dimanche 27 mai 2012

Eternelle Russie

La Mercedes 600 V12 de notre hôte roule à vive allure sur l'autoroute en direction de Kazan, au cœur de la Russie.
Confortablement installé sur le siège arrière à réglages individuel de cette berline d'exception dont la décoration intérieure personnalisée a été commandée en Italie - boiseries précieuses, très beaux cuirs jusqu'au plafond, équipements électroniques personnels dernier cri et j'en passe - le paysage défile en silence derrière les épaisses vitres teintées. Ici rien n'est trop "beau" pour impressionner les visiteurs, et je me demande ce que je vais bien devoir imaginer lors du match retour en France. En tout cas certainement pas jouer sur le même registre, mais plutôt celui de la technologie, celle développée chez nous qui les intéresse tant, et peut être un diner très simple à la maison pour conforter les relations personnelles. Autre monde, autres mœurs.
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Kazan, capitale de la république du Tatarstan. Pour rejoindre l'université nous empruntons à pied "le chemin des écoliers" par le kremlin, littéralement cité fortifiée, à l'impressionnante enceinte blanche immaculée. Au milieu de la fortification domine une magnifique église orthodoxe blanche et bleue aux clochers dorés brillant de mille feux sous le soleil de fin d'après-midi. A quelques mètres un étonnant minaret de briques rouges plusieurs fois centenaire semble lui faire écho. Un peu plus bas, au centre d'une esplanade de pavés noirs, une spectaculaire mosquée reconstruite récemment, sorte de Taj Mahal Tatar que l'on présente comme la plus grande d'Europe, domine la vielle ville construite sur les rives de la Volga. Surprenant mélange des genres. L'image est belle. En marchant d'un bon pas sur les trottoirs impeccables longeant les façades style empire, nous croisons une population multiethnique mêlant origines occidentales et orientales, entre les grands blonds aux yeux clairs et les petit brun aux yeux en amande, styles vestimentaires marquant aussi les différences culturelles, notamment religieuses - chrétiens orthodoxes, musulmans, quelques juifs - tout cela apparemment dans une belle harmonie.
Nous entrons par la porte principale de l'universite, sous de monumentales colonnes "grecques", très grand bâtiment dans le plus pur style classique Russe. A l’intérieur d’interminables couloirs agrémentes de multiples tableaux et gravures retraçant l'histoire de ces lieux chargés d'histoires, carrelage polis par les pas de milliers d'étudiants formés ici depuis plus de 200 ans, mains-courantes impeccablement cirées et cuivres rutilants. Cela sent bon la culture, la science, les arts, tous ces ingrédients qui font la Russie éternelle et lui donne ce supplément d'âme que l'on ne retrouve pas ailleurs, en tout cas pas de la même façon, et qui rend ce pays si attachant.
Après notre rendez-vous de l'après midi avec le Premier Ministre, nous rencontrons maintenant le recteur de ces lieux prestigieux, accompagné de tout un aréopage d'enseignants chercheurs pour parler biopharmacie, grand oral au débotté sur des bancs où sont se sont assis notamment l'écrivain LéonTolstoy ou le mathématicien Carl Friedrich Gauss. Moment quelque peu impressionnant pour l'autodidacte que je suis, où il s'agit d'expliquer notre approche technologique originale de manière synthétique et pédagogique. Je suis aidé par Anne-Marie, notre interprète, petite femme française pétillante, d'une rare vivacité, parlant parfaitement le Russe. Ecoute attentive de la petite assemblée, questions pertinentes, le moment est agréable, un peu en dehors du temps. Ici nous n'avons rien à vendre directement, juste stimuler l'intérêt pour ce que nous développons, moment d'échanges intellectuels sans autre arrière pensée. Et je regarde nos interlocuteurs dans "les yeux" en me disant que je les envie pour un court instant de s'épanouir dans un monde d'idées, de réflexions, d'échanges intellectuels où le temps et la pression économique n'ont que peu d'emprise.

mercredi 23 mai 2012

"Poussières d'étoiles"

