samedi 6 décembre 2014

Des deux côtés du remblais

Nha Trang, Vietnam, ville côtière sur la Mer de Chine : nous sommes en décembre mais à ces latitudes tropicales il fait toujours beau. 28° sous un ciel bleu moutonneux. Comme toujours la clim de la voiture souffle trop fort et trop froid. J’ouvre la fenêtre pour réchauffer l’ambiance et profiter des effluves iodées remontant de la plage de sable blanc. Au large, sur les flots scintillants,  des silhouettes de cargos semblent posées sur l'horizon comme pour agrémenter le paysage. Nous roulons doucement dans un flux de scooters vrombissants tel un essaim de hannetons voletant autour de la voiture.
Devant-nous, une guirlande de Noël ornée d’un étincelant Merry Christmas rouge et vert orne l’avenue, tandis que sous les palmiers bordant la plage, des touristes aux formes rebondies flânent nonchalamment, image quelque peu surréaliste pour nous qui associons Noël à l’hiver.

De l’autre côté de la rue, les boutiques à « touche-touche » proposent toutes sortes de « produits de la mer » : maillots, tee-shirts, tongs, canards gonflables, parasols et autres goodies.
Une chose m’étonne, les sous-titres sont en Russe, et rien en Anglais. Je fais part de ma surprise à notre hôte qui me répond très naturellement :

- Et bien oui, depuis que vous (sous-entendu les occidentaux), les avez mis sous embargos, les Russes ne savent plus où allez. Alors ils viennent dépenser leur argent chez nous. Alors on fait ce qu'il faut.
- Mais alors les autres, ceux qui venaient avant ? Les Européens, les Américains.
- Et bien ils ne viennent plus ?
Comment ça ils ne viennent plus ?
- C’est-à-dire que les Russes sont maintenant les plus nombreux. Ils prennent beaucoup de place et on ne peut pas dire qu’ils soient très sympathiques depuis qu’ils sont sous pression…
Le commentaire sans équivoque me laisse un goût amer que j’évacue rapidement en rebranchant sur des questions business. Nous lançons ici une écloserie de crevettes et le sujet est passionnant.
Nous arrivons à notre hôtel. Autour de l’arbre de Noël décorant le lobby de ces 1000 feux, des Russes partout, omniprésents, omnipotents. Un couple me passe devant à l’enregistrement sous les yeux ébahis de l’hôtesse d’accueil qui ne dit rien. Si le client est roi, il se comporte ici comme en terrain conquis, tout comme dans la rue d’ailleurs, où ils occupent tout l’espace. Tels des ours polaires sur leur territoire, on les croise « au large », dans leurs tenues débraillées, certains, ventre à l’air rosi par quelques coups de soleil bien placés.
6h30 : comme à l’habitude je sors pour mon jogging quotidien. Courir en petite tenue sous les guirlandes de Noël a quelque chose d’exotique.
Déjà la fourmilière laborieuse et souriante s’agite. Presque toutes les boutiques sont ouvertes et les senteurs de café (le meilleur du monde) embaument l’air tiède et humide de leurs arômes chocolatés, tandis que quelques marchands ambulants proposent montres, lunettes de soleils et maroquinerie contrefaites. Un petit groupe de Russes matinaux, à moins qu’ils ne soient pas encore couchés, sont bruyamment installés autour d’une petite table à la terrasse d’un café, psalmodiant contre le cafetier qui semble ne pas comprendre ce qu’ils veulent. Le savent-ils d’ailleurs eux-mêmes ?
Je retrouve le lobby de l’hôtel et croise un jeune couple dans l’ascenseur. Curieux, l’homme me toise avant de lâcher dans un anglais aux accents roulants :

- You are not Russian!
- You’re right, I'm French.
Froncement de sourcil avant d’ajouter de façon péremptoire:
- We are not friends! (nous ne sommes pas amis)
Je ne cherche pas à argumenter, n’en ai d’ailleurs pas le temps. La porte de l’ascenseur s’ouvre aussitôt sur la salle de petit déjeuner, et c’est pour moi le repas le plus important.
Tout en buvant ma tasse de thé, je ne peux m’empêcher de tenter de remettre tout cela dans son contexte, particulièrement l’humiliation que « nous » (les occidentaux) sommes en train de faire subir aux Russes. Rien n’est simple évidemment, et ce qui se passe en Ukraine n’est pas acceptable. Mais les isoler comme nous le faisons ne fait qu’attiser les tensions en exaltant le nationalisme d’un peuple fier et d’un pays puissant.

Comment naissent les tensions entre les peuples...


