mercredi 26 février 2014

Tour du monde express - étape 8 : Canton - Paris - Nantes



Deux semaines autour du monde suffisent à perdre la notion du temps, égaré dans le défilement des fuseaux horaires, parcourant l’espace autour du globe, d’un continent à l’autre au dessus des océans, changeant de climat en quelques heures, d’aéroport en aérodrome, de ville en cité, de rencontre en rendez-vous. Choc de cultures, confrontation d’expériences, tranches de vies fusionnées comme dans un kaléidoscope.

Et c’est le corps un peu abruti que je me retrouve à 10 000 mètres pour un vol de nuit au dessus de la plus longue bande de terre du globe depuis l’Asie jusqu’en France mon port d’attache, vers les miens, essayant de faire le bilan de ce tour du monde, entre satisfactions, doutes, et prometteuses perspectives.

Au plaisir de rentrer se mêle un brin de nostalgie, retour au calme après de trépidantes et stimulantes journées. Et se dire que c’est bien dans l’action que les choses se fond lorsqu’elles s’inscrivent dans le cadre d’un projet clair et cohérent, feed-back sur notre parcours industriel mené tambour battant.
Faudrait-il du coup maintenant ralentir le rythme fort des bases solides aujourd’hui bien établies, et enfin se « reposer » un peu ? Tous ces bons conseils distillés par des gens bien intentionnés, bien attentionnés aussi, qui regardent le mouvement d’un œil extérieur, raisonnable, parfois un peu froid, sans nécessairement en percevoir complètement les tenants et aboutissants, ni toute « la beauté ».
Certes la raison est importante, celle-là même qui permet de rationaliser les décisions. Mais n’est-ce pas d’abord la passion, la foi, la flamme qui fond avancer ?
Un jour quelqu’un m'a demandé si j’avais des doutes. Evidemment, et même beaucoup. Mais j’ai aussi des convictions (pas des certitudes), lui avais-je répondu. Et celles-ci sont plus fortes que mes doutes. C’est à l’évidence ce qui me fait marcher.
Pourquoi donc, dans une même situation, certains vont savoir détecter l’opportunité quand d’autre ne verront que le risque ?
Au long de ces  années à parcourir la planète, j’ai acquis la certitude que les opportunités naissent de la façon dont on regarde tourner le monde, puis de l’investissement du meilleur de soi-même au service de quelque chose d’utile.
N’est-ce pas tout simplement là notre faculté de contribuer au progrès ?

Parti vers l’ouest, revenu par l’est, cette boucle est bouclée.

dimanche 23 février 2014

Tour du monde express - étape 7 : Nankin - Canton



Nous arrivons dans le grand sud de la Chine, là où comme bien souvent ailleurs on parle un dialecte local. Et le cantonais a ceci de particulier que pourtant sans rien y comprendre, il est reconnaissable entre tous à ses intonations trainantes de fin de phrase, comme une espèce de nonchalance.
Pourtant les gens sont ici plus actifs, plus exubérants, plus joviaux apparemment, plus directs aussi, et un peu rudes de temps en temps. On parle plus fort qu’ailleurs, boit sans doute plus qu’ailleurs et mange tout ce qui « nage, rampe, marche ou vole le dos vers le ciel » (signe de fraîcheur…)
Nous sommes justement invités à diner autour d’une spécialité locale, la soupe de dragon, tigre et phénix ! Ca promet…

Le lieu n’est pas désagréable bien que d’une hygiène approximative. Au milieu de la table ronde le contenu d’une sorte de grande cocotte en terre mijote déjà en dégageant une odeur d’épices assez prononcée.
On s’installe et commence par un coup d’alcool à 57°, histoire de bien préparer l’estomac à la suite du repas qui s’annonce, dirons-nous, spécial.
Une jeune femme arrive à coté de notre table une bassine à la main. A l’intérieur un gros serpent jaune et noir, heureusement mort. Avec une paire de ciseaux elle en débite de gros morceaux qu’elle jette ensuite dans la cocotte ou flotte déjà d’autres morceaux d’origine inconnue. Le dragon est parti pour une cuisson de 20 minutes.

