Les pieds au bord du vide, je regarde
le paysage urbain strié par les trombes d’eau violemment projetées en bourrasques
contre ma fenêtre, comme des paquets de mer sur l’étrave d’un navire les jours
de gros temps.
La main sur la bai vitrée je la sens légèrement fléchir sous les rafales.
Le sommet des grattes ciel voisins se
perdent dans les nuages tandis que 100 mètres plus bas, tous feux allumés, les
voitures poursuivent leur incessant balais sur la chaussée noire et brillante comme
un parquet ciré.
Je suis au 38ème étage du
Hilton Marquis d’Atlanta, « the place to be » à l’occasion du grand
salon professionnel annuel qui se tient ici.
Tandis que la pluie redouble, toute
sirène hurlante un convoi de camion de pompier part en intervention d’urgence,
projetant sur son passage d’impressionnantes gerbes d’eau dans une rue
transformée en torrent éphémère. Il ne fait pas bon mettre un Américain dehors.
D’ailleurs je ne vois plus personne dans un panorama d’une beauté brutale qui n’est
pas sans m’évoquer la haute montagne.
Le regard flou perdu dans les brumes
de la skyline, mon esprit s’évade sans réel fil conducteur, cocktail d’images et
d’impressions où se mélangent toutes sortes de sensations, comme si par instant
le cerveau avait besoin d’un « reset », histoire de bien remettre en
ordre tous les « dossiers » avant de reprendre le cour des choses. J’aime
ces instants furtifs où l’on ne s’appartient plus tout à fait, petit bonhomme
perdu ici et maintenant dans la grande marche de l’univers, instant de vertige
absolu comme dans mes rêves d’enfant où décollant du lit je m’envolais pas la
fenêtre, délicieuse impression de légèreté.
La sonnerie de mon téléphone me sort
de ma rêverie, SMS de ma femme qui m’embrasse avant de se coucher de l’autre
coté du globe.
...
La nuit tombe et les fenêtres des
immeubles s’allument donnant à la ville son allure « d’Electric City ».
Le vent souffle de plus bel entre les tours de bétons. Aux carrefours les feux
tricolores suspendus aux longues perches métalliques se balancent méchamment
en clignotant, créant des bouchons de voitures comme des essaims agglutinés
autour de photophores.
Au sommet des plus hauts édifices, dans
les brumes défilant à haute vitesse, des flashes rouges et blancs clignotent
pour signaler les cimes artificielles aux hélicos volants les jours de
beaux temps.
Puis soudainement la pluie s’arrête
et le ciel se dégage, découvrant « sa pèlerine d’étoiles » chère à Gaston
Rebuffat.
L’esprit clair je m’installe à mon
bureau pour traiter les mails de la journée et adresser mes remerciements aux
clients rencontrés aujourd’hui.
23h, la lune monte sur l’horizon,
clin d’œil de la nature immuable dans ce paysage de verre et de béton.
Demain il fera beau.