samedi 22 novembre 2014

Rush



Deux heures que nous sommes bloqués dans le trafic et rien ne se passe. Toutes les artères alentour sont congestionnées. Nous sommes vendredi soir et c'est comme si tous les véhicules de la ville de Chengdu s'étaient données rendez-vous pour une grande parade. Ni tenant plus, mon chauffeur quitte précipitamment la voiture les mains sur la braguette pour uriner contre la barrière centrale. Je tiens encore mais vois l'heure passer et la perspective de prendre mon vol s'éloigner. Merde, pas envie de rester ici collé pour le week-end.
J'appelle Delphine mon assistante pour anticiper le plan B. Il y aurait des options de vol un peu plus tard via Bombay ou Abu Dhabi sur lesquels elle me bloque un siège.
Sur mon smartphone Google Maps m'indique un itinéraire alternatif jusqu'à l'aéroport. Je prends les choses en main et fait signe au chauffeur de sortir du périphérique. Il ne comprend pas bien mais obtempère devant mon insistance. Nous entrons dans ville. La situation n'est guère meilleure, cloaque automobile où chacun tente de forcer d'impossibles barrages générant de nombreux accrochages ajoutant encore à la confusion. 
...
Mon vol est déjà parti et il reste encore plus de 10 km jusqu'à l'aéroport. Cette fois c'est moi qui n'y tiens plus et sorts me soulager sur un parterre au coin de la rue.
Aéroport en vue.
Je rentre en courant quand une hôtesse, allez savoir pourquoi, me demande si je parts sur Abu Dhabi... Je confirme, bien que le décollage ne soit plus que dans 30 minutes.
Le comptoir d'enregistrement est en train de fermer lorsque je présente mon passeport. Derrière son écran, la jeune femme ne me voit pas dans le système, et pour cause, je n'y suis pas encore. A l'autre bout du fil, mon assistante tente de débloquer un siège avec l'agence de voyage de Nantes.
- We close de fight Sir. Sorry.
- Hold on please.
Je lui passe Delphine elle-même au téléphone avec sa correspondante de l'agence de voyage, pour tenter de "forcer le passage". Elle obtient finalement un numéro de dossier. Aussitôt le jeune femme de l'enregistrement me libère un siège en précisant que j'aurai bien une correspondance à Abu Dhabi vers Paris, mais qu'il me faudra prendre le billet sur place. Plus que 20 minutes avant le décollage. Pas le temps d'épiloguer. Je cours vers la douane, puis la sécurité, pour enfin rejoindre la porte d'embarquement en nage. Surprise, l’écran annonce que le vol est décalé d’une heure. Or ma correspondance vers Paris n'est que de 1h30... Quand ça ne veut pas... Tant pis, on verra bien sur place.
...
L'Airbus A330 Ethiad est impeccable et vide ! On comprend que la compagnie est encore en phase d'investissement pour le développement de son réseau mondial depuis le hub d'Abu Dhabi.
L'accueil de l'équipage est exceptionnel. Ici on soigne le client.
Re-laxe, sans aucun contrôle sur la situation, je n’ai pour les prochaines heures qu’à profiter de ce vol parmi les étoiles.  
Contournant le massif Himalayen par le sud, après quelques turbulences nous atteignons notre altitude de croisière. A travers le hublot irisé de quelques cristaux glacés, la demi-lune monte sur l’horizon en éclairant la couche nuageuse d'une lumière évanescente. Bercé par ronronnement des moteurs, je me laisse aller dans une agréable torpeur, repensant aux rencontres de ces derniers jours, avant de faire le vide pour ne devenir plus qu’un assemblage de molécules organiques, volant au-dessus d’une petite planète, tournant autour d’une étoile à la périphérie d’une galaxie, parmi les milliards composant notre univers. Je ne suis plus rien.
7h plus tard atterrissage à Abu Dhabi. Pas une seconde à perdre, je n’ai que 35 minutes pour prendre mon billet vers Paris et rejoindre la porte d’embarquement. Je cours vers le comptoir de transfert où un sympathique agent Marocain me sort un billet en m’indiquant le chemin à suivre pour l’embarquement à l’autre bout de l’aéroport.
-        Dépêchez-vous, c’est assez loin, me prévient-il.
La course continue dans des couloirs qui n’en finissent pas lorsque j’entends mon nom dans les haut-parleurs de l’aérogare. Tendant l’oreille je comprends que l’on n’attend plus que moi à la porte 42. Je presse encore le pas, si tant est que ce soit possible, et m’engouffre dans l’avion sous le sourire indulgent de l’équipage.

Dans une dizaine d'heures je serai à l’heure à la maison.



samedi 15 novembre 2014

Quadruple 1


11/11 : pour nous les Européens, le 11 novembre c'est l'armistice de 1918, aujourd'hui une journée fériée synonyme de paix ; pour ceux qui s'en souviennent.
Mais là où je suis, devinez ce que pourrait bien vouloir signifier ce quadruple 1. Une idée ? Pas même une petite ? Allez, je vous livre un indice. Je suis en Chine.
D'aucun vont dire, encore, il n'a vraiment que ça à faire. Tu parles... Sauf que nos amis Chinois consomment plus de la moitié du canard et du porc produit dans le monde. Alors évidemment ça motive à travailler avec eux quand on est dans la génétique animale.
Mais revenons-en à notre affaire de 1.
Il n'est ici évidemment pas question d'armistice. Mais alors, de quoi pourrait-il bien s'agir ?
1 comme un seul, tout seul, unité, unique, voir indivisible... vous ne voyez toujours pas ? Je ne vous fais plus languir : 1 comme "single", c'est à dire célibataire en anglais ! Il s'agit donc La journée des célibataires ; mais pas seulement. Car quand vous regardez le bâton du chiffre 1 se dresser fièrement, vous ne pouvez échapper au symbole phallique qu'il véhicule. Du coup, le 11/11 est ici la journée des hommes célibataires. Il fallait être Chinois pour l'inventer.
Mais alors, à quels chiffres pourrait bien correspondre la journée des célibataires féminines ?
Que diriez-vous du six septembre ?