Passée l’émotion de la découverte du dragon, nous reprenons le fil de notre discussion sur la crise sévissant en Chine depuis plus d’un an suite aux nouveaux cas de grippe aviaire dont les médias ne se lassent pas de faire la « promotion », et qui contaminent l’opinion publique au point de faire chuter drastiquement la consommation de volailles. Alors on se console avec ce qui reste...
Notre hôte nous indique que la cuisson est terminée et que nous pouvons commencer. Avant de goûter je m’étonne qu’elle prenne autant de soin à écumer les yeux flottant sur le bouillon. Puis elle me sert une bonne tranche de serpent.
Quand faut y aller !
Je les vois attaquer avec les doigts, car la bête est coriace. La peau ressemble à du caoutchouc et j’avoue ne pas arriver à la manger, seulement le peu ce chair blanche sur l’os, viande dure, élastique et insipide. Et tout le monde rigole en me voyant faire contre mauvaise fortune bon cœur.
Tandis que je me débats toujours avec le premier, on me sert un deuxième morceau, puis un troisième à l’aspect très différent, de couleur brune avec une odeur assez prononcée.
-      Try, try, me dit l’épouse de notre client tout sourire.
-      OK, OK, I try. Mais qu’est ce que c’est ?
Tout le monde rigole et on me ressert un verre d’alcool. Pour y échapper j’enfourne une bouchée. Entre deux maux.
En bouche cela résiste encore, toujours aussi élastique, mais avec un goût très prononcé. J’observe mes coéquipiers dont la mine un peu médusée m’étonne. Peut-être les effets de l’alcool. Je n’ai pas terminé qu’un autre morceau choisi m’est imposé.
-      Tiger, tiger meat ! s’esclaffe t’on autour de la table.
Haut les cœurs. Allons-y pour une deuxième bouchée de tigre. De tigre ?! 
Mais au fait, de quoi s’agit-il vraiment ? Je pose alors la question à mes collègues visiblement un peu gênés au moment ou l’on me sert ce qui ressemble à une grosse queue de rat. Passé l’instant d’effroi, j’insiste pour savoir ce dont il s’agit.
-      Du tigre me redis Shuchen visiblement un peu embêté. Avant de lâcher, en fait c’est du chat.
Grand instant de solitude et self-control pour retenir la montée d’une irrésistible nausée en regardant la queue du chat dans mon assiette. Et allez savoir pourquoi, je revois alors mon hôte écumer le gras (de chat) sur le bouillon au début du repas. Beurk !

Le dragon, le tigre… Mais alors, le phénix ? J’hésite à poser la question, essayant d’imaginer ce dont il pourrait s’agir. Oiseau légendaire qui renait de ses cendres… Qu’on t-il bien pu inventer. De toute façon, au point où nous en sommes ça peut difficilement être pire.
-      Et le phénix ?
-      Tu ne vois pas me répond Shuchen.
-      J’imagine un oiseau…
-      Tu y es, et tu vas adorer. C’est du poulet.
-      C’est tout ?
Et l’on me sert alors un pied du volatile.

Il y a des moments où l’on se contenterait volontiers d’une assiette de purée jambon blanc.

samedi 22 février 2014

Tour du monde express - étape 6 : Qingdao - Nankin



Derrière les larges baies vitrées de la voiture 17, le paysage défile à « fond la caisse », vastes plaines agricoles finement saupoudrées de neige légère.
301 Km/h indique l’affichage digital au plafond de la rame de ce TGV ultramoderne à faire pâlir d’envie notre SNCF. Comme une fusée, nous croisons des villages ruraux engourdis par l’hiver, contraste un peu surréaliste et impression étrange de ce pays qui saute des étapes de développement pour se retrouver sans transition dans l’époque d’après. Des images de bande dessinée d’anticipation me reviennent à l’esprit, de celles que nous lisions adolescent, où des civilisations avancées colonisaient des mondes au mode de vie encore pastoral ; fantasmagorie des chocs de civilisations.

Nous filons vers Nankin, la « capitale du sud » chargée d’histoire, notamment capitale de la dynastie des Ming puis de la République de Chine sous Tchang Kaï-chek. 
A elle seule cette ville concentre toute la mythologie de la civilisation Chinoise telle que vue par les occidentaux : guerres dynastiques, épopées mandarines, intrigues politiques et familiales, invasions, destructions, reconstructions, coups d’état, massacres. Bref, l’histoire en Grand ; et le simple fait de s’y rendre a quelque chose de particulièrement stimulant, mélange d’excitation et de curiosité. Dommage, nous n’y passons que pour un trop bref rendez-vous. 

De la gare flambant neuve, très vaste bâtiment futuriste de béton et d’acier à l’ambiance glaciale, départ en ville où nous traversons le majestueux fleuve Yangtsé pour rejoindre notre rendez-vous.
Sur le « grand fleuve bleu » se côtoient barges géantes crachant les fumés noires de leur diesel poussif et jonques traditionnels de pêcheurs aux voiles semi-rigides si particulières.
Le petit restaurant flottant qui nous accueille sur les rives n’a rien de très gastronomique. Juste une soupe de nouilles fumante et un poisson avec Monsieur Chen qui nous attendait visiblement excité par cette rencontre. Retrouvailles très chaleureuses où l’on parle de tout sauf de business. Je m’en étonne auprès de mon équipe chinoise qui me demande de leur faire confiance, m’expliquant que l’important pour aujourd’hui est de renouer le contact après une prestation commerciale ratée qui lui avait fait non seulement perdre ses clients, mais surtout la face.
La Face, ce concept Chinois tellement important et dont les subtilités nous échappent, à nous les « longs nez ».
Je suis donc le mouvement en ayant vraiment l’impression de ne faire que de la figuration. Alors tant qu’à faire, autant profiter de l’instant en se laissant gentiment porter. Après tout j’ai bien de la chance d’être ici et maintenant dans ma « course » autour du monde.

