vendredi 16 août 2019

Petite chronique sur la mobilité


Vous souvenez-vous des sensations la première fois que vous avez roulé seul(e) à vélo ? Cette impression extraordinaire de vitesse, le magique équilibre, la caresse de l’air sur votre visage, le plaisir de négocier le premier virage. Et ce sentiment de liberté…

A 14 ans, le Solex de ma tante Monique : étonnante machine ouvrant de nouveaux horizons grâce au moteur 2 temps placé à l’avant distillant de délicieuses effluves d’huile. Fallait-il déjà un casque ?

Vers 16 ans, la première petite moto à vitesses, acquise d’occasion en « copropriété » avec ma sœur, et les premières vraies sensations de pilotage agrémentées du bruit qui va bien…

18 ans, le permis de conduire une voiture : rappelez-vous du plaisir indicible, papier rose en poche, de s’installer seul(e) au volant – pour ce qui me concerne de la LN Citroën de maman – juste pour rouler et se sentir définitivement libre de ses mouvements. Quelque chose du premier orgasme. A cet instant le monde nous appartient, entrant dans la dimension des Conducteurs d’Automobiles, rêve quasi-inaccessible pour nos grands-parents. (Je suis né en 1964…)

Un peu plus tard, quand mon oncle Jacques me permettait de piloter, pour la première fois, une vraie voiture de sport : Simca 1000 Rallye avec sièges baquets, vitesses au plancher, tableau de bord à cadrans ronds, compte-tours et volant 3 branches. J’accédais pour un instant au statut de « pilote », n’ayant d’autre objectif que le plaisir de maîtriser un « bolide » à moteur, juste pour rouler vite.

Bien plus tard, le 1er lâché sur une machine volante : Guy, mon instructeur qui me dit « tu peux y aller Fred ». Et moi qui décolle seul aux commandes de l’appareil. Quelques minutes plus tard, en vol de croisière vers mon village natal – on revient toujours vers où l’on a appris à pédaler – me dire qu’ayant vécu cela, maintenant tout pouvait bien m’arriver. Rétrospectivement un peu ridicule je le reconnais. Mais je dois modestement admettre que cette idée a vraiment traversé mon esprit, preuve de l’effet produit par la nouvelle liberté acquise de voler.

A chaque fois donc ces notions de liberté, plaisir et autonomie, que nous avons expérimentés chacun à sa façon, mais qui a transformé nos vies qu’on le veuille ou non.

Nous sommes en 2019. Et sous la pression des effets du réchauffement climatique – loin de moi l’idée de remettre en cause cette évidence – de par ses impacts carbones, la question de la mobilité devient un grand sujet de société. Et l’on convertit maintenant nos déplacements en équivalent émission de CO2, pointant du doigt ceux qui en produiraient trop… On privilégie désormais, à juste titre, l’optimisation des déplacements – collectifs et autres moyens de transports publiques – jusqu’à remettre en cause la liberté de voyager par exemple en avion ou, pire encore, le simple fait de se déplacer pour le plaisir de se mouvoir ou de maîtriser une machine à moteur. L’émancipation individuelle devenant péché d’égoïsme…

Il est vrai qu’existent maintenant d’excellents simulateurs et qu’internet permet de se projeter à l’autre bout du monde par procuration. Mais cela n’a franchement rien à voir de piloter un engin motorisé, quel qu’il soit, que de s’installer devant l’écran d’un simulateur ; ou de rejoindre le Cap Nord par la route, que de regarder le reportage de ceux qui l’ont fait.

A oui au fait, sur les presque 5000 kms parcourus en voiture lors ce beau voyage en Norvège, consommation moyenne d’un peu plus de 3 l/100 dans notre voiture hybride. Très belle balade dans un véhicule efficient avec toutes les assistances électroniques aujourd’hui disponibles. Pour un peu, il était presque possible de suivre le flot de la circulation sans plus toucher à aucune commande, volant compris. Parfaite préfiguration de la voiture autonome. Le plaisir du pilotage sera pour une autre fois.

Alors peut-être faut-il maintenant se résoudre à déconnecter déplacement et plaisir épicurien de maîtriser une machine à moteur. Et se réserver de courts moments pour cela.

Prenez-soin de vous.

