jeudi 31 janvier 2013

38ème étage



Les pieds au bord du vide, je regarde le paysage urbain strié par les trombes d’eau violemment projetées en bourrasques contre ma fenêtre, comme des paquets de mer sur l’étrave d’un navire les jours de gros temps.
La main sur la bai vitrée je la sens légèrement fléchir sous les rafales.
Le sommet des grattes ciel voisins se perdent dans les nuages tandis que 100 mètres plus bas, tous feux allumés, les voitures poursuivent leur incessant balais sur la chaussée noire et brillante comme un parquet ciré.
Je suis au 38ème étage du Hilton Marquis d’Atlanta, « the place to be » à l’occasion du grand salon professionnel annuel qui se tient ici.
Tandis que la pluie redouble, toute sirène hurlante un convoi de camion de pompier part en intervention d’urgence, projetant sur son passage d’impressionnantes gerbes d’eau dans une rue transformée en torrent éphémère. Il ne fait pas bon mettre un Américain dehors. D’ailleurs je ne vois plus personne dans un panorama d’une beauté brutale qui n’est pas sans m’évoquer la haute montagne.
Le regard flou perdu dans les brumes de la skyline, mon esprit s’évade sans réel fil conducteur, cocktail d’images et d’impressions où se mélangent toutes sortes de sensations, comme si par instant le cerveau avait besoin d’un « reset », histoire de bien remettre en ordre tous les « dossiers » avant de reprendre le cour des choses. J’aime ces instants furtifs où l’on ne s’appartient plus tout à fait, petit bonhomme perdu ici et maintenant dans la grande marche de l’univers, instant de vertige absolu comme dans mes rêves d’enfant où décollant du lit je m’envolais pas la fenêtre, délicieuse impression de légèreté.
La sonnerie de mon téléphone me sort de ma rêverie, SMS de ma femme qui m’embrasse avant de se coucher de l’autre coté du globe.
...
La nuit tombe et les fenêtres des immeubles s’allument donnant à la ville son allure « d’Electric City ». Le vent souffle de plus bel entre les tours de bétons. Aux carrefours les feux tricolores suspendus aux longues perches métalliques se balancent méchamment en clignotant, créant des bouchons de voitures comme des essaims agglutinés autour de photophores.
Au sommet des plus hauts édifices, dans les brumes défilant à haute vitesse, des flashes rouges et blancs clignotent pour signaler les cimes artificielles aux hélicos volants les jours de beaux temps.
Puis soudainement la pluie s’arrête et le ciel se dégage, découvrant « sa pèlerine d’étoiles » chère à Gaston Rebuffat.
L’esprit clair je m’installe à mon bureau pour traiter les mails de la journée et adresser mes remerciements aux clients rencontrés aujourd’hui.
23h, la lune monte sur l’horizon, clin d’œil de la nature immuable dans ce paysage de verre et de béton.
Demain il fera beau.

dimanche 20 janvier 2013

Transite



Minuit et demi, un peu hagard je déambule dans les couloirs de l’aéroport de Pékin. Tour à tour les boutiques de duty-free s’éteignent comme on éteint les guirlandes des sapins de Noël après les fêtes. Quittant leurs écrins dorés, les petites vendeuses au teint blafard rentrent à la maison d’un pas pressé. Je me suis souvent demandé ce qu’elles pouvaient bien ressentir au milieu de tous ces produits de luxes – montres, maroquineries ou autres parfums – aux prix hors de proportion avec leur modeste salaire.

