lundi 29 avril 2013

Un brunch à Chicago



Retrouvant notre fils Lou pour le week-end à Chicago, il nous emmène prendre un brunch dans les quartiers nord-ouest du centre ville, plus tout à fait le cœur de cette mégapole et sa spectaculaire et très belle skyline au bord du lac Michigan, pas encore la banlieue et ses zones négligées, mais tout simplement là où il fait bon vivre dans des maisons de brique à étages, souvent partagées en appartements, à proximité de petits commerces soigneusement tenues - restaurants, boutiques en tout genre, épicerie, librairie - dans un style un peu « bobo » magnifié par cette belle journée de printemps où les gens sortent en tenues légères, ou roulent nonchalamment d’un bloc à l’autre à bord de grosses voitures américaines, bercés toutes vitres ouvertes par le ronronnement des puissants V8.
Au hasard nous entrons dans un restaurant où l’on sert le brunch du week-end, moment de convivialité autour d’un vrai de repas, quand, le reste de la semaine, manger n’est ici que l’acte de couper la faim.
Il y a là familles et groupes d’amis attablés dans une ambiance décontractée, soutenue, comme c’est ici souvent le cas dans les lieux publics, par une excellente musique aux accents très rock’n roll.
Dans la salle où nous sommes assis, la table d’à côté est occupée par 3 générations d’une famille d’asiatiques, une autre par un jeune couple noir Américain au format XXL, plus loin des hispanisants très probablement Mexicains, et des « blancs » évidemment, illustration parfaite du fameux « melting-pot », creuset où se mélangent les cultures pour donner le meilleur de l’Amérique.
Pas d’autre objectif que de prendre du bon temps, parler de tout et de rien, se dire qu’on a bien de la chance d’être ici et déguster de délicieuses omelettes au bacon et autre salade au poisson fumé dans une salle inondée de soleil ou les serveurs s’occupent des clients avec zèle.
Déambulant dans les rues du quartier, nous tombons sur une improbable librairie d’ouvrages d’occasions, dans le style des « Shakespeare & Co » de Paris, Londres, New-York où l’on trouve, sur plusieurs étages, des milliers de livre usés classés par thème dans un enchevêtrement de rayons de bois ployant sous le poids des volumes.
Ce qu’il y a de bien avec les livres, c’est que l’usure n’enlève rien à la qualité des ouvrages. Au contraire, on pourrait même considérer que plus un livre est patiné par les mains du lecteur, plus le contenu est intéressant, ce qui ajoute encore à son intérêt. Il y a des objets comme cela – volant de voiture ancienne, vieil Opinel, montre ou blouson de cuir – dont l’inimitable patine exprime avec sensualité quelque chose de puissant à nul autre pareil, au point de susciter parfois un irrépressible pouvoir d’attraction, comme si, après avoir capté une partie de l’âme des utilisateurs, il pourrait en restituer quelque chose au-delà du seul plaisir esthétique.
Sans véritablement le faire exprès, je me retrouve dans les rayons « voyage, aventure, montagne » d’où j’extrais un ouvrage « Dark Summit » (Sombre Sommet), relatant quelques expéditions sur l’Everest à l’issue tragique. La lecture de la postface n’a à vrai dire rien de très engageante.  A se demander pourquoi certains grimpeurs de l’extrême ont cet irrépressible besoin de raconter la mort. Peut-être pour mieux la conjurer…
Je repose le bouquin sur l’étagère et continue de fouiner pour retomber sur le même type de récit. Décidément.
Reprenant le premier livre je l’ouvre cette fois pour feuilleter les photos couleurs reliées au milieu de l’ouvrage, cordées de grimpeurs audacieux sur des arrêtes de glace, paysages d’une inimitable beauté brutale, et ce ciel d’un bleu à la profondeur incomparable, peut-être la plus belle couleur du monde avec l’orangé des dunes du Sahara au levé du soleil.
Je le ferme pour le poser machinalement sur le comptoir, l'esprit perdue vers ces "hautes solitudes", étrange sensation qui m'accompagne de temps en temps depuis que j'y ai gouté.
-      10$ sir, me lance le gars derrière la caisse.
Je sorts de ma bulle, lui tends un billet vert et retrouve les miens sur le trottoir pour une tranquille ballade dominicale à Chicago, le nez en l'air, à l'ombre de spectaculaires cimes urbaines faites de verre et de béton façonnées par le génie d'autres hommes audacieux. Un bien beau dimanche.

