisfaire des besoins primaires (alimentaires) développés localement.

Une heure et demie après son décollage d’Amsterdam, l’avion de la compagnie nationale « Belavia » roule sur les taxiways vers l'aérogare de Minsk. Sur la droite de l’appareil des dizaines de vieux avions Russes pourrissent sur les parkings, cimetière d’Antonov, Tupolev et autres Iliouchine témoins d’une époque encore récente où les échangent battaient leur plein au sein de l’empire Soviétique. Ici l’on fabriquait surtout des tracteurs, des armes et du chocolat, tel que décidé par le plan.
L’aéroport à l’architecture dans le plus pur style poststalinien est quasi-vide, tout comme d’ailleurs notre avion qui ne compte pas plus d’une trentaine de passagers. Il faut bien reconnaître que la destination n’a à priori rien de très alléchante, sauf à avoir une réelle bonne raison d’y aller, comme vendre de poules…
Irina jolie blonde filiforme de 25 ans aux yeux clairs illuminant un visage rond et souriant sous des cheveux un peu filasses, et Tatania sexagénaire un peu courbée, stéréotype de la femme Russe d’âge mure, nous accueillent tout sourire. Elles sont nos agents pour la Russie et ses satellites et vont notamment assurer ici les traductions dans un pays où l’anglais n’est que très peu pratiqué.
Rapide dépose des bagages à l’hôtel « Planeta », bâtiment sans intérêt mais tenu de façon impeccable au bord d’une grande avenue toute aussi bien tenue. Je me dis que c’est calculé pour impressionner les rares visiteurs étrangers. Mauvais à priori ayant pu constater le lendemain matin lors mon jogging quotidien dans les ruelles du centre ville, puis au cours de notre déplacement en campagne, combien le pays est soigné et mon jugement « primaire » mal à propos.

Dîner avec Evgeny et son équipe dans un restaurant à la mode du centre ville. Décors clinquant dans un style baroque moderne du plus mauvais goût où des écrans plasma miment des feux de cheminée. Moche mais nickel. Cuisine simple et de qualité arrosée d’excellents vins Bulgares. Nous écoutons Evgeny, petit homme sympathique, quadra dynamique au visage ressemblant curieusement à Nicolas Ceaucescu jeune avec ses lunettes à fine monture métallique très années 70, nous compter son épopée industrielle. En quelques années, avec force détermination et esprit pratique, il a su hisser son entreprise au premier rang de la production de volailles de ce petits pays. Ne comprenant un traitre mot de Russe, je l’observe attentivement discuter avec nos agents. L’homme a sans conteste du charisme et ses yeux souriants donnent confiance. Irina qui le connait depuis des années m’en dit aussi le plus grand bien. Nous verrons…

Après une heure de route en direction de la rivière Bérézina, celle la même où Napoléon connu la sienne, la voiture nous dépose à la porte d’un complexe de production d’œufs de consommation. Bâtiment hors d’âge et personnel comme fossilisé dans une torpeur de l’époque soviétique. Seule une femme, Valentina, semble sortir du lot. Nous parlons rapidement affaires dans un bureau glacé puis l’on nous emmène en voiture à quelques km de là devant ce qui ressemble à un camps militaire Russe en opération… en fait un musée dédié à leur « ligne Maginot » construite entre les deux guerres pour se protéger des risques d’invasions venant de l’Ouest, à une époque où l’Allemagne menaçait l’Europe de toute part. On y trouve ainsi tout un arsenal de l’armée rouge jusqu’à la période de guerre en Afghanistan : tanks, canons, jets, hélicoptères, missiles, systèmes de télécommunication... Impressionnant et quelque peu surréaliste de se promener par une belle journée ensoleillée entre des machines de guerre dont on nous expliquait il n’y pas si longtemps qu’elles représentaient la plus grande menace pour « le monde libre ».
Un peu ébahit je croise le regard souriant de Valentina visiblement assez fière de son coup. S’adressant à Irina elle ajoute comme si de rien n’était :
- Les temps changent. Malgré quelques soubresauts de l’histoire le mouvement est inévitable.
Sûr, nous allons travailler ensemble.