jeudi 22 octobre 2009

La 3ème dimension


C’était samedi dernier. En approchant du Hangar, un vieux hangar de tôles tout rouillé au fond d’un cul de sac longeant la piste, j’ai un tout petit pincement au cœur, une imperceptible appréhension me rappelant de faire attention, réflexe conditionné, instant de concentration avant d’y aller, histoire de bien souvenir qu’il ne doit jamais s’agir de routine.
L’ouverture des lourdes portes coulissantes laisse tout d’abord passer un mince rayon de lumière, tel un projecteur plongeant sur les machines volantes au repos, avant d’inonder « l’entre » de la lumière rasante froide et dorée du petit matin.
Les ailes protégées par de larges tissus pendant de part et d’autre donnent aux appareils un air d’improbables chauves souries nichées là, au repos, dans l’attente du prochain envol.
Et tandis que la plupart des terriens du méridien sont encore dans leurs rêves les pieds bien au chaud, je me dis avec bonheur que je vais aller revoir là haut si le monde est toujours aussi beau.

Sortir la machine en la tirant à la l’aide de la barre fixée sur la roulette de nez est déjà un plaisir. La déshabiller de ses tissus protecteurs à quelque chose de sensuel, découvrant la fluidité des formes aérodynamiques.
Puis le rituel de pré vol, toujours le même, scrupuleusement respecté dans le même ordre en tournant autour de l’appareil dans le sens inverse des aiguilles d’une montre : hélice, moteur, train d’atterrissage, haubans, ailerons, volets, gouverne de profondeur…

Tout plein fait, il s’agit maintenant de s’assoir à bord en se laissant glisser dans le confortable siège de la place de gauche en position semi allongée. Reconnaissable entre toute, une légère odeur d’essence mêlée d’huile flotte dans la cabine. J’aime cette ambiance si particulière, assis derrière le tableau bord encore inactif. Portes fermées, freins serrés, 5 injections de primeurs, contacts sur « on », personne autour, une pression sur le bouton « start » et le moteur démarre instantanément dans un nuage de fumée bleue, combustion des résidus d’huile écoulés dans les cylindres « tête en bas ».
Régime stabilisé, tandis que le moteur monte doucement en température j’égraine avec application la check-list cabine : essence ouverte, goupilles de parachute et de sonde pito enlevées, contrôle des allumages et de la charge batterie, strobe, volets et radio sur « on », trime au neutre, activation du GPS, ceinture bouclée, contrôle des températures, commandes libres, un cran de volet. Tout est OK. Reste à s’annoncer à la tour, même si à cette heure matinale l’agent AFIS n’est pas encore arrivé. Mais tout est enregistré. Alors il faut le faire :
- Fox Juliette Zoulou Delta Roméo bonjour. Au départ pour un vol en direction de l’île Dieux, je suis seul à bord.

Puis calage des pressions et roulage vers la bretelle d’accès de la piste 03.
Ce matin une fraîche bise de nord lève légèrement la manche à air non loin la tour de contrôle, sobre bâtiment art-déco des années 30 au pied duquel est érigé une stèle à la mémoire de Roland Garros, sur laquelle est fixé un antique et magnifique moteur « Gnome » 5 cylindres en étoile du début du siècle dernier rongé par la rouille. A cette époque la mécanique tenait plus de la ferronnerie d’art que de la technologie telle que nous l’entendons aujourd’hui.

Personne dans la boucle. Après m’être annoncé pour remonter la piste, suivant mon ombre légèrement décalée à droite sur le tarmac, j’avance doucement en me disant que définitivement les avions ne sont pas faits pour rouler.
Bout de piste et demi tour sur la gauche, face au soleil, pour m’aligner en 03.
Dernier contrôle des paramètres moteur, tout est OK, et plein gazzzzz…
L’appareil accélère franchement, s’allège doucement puis décolle tout seul. J’entre avec délectation dans la 3ème dimension tout en restant concentré. S’il est facile, le décollage est paradoxalement l’instant crucial en termes de sécurité. Celui où l’énergie cinétique emmagasinée, par rapport à l’altitude acquise, ne laisse pas d’autre choix, en cas de casse moteur, que d’aller tout droit devant en espérant trouver en quelques secondes une solution d’atterrissage acceptable... Pour avoir vécu une fois l’expérience, elle reste marquée de façon indélébile dans mon cerveau de volatile…
500 pieds, rentrer les volets au moment où j’atteins la couche d’inversion délimitée par une très légère brume foncée et que le thermomètre prend plus 10° en moins de 100 pieds. Puis virage à gauche et cap à l’ouest baigné dans cette très belle lumière matinale. L’appareil glisse avec douceur sur cet air lisse et calme. A 1200 pieds je réduis puis stabilise le régime moteur, instant de grâce où tout semble magique, porté par les molécules invisibles de cet air amical. A cet instant le plaisir de voler devient indicible, sensation de liberté absolue, évasion totale que rien ne saurait contrarier.
Et je revois l’instant de mon premier vol solo, c’était il y a presque 15 ans, en ULM pendulaire, criant à pleine voix :
- Au moins j’aurais vécu ça !

