jeudi 25 mai 2017

Epilogue



21 jours, presque 10 000 kilomètres sur l’Africa-Twin, 650 litres d’essence, 5 litres d’huiles, 1 pneu, 15 pays traversés, des centaines de photos.
Sarajevo, Srebrenica, Istanbul, Tbilissi, Bakou, Kiev, et tous ces villages anonymes traversés. Des centaines de sourires, des dizaines de rencontres, des paysages à couper le souffle sur des routes improbables.
Et toutes ces émotions…
Nous aurions aussi aimé découvrir Tchernobyl et Odessa. Dans une prochaine vie peut-être, quand les données de l’équation espace-temps seront différentes, qu’horloge et calendrier n’auront plus la même importance et qu’il deviendra possible de s’arrêter ici ou là, justement parce que c’est ici et là.

Ce voyage fut d’une rare intensité, dans une partie du monde où les hommes eurent le génie de développer des cultures si différentes entre « voisins », pour le meilleur et parfois pour le pire.
Partout nous avons été accueillis avec intérêt et curiosité.
Partout nous sommes passés trop vite. Il eut été si agréable de prendre plus de temps. Et pourtant nous avons tant appris ; beaucoup sur les autres, un peu sur nous aussi, quand il s’agit de dépasser ses aprioris, faire face à l’imprévu, trouver l’énergie d’avancer dans des conditions parfois difficiles.
La moto ne fut qu’un moyen. Moyen de déplacement léger au plus près de la nature et des gens. Moyen pour sortir des sentiers battus. Moyen de communication également par le pouvoir d’attraction qu’exercent nos chevaux mécaniques.
Nous aurions aussi aimé aller voir plus loin, attirer par ce magnétisme qui pousse l’insatiable curiosité du voyageur vers de nouveaux horizons.
J’aurais aussi aimé prendre le temps de mieux partager avec vous, chers