samedi 29 juin 2013

Même pas bleu !



Redescendant de Pologne par la Slovaquie, nous traversons rapidement l’Autriche par le nord, belle ballade dans des paysages de moyenne montagne pour rejoindre la vallée du Danube à la frontière nord-ouest avec Allemagne où nous entrons par la ville de Passau.
Vue saisissante de cette cité stratégique, au confluent de 3 fleuves et à la frontière de 3 états (Allemagne, Autriche, République Tchèque), dominée par sa monumentale église baroque aux clochers de cuivre vers de gris, et au pied de laquelle coule le Danube.
Mais dans ce paysage de carte postale, quelque chose ne colle pas.
Car en effet, tout en étant juste magnifique, il n’a rien de bleu le beau Danube...
Alors quoi ? Nous aurait-on trompé ? 
Pourquoi une telle supercherie idéalisant ce puissant cour d’eau qui, comme la plupart des fleuves, est d’une banale couleur marron ?
Je me suis donc enquis sur ce qu’il faut bien admettre désormais comme une légende, pour « découvrir » le nom du coupable en la personne de Johann Strauss, star de son époque sous le pseudo de « roi de la valse », auteur de cette allégorie dans sa célèbre valse Viennoise « Le Beau Danube Bleu ». Et lorsqu’on lit les paroles de la chanson, car il y en a sur la valse originale (pour tout dire un peu mièvres, comme tous les tubes...), on découvre que la couleur supposée bleue du Danube a été arrangée pour la rime de l’avant dernier vers en 6 pieds se terminant par « merveilleux ».
Bleu - merveilleux, et le tour était joué…
S’il avait pensé que plus de 110 ans après sa mort on se poserait la question pour arriver à cette conclusion d’une banalité accablante, peut-être Johann Strauss aurait-il choisi une autre rime, comme « gadouilleux », ce qui aurait été beaucoup plus proche de la réalité mais, reconnaissons-le, nettement moins joli.
Pensez-y lorsque vous danserez votre prochaine valse.

jeudi 27 juin 2013

Auschwitz Birkenau


Au bout de la ligne de chemin fer se terminant tout au fond du camp d’extermination d’Auschwitz, regard perdu sur la longue perspective des rails rectilignes depuis la porte d’entrée jusqu’au terminus où nous sommes, Jo et moi ne parlons plus, les yeux brouillés par l’émotion, partageant ce moment particulier et attendu de notre voyage.
De 1942 à 1944, à l’endroit précis où nous sommes assis, des centaines de milliers de personnes, des millions, sont descendus ici des trains pour être directement dirigées vers les chambres à gaz de part et d’autre du quai d’arrivée avant que leurs corps ne soient immédiatement détruits dans des crématoires crachant en continu leurs fumées de mort.

Ces 2 rails furent le terminus du réseau ferré Européen de l’époque qui permit de conduire tous ces gens jusqu’à la mort, organisation réglée au millimètre, logistique de pointe ayant mobilisé des centaines de professionnels méticuleux dont la plupart n’avaient rien de Nazi.
2000 Hommes, Femmes, Enfants arrivaient ici tous les jours.
2000 êtres humains à ex-ter-mi-ner - mot épouvantable d’une rare violence - dont il ne devait rester aucune trace. 
Une entreprise réglée avec une formidable efficacité industrielle, dans des installations modernes et rationnelles développées tout spécialement. Cela n’a pas pu être l’œuvre exclusive de quelques « anges de la mort », mais bien le résultat d’une approche systématique, méticuleuse, rigoureuse, ayant mobilisé de nombreuses compétences pour parvenir à un tel holocauste.
Et une question reste toujours sans réponse : comment cela a t-il été possible, sans que la machine ne s’enraye, quand on imagine toute l’énergie qu’il fallu déployer pour mener à bien une telle entreprise, déni total des valeurs humaines les plus élémentaires ?

Nous sommes donc là, le regard flou, marchant à l’endroit même de l’extermination physique de tous ces gens, les pieds foulant la poussière de millions de victimes innocentes.
Face aux ruines des chambres à gaz, des petites bougies posées par des visiteurs souvent accompagnées de quelques mots inscrits sur des cailloux.
Je ramasse un morceau de brique et ferme les yeux quelques instants en le serrant au creux de la main, essayant d’imaginer la réalité de l’inconcevable pour tout être humain normalement constitué. Un frisson me parcours le corps suivi d’une incroyable sensation de compassion et d’empathie difficile à décrire sans passer pour un illuminé. Certes il y a ma propre émotion en ce lieu si particulier. Mais je ressens autre chose de plus fort, comme une présence bienveillante. Serait-ce possible qu’il s’agisse de l’âme de tous ces gens, la plus belle partie de chaque être humain qu’aucun plan d’extermination ne saurait jamais anéantir ?
Et si ce lieu d’horreur était aussi devenu un lieu d’amour et de tolérance d’une puissance infiniment supérieure à ce pourquoi il était initialement destiné ?

Le longeant doucement les rails en direction de l’entrée du camp, Jo et moi échangeons simplement quelques mots sur le sens de la vie.
Loin devant nous un vieil homme marche difficilement sur les traverses de bois tandis qu’un peu plus loin à l'écart, deux jeunes femmes se recueillent assises dans l’herbe.

mardi 25 juin 2013

La Bohème...



Nous poursuivons notre route vers l’Est en traversant la Bohème et ses forets profondes sur fond de paysages aux reliefs ondulants. De temps en temps, du sommet de promontoires émerge un château, comme un navire sombre et immobile au dessus des flots de conifères d’un vert presque noir.

Traverser les villes et villages est comme un retour à la belle époque de l’empire austro-hongrois : rues pavées et façades aux couleurs pastelles décorées de motifs baroques. Ne manquent plus au décor que les femmes élégantes en robes à cerceaux comme flottant sur les trottoirs et les calèches battant le pavé.

Sous un ciel chargé, Prague a quelque chose d’unique avec ses « mille tours et clochers » typiques des époques de son histoire, constructions magnifiquement ouvragées, association de formes et couleurs contrastées aux effets saisissants.
Circuler à moto dans la ville à ceci de particulier qu’il faut rester très attentif aux saignées des rails du dense réseau de tramway, remis au goût du jour après avec avoir symbolisé « le retard » des capitales de l’ex-bloc de l’Est quand à l’ouest les voitures s’emparaient des villes. Aujourd’hui on tente chez nous de les en chasser en recréant à grands frais des lignes de trams ultramodernes. Intéressant retour de balancier.
Nous ne faisons que passer et marquons une trop courte halte déjeuner sur la Place la Vieille Ville.
13 heures moins dix, les badauds s’agglutinent devant l’horloge astronomique jouxtant  l’Hôtel de Ville, très belle construction médiévale miraculeusement préservée dont les personnages s’animent aux changements d’heures.

Et tandis que la pluie se remet à tomber drue, déjà il faut repartir.

Nous poursuivons notre route. 400 km plus à l’Est, comme si de rien n’était nous entrons en Pologne, sans même s’arrêter, miracle Européen devenu banal.

dimanche 23 juin 2013

Sur la route



Un mois de Juin comme un mois d’octobre : nous enfourchons nos motos sous les averses et bourrasques, cap à l’Est pour une excusions en Europe Centrale.
Rien à voir avec nos multiples incursions motocyclistes Sahariennes des années passées, où il s’agissait de se confronter aux grands espaces vierges, petits bonshommes « perdus » dans une immensité minérale sur de puissantes machines, histoire de fleureter avec ses propres limites et se sentir vivre au gré d’émotions uniques.

L’un des objectifs de ce voyage est d’un tout autre genre : essayer de ressentir ne serait-ce qu’un peu, le pire du génie de l’homme. Tenter de comprendre ce qui a bien pu conduire le genre humain au paroxysme de l’horreur avec la mise en œuvre de "la solution finale". S’imprégner de tout cela pour la mémoire, pour ne pas oublier cet acte épouvantable, extraordinaire, indicible, et contribuer modestement à ce qu’il ne s’évanouisse pas au fil des générations pour ne rester dans l’histoire « que » comme un épisode de guerre comme les autres, alors qu’il s’agit de tout autre chose.
Jo, Didier et moi allons donc à Auschwitch.

Et ca commence par une belle diagonale à travers la France, cette « Douce France » magnifiée par Charles Trenet, promenade traversant nos belles campagnes, des levées des bords de Loire croisant les noms de châteaux prestigieux - Saumur, Monsoreau, Villandry, Chenonceau, Amboise... - aux plaines ondulantes de Champagne et ses champs de blé encore vert, roulant sur des départementales bordées de coquelicots et de bleuets reliant des villages ruraux et désertés.
Puis nous atteignons rapidement la forêt noire pour rejoindre l’Allemagne et ses autoroutes à la voie de gauche réservées aux puissantes berlines déboulant comme des bolides. L’Allemagne en pleine révolution énergétique, avec ses milliers d’éoliennes ponctuant le paysage de leurs élégantes pâles en rotation, comme des machines reliant la terre et le ciel, et ses hectares de champs de panneaux photovoltaïques en plus de ceux posés sur les toitures. Eux continuent d’investir dans ce secteur quand en France tout semble bloqué après la flambée éphémère de ces dernières années.
 
Les km s’égrainent agréablement. Nous entrons doucement dans ce voyage plein de promesses.

vendredi 7 juin 2013

Les flammes de l'enfer


Des Moines, Iowa, USA :

C'est la fin d'après-midi. Nous roulons vers le "downtown" où un rendez-vous nous attend. La chaussée de la Locust Avenue encore humide brille sous le soleil rasant, longue perspective anthracite égayée de feux tricolores suspendus au bout de grandes perches, comme des photophores accrochés à des roseaux d'acier plantés sur les bords d'un flot continu d'automobiles.

Mon IPad sur les genoux je traite à la va vite quelques e.mails quand, arrêté à un carrefour,  je suis distrait par les vociférations d'un grand gars planté là dans un drôle d'accoutrement : veste jaune fluo, casquette crasseuse vissée sur la crane, visage poilu comme un hell angel.
Visiblement fort exalté, l'individu déclame des phrases inaudibles dans un mégaphone saturé, et je remarque alors les panneaux qu'ils portent ostensiblement façon homme sandwich : "turn to Jesus or burn in hell". (Tourne-toi vers Jésus ou brule en enfer). Sacré programme...
Nos regards se croisent. De ses yeux exorbités il me fixe un instant tout en continuant ses litanies : un regard "diabolique" à faire frissonner le commun des mortels. Ce n'est pas une hallucination, et pourtant les quelques passants ne semblent même pas y prêter attention.
Le feu passe au vert. 
La voiture redémarre doucement et le visage de cet homme reste imprimé dans ma mémoire comme une vision d'outre tombe. 
Nous  sommes en Amérique et chacun peut exprimer librement ses opinions. Et quand elles concernent Jésus, presque tout est possible, illustration de cette vision manichéenne parfois tellement simpliste du « bien » et du « mal » à la sauce américaine.
Et je ne peux m’empêcher de faire un parallèle en imaginant ce qu'il adviendrait si, de la même manière, un exalté d'Allah faisait du prosélytisme islamique au coin de la rue en criant :  turn to Allah or burn in hell !