Depuis, le plaisir ne s’est jamais émoussé.

jeudi 15 octobre 2009

Un certain goût d'Amérique


6 pistes, 7 terminaux, plus de 150 vols par heure, 230 passagers à la minute ! Entrer aux USA par l’aéroport international Hartsfield-Jakson d’Atlanta vous met tout de suite dans l’ambiance américaine. Ici tout est à une autre échelle.
Et ce qui frappe en premier en débarquant ici, ce sont tous ces « fat boys and ladies » marchant avec difficulté tels des morses sur les rochers au bord de l’océan. Dans le train automatique nous emmenant au terminal de sortie, face à moi un jeune couple essoufflé se tiennent la main. Lui, 1,85 m pour 150 kg. Sous une casquette de base-ball, le menton noyé dans un cou de pélican il porte une large chemise Hawaïenne couvrant un corps énorme en forme de barrique. Elle, 1,60 m et certainement plus du quintal. Corps difforme au sommet duquel, sur une touffe de cheveux blonds filasses et vaguement ondulés est plantée une orchidée. Chaussés de tongs, portant des lunettes de soleil, de toute évidence ils arrivent de vacances dans le Pacifique, pathétiques, perdus dans ces corps devenus gênants et inconfortables. Comment peuvent-ils trouver ensemble du plaisir physique ? Vont-ils pouvoir faire des enfants ? Je les plaints tout en culpabilisant sur le caractère discriminatoire de ma réflexion. Mais non, ce n'est pas ça du tout. Nous n'avons pas ici à faire à des exceptions se battant contre leur en bon point, ou, bien dans leur peau, l'assument parfaitement avec élégance, et montrées du doigt avec intolérance, mais à un vrai problème de santé public où une société entière se laisse dériver, victimes abandonnées aux effets ravageurs de cette « junk food » bon marché où le prix dérisoire de la super calorie industrielle a su générer des addictions dévastatrices ayant fait la fortune d’une certaine industrie agro-alimentaire. Pourquoi se priver, quand, pour satisfaire une petite faim, l’on vous propose le sachet de frites XXL pour le même prix que le format normal si vous en prenez deux ?
En fait ici tout est disproportionné : les hamburgers, les soft drinks pour faire passer, les gens qui les consomment, les voitures pour les transporter, les trucks, les autoroutes…



Attendant un collègue de travail qui doit arriver par l’autre coté du globe - de Thaïlande via le Japon - je m’installe à un café au terminal T. A peine assis, une jeune fille souriante et boulotte de type « Latinos » se précipite pour me proposer la carte des consommations, tout en précisant bien qu’à cette heure-ci on ne sert plus d’alcool. L’autre jour à Chicago, on m’avait demandé sans rire une pièce d’identité pour vérifier que j’avais bien plus de 18 ans avant de me servir une bière… Règlement stupide sorti de l’imagination puritaine de quelques élus conservateurs voulant donner bonne conscience à un certaine Amérique !

Sirotant un Coca light sans glace, je regarde distraitement, sans rien y comprendre, une partie de base ball à la TV tout en écoutant les commentaires de mes voisins de table sur les efforts du Président Obama pour réformer le système de couverture sociale. Des gens à priori tous simples s’indignant sur le fait que « ce nègre » de Président puisse imaginer empiéter sur leurs libertés individuelles. Et d’ajouter :
- En plus, maintenant, avec son prix Nobel pas mérité, il ne pourra même plus faire valoir la puissance de l’Amérique !
Cette haine raciste de l’Amérique profonde me fait froid sans le dos.

