mardi 11 mars 2014

Et les pinsons alors ?



Les compagnons de voyage de Charles Darwin sur le Beagle le surnommaient « l’attrapeur de mouches ». Et lorsqu’il est question de la visite de Charles Darwin aux Galapagos, on l’associe immédiatement aux fameux pinsons, 13 ou 14 espèces différentes dont les becs ont évolués fonction de leur régime alimentaire, observation qui serait l’un des fondements de sa fameuse théorie sur « l’évolution des espèces par la sélection naturelle ».

Les mouches, les pinsons… oui, pourquoi pas ? Mais j’ai tout de même du mal à croire que ce furent là les observations les plus marquantes de Darwin sur ces îles.
Oublions les insectes dont il ne fut finalement que relativement peu question par la suite, et ne considérons que les pinsons.
Certes, il sont nombreux et très familiers, au point de prendre l’initiative du contact avec le voyageur, ce qui est très inhabituel pour un européen plutôt habitué à voir s’envoler les moineaux. Charles a donc pu les observer à loisir.
Mais franchement, est-il imaginable que c’eut été la révélation de son bref passage aux Galapagos, en comparaison avec toutes les merveilles animalières découvertes à cette occasion ?
Etonnamment d’ailleurs, ce sont bien des années plus tard que l’histoire des pinsons est apparue, à la faveur de travaux postérieurs menés par des ornithologistes (ce que n'était pas Darwin), et même jusqu’à l’époque contemporaine.
Y’a donc un truc qui cloche dans cette histoire de pinsons des Galapagos. 
En réalité elle semble bien avoir été "montée en épingle" ultérieurement comme un élément fondateur d’une théorie révolutionnaire qui a demandé du temps de maturation et dont ils ne sont qu'un très modeste exemple.

De toute évidence, ce qu’a vu Charles Darwin est très différent : des animaux extraordinaires sur des îles mystérieuses à la géologie unique dotées d’une nature singulière.
Nous touchons certainement ici la légende née autour de tout cela.

Quant aux célèbres pinsons, n’auraient-ils pas pris cette importance tout simplement parce qu’ils sont tellement faciles à attraper ? :)
Pensez-donc, quelques tortues de plus de 200 kg, des lions de mers, des iguanes, 2 ou 3 requins et autres pélicans, pas simple à rapporter d’un tour du monde sur un navire qui n'a rien de l'arche de Noé et dont vous n’êtes qu’un simple et très jeune passager.

lundi 10 mars 2014

"Voyage au centre de la terre"



Depuis Santa Cruz, 2 heures de hors bord sous les gerbes étincelantes pour rejoindre Isabella la plus grande île des Galapagos.
Nous dépassons un banc de dauphins avant de virer tribord pour entrer prudemment dans la petite baie truffée de récifs affleurants.
En tout et pour tout un peu plus de 2000 personnes vivent ici, dans un village aux rues en terre battue, sur les pentes du volcan Sierra Negra, encore actif, et dont la dernière grande éruption date de 2005.

...

De bonne heure nous partons à cheval vers le cratère principal culminant à un peu plus de 1000 m, agréable ballade à la fraiche dans une végétation luxuriante encore humide des pluies de la nuit. Tandis que le sommet approche, sur notre droite vers le sud-est, en contre jour la longue pente verdoyante vaporeuse descend jusqu'à l'océan.
Nous atteignons un faux plat et la vue se dégage à gauche sur la gueule du cratère, comme une gigantesque marmite d'une dizaine de km de diamètre (2ème plus grand cratère volcanique au monde après celui du Ngorongoro en Tanzanie).
Au fond la masse noire du magma refroidi entouré d'une spectaculaire et régulière ligne de crête, telle une citadelle naturelle protégeant l’environnement de la colère du monstre endormi.
Nous poursuivons notre progression sur la ligne de crête avant de laisser les cheveaux pour descendre à pied sur les coulées de lave le long de la pente nord-est, comme des fleuves en cru dont on aurait figé les flots, chaos géologique d’une incroyable puissance dévastatrice. De temps à autres des bouches béantes continuent d’exhaler des vapeurs tièdes, histoire de rappeler au visiteur (prudent) que le monstre ne fait que dormir.
Nous continuons notre descente dans un capharnaum d’une rare beauté brutale, de celle des grands glaciers.
Par endroit les coulées de lave ont formé de longs boyaux creux, comme si, telle une blessure, les entrailles de la terre étaient sorties du ventre dans un jaillissement sanglant emportant tout son passage.
Les fissures succèdent aux coulées entre les gouffres dans d’étonnantes nuances colorées presqu'agressives ; chimie de tous ces éléments en fusion, refroidis, oxydées, corrodés : nuances de rouge, bleu, gris, noir, jaune, vert, blanc dont certaines cristallisées brillent au soleil telles des pierres précieuses.
 
