Vous souvenez-vous des sensations la
première fois que vous avez roulé seul(e) à vélo ? Cette impression extraordinaire
de vitesse, le magique équilibre, la caresse de l’air sur votre visage, le
plaisir de négocier le premier virage. Et ce sentiment de liberté…
A 14 ans, le Solex de ma tante Monique :
étonnante machine ouvrant de nouveaux horizons grâce au moteur 2 temps placé à
l’avant distillant de délicieuses effluves d’huile. Fallait-il déjà un casque ?
Vers 16 ans, la première petite moto à
vitesses, acquise d’occasion en « copropriété » avec ma sœur, et les
premières vraies sensations de pilotage agrémentées du bruit qui va bien…
18 ans, le permis de conduire une
voiture : rappelez-vous du plaisir indicible, papier rose en poche, de s’installer
seul(e) au volant – pour ce qui me concerne de la LN Citroën de maman – juste
pour rouler et se sentir définitivement libre de ses mouvements. Quelque chose
du premier orgasme. A cet instant le monde nous appartient, entrant dans la
dimension des Conducteurs d’Automobiles, rêve quasi-inaccessible pour nos
grands-parents. (Je suis né en 1964…)
Un peu plus tard, quand mon oncle
Jacques me permettait de piloter, pour la première fois, une vraie voiture de sport :
Simca 1000 Rallye avec sièges baquets, vitesses au plancher, tableau de bord à
cadrans ronds, compte-tours et volant 3 branches. J’accédais pour un instant au
statut de « pilote », n’ayant d’autre objectif que le plaisir de
maîtriser un « bolide » à moteur, juste pour rouler vite.
Bien plus tard, le 1er lâché
sur une machine volante : Guy, mon instructeur qui me dit « tu peux y
aller Fred ». Et moi qui décolle seul aux commandes de l’appareil.
Quelques minutes plus tard, en vol de croisière vers mon village natal – on
revient toujours vers où l’on a appris à pédaler – me dire qu’ayant vécu cela, maintenant
tout pouvait bien m’arriver. Rétrospectivement un peu ridicule je le reconnais.
Mais je dois modestement admettre que cette idée a vraiment traversé mon
esprit, preuve de l’effet produit par la nouvelle liberté acquise de voler.
A chaque fois donc ces notions de
liberté, plaisir et autonomie, que nous avons expérimentés chacun à sa façon,
mais qui a transformé nos vies qu’on le veuille ou non.
Nous sommes en 2019. Et sous la
pression des effets du réchauffement climatique – loin de moi l’idée de
remettre en cause cette évidence – de par ses impacts carbones, la question de
la mobilité devient un grand sujet de société. Et l’on convertit maintenant nos
déplacements en équivalent émission de CO2, pointant du doigt ceux qui en
produiraient trop… On privilégie désormais, à juste titre, l’optimisation des
déplacements – collectifs et autres moyens de transports publiques – jusqu’à
remettre en cause la liberté de voyager par exemple en avion ou, pire
encore, le simple fait de se déplacer pour le plaisir de se mouvoir ou
de maîtriser une machine à moteur. L’émancipation individuelle devenant péché d’égoïsme…
Il est vrai qu’existent maintenant d’excellents
simulateurs et qu’internet permet de se projeter à l’autre bout du monde par
procuration. Mais cela n’a franchement rien à voir de piloter un engin motorisé,
quel qu’il soit, que de s’installer devant l’écran d’un simulateur ; ou de
rejoindre le Cap Nord par la route, que de regarder le reportage de ceux qui l’ont
fait.
A oui au fait, sur les presque 5000 kms
parcourus en voiture lors ce beau voyage en Norvège, consommation moyenne d’un
peu plus de 3 l/100 dans notre voiture hybride. Très belle balade dans un
véhicule efficient avec toutes les assistances électroniques aujourd’hui
disponibles. Pour un peu, il était presque possible de suivre le flot de la
circulation sans plus toucher à aucune commande, volant compris. Parfaite
préfiguration de la voiture autonome. Le plaisir du pilotage sera pour une
autre fois.
Alors peut-être faut-il maintenant se
résoudre à déconnecter déplacement et plaisir épicurien de maîtriser une
machine à moteur. Et se réserver de courts moments pour cela.
Prenez-soin de vous.