vendredi 13 août 2021

Du col du Turini aux confins de l'univers ...

 

Turini, un col pas tout à fait comme les autres. Le point d’arrivée d’une des plus belles spéciales du Rallye de Monté Carlo où nous nous retrouvons presque par hasard. Si si, je vous l’assure, après avoir dû faire demi-tour, notre Gemeni n’étant pas admis pour bivouaquer dans la réserve du Mercantour d’où nous avions l’intention de rejoindre la prometteuse Vallée des Merveilles. Faute de temps ce sera pour une prochaine fois.

Pause expresso au Chalet, le café restaurant des pilotes et écuries de course au sommet du Turini. Service à peine aimable sur la terrasse d’un établissement en décrépitude. Dommage. A l’intérieur des centaines de photos du rallye - voitures, gueule de pilotes et mécanos, plaques de course - depuis les années 80. Ca pourrait être sympa mais ça ne l’est pas.

On redescend vers la vallée de la Vésubie totalement dévastée par les pluies torrentielles des derniers mois, véritables bombes météorologiques ayant bouleversées le paysage de ces gorges encaissées. De véritables scènes de guerre où routes, rues et maisons ont été balayés par des torrents de boue et de pierres (je devrais plutôt dire rochers) descendus de la montagne. Il faut le voir pour le croire tant le capharnaüm est impressionnant. Et d’imaginer le traumatisme des personnes ayant subi une telle attaque. Reconstruire ici est une gageure que je ne prendrais pas.

Notre itinéraire improvisé nous emmène vers « La plus haute route d’Europe ! » Dit comme cela, l’annonce est alléchante.

La départementale grimpe vers le col de la Bonette culminant à 2800 m. On quitte la vallée et son torrent paisible pour s’élever dans la forêt. D’abord les feuillus sur des tapis d’humus aux odeurs d’automne. Puis les conifères et leur parfum de résine et d’encaustique de chalet de montagne. L’ascension se poursuit en lacets à travers les prairies d’alpage ponctuées de milles fleurs aux couleurs multicolores. Par contraste, en contrebas la forêt drape le paysage de nuances de noirs presque lugubres. Au-dessus, entre les pâturages verdoyants s’écoulent quelques ruisseaux scintillants.

Nous dépassons les 2000 m. Le paysage devient lunaire, minéral, dans des nuances grises et bleutées. Le bleu du ciel gagne en profondeur, devenant presque cristallin. Nous entrons dans une nouvelle dimension, épurée, brute, rude, où la vie semble ne pas bien trouver sa place. Sur 360°, l’horizon est barré de sommets acérés pareils à d’inaccessibles forteresses, comme les remparts de cet environnement exceptionnel.

2500 m, l’altitude redonne des perspectives au paysage magnifié par la lumière de fin d’après-midi. Un peu comme si nous le survolions. L’azur prend les belles couleurs dégradées du couchant, moment magique ou le feu de notre étoile se lève de l’autre côté de la terre, et que du nôtre les premières étoiles s’allument, prémisses d’une nuit constellée exceptionnelle.

Arrêt photo souvenir au sommet, il fait presque froid, puis nous amorçons la descente à la recherche du bivouac parfait. Comme un hasard extraordinaire, des astronomes amateurs s’installent pour la nuit sur une plateforme rocheuse à 2500 m. Impossible de ne pas s’arrêter ici et sortir la lunette astronomique.

23h : comme une arche dans le ciel d’encre piqueté d’étoiles, la voie lactée étale sa lumière diaphane. Le voyage prend alors une dimension sidérale. L’œil rivé à l’oculaire de ma lunette, je plonge dans le cosmos pour une éphémère odyssée dans l’espace et dans le temps. Magnifique observation des objets stellaires de la riche constellation du Sagittaire où la nébuleuse Trifide rayonne de mille feux. Je suis à des années lumières de la route la plus haute d’Europe. La Terre n’est plus qu’une infime particule de l’univers.

2h du matin. Je suis gelé. Retour sur terre dans notre Gemini.

