dimanche 26 octobre 2014

Sur le Bosphore



La petite embarcation où nous sommes tangue tranquillement sur les eaux scintillantes du Bosphore. 
Naviguant doucement vers la Mer Noire en longeant l’Europe à notre gauche et l’Asie sur notre droite, nous quittons la Mer de Marmara dont le seul autre échappatoire est le détroit de Dardanelles, jonction naturelle vers la mer Egée puis la Méditerranée.
Nous croisons le sillage des navires de commerce qui vont et viennent dans cet étroit goulet stratégique, théâtre de tant de hauts faits historiques qu’il en donne le tournis, tout comme le ballotement de notre coquille de noix au milieu de tout ce trafic maritime.
En nous éloignant du centre historique d’Istanbul et de sa Corne d’Or – bras de mer plongeant au cœur la ville – on découvre vers le sud le tableau saisissant qui a charmé tant de voyageurs depuis Byzance, devenue Constantinople puis finalement Istanbul : les deux mosquées monumentales (Mosquée Bleue et Sainte Sophie) dominant la cité telles des mères nourricières, et des centaines de minarets, fines flèches tendues vers un ciel changeant, au milieu de cette ville devenue tentaculaire.
En se retournant, vers le nord on découvre la perspective des deux ponts suspendus, élégants traits d’union entre les deux continents. Sur les berges, palais et maisons bourgeoises monopolisent le trait de côtes, mêlant les styles architecturaux développés au long de la riche histoire de ce lieu unique : opulents palais de marbre blanc cachant de précieuses céramiques, dans le plus pure style oriental, à la fois sobres dans leurs formes générales et baroques dans leur décoration faites de mille et un détails d’un raffinement de joaillier  ; vastes villas aux jardins arborés et fleuris se prolongeant par d’élégants pontons sur le Bosphore ; grandes maisons de bois traditionnelles ayant résisté aux affres du temps et de l’Histoire… Ici styles et époques se succèdent en se superposant magnifiquement, mélange d’orient et d’occident sans doute unique au monde à ce carrefour de civilisations qui raisonne encore de noms légendaires – l’Empereur Constantin, Soliman le Magnifique, Mehmed, Atatürk – héros du grand péplum de cette partie du monde.
 
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Istanbul est l’épicentre frénétique et cosmopolite d’un creuset unique de cultures entre Europe, Asie, Moyen-Orient et Afrique. Il y a ici un peu de New York, où de ces grandes citées portuaires aux noms magiques telles que Shanghai, Hong-Kong, Singapour, Le Cap, Santiago ou encore San Francisco, villes ouvertes sur le monde, et dotées d’une sorte de magnétisme universelle.
Entre des murs millénaires, bercés par une cohue nonchalante aux flaveurs poivrées, on déambule dans les ruelles des vieux quartiers encombrées de mille et une boutiques spécialisées vendant toutes plus ou moins la même chose : textiles, épices, produits alimentaires et autres objets du quotidien.
Les appels à la prière des muezzines rythment la journée, sonorités exotiques pour des oreilles occidentales, comme les carillons de nos clochers doivent l’être pour les visiteurs orientaux.
Si le plus frappant est ici la diversité tant culturelle que confessionnelle, autant de différences ne posant à première vue pas de difficulté majeure, nous sommes pourtant sur une poudrière. La montée du radicalisme islamique dans la région est un réel danger pour la démocratie. Les souffrances de la minorité Kurde, toujours pas complètement reconnue par la Turquie, et persécutée en Syrie, reste un sujet des plus sensibles.
La guerre menée par les extrémistes de Daech, ces fous qui sous prétexte de religion terrorisent les populations du Moyen-Orient dans l’objectif délirant de création d’un nouvel état dit « Islamique », califat transfrontalier aux codes de fonctionnement barbares de la pire époque Moyenâgeuse, et pourtant capables de cristalliser les énergies de centaines de jeunes Européens en déshérence, est au porte du pays qui hésite encore parfois à se positionner, tant il est tiraillé par les facettes multiples et parfois presque opposées de ses origines millénaires.
Le souhait de rejoindre l’Europe exprimé par la Turquie, et le peu de réceptivité de nos gouvernants face à cette idée audacieuse laisse un goût amer que nous pourrions un jour regretter, même s’il faut bien admettre que nous sortons largement des frontières historiques et naturelles du vieux continent et que, sans doute, la majorité des Européens n’accepteraient pas facilement cette « grande idée ».
Et pourtant, ne serait-ce pas le geste historique qui permettrait de créer le lien constructif qui nous manque avec ce Moyen-Orient aujourd’hui en grande difficulté, tout en redonnant un élan à notre Europe atone, porteuse elle aussi de dangereux germes extrémismes qui, même s’ils n’ont à priori rien à voir avec ceux prospérant dans cette région du monde, pourraient bien conduire au même résultat ?