Et déjà il faut repartir car le vol Shenzhen Airlines pour Canton ne nous attendra pas.

jeudi 20 février 2014

Tour du monde express - étape 5 : Seoul - Qingdao



Saut de puce dans la brume au dessus de la mer de Chine pour rejoindre Qingdao. Etrange sensation de voler sans horizon, quand le ciel et l’eau se confondent dans une atmosphère laiteuse un peu oppressante.
Longue finale dans les fumées vomies des hautes cheminées d’un complexe sidérurgique un peu délabré. Rien de très engageant au premier abord.
Douche rapide pour effacer la fatigue des 35 heures de voyage depuis La Paz, et je rejoints mon équipe au pas de course pour conclusion des rendez-vous de la première journée.

Bonne ambiance et confiance sont deux des ingrédients clés permettant de faire avancer nos affaires dans ce contexte chinois si particulier. Et il se trouve qu’un nouveau Vice-President de notre partenaire entre aujourd’hui dans de la boucle de nos relations. Il va falloir de nouveau convaincre.
Petit homme vif à l’air intelligent, tête ronde un peu poupine au regard affublé d’un léger strabisme, il s’exprime peu et garde une posture d’observateur attentif. Nous l’appellerons Liu.
Nous sommes invités à diner. Toujours un signe positif. Liu m’aborde enfin personnellement dans un anglais difficile mais volontaire.
-      Tu es pilote d’avion?
-      Oui d’avion léger à mes heures perdues.
Comment sait-il cela ?
-      Et pourquoi n’es-tu pas venu avec ton avion ?
Ben oui, c’est évident… Je lui explique sans rire que le jour où il apprendrait que je vole avec "mon Corporate jet" il lui faudrait se poser de sérieuses questions sur l’avenir de notre groupe. Pas du tout sûr qu’il ait compris. Certains signes ostentatoires qui feraient douter chez nous renforcent ici la confiance. Un autre monde.
-      Tu es coureur ? me demande t-il alors, montrant que très bien renseigné il a préparé notre rendez-vous dans les détails. Ca promet...
-      En effet, tous les matins.
Je perçois alors chez lui un vrai point d’intérêt, le relance sur le sujet, et l’invite à se joindre à moi pour le jogging du lendemain.
-      OK, OK, what time ? demande t-il avec empressement.
-      6h30 ?
et de répondre tout sourire qu'il sera à l'heure dans le lobby.
 ... 

6H25 : je descends à la réception de l’hôtel en tenue de sport, biorythme encore perdu dans l’accumulation de décalages horaires.
Liu m’attend déjà.
Chaleureuse poignée de main, puis il me demande si on s’échauffe avant de partir ;  approche très chinoise consistant à faire des mouvements lents, mélange de tai-chi et stretching avant tout autre exercice physique. Je lui propose plutôt de démarrer notre course très doucement.
Dehors le froid vif renforcé par un vent du nord piquant fouette le visage. Et tandis que nous attaquons à petites foulées, Liu me fait remarquer que nous portons la même paire de runnings Asics ; sauf que les siennes sont en 38.
Nous rejoignons la plage au dessus de laquelle est aménagé un agréable chemin de promenade. Malgré les moins 5° C, les muscles se réchauffent et les corps se délient progressivement. Agréable impression de sentir son organisme fonctionner au rythme de sa respiration. Nous sommes dans le même tempo tranquille où il n’est pas question de performance, seulement d’agréables sensations, quand l’oxygène irrigue les plus petites cellules jusqu’au cerveau et que l’esprit s’éclaircit.
Rapidement nous partons dans un sympathique échange à bâton rompu. Je découvre alors une belle personne aux valeurs profondes, dotées d’une rare détermination.
-      Cette année j’ai décidé de parler l’anglais me confie t-il.
Je suis admiratif de ses efforts et de la manière subtile, certes encore un peu gauche mais tellement appliquée, avec laquelle il utilise et prononce des mots choisis. Pas de doute, dans quelques mois il sera parfaitement à l’aise.
Tout sourire, perdant un peu la notion du temps, nous poursuivons notre échange avec un vrai plaisir apparemment partagé : famille, travail, hobbies, tout y passe sans retenue, en toute simplicité.

Après une petite heure au grand air nous retrouvons la chaleur de l’hôtel et quittons gants et bonnets.
-      Bien mieux qu’un diner alcoolisé pour faire connaissance me lâche Liu avec un belle sincérité en montant dans l’ascenseur vers la salle de petit déjeuner.

Tu parles. Il est vrai que la course à pied a sans doute ceci de commun avec l’alcool, qu’assez rapidement elle désinhibe complètement. Quant à choisir…