 



jeudi 15 août 2019

Pour quelques secondes d'éternité

De loin on distingue une large saignée dans la forêt se terminant sur une vaste prairie. Puis en approchant ce sont en fait 2 pistes parallèles, plus exactement les 2 tremplins de saut à ski, 136 et 90 m, construits pour les JO de Lillehammer.


Vu de face, finalement rien de plus impressionnant qu’une piste noire bordée de marches métalliques. Tien, en haut du tremplin des petits bonshommes en combinaisons multicolores qui s’agitent. C’est vrai qu’ils ont l’air loin et haut… Mais bon, c’est la montagne.

Sous un ciel moutonneux on attaque gaiement la montée à pied.
A la 217ème marche, peut-être la 218, comme un chuintement venant du haut, suivi d’un bruissement d’air au-dessus de nos têtes. Un des petits bonshommes aperçus plus tôt qui passe dans le ciel, tête en avant, corps parfaitement aligné presque à l’horizontal, bras légèrement décollés au bout desquels les doigts semblent agir comme des ailerons pour équilibrer le saut, jambes écartées sur de longs et larges skis positionnés en V.
-       -  Wahou, t’as vu ça !
A peine remis de notre surprise, un 2ème, puis un 3ème. Presque incroyable. Et cette impression tellement différente de ce que nous voyions à la télé.
Nous continuons l’ascension. Les sauts, je devrais dire les vols, se succèdent. Instants de grâce et de maîtrise absolue qui nous laissent sans voix.

A la 453ème marche on se retourne sur une vertigineuse perspective le long de cette pente à plus de 37%. Comme un gouffre ouvert sous nos yeux. Nous voyons maintenant passer les skieurs – comment faut-il les nommer – tels les flèches décochées par une arbalète, puis s’envoler au bout du tremplin pour atterrir en douceur quelques 100 plus bas. Hallucinant !

812ème marche, nous arrivons à la hauteur de la prise d’élan. En fait le point de non-retour.
Regarder vers le bas donne alors la chair de poule et fait flageoler les jambes. Ce n’est plus du vertige mais de la peur. Comment ces athlètes peuvent avoir le courage de s’élancer de la sorte ? A chaque essai rien pour les s’arrêter, ralentir ou renoncer. A chaque essai le même engagement. Total. Ils décollent les fesses du petit banc permettant de se positionner correctement, et « à Dieu va ». Au bout de tremplin décollage à presque 100 km/h, puis quelques secondes de grâce absolue avant de retrouver le plancher des vaches. Respect !

1000ème et dernière marche. Le petit local d’arrivée des artistes par le télésiège. Sur la plateforme dominant la vertigineuse trajectoire, une porte d’accès aux toilettes. Ouf, ce sont tout de même des gens normaux…





mardi 13 août 2019

Le paradoxe Norvégien


Le moins que l’on puisse dire est que la Norvège est un pays bien tenu, propret, discipliné et prospère. Et tout ce qui a trait à l’environnement semble ici érigé en priorité. Entres autres exemples :
-       La production d’énergie, presque 100% renouvelable issue de l’hydroélectricité. Rappelons qu’ils ne sont que 5,5 M d’habitants, 11 fois moins qu’en France pour un pays représentant 60% de notre territoire.
-       Il y a aussi ici la plus forte proportion de véhicules électriques au monde,
-       Le carburant y est le plus cher d’Europe,
-       La gestion des déchets est exemplaire,
-       Les infrastructures remarquables,
Et même si cela n’a rien à voir, éducation et politique sociale sont au plus haut niveau, dans ce pays où la population est, selon l’ONU, parmi les 2 plus heureuses au monde, et la corruption quasi absente.
Pour couronner la tout, les revenus moyens sont aussi parmi les plus élevés d’Europe.

Alors comment font-ils donc ces Norvégiens ? Disposeraient-ils d’une martingale que nous n’aurions pas ?