 

 

mardi 10 août 2021

Le Sentier des Cavaliers

 Nous reprenons la route, remontant le Verdon rive gauche à flanc de falaise. Je ne sais plus où donner de la tête tant les panoramas vertigineux s’enchainent sans discontinuer. S’il n’y avait la fine bande d’asphalte, nous volerions dans le grand canyon avec notre Gemini, quelques 1000 mètres au-dessus du Verdon dont on aperçoit le cours vert émeraude s’écoulant entre les falaises de craie.

Au hasard d’un virage, le départ d’un GR au nom évocateur : « Sentier des Cavaliers ».

-       On y va ?

-       Oui, bonne idée.

Et nous voilà partis pour une randonnée très engagée sur ce sentier des Cavaliers aussi appelé Vidal ou encore Imbut, démarrant par une descente abrupte jusqu’au fond des gorges. Comme c’est « l’heure de pointe », au bout du parking on démarre un peu à la queue leu leu, sur l’étroit sentier entre des petits chênes noueux et des bosquets de buis. Très rapidement la descente s’avère délicate. De hautes marches entre les rochers sur des appuis approximatifs. Chaussures de rando et bâtons, nous sommes bien équipés. Devant nous des familles descendent, à la peine, en simples baskets, prenant appuis dans la pente sur les mains et les fesses pour ne pas risquer la chute. Nous restons derrière pour ne pas « forcer » une descente déjà compliquée.

Par moment, le chemin équipé en voie ferrata, littéralement taillé dans la paroi calcaire, surplombe le paysage en de spectaculaires à pics. Sans assurance, le moindre faux pas pourrait être fatal. Chacun continue sa descente tant bien que mal et on sent que certains se demandent dans quoi ils se sont engagés. Mais bon, l’excursion se poursuit avec en bas la promesse d’un pique-nique au bord de l’eau dont la jolie musique égaye cet environnement brut.

Peu avant de rejoindre le lit de la rivière, une petite plaque à la mémoire d’un jeune garçon décédé ici accidentellement. Pas sûr que tout le monde l’a bien vu. Un peu plus loin, tandis que nous longeons le cours du torrent, une autre plaque, cette fois-ci immanquable, à la mémoire d’une jeune fille noyée. Rappels que nous sommes dans une nature magnifique mais hostile.

C’est l’heure du déjeuner. Chacun cherche son coin sur les rochers tièdes et polis au bord de l’eau. On profite du soleil de début d’après-midi donnant encore jusqu’au fond du canyon, et de la fraîcheur de l’eau vive. Agréable moment dans cet environnement préservé où l’on se sent vivre vraiment, ou plutôt différemment, comme un éphémère retour à « l’état sauvage ».

Mais il faut bien revenir à la civilisation. Et nul doute que beaucoup de souviendront de ce moment. Les 1500 m de dénivelé négatif vont devoir être remontés, et quelle remontée !

Nous reprenons nos bâtons et leur cliquetis rassurant sur le sentier, concentrés pour éviter tout faux pas. Une nouvelle plaque commémorative au-dessus d’un surplomb. A chaque fois cela me fait quelque chose de penser à cette vie interrompue accidentellement. Quel gâchis tout de même, même si, comme on dit souvent, il ou elle était heureux(se) quand c’est arrivé. Tu parles ! Peut-être était-il aussi à la peine, au-delà de ses propres limites, comme cette toute jeune fille que nous suivons à la remonté, suivie par son père tentant de la rassurer comme il pouvait, ou cette femme en surpoids totalement à la peine sur des appuis plus qu’incertains, ou encore ce couple de quarantenaires totalement essoufflés et un peu en panique, s’accrochant comme ils le pouvaient à une main courante surplombant un impressionnant éboulis de pierres, et auxquels nous passons quelques mots d’encouragement.

De nouveau une plaque commémorative. Cette fois-ci un jeune garçon de 14 ans dont la vie s’est envolée.

Ne pas faire d’erreur, rester concentrer jusqu’au bout...