vendredi 26 avril 2013

Liberté, liberté chérie



"Cruise control" calé sur 60 miles/h, nous roulons sur le pont rejoignant Virginia Beach à la pointe sud de la presqu'ile du Delaware, long ruban posé sur des piles de bétons régulièrement espacées, construction aux allures de jeu d'enfant s'étirant à perte de vue au dessus des flots scintillants de Chesapeake Bay par un bel après midi de printemps.
Puis la bande d'asphalte plonge dans un tunnel sous les flots, libérant en surface une large ouverture maritime aux nombreux navires transitant vers le fond de la baie où s'abrite la puissante flotte de guerre de l'Atlantique nord de l'US Navy, bref instant de pénombre avant un retour rapide à la lumière obligeant à plisser les yeux.

Depuis 2 jours les rendez-vous s'enchainent dans une organisation parfaite à l'Américaine où convivialité et ponctualité sont deux règles d'or, préambule à l'efficacité d'échanges directs et constructifs. Ici pas de blabla  inutiles, on va droit au but, sans fioritures. Il s'agit de trouver des solutions simples à des problèmes parfois compliqués, en s'efforçant, même si c'est parfois un peu surfait, de rester toujours courtois et positifs.

Tout comme l'Europe de l'Ouest l'Amérique est en crise, mais ce qui frappe ici, c'est l'état d'esprit des Américains. Et je ne parle pas seulement des hommes d'affaire avec qui nous discutons, mais bien des « gens de la rue » comme on dit chez nous avec une insupportable pointe de condescendance.

Ici on ne se plaint pas, on agit avec une vraie détermination pour améliorer sa condition dans un monde qui change, quand chez nous les critiques pleuvent et la contestation s'organisent pour défendre des positions qui ne peuvent plus l’être.
Plus frappant encore, les gens se respectent ; se respectent vraiment. Il n'y a qu'à observer les comportements dans les lieux publics, ou monter dans un avion, pour constater les comportements d'attention aux autres : où l'on n'hésite pas à donner coup de main, laisser la priorité, distiller un compliment gratuit, engager une conversation sur le temps qu’il fait… toutes ces petites attentions qui rendent la vie tellement plus agréable au quotidien.

Quand chez nous on jette un regard suspicieux sur la "réussite", elle agit ici comme un puissant moteur :
-      S'il l'a fait,  je peux le faire aussi !
On admire la réussite et favorise la prise d'initiative. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, cela agit aussi dans l'autre sens :
-      S'il est dans la difficulté, cela peut m'arriver aussi. Alors je le respecte et l'encourage.
Aux USA, travail et initiatives restent des valeurs sures et reconnues dont chacun mesure bien les enjeux :
Le travail qui permet, selon les critères économiques classiques, de s'élever socialement en s’engageant d'avantage et différemment s’il le faut, quand chez nous la moindre discussion sur cette notion tellement française des « avantages acquis » devient vite irrationnelle ; comme si le monde ne devait pas changer…
L'initiative individuelle, cette belle notion qui permet d'entreprendre avec agilité, quand en France on croule sous les contraintes administratives d'un état pléthorique qui pense protéger les citoyens en empilant les structures génératrices d'emplois publiques, dont les bénéficiaires, à l’origine de règlements parfois inutiles, réussissent à développer un climat de suspicion sur l'entreprise privée soi-disant responsable de biens des maux de la société. On marche sur la tête et cela devient insupportable !

La nation est aussi un ciment puissant. On aime son Amérique et le fait savoir en arborant fièrement à tous les coins de rue la bannière étoilée. Chacun sait pourquoi il est là et ce qu'il doit au pays : la liberté, la vraie, cette valeur universelle qui permet d'abord de rêver son avenir, puis ensuite d’agir pour le construire.

Je sais, tout cela peut paraitre un peu simpliste, idéaliste voir réactionnaire pour quelqu’un comme moi qui vote traditionnellement à gauche au nom de valeurs de solidarités que nous pourrions bien un jour prochain ne plus être tout simplement en mesure d’assurer, faute d’adaptation à un monde en mutation. Et je sens bien quelques sourires de lecteurs Français que vous êtes peut-être, renvoyant mes arguments au rang de ceux promus par quelques privilégiés capitalistes et individualistes.
Que nenni ! Mais sachons faire preuve d’ouverture et aussi reconnaître nos limites de citoyens du Vieux Continent qui nous enfermons dans des modèles sclérosants, ne plus nous considérer comme les plus vertueux, et regarder ce qu’il y a aussi de bon ailleurs.
L’Amérique n’est pas un monde parfait, loin s’en faut, mais elle continue de cultiver des valeurs que nous sommes en train d’oublier et qui lui permette, j’en suis certain, de rebondir dans le contexte que nous vivons.
Au train où vont les choses les écarts pourraient bien continuer de se creuser entre une société encore tournée vers l’avenir, éprise de liberté et d’idéaux, valorisant l’initiative, et une autre campant sur des positions d’un autre temps.

mercredi 24 avril 2013

Un seul être vous manque...



La neige tombe sur Loveland, Colorado. Nous sommes pourtant le 23 avril et il fait moins 6°. C’est à n’y rien comprendre.
Il est 3 heures du matin et je n’ai pas sommeil, en décalage horaire, l’esprit encombré par des états d’âmes de globe-trotter loin de son port d’attache à courir après je ne sais quelle chimère sans avoir vraiment le temps de se poser pour profiter peut-être plus simplement d’une existence paisible auprès des miens.
Ma femme me manque terriblement, nos enfants grandissent, j’aimerais aussi passer plus de temps avec mes amis, avoir tout simplement plus de disponibilité pour faire toutes ces choses qui m’intéressent aussi, pour profiter d’avantage.
Mais une vie n’y suffira pas et je ne voudrais pas non plus avoir de regrets. Alors j’essaie de tout concilier avec le sentiment parfois désagréable de vivre un peu sur le fil du rasoir, sans pouvoir totalement jouir de l’instant présent, pris dans une course contre la montre où il s’agit de ne pas perdre une miette du bref instant qui nous est donné.
Au hasard je clique sur la liste de musiques favorites dans mon répertoire et tombe sur la jolie chanson de Chris de Burgh « The snow is falling ». Il est parfois d’amusantes coïncidences…

Demain deux rendez-vous importants dont les scenarii tournent en boucle dans ma tête avec les effets somatiques classiques : boule au ventre et légère migraine. J’essaie de rationaliser et me motiver en générant des images positives, de celles qui permettent d’avancer au 35ème kilomètre du marathon ou bien, quand perdu dans les hautes solitudes,  le corps refuse de poursuivre l’ascension en vu du sommet et qu’il ne peut être question de ne pas y aller. Putain c’est dur et je m’accroche à l’objectif d’entreprise que je me suis fixé, malgré les coups nombreux, dans l’univers impitoyable de l’économie mondiale où le moindre faux pas est sanctionné cash ; au sens le plus strict du terme.
Ne rien lâcher, persévérer encore et encore, se dire qu’on peut le faire quand d’autres auraient déjà peut-être renoncé, qu’on est là pour quelque chose, et que c’est un privilège d’en avoir l’opportunité. Exister tout simplement.

J’ai envie d’appeler ma femme pour lui dire combien sans elle je ne suis qu’une moitié, combien malgré tout je me sens vivre en faisant ce que je fais, que j’ai besoin de son soutien, de ses ondes magiques qui relance la machine, que j’aimerais lui consacrer plus temps, plus d’attention ; mélange de sentiments un peu confus que je serais bien incapable d’exprimer clairement par téléphone, « paumé » dans mon hôtel au bord de la route 87 à 10 000 km de là, au beau milieu de la nuit. Il y aurait de quoi l’inquiéter…

Il faut que je me calme, fais quelques pompes pour évacuer un peu de tension, puis retombe dans ma torpeur en me disant que demain - tout à l’heure - sera un autre jour plein de promesses qu’il s’agira de ne pas manquer de transformer en réalité pour continuer à se sentir vivre pleinement,  savourer chaque instant, même si certains ont parfois un goût amer.

dimanche 14 avril 2013

Et pourquoi courir ?



L'autre jour je rentrais d'Italie à bord d'un CRJ 1000, le très beau jet régional de Bombardier, appareil effilé et silencieux aux larges hublots rectangulaires comme des écrans LCD donnant sur la planète ; mon avion préféré. Voler dans une telle machine est un plaisir dont je ne me lasse pas.
C'était la fin de journée, et nous croisions au dessus des Alpes dont les sommets pointaient sur la couche de nuages cotonneuse telles des aiguilles acérées, à l’exception du dôme du Mont Blanc, sommet de l’Europe à l’allure bonhomme de colline arrondie, de celles que l'on trouve du côté d'Aubusson lorsqu'on aborde les premiers reliefs des monts d'Auvergne.
A 10 000 m d'altitude, tout en profitant d'une vue imprenable sur ce "paradis blanc" magnifié sous un ciel d'émeraude éblouissant de la lumière crue du soleil à peine filtrée par la troposphère, je lisais le bouquin de l'auteur japonais Haruki Murakami, "Autobiographie de l'auteur en coureur de fond", attrapé en partant sur la pile de livres entassées au coin de la bibliothèque familiale.
Sans doute est-ce par ce que je suis aussi un coureur invétéré, le récit de cet auteur que je ne connaissais pas m'est allé droit au cœur, retrouvant dans son histoire la description de sensations familières, mises en parallèle, pour ce qui le concerne, avec les challenges de sa vie d'écrivain, tandis je faisais le lien avec ma vie d'entrepreneur - voyageur, retrouvant mot pour mot ce que j'ai pu modestement parfois coucher aussi sur le papier - expression élégante pour dire en fait frapper sur mon clavier - ou comment mettre tout en œuvre pour tenir la distance et développer en parallèle, vie intellectuelle, amoureuse, sociale, spirituelle,  en cultivant sa vitalité corporelle au service de sa sensibilité et de son "intelligence".
La question m'est souvent posée de savoir ce qui me fait courir quotidiennement ? Au sens littéral du terme évidemment…
Le goût de l'effort ? Le plaisir ? L'addiction ? Autre chose ?
Et souvent d'ajouter - ceux qui posent la question - quel courage !
Courage, tu parles ! Certes il faut un peu de volonté, mais la vraie raison se résume en deux mots : bénéfices collatéraux.
Bon, je reconnais volontiers que cela mérite un petit approfondissement,  et franchement ne vous forcez pas à poursuivre la lecture de cette chronique si vous ne sentez pas.
...
Vous êtes toujours là ?
Je vais essayer de préciser ce que sont selon moi les bénéfices collatéraux du jogging quotidien :
-      La régulation du stress par l'évacuation de toute ces toxines secrétées sous la pression des agressions quotidiennes. Vous savez, le réflexe très ancien de la fuite de nos lointains ancêtres face au danger : l’homme se retrouvant face à une féroce bête sauvage et dont la décharge d’adrénaline lui permet de fuir à toutes jambes. Sauf qu’aujourd’hui, nous ne nous enfuyons pas lorsque nous sommes agressés par les stress de la vie ordinaire et que, si nous n’y prenons pas garde, toutes ces décharges émotionnelles s’accumulent dans notre corps et entraînent des désordres physiologiques et parfois même psychologiques. Car tout est lié… Courir est donc un excellent régulateur.
-      Le développement mécanique de l'outil corporel, celui la même qui nous permet de faire ce que nous faisons, illustration exacte du vieil adage : "quand la santé va, tout va !"
Aussi simple que ça. Un corps qui ne bouge pas s’atrophie. Un corps entretenu se développe et permet d’entreprendre des choses. Car l’intelligence ne suffit pas, il faut aussi des bras et des jambes pour agir.
-      Le goût de l'effort, du dépassement de soi : ces conquêtes personnelles de l'inutile qui vous font découvrir vos limites en les repoussant, histoire de voir si l’on est capable de courir un kilomètre de plus ou gagner trente secondes sur son parcours habituel, et considérer cela comme une victoire sur soi-même qui nous grandit un petit peu à chaque fois.
-      La vitalité, cette faculté qu'ont certains de rayonner en distillant de l'énergie positive aux personnes qu'ils côtoient.
-      La probabilité d'allonger sont temps de vie "active" : en investissant un peu de temps pour soi chaque jour, disons 45 minutes d’exercice physique, soit moins 3% de son temps de vie totale si l’on espère vivre 90 ans, l'opportunité de gagner peut être 10 ou 15 années de vie en bonne santé, autant de temps disponible pour profiter du bref instant qui  nous est donné sur la grande flèche du temps.

Trop simple ? Idéaliste ? Essayez donc pour voir !