L’aéroport se vide doucement. Ne restent plus que 2 ou 3 vols dont l’Air France 381 me ramenant à Paris. A cette heure tardive les voyageurs fatigués attendent l’heure de départ avachis sur les fauteuils devant les portes d’embarquement. Il y a là les touristes décorés à la mode locale – teeshirts « I love Beijing », vestes brodées à col Mao et autres chapeaux chinois un peu ridicules – quelques guiks totalement absorbés par leurs jeux sur tablettes tactiles, des hommes d’affaires fatigués par une semaine de travail dans des costumes un peu défraichis, et qui luttent contre le sommeil en appelant leurs épouses pour confirmer le retour à la maison ; « et moi et moi et moi » comme dit la chanson, fourbu au terme d’une semaine intense entre Bangkok, Saigon, Pékin et Yantai, enchaînant les rendez-vous tout en adaptant le programme aux désidératas de dernière minute de mes interlocuteurs VIP.
Aussi agaçant que cela puisse être pour un occidental « rationnel », les changements de programme inopinés sont ici monnaie courante, façon de privilégier l’opportunité d’une rencontre qui pourrait être décisive sur le planning établi, façon aussi de montrer à ses interlocuteurs leur importance en les remontant instantanément en tête des priorités… Alors évidemment, quand vous n’êtes pas nécessairement vous-même dans le cercle des initiés vous subissez les changements et, pour avoir quelques chances de faire des affaires, devez vous adapter avec le sourire en remontant aussi dans votre liste des personnes qui comptent. Et je dois dire que le cas de mon rendez-vous de la semaine avec l’homme le plus riche de Thaïlande au Jockey-Club de Pékin en fut la parfaite illustration :
Initialement prévu Samedi, le rendez-vous passa – au gré des changements soudains annoncés par SMS et mail par une paire d’assistantes zélées et visiblement surmenées – à Vendredi midi, puis Mercredi matin, Mercredi soir, Jeudi après-midi puis finalement jeudi midi ! Pratique pour le calage du reste du programme de semaine…
Au moment convenu on vient tout de même vous chercher dans le lobby de l’hôtel et vous  emmène en voiture de luxe – histoire de bien montrer que n’avez pas à faire à n’importe qui et que l’on prend tout de même bien soin de vous – au lieu de rendez-vous où une armée se tient au garde à vous en attendant la venue annoncée du Chairman qui fini par arriver escorté par toute une cour d’assistant(e)s visiblement sur dents.

Bien qu’un peu distant l’homme est sympathique. Nous nous retrouvons avec visiblement un certain plaisir (l’ayant déjà rencontré deux fois l’an dernier). Immédiatement la confiance est là et, après quelques « banalités » sur une opération de quelques milliards de dollars en phase finale apparemment brillamment menée par M. Chairman, nous entrons dans le vif de notre sujet aux dimensions qui, sans commune mesure avec la précédente, semble pour autant le passionner, au point de pointer lui-même de surprenants détails notés avec zèle par son équipe.
Au terme d’un délicieux déjeuner nous concluons la rencontre sur un accord de principe, projet initié depuis déjà plus d’un an, et dont les « détails » devront être finalisés plus tard par des collaborateurs entièrement dévoués à la satisfaction de M. Chairman. Cela va encore prendre du temps mais valait bien la peine de tordre l’agenda.

  
Une heure du matin. Nous embarquons. J’attrape l’Equipe qui titre sur les aveux minables de Lance Amstrong et Le Monde sur l'engagement de la France dans la guerre au Mali. Dehors la neige tombe doucement. J’envoie un SMS à ma femme. Dans 15 heures je serai de retour à la maison pour une courte escale avant les USA le week-end prochain.

mardi 1 janvier 2013

2013



2012… et maintenant 2013. Un pourcent sur « mon » échelle de temps, celle consistant à considérer la vie comme une courte séquence de potentiellement 100%, idéalement 100 ans sur la flèche du temps qui s’écoule au long des jours ; la journée, cette autre unité de 24 heures, ponctuée par le cycle cosmique de rotation de notre petite planète entre 2 levés du soleil.
Si tout cela nous semble aujourd’hui d’une évidence limpide, qu’il a fallu de sens de l’observation à nos lointains ancêtres pour parvenir à fixer un calendrier précis, et sortir d’une vague impression où la vie s’écoule au rythme des saisons, éternel recommencement où la nature, pleine de promesses, renait au printemps pour "miraculeusement" subvenir aux besoins vitaux de l’espèce.

Serait-ce là la lointaine origine des bons vœux que nous nous souhaitons à l’aube de la nouvelle année, comme si, un fois l’an, nous ouvrions une nouvelle page où tout (re)devient possible ?
Je reconnais volontiers que cela est peut-être un peu tiré par les cheveux, mais j’aime considérer l’idée qu’à intervalles réguliers il soit possible de repartir vers de nouveaux objectifs. Alors pourquoi attendre le début d’année ? Le soleil ne se lève t-il pas tous les jours ?
Et si nous considérions le temps qui nous est offert pour nous souhaiter quotidiennement le meilleur, considérer la journée comme l'unité de temps où tout est possible plutôt que d’attendre l’année suivante, la vie ne serait-elle pas plus belle ?

Alors, où que vous soyez, et quoi que vous fassiez en 2013, je vous souhaite 365 levés de soleil et autant de journées étincelantes !