Nous ressortons au sommet de la voie après 1500 m dénivelés positifs, heureux de cette belle randonnée à flanc de falaise, sans avoir eu le sentiment de prendre de risques inutiles. Absolument rien d’un d’exploit. Mais de vraies questions autour du principe de précaution : alors que tout est aujourd’hui normé et réglementé, est-il vraiment raisonnable de laisser librement s’engager des non-initiés dans une telle « aventure » objectivement dangereuse, sans avoir au moins prévenu des risques encourus et des conditions matérielles requises ? Chacun est évidemment libre de prendre ses responsabilités, mais en connaissance de cause. Ce n’était pas du tout le cas.

Aucun doute qu’à la fin des vacances, bon nombre de ceux étant passés par là s’en souviendront comme un acte de bravoure bien au-delà de ce qu’ils auraient pu imaginer.

Et finalement c’est peut-être ça aussi la vraie vie.


 

samedi 7 août 2021

Les beaux bivouacs de Gémini (Chapitre 2)

La traversée du plateau des Cévennes, devenu aujourd’hui réserve naturelle, n’a probablement pas beaucoup changé depuis Stevenson. Bien sûr il y a maintenant des routes. Mais ce sont plutôt des « routins », chemins muletiers élargis suivants les irrégularités du relief naturel et recouverts de goudron rapiécé.

Sur les grands causses, de vastes prairies ondulantes ponctuées de gros rochers, comme s’ils avaient été posés là pour la beauté du paysage. Entre les fermettes, quelques troupeaux paissent paisiblement sur des parcelles délimitées par des kilomètres de fils barbelé rouillé tirés le long de poteaux de bois grossièrement taillés. Très loin, la ligne d’horizon magnifiquement dessinée par les reliefs de moyenne montagne que l’on finit par rejoindre. Et l’on entre alors dans un autre monde où l’horizontalité cède sa place à la verticalité des gorges. Parfois les nuages s’accrochent aux reliefs, ajoutant au mystère du panorama une touche de poésie ressemblant aux estampes traditionnelles Chinoises. Au creux des vallées, la route en lacet finit toujours par rejoindre un village, la plus souvent point de traversée des rivières par d’antiques ponts de pierres aux voutes élancées plusieurs fois centenaires. 

On s’y arrête faire quelques courses alimentaires chez l’épicier du coin, puis déguster un expresso à l’ombre des platanes. Le temps n’a plus vraiment d’autre dimension que l’instant de cette déambulation estivale. La pluie se met à tomber mais ça n’a aucune espèce d’importance. Les goutes en seraient presque agréables.

Les paysages changent. Les odeurs aussi. On entre en Provence et ses senteurs d’herbes aromatiques. Les Alpilles nous projettent dans les tableaux de Paul Cézanne que l’œil de l’artiste a su magnifier dans ses interprétations magistrales. 

Les champs d’oliviers alternent avec les fruitiers, les vignes, et les rangs de lavande. Tout semble parfaitement posé, génie de l’homme ayant su organiser le potentiel d’une nature généreuse. On s’arrête au hasard découvrir un village. Juste parce qu’il semble faire bon y vivre au pied des restes d’un château médiéval. Marcher sous la pluie tiède dans ces ruelles étroites et mal pavées où quelques résidents s’accrochent encore. Croiser quelques originaux venus d’on ne sait où, ayant trouvé là leur eldorado spirituel... Le petit restaurant nous accueille chaleureusement. On y déjeune délicieusement. Cuisine simple et de qualité, magnifiée par la gentillesse du couple dont c’est toute la vie.

Nîmes et ses arènes. Impossible de ne pas s’y arrêter, comme certainement des milliers de voyageurs fascinés depuis 2000 ans par cette construction exceptionnelle dont on parle à des centaines de kilomètres à la ronde.

Imposantes de l’extérieur, les arènes prennent toute leur dimension à l’intérieur. Du haut des gradins, la perspective projette le regard vers le centre de la scène ovale, comme l’œil d’un cyclone vu de l’espace. L’impression est saisissante, sans aucun doute le but recherché par ses concepteurs et promoteurs : faire converger regards et émotions du peuple sur le spectacle donné par le pouvoir, marquer les esprits, fédérer les masses populaires autour d’évènements dont on se souviendra longtemps. Quel pouvait être l’effet de combats de gladiateurs sur les spectateurs ? Peu de doute qu’à l’époque nous y serions allés pour voir...

