Naviguant doucement vers la Mer Noire en longeant l’Europe à notre gauche et l’Asie sur notre droite, nous quittons la Mer de Marmara dont le seul autre échappatoire est
le détroit de Dardanelles, jonction naturelle vers la mer Egée puis la
Méditerranée.
Nous croisons le sillage des navires
de commerce qui vont et viennent dans cet étroit goulet stratégique, théâtre de tant
de hauts faits historiques qu’il en donne le tournis, tout comme le ballotement
de notre coquille de noix au milieu de tout ce trafic maritime.
En nous éloignant du centre
historique d’Istanbul et de sa Corne d’Or – bras de mer plongeant au cœur la
ville – on découvre vers le sud le tableau saisissant qui a charmé tant de voyageurs
depuis Byzance, devenue Constantinople puis finalement Istanbul : les deux
mosquées monumentales (Mosquée Bleue et Sainte Sophie) dominant la cité telles
des mères nourricières, et des centaines de minarets, fines flèches tendues
vers un ciel changeant, au milieu de cette ville devenue tentaculaire.
En se retournant, vers le nord on
découvre la perspective des deux ponts suspendus, élégants traits d’union entre
les deux continents. Sur les berges, palais et maisons bourgeoises monopolisent
le trait de côtes, mêlant les styles architecturaux développés au long de la
riche histoire de ce lieu unique : opulents palais de marbre blanc cachant de précieuses céramiques, dans le plus
pure style oriental, à la fois sobres dans leurs formes générales et baroques
dans leur décoration faites de mille et un détails d’un raffinement de joaillier ; vastes villas aux jardins arborés et
fleuris se prolongeant par d’élégants pontons sur le Bosphore ; grandes
maisons de bois traditionnelles ayant résisté aux affres du temps et de l’Histoire… Ici styles et époques se succèdent en se superposant magnifiquement, mélange d’orient
et d’occident sans doute unique au monde à ce carrefour de civilisations qui
raisonne encore de noms légendaires – l’Empereur Constantin, Soliman le
Magnifique, Mehmed, Atatürk – héros du grand péplum de cette partie du monde.
...
Istanbul est l’épicentre frénétique
et cosmopolite d’un creuset unique de cultures entre Europe, Asie, Moyen-Orient et Afrique. Il
y a ici un peu de New York, où de ces grandes citées portuaires aux noms
magiques telles que Shanghai, Hong-Kong, Singapour, Le Cap, Santiago ou encore San
Francisco, villes ouvertes sur le monde, et dotées d’une sorte de magnétisme
universelle.
Entre des murs millénaires, bercés par
une cohue nonchalante aux flaveurs poivrées, on déambule dans les ruelles des
vieux quartiers encombrées de mille et une boutiques spécialisées vendant
toutes plus ou moins la même chose : textiles, épices, produits alimentaires et autres objets du quotidien.
Les appels à la prière des muezzines rythment
la journée, sonorités exotiques pour des oreilles occidentales, comme les carillons de nos clochers
doivent l’être pour les visiteurs orientaux.
Si le plus frappant est ici la diversité
tant culturelle que confessionnelle, autant de différences ne posant à première
vue pas de difficulté majeure, nous sommes pourtant sur une poudrière. La montée
du radicalisme islamique dans la région est un réel danger pour la démocratie. Les
souffrances de la minorité Kurde, toujours pas complètement reconnue par la
Turquie, et persécutée en Syrie, reste un sujet des plus sensibles.
La guerre menée par les extrémistes
de Daech, ces fous qui sous prétexte de religion terrorisent les populations du
Moyen-Orient dans l’objectif délirant de création d’un nouvel état dit « Islamique »,
califat transfrontalier aux codes de fonctionnement barbares de la pire époque Moyenâgeuse,
et pourtant capables de cristalliser les énergies de centaines de jeunes
Européens en déshérence, est au porte du pays qui hésite encore parfois à se
positionner, tant il est tiraillé par les facettes multiples et parfois presque
opposées de ses origines millénaires.
Le souhait de rejoindre l’Europe
exprimé par la Turquie, et le peu de réceptivité de nos gouvernants face à
cette idée audacieuse laisse un goût amer que nous pourrions un jour regretter,
même s’il faut bien admettre que nous sortons largement des frontières
historiques et naturelles du vieux continent et que, sans doute, la majorité des
Européens n’accepteraient pas facilement cette « grande idée ».
Et pourtant, ne serait-ce pas le
geste historique qui permettrait de créer le lien constructif qui nous manque
avec ce Moyen-Orient aujourd’hui en grande difficulté, tout en redonnant
un élan à notre Europe atone, porteuse elle aussi de dangereux germes extrémismes
qui, même s’ils n’ont à priori rien à voir avec ceux prospérant dans cette
région du monde, pourraient bien conduire au même résultat ?
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