samedi 22 novembre 2014

Rush



Deux heures que nous sommes bloqués dans le trafic et rien ne se passe. Toutes les artères alentour sont congestionnées. Nous sommes vendredi soir et c'est comme si tous les véhicules de la ville de Chengdu s'étaient données rendez-vous pour une grande parade. Ni tenant plus, mon chauffeur quitte précipitamment la voiture les mains sur la braguette pour uriner contre la barrière centrale. Je tiens encore mais vois l'heure passer et la perspective de prendre mon vol s'éloigner. Merde, pas envie de rester ici collé pour le week-end.
J'appelle Delphine mon assistante pour anticiper le plan B. Il y aurait des options de vol un peu plus tard via Bombay ou Abu Dhabi sur lesquels elle me bloque un siège.
Sur mon smartphone Google Maps m'indique un itinéraire alternatif jusqu'à l'aéroport. Je prends les choses en main et fait signe au chauffeur de sortir du périphérique. Il ne comprend pas bien mais obtempère devant mon insistance. Nous entrons dans ville. La situation n'est guère meilleure, cloaque automobile où chacun tente de forcer d'impossibles barrages générant de nombreux accrochages ajoutant encore à la confusion. 
...
Mon vol est déjà parti et il reste encore plus de 10 km jusqu'à l'aéroport. Cette fois c'est moi qui n'y tiens plus et sorts me soulager sur un parterre au coin de la rue.
Aéroport en vue.
Je rentre en courant quand une hôtesse, allez savoir pourquoi, me demande si je parts sur Abu Dhabi... Je confirme, bien que le décollage ne soit plus que dans 30 minutes.
Le comptoir d'enregistrement est en train de fermer lorsque je présente mon passeport. Derrière son écran, la jeune femme ne me voit pas dans le système, et pour cause, je n'y suis pas encore. A l'autre bout du fil, mon assistante tente de débloquer un siège avec l'agence de voyage de Nantes.
- We close de fight Sir. Sorry.
- Hold on please.
Je lui passe Delphine elle-même au téléphone avec sa correspondante de l'agence de voyage, pour tenter de "forcer le passage". Elle obtient finalement un numéro de dossier. Aussitôt le jeune femme de l'enregistrement me libère un siège en précisant que j'aurai bien une correspondance à Abu Dhabi vers Paris, mais qu'il me faudra prendre le billet sur place. Plus que 20 minutes avant le décollage. Pas le temps d'épiloguer. Je cours vers la douane, puis la sécurité, pour enfin rejoindre la porte d'embarquement en nage. Surprise, l’écran annonce que le vol est décalé d’une heure. Or ma correspondance vers Paris n'est que de 1h30... Quand ça ne veut pas... Tant pis, on verra bien sur place.
...
L'Airbus A330 Ethiad est impeccable et vide ! On comprend que la compagnie est encore en phase d'investissement pour le développement de son réseau mondial depuis le hub d'Abu Dhabi.
L'accueil de l'équipage est exceptionnel. Ici on soigne le client.
Re-laxe, sans aucun contrôle sur la situation, je n’ai pour les prochaines heures qu’à profiter de ce vol parmi les étoiles.  
Contournant le massif Himalayen par le sud, après quelques turbulences nous atteignons notre altitude de croisière. A travers le hublot irisé de quelques cristaux glacés, la demi-lune monte sur l’horizon en éclairant la couche nuageuse d'une lumière évanescente. Bercé par ronronnement des moteurs, je me laisse aller dans une agréable torpeur, repensant aux rencontres de ces derniers jours, avant de faire le vide pour ne devenir plus qu’un assemblage de molécules organiques, volant au-dessus d’une petite planète, tournant autour d’une étoile à la périphérie d’une galaxie, parmi les milliards composant notre univers. Je ne suis plus rien.
7h plus tard atterrissage à Abu Dhabi. Pas une seconde à perdre, je n’ai que 35 minutes pour prendre mon billet vers Paris et rejoindre la porte d’embarquement. Je cours vers le comptoir de transfert où un sympathique agent Marocain me sort un billet en m’indiquant le chemin à suivre pour l’embarquement à l’autre bout de l’aéroport.
-        Dépêchez-vous, c’est assez loin, me prévient-il.
La course continue dans des couloirs qui n’en finissent pas lorsque j’entends mon nom dans les haut-parleurs de l’aérogare. Tendant l’oreille je comprends que l’on n’attend plus que moi à la porte 42. Je presse encore le pas, si tant est que ce soit possible, et m’engouffre dans l’avion sous le sourire indulgent de l’équipage.

Dans une dizaine d'heures je serai à l’heure à la maison.



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