On y donne aujourd’hui concerts et spectacles historiques. Autre temps autre mœurs. Mais toujours ce besoin de vibrer ensemble.

 

 

 

 

 

 

mardi 3 août 2021

Les beaux bivouacs de Gemini

Certains rêvent de résidence secondaire dans un lieu paradisiaque. On peut les comprendre et même les envier. Mais aussi agréable soient-ils, de tels lieux de villégiature ne seraient-ils pas un fil à la patte où, certes il fait bon aller se reposer dans une cadre idyllique, mais en se privant des beautés du vaste monde ?

Depuis des années nous nous sommes dit que le jour où nous pourrions le faire, plutôt qu’une maison secondaire, ce serait plutôt une tiny house à roulettes, véhicule de voyage capable de sortir des sentiers battus pour nous transporter vers les plus beaux endroits de la terre. Un camping-car ? Pas vraiment. Plutôt un camion léger, tout terrain, aménagé pour le voyage et capable d’aller partout, ou presque. Confinement aidant nous avons franchi le pas avec l’acquisition de notre « Gemini », en hommage aux petites capsules spatiales des pionniers de l’espace Américain dans les années 60. Pour ceux que cela intéresse, un sprinter Mercedes 4x4, boite auto avec réducteur, aménagé par Hymer, et éguipé des dernières interfaces multimédias. Le détail qui tue : en plus du lit permanent à l’arrière, le toit relevable offre un deuxième couchage XL. On ne va pas vous mentir, c’est une merveille.

Nos premiers tours de roue nous conduisent vers les grands espaces du Massif-Central puis de la Lozère sauvage. En fin de journée, la lumière chaude et rasante donne aux cônes parfait des volcans éteints de la Chaine des Puys des allures de Jurassic Park. Ne manquerait plus que de croiser quelques dinosaures pour qu’au voyage s’ajoute une dimension extra-temporelle.

Parce qu’ici la vue est parfaite, on s’arrête bivouaquer sur une prairie au bord de la départementale sur les pentes de la Banne d’Ordanche. Et c’est comme si la perspective s’étirant sur des dizaines de kilomètres élevait l’esprit. Au petit matin on enfile les chaussures de rando, les sacs à dos, et partons randonner un peu au hasard sur les hauts plateaux que l’herbe ondulante décore en plaines Mongols. L’imagination se laisse porter. Le voyage prend alors sa vraie dimension. 

Avec plaisir nous retrouvons notre Gemini.

Et maintenant, on va où ?

-       La Lozère, ça te dit ?

-       C’est sauvage...

-       Ben oui. Justement.

Et l’on se laisse transporter par la route. Prendre les départementales pour ne surtout pas éviter les villages de cette France « profonde » où il fait bon s’arrêter. Prendre un café au troquet hors d’âge de la place de l’église et acheter le pain frais à la seule boulangerie où la patronne rondelette vous accueille derrière son comptoir en bois ciré.

La réserve naturelle des Cévennes autour du Mont Lozère n’a rien à envier aux parcs naturels Américains. Les paysages lunaires des grands causses à l’origine de bien des légendes et où sévit la bête du Gévaudan sont à couper le souffle. Nous empruntons les pistes autorisées d’abord larges et roulantes avant qu’elles ne se dégradent en étroits chemins caillouteux. Gemini fait des merveilles, confirmant son pédigrée de véhicule d’expéditions au potentiel hors du commun. S’arrêter ici, remettre les chaussures pour rejoindre le Pic Cassini orné de se son cône géodésique et y pique-niquer sans parler, les yeux perdus dans l’immensité du paysage...


Sur les traces de Stevenson, nous poursuivons notre pérégrination le nez au vent au gré des beaux itinéraires proposés par la carte Michelin au 1/250 000ème. Choisir les plus petites routes vertes au creux des gorges, ou vers les cols les plus élevés. On tourne un peu en rond, mais on s’en fiche. Peu importe la destination. Seul le voyage compte. Plaisir de se déplacer dans des paysages somptueux, découvrir des villages isolés où le temps semble s’être arrêté, puis choisir un beau bivouac en pleine nature pour la nuit.

Ah, si seulement la vie pouvait être aussi simple.