Passer une nuit à l'observatoire astronomique du Pic de Midi est une expérience unique.
Pour se rendre à la Mongie, d'où part le téléphérique, il a n'y a que deux choix, et encore uniquement à la belle saison : soit monter gentiment au village par la vallée, soit y accéder via l’autre versant en empruntant le célèbre col du Tourmalet.
Les plus courageux tenteront de le franchir à vélo, j'en connais... mais quoi de plus plaisant qu’une montée en voiture "sportive classic" ? Oui, vous savez, l'une de ces vraies voitures des années 70 où l'on s'assoit par terre, avec le moteur à l'arrière, et bien entendu sans direction assistée, ni ABS, ni autre assistance électronique de ce genre, histoire de conduire vraiment.
Donc, pour ceux qui ont la chance d'en posséder une, ou de s’en faire prêter par un très très bon copain... attaquer le col toutes fenêtres ouvertes, profiter pleinement de l'air frais d'altitude en se délectant des montées en régime du moteur dont le son amplifié par les parois rocheuses devient une véritable symphonie mécanique - improbable symbiose de la machine avec la nature - engager la voiture dans les épingles à la limite de l'adhérence et accélérer, encore en appui, en jouant sur le grip des gommes des roues arrières est un plaisir unique à consommer sans modération, peut-être moins agréable pour ma passagère, mais comme c'est mon anniversaire j'ai droit à quelques tolérances conjugales ; d'autant qu'entre les lacets, la limite des 90 km/h n'est pas vraiment contraignante. Et de toute façon, où voudriez-vous mettre un gendarme en embuscade sur ce type de terrain, entre le mur rocheux au raz de la chaussée et le ravin de l'autre coté ?
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De La Mongie part donc le téléphérique vers l'observatoire perché à presque 3000 m d'altitude. A bord de la cabine retour au calme. Montée en silence pendus à un fil dans l'épaisse couche nuageuse, sensation de perte de repère absolue enveloppé d'une étrange atmosphère cotonneuse d'un blanc presque fluorescent. Approcherions-nous du paradis ?
Puis les brumes se déchirent laissant apparaitre un étrange vaisseau bardé d'antennes et de coupoles posées sur les cimes. Nous débarquons tout sourire et prenons rapidement possession de notre chambre, en fait une simple cabine perdue dans un dédale de couloirs reliant des salles aux noms étranges nichées entre les différentes ailes du bâtiment. On s'attend à croiser Monsieur Spock mais ne rencontrons que des astronomes échevelés aux yeux rougis par des nuits trop courtes.
Pour un astronome amateur dont je suis, imaginer mettre l'œil à l'oculaire d'un instrument professionnel, qui plus est à l'observatoire du Pic, est un rêve de gosse ; de ceux d'un pilote amateur imaginant un jour voler à bord d'un jet de chasse (ça ce sera pour une autre fois... peut-être...), ou d'un conducteur de GTI prenant le volant d'une F1. Il reste tant à faire…
Mais pour en revenir au rêve du jour, plus précisément de la nuit offerte par ma chérie... (qu'allez vous imaginer ?) les prévisions météo s'annoncent médiocres. Comme il est bien connu que le temps change très vite en montagne, on garde toujours l'espoir d'une percée tandis que le ciel s'obscurcit et que la neige commence même à tomber.
Notre animateur est lui aussi désolé mais n'y peut rien. Il nous compte l'épopée de la construction de l’observatoire du Pic, depuis le Général Nansouty pionnier de la fin du 19eme siècle, en passant par Bernard Lyot et ses célèbres chronographes solaires, jusqu'à nos jours, formidable aventure humaine portée par des passionnés pour ce chantier qui a été le plus haut d'Europe, dans des conditions particulièrement inhospitalières. Une prouesse.
La percée attendue ne venant malheureusement pas, on nous présente un merveilleux « film de contrebande », superbe montage d'images chipées sur internet et commentées avec talent, travail d'astronomes philosophes remettant en perspective la modestie et la magie de notre condition humaine, "poussières d'étoiles" perdues quelque part dans l'immensité de l'univers. Sommes-nous là par hasard ? Sommes-nous les seuls ? Avons-nous bien conscience de notre situation sur cette si fragile petite planète bleue ?
Car c'est aussi cela aussi l'astronomie, tenter de comprendre le mystère des origines, imaginer vers où nous allons, rêver à d'autres mondes lointains, être pris de vertiges devant l'immensité du cosmos, de sa beauté, de son fonctionnement.
Et la soirée s'allonge doucement. Dehors ça ne s'arrange pas. Alors que nous aurions aimé observer, nous dissertons tout en tournant avec respect autour de ces extraordinaires machines à remonter le temps que sont les télescopes. Imaginez en effet que regarder une galaxie située à des millions d'années lumière c'est en réalité la voir telle qu'elle était au moment où la lumière que nous recevons d'elle est partie dans notre direction, et non pas telle qu'elle est aujourd'hui. Regardez loin c'est regarder tôt. Et depuis qu'a t'il bien pu se passer sur ces mondes lointains ? Et parler de tout cela est finalement presque aussi agréable que d'observer.
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La nuit s'étire sous les flocons. Il est maintenant temps de se coucher. Nous n'avons rien vu, et pourtant des étoiles plein les yeux rougis par cette veillée peu ordinaire.