dimanche 20 janvier 2013

Transite



Minuit et demi, un peu hagard je déambule dans les couloirs de l’aéroport de Pékin. Tour à tour les boutiques de duty-free s’éteignent comme on éteint les guirlandes des sapins de Noël après les fêtes. Quittant leurs écrins dorés, les petites vendeuses au teint blafard rentrent à la maison d’un pas pressé. Je me suis souvent demandé ce qu’elles pouvaient bien ressentir au milieu de tous ces produits de luxes – montres, maroquineries ou autres parfums – aux prix hors de proportion avec leur modeste salaire.

L’aéroport se vide doucement. Ne restent plus que 2 ou 3 vols dont l’Air France 381 me ramenant à Paris. A cette heure tardive les voyageurs fatigués attendent l’heure de départ avachis sur les fauteuils devant les portes d’embarquement. Il y a là les touristes décorés à la mode locale – teeshirts « I love Beijing », vestes brodées à col Mao et autres chapeaux chinois un peu ridicules – quelques guiks totalement absorbés par leurs jeux sur tablettes tactiles, des hommes d’affaires fatigués par une semaine de travail dans des costumes un peu défraichis, et qui luttent contre le sommeil en appelant leurs épouses pour confirmer le retour à la maison ; « et moi et moi et moi » comme dit la chanson, fourbu au terme d’une semaine intense entre Bangkok, Saigon, Pékin et Yantai, enchaînant les rendez-vous tout en adaptant le programme aux désidératas de dernière minute de mes interlocuteurs VIP.
Aussi agaçant que cela puisse être pour un occidental « rationnel », les changements de programme inopinés sont ici monnaie courante, façon de privilégier l’opportunité d’une rencontre qui pourrait être décisive sur le planning établi, façon aussi de montrer à ses interlocuteurs leur importance en les remontant instantanément en tête des priorités… Alors évidemment, quand vous n’êtes pas nécessairement vous-même dans le cercle des initiés vous subissez les changements et, pour avoir quelques chances de faire des affaires, devez vous adapter avec le sourire en remontant aussi dans votre liste des personnes qui comptent. Et je dois dire que le cas de mon rendez-vous de la semaine avec l’homme le plus riche de Thaïlande au Jockey-Club de Pékin en fut la parfaite illustration :
Initialement prévu Samedi, le rendez-vous passa – au gré des changements soudains annoncés par SMS et mail par une paire d’assistantes zélées et visiblement surmenées – à Vendredi midi, puis Mercredi matin, Mercredi soir, Jeudi après-midi puis finalement jeudi midi ! Pratique pour le calage du reste du programme de semaine…
Au moment convenu on vient tout de même vous chercher dans le lobby de l’hôtel et vous  emmène en voiture de luxe – histoire de bien montrer que n’avez pas à faire à n’importe qui et que l’on prend tout de même bien soin de vous – au lieu de rendez-vous où une armée se tient au garde à vous en attendant la venue annoncée du Chairman qui fini par arriver escorté par toute une cour d’assistant(e)s visiblement sur dents.

Bien qu’un peu distant l’homme est sympathique. Nous nous retrouvons avec visiblement un certain plaisir (l’ayant déjà rencontré deux fois l’an dernier). Immédiatement la confiance est là et, après quelques « banalités » sur une opération de quelques milliards de dollars en phase finale apparemment brillamment menée par M. Chairman, nous entrons dans le vif de notre sujet aux dimensions qui, sans commune mesure avec la précédente, semble pour autant le passionner, au point de pointer lui-même de surprenants détails notés avec zèle par son équipe.
Au terme d’un délicieux déjeuner nous concluons la rencontre sur un accord de principe, projet initié depuis déjà plus d’un an, et dont les « détails » devront être finalisés plus tard par des collaborateurs entièrement dévoués à la satisfaction de M. Chairman. Cela va encore prendre du temps mais valait bien la peine de tordre l’agenda.

  
Une heure du matin. Nous embarquons. J’attrape l’Equipe qui titre sur les aveux minables de Lance Amstrong et Le Monde sur l'engagement de la France dans la guerre au Mali. Dehors la neige tombe doucement. J’envoie un SMS à ma femme. Dans 15 heures je serai de retour à la maison pour une courte escale avant les USA le week-end prochain.

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