Quel fabuleux « voyage au centre de la terre » ! 
Et je ne résiste pas au plaisir de dresser un modeste kerne au milieu du chaos, curieux d'imaginer Charles Darwin lisant cet ouvrage du grand Jules Verne, de presque 20 ans sont cadet. 



dimanche 9 mars 2014

Si le loup y était...



Traversant une forêt de cactus géants centenaires, nous rejoignons une plage de rêve, longue grève de sable blanc où se reproduisent les tortues de mer.
Des dizaines d’iguane semblent figés tels des jouets d’enfant dinosaures qu’on aurait posé là.
Au bout de la place on aboutit à une mangrove au milieu de laquelle une lagune accueille toute sorte de poissons venus trouver là une nourriture abondante. Et l’on dit même qu’il y aurait des requins…
Ah, les requins. Pourquoi ont-ils, à l’image des loups, pris une telle dimension dans l’imaginaire collectif ?
Quand on parle du loup, comme du requin, on image La Bête mangeuse d’homme, celle avec un long nez, un regard méchant, une gueule énorme et des grandes dents pointues. Et c’est vrai qu’ils ont tout cela en commun. Mais ici point de loup, et l’on nous assure que les requins sont inoffensifs pour l'homme, comme les loups... Finalement c'est vrai, les seuls qui se plaignent du loup sont les bergers pour leurs montons. On n’a heureusement jamais vu un berger se faire dévorer. N’empêche qu’il continue de faire peur. Tout cela entretenu par d’épouvantables histoires pour enfants où il dévore grand-mère, petits cochons et chaperon rouge ! Brrr.
Mais alors le requin dans tout cela ?
Et bien oui, on nous en annonce dans la lagune. Et comme nous ne sommes pas berger, il n'y pas de danger pour nos moutons.
Que mangent-ils au fait ? Des poissons et même des lions de mer quand ils ont vraiment faim. Tout cela c’est de la viande non ? Tu parles, un lion de mer de 100 kg ça doit sacrément plus difficile à attraper et dévorer qu’un homme normal. Mais bon, faisons confiance aux gens du coin. Ils doivent bien savoir.

Combinaison, palmes et masques ; haut les cœurs, ce n’est le moment de mollir.
Avec Flo nous partons donc tranquillement découvrir la vision subaquatique de ce lieu paradisiaque. Eau légèrement trouble, mais température parfaite. On palme doucement histoire de ne rien manquer du spectacle, bancs de millions d’alevins comme des essaims d’insectes fluorescents, élégante stingray solitaire volant entre deux eaux, poissons couleur arc en ciel, zébrés, tachetés, striés, dans un étonnant festival de couleurs chatoyantes n’ayant probablement d’autre but que l’art de la séduction ou du camouflage.

Nous nous engageons dans un recoin du lagon quand j’aperçois soudain une longue forme effilées sous moi. Un requin d’au moins deux mètres cinquante vient de me dépasser. Bref instant de surprise, poils qui se redressent, je me retourne pour chercher Flo et tombe nez à nez avec un autre spécimen qui m’effleure comme si de rien n’était. Flo qui l’a aperçu également ne semble pas plus inquiète que cela. Tout donc être normal… Nous poursuivons notre progression pour arriver dans un quasi cul de sac et tomber sur un repère d’une dizaine d’individus qui ne nous attendaient pas et se mettent à tourner gentiment autour de nous. Pas dangereux qu’ils disaient. Y’a donc pas de raison de s’inquiéter. Mais sans doute pas de raison de déranger non plus.
 
Chérie, on rentre tranquillement sur la plage ?

samedi 8 mars 2014

Au commencement du monde



Poursuivant notre cabotage, nous abordons l'île Bartolomé, volcan brusquement sorti des flots il a quelques centaines de milliers d'années, un instant à l'échelle géologique. Spectaculaires coulées de lave fossilisées venant mourir dans l'océan en un nuancier de couleurs parfaites : mélange de silices pourpres, grises et noires  sous un ciel bleu moutonneux. Pas la moindre plante, seuls quelques petits lézards endémiques se sont adaptés sur cette terre encore vierge aux allures de sanctuaire géologique.