David me rejoint et nous prenons le bus vers Chattanooga, Tennessee.
70 miles/h au cruise control sur la large interstates 75 Nord à 5 voies. Il est déjà plus de 23h et nous roulons dans un flot ininterrompu de voitures, essentiellement de gros pick-up et autres SUV, la radio diffusant de l’excellent rock country. « Sur la route de Menphis… », comme dit la chanson, nous nous laissons bercer par le ronron agréable du gros V8 essence.
La cinquantaine bien mise, brushing blond ondulé, moustache taillée au millimètre et ventre débordant largement sur la ceinture, Ken, le chauffeur très sympa est un bavard aux petits oignons pour ses passagers, s’inquiétant sincèrement de notre confort et tout étonné que nous puissions venir de deux bouts du monde vers Chattanooga pour faire du business de poulet. Il en rigole peut-être encore.
Il est plus de minuit et demi lorsque nous arrivons à l’hôtel « Choo Choo », ancienne gare au milieu de laquelle trône encore une magnifique locomotive à vapeur, de celles régulièrement attaquées par les bandits dans les westerns. Très avenant, Ken nous porte les sacs jusqu’au comptoir d’accueil où 2 femmes hors d’âges nous accueillent chaleureusement un verre géant de soda glacé à la main. Ici le service n’est pas un vain mot. Il faut dire qu’il est pécuniairement récompensé par des « tips » systématiques. Ca aide.



Tandis que j’attends mon rendez-vous après un copieux petit déjeuner hyper énergétique et protéique : œufs, bacon, pommes de terre, fruits frais, thé, gaufre au sirop d’érable… à ce rythme j’en tiens au moins pour la journée, un vieil homme m’aborde spontanément :
- Bonjour jeune homme, comment ça va ce matin ?
- Très bien Monsieur, merci !
- J’m’appelle Bill et c’est bien toi que j’ai vu courir de matin ?
- En effet comme tous les jours.
- Alors t’es en pleine forme.
- Oui, j'crois…
Et le voilà parti qui me raconte sa vie : 73 ans, Marié à Marta depuis 50 ans cette année, mécanicien des chemins de fer retraité après avoir été militaire pour un temps, originaire de l’Oklahoma et visiblement heureux d’être là pour visiter sa fille. Puis d’ajouter :
- Les temps sont durs n’est-ce pas ?
- J’acquiesce juste d’un signe de tête.
- Mais nous allons r’partir comme à l’époque de mon père après la grande crise de 29 !
Le meilleur côté de l’Amérique ce Bill : gentillesse, spontanéité et optimisme indéfectible.

mercredi 7 octobre 2009

Tant qu'il y aura des voitures...


Tout d’abord le feulement roque d’un gros félin sortant d’une improbable caverne, suivi du « klang » d’Excalibure frappant le rocher.
Mes poils se dressent puis mon cœur s’accélère stimulé par la décharge d’adrénaline provoquée par la libération des décibels proportionnelle à la montée du régime moteur et à l’accélération. « Klang », deuxième, le casque heurte le dossier du siège baquet et mes pupilles se dilatent à l’approche du premier virage à droite. Freiner tard et surtout très fort. Heureusement le harnais me colle au siège. Droite, puis léger gauche et droite de nouveau pour aborder la ligne droite. A la volée, dans un claquement métallique jubilatoire, 3ème, 4ème, 5ème ; mon champ de vision se rétrécit rivé sur la bande d’asphalte. Regarder loin. Je suis projeté comme une balle vers un droite-gauche brutal, 4ème, 3ème, puis enchaîne une épingle à droite en 2ème. Un instant le soleil passe dans mon champ de vision. Le souffle court je vise le point de corde les yeux déjà fixés sur la sortie de courbe au ras de la bande enherbée. La piste brillante est légèrement humide et la voiture à tendance à sous-virer. Un filet de gaz seulement pour ne pas trop glisser. Roues droites, pied au plancher je remonte un rapport avant de freiner pour entrer dans un "S" très serré : gauche puis droite sur les vibreurs. De nouveau en 3ème jusqu’au rupteur à 8500 tour/mn pour enchainer une longue courbe à gauche à la limite de l’adhérence - le fun absolu - puis 4ème avant un freinage très fort en descendant d’un coup sur la boite séquentielle, 2 vitesses comme 2 coups de fusil. L’auto hurle laissant, tel un dragon de jeu vidéo, échapper quelques flammes par la ligne d’échappement, tandis que les pneus fument torturés sous la contrainte. Puis c’est un subtil enchaînement droite, gauche, droite, avant un long droit en dévers. Attention au transfert de masse, pas d’excès d’optimisme, tout en douceur. Et déjà la ligne des stands…

Retour à la réalité en stoppant doucement la voiture sans mettre le frein à main pour protéger les disques et plaquettes encore brulants. Laisser un peu tourner le moteur le temps de s’extraire de l’habitacle à travers l’arceau cage et enlever le casque sous les effluves mécaniques de l’auto encore frémissante. Retour au calme trempé mais heureux ! Une minute de pur bonheur où je redécouvre des sensations rares amplifiées par les réflexes primaires de mon cerveau reptilien. Etonnant ! Comment les voitures qui existent depuis seulement un siècle - une fraction de seconde à l’échelle de l’humanité – ont-elles pu nous conditionner à ce point ?