En effet, ils ont le pétrole de la Mer de Nord qui coule encore à flot, faisant de ce pays une sorte d’Emirat Européen. Mais le plus intéressant dans cette histoire, est qu’ils ne l’utilisent quasiment pas pour eux-mêmes, s’évertuant à développer en Norvège de bonnes pratiques environnementales durables, sur les revenus de cette manne pétrolière génératrice de carbone chez les autres.
Comme quoi, on peut être prophète en son pays, en exportant les impacts environnementaux de ses ressources énergiques. A chacun ses paradoxes.



lundi 12 août 2019

Surtout, ne pas oublier

Nous quittons la parenthèse enchantée des îles Lofoten par Narvik, ville portuaire stratégique nichée au creux d’un vaste fjord. Malheureusement pas le temps de poursuivre jusqu’au Cap Nord. Non pas pour le voir, à priori rien de réellement passionnant, mais pour la satisfaction d’être allé toucher un bout du monde. Ce sera pour une prochaine fois ou pour jamais. Il reste tant à découvrir.


Au bord de la nationale 6 descendant sur la rade de Narvik, une stèle commémorant la fameuse bataille éponyme qui, en 1940, permit aux alliés leur première victoire contre l’occupant Allemand. Des touristes arrêtés là pour jeter un rapide coup œil en même temps que de profiter du point de vue unique sur le port. Et, pour la première fois depuis le début de ce voyage, il pleut et fait un peu froid.

Pourquoi cette fois-ci, mais je ne peux m’empêcher de repenser aux nombres de fois incalculables où nous croisons, sans plus y prêter vraiment attention, ce type de monuments commémoratifs des 2 guerres mondiales dont l’Europe a été le creuset. En même temps ils sont fait pour ça ces monuments : la mémoire. Et pourtant, elle s’émousse. Sauf peut-être pour les Allemands, désignés coupables de beaucoup de ces atrocités. Ce qui, sans vouloir négliger « leur » responsabilité, ne peut pas disculper tous les Européens de cette époque de leurs errements politiques.
-       Tu sais ce que je me dis en voyant ce type de monument un peu partout en Europe ?
-       Non, mais ça m’intéresse.
-       Que pour les Allemands ça doit rester vachement culpabilisant.
-       J’suis pas trop d’accord. Car la génération d’après-guerre a fait ce qu’il faut pour le surmonter, en faisant acte de repentance.
-       Oui, mais quand même. Que ce soit chez nous, ici, en Europe Centrale ou du Sud, ils apparaissent comme les grands responsables. Ces monuments nous le rappellent tout le temps…
-       C’est vrai. Mais c’est peut-être aussi ce qui a permis de construire l’Europe, une zone unique de prospérité et de sécurité multiculturelle dont les Allemands ont été un des moteurs puissants. Sacrée belle œuvre malgré ses complexités !

Et de constater avec inquiétude les dérives populistes auxquelles nous assistons aujourd’hui : Italie, Angleterre, Autriche, Hongrie, Pologne, Russie. Sans parler des USA et du Brésil… Même chez nous en France dans une certaine mesure.
En fait les gens ne veulent plus d’Europe car ils n’en voient plus la beauté, faute d’avoir vécu ce qui s’est passé avant la longue période dont nous profitons encore. Et dire qu’il n’a fallu que 2 générations pour oublier les souvenirs de guerre et de chaos économiques vécus par nos grands-parents. Seulement 2 générations pour tomber dans une léthargie de la normalité – paix et stabilité économique – alors que bien peu de choses pourraient dérégler tout cela et nous faire dériver vers de funestes aventures…

Suis-je en train de me prendre la tête ?
Comme un fait exprès, mais par le plus grand des hasards, nous descendons ce soir dans l’hôtel de campagne tenu par Pieter et son épouse. Bâtisse en bois des années 20, avec 4 chambres, sanitaires communs et salon de thé – construite dans les Années Folles – cet entre 2 guerres où l’on voulait profiter, oublier les horreurs de la précédente et ne pas voir la montée des périls annonciateurs de la suivante.
Fossile d’un autre temps, à l’intérieur rien n’a bougé : parquet grinçant, téléphone à manivelle, poêles en fonte, machine à coudre à pédale, photos jaunies, pots de chambre. Sentiment étrange de se trouver d’un coup à l’époque de nos arrières grands-parents, avec une agréable impression de légèreté et d’insouciance. 
Quelques années plus tard l’Europe entrait dans un nouveau cataclysme que nous rappelle la bataille de Narvik.
Et cette petite musique qui revient en boucle : surtout de pas oublier, se laisser aller à la facilité en se disant que « notre monde » va forcément continuer à tourner rond.