On gravit la pente assez raide par un chemin aménagé entre d’impressionnants cônes volcaniques éteints à la bouche encore grande ouverte. En se retournant on découvre une spectaculaire vue sur un lagon vert émeraude dans un cratère parfaitement circulaire rasant la surface, pur chef d'œuvre de la nature. Au large un navire "National Geographic" à jeté l’encre.
Darwin a passé quelques jours ici. La découverte d'un tel lieu aux allures de commencement du monde n’a pu le laisser insensible.
Poursuivant l'ascension jusqu’au sommet, s’offre alors une vue panoramique sur l'ensemble de l'archipel dont on dit qu’elle serait la plus belle des Galapagos. Cela ressemble en effet à la perfection, de celle du Sahara sous la lumière rasante de l'aube, des neiges éternelles du Mont-Blanc derrière les Aiguilles du Midi au couché du soleil, ou encore des plaines africaines quand paissent les grands herbivores sous les acacias.

Nous redescendons encore ébahis par un tel spectacle jusqu’à une petite plage de sable blanc où lézardent quelques iguanes aux cotés de démonstratifs lions de mer. Plus loin un pélican perché sur un gros rocher semble surveiller nonchalamment la scène, tandis que quelques pingouins plongent tels des torpilles à la poursuite de leurs poissons favoris.
Le temps d’enfiler combinaisons, palmes et masques pour s’immerger dans la troisième dimension et se retrouver au  milieu d’un foisonnement de vie : innombrables poissons de toutes sortes, toutes tailles, déclinant les couleurs de l’arc en ciel sous la lumière diffractée du soleil de midi à travers le lagon, comme si la nature aride de la surface compensait par une explosion de vie subaquatique ; là où tout a commencé. 
Or cela Darwin n’a pas pu le contempler, faute d’équipement. Et même s’il est possible d’en percevoir en transparence une infime partie depuis la surface, accéder à cette dimension change complètement notre vision de la vie sur la planète tant cette diversité « cachée » apparait essentielle et fragile à la fois.

Je me demande quelle aurait pu être la pensée de Darwin s'il avait pu le voir aussi ?

vendredi 7 mars 2014

l'île mystérieuse



Nous cabotons entre les îles comme a pu le faire Darwin lors de son expédition.
Les flaveurs de la cuisine remontent sur le pont, œufs brouillés préparés pour le petit déjeuner de l'équipage. On ne nous a servi que de mauvais sandwichs. Aucune importance, nous ne sommes pas là pour ça.
C'est la bonne heure, celle où le soleil distille encore une caresse agréable avant que la fournaise équatoriale n'agresse le voyageur non acclimaté.
Longeant la bande côtière de Santa Cruz, l'île presque ronde au cœur de l'archipel, nous découvrons les cactus géants à tronc d'arbre, innombrables totems s'élevant sur le sol basaltique sorti des entrailles terrestre pour émerger, à une époque géologique encore récente, en volcans actifs au dessus de l’océan.
Le capitaine fait jeter l'encre à quelques encablures de la terre ferme que nous rejoignons avec l'annexe. Dans les rochers humides sur la grève, un jardin d'enfants de lion de mer où adultes et juvéniles jouent en adoptant des expressions si proches des nôtres qu'elles en deviennent presque troublantes. A l'ombre des cactus, les iguanes lézardent aux cotés d'oiseaux nichant à même le sol.
Dans une odeur prononcée de guano (terme élégamment employé par les naturalistes pour parler des « merdes d’oiseaux »), nous marchons parmi toute cette faune extraordinaire comme si de rien n'était, enjambant les mini dinosaures et autres oiseaux aucunement effrayés par notre présence.
Par une pente douce nous rejoignons une falaise surplombant verticalement l’océan. Vue plongeante sur l'eau cristalline laissant apparaitre en transparence des bancs de poissons comme des volées d’hirondelles sur fond de ciel bleu. Saisissante impression de se retrouver plongé dans un des merveilleux documentaires naturalistes de la « National Geographic Society ».

Et Darwin dans tout cela ?
A peine arrivé, il découvre cette nature unique qui lui « saute à la gueule » presque brutalement, sans doute très loin d’avoir pu imaginer la réalité maladroitement décrite par quelques aventuriers venus ici pour tout autre chose.
Découverte est alors le mot exact de la situation extraordinaire dans laquelle il se trouve, observant pour la première fois avec un regard de naturaliste toutes ces espèces endémiques d'un écosystème unique où l'homme n'avait pas trouvé sa place. Pas étonnant que dans ce contexte tout à fait singulier, ce tout jeune homme à la curiosité aiguisé doublée d’une créativité d'explorateur, ait effectivement pu faire germer des idées nouvelles sur l'évolution des espèces.

Et si nous touchions là aussi l’origine de l'imaginaire collectif développé autour de ces îles mystérieuses ?