Au bout de la ligne de chemin fer se terminant tout au fond du camp d’extermination d’Auschwitz, regard perdu sur la longue perspective des rails rectilignes depuis la porte d’entrée jusqu’au terminus où nous sommes, Jo et moi ne parlons plus, les yeux brouillés par l’émotion, partageant ce moment particulier et attendu de notre voyage.
De 1942 à 1944, à l’endroit précis où
nous sommes assis, des centaines de milliers de personnes, des millions, sont
descendus ici des trains pour être directement dirigées vers les chambres à gaz
de part et d’autre du quai d’arrivée avant que leurs corps ne soient immédiatement
détruits dans des crématoires crachant en continu leurs fumées de mort.
Ces 2 rails furent le terminus du
réseau ferré Européen de l’époque qui permit de conduire tous ces gens jusqu’à
la mort, organisation réglée au millimètre, logistique de pointe ayant
mobilisé des centaines de professionnels méticuleux dont la plupart n’avaient
rien de Nazi.
2000 Hommes, Femmes, Enfants arrivaient
ici tous les jours.
2000 êtres humains à ex-ter-mi-ner - mot
épouvantable d’une rare violence - dont il ne devait rester aucune trace.
Une entreprise
réglée avec une formidable efficacité industrielle, dans des installations modernes
et rationnelles développées tout spécialement. Cela n’a pas pu être l’œuvre exclusive
de quelques « anges de la mort », mais bien le résultat d’une
approche systématique, méticuleuse, rigoureuse, ayant mobilisé de nombreuses
compétences pour parvenir à un tel holocauste.
Et une question reste toujours sans
réponse : comment cela a t-il été possible,
sans que la machine ne s’enraye, quand on imagine toute l’énergie qu’il fallu
déployer pour mener à bien une telle entreprise, déni total des
valeurs humaines les plus élémentaires ?
Nous sommes donc là, le regard flou,
marchant à l’endroit même de l’extermination physique de tous ces gens, les pieds foulant la poussière de millions de victimes innocentes.
Face aux ruines des chambres à gaz, des
petites bougies posées par des visiteurs souvent accompagnées de quelques mots
inscrits sur des cailloux.
Je ramasse un morceau de brique et
ferme les yeux quelques instants en le serrant au creux de la main, essayant d’imaginer
la réalité de l’inconcevable pour tout être humain normalement constitué. Un
frisson me parcours le corps suivi d’une incroyable sensation de compassion et
d’empathie difficile à décrire sans passer pour un illuminé. Certes il y a ma
propre émotion en ce lieu si particulier. Mais je ressens autre chose de plus
fort, comme une présence bienveillante. Serait-ce possible qu’il s’agisse de l’âme
de tous ces gens, la plus belle partie de chaque être humain qu’aucun plan
d’extermination ne saurait jamais anéantir ?
Et si ce lieu d’horreur était aussi devenu un lieu d’amour et de tolérance d’une puissance infiniment
supérieure à ce pourquoi il était initialement destiné ?
Le longeant doucement les rails en
direction de l’entrée du camp, Jo et moi échangeons simplement quelques mots
sur le sens de la vie.
Loin devant nous un vieil homme
marche difficilement sur les traverses de bois tandis qu’un peu plus loin à l'écart, deux
jeunes femmes se recueillent assises dans l’herbe.
1 commentaire:
Beau msg d'espoir en ce lieu infiniment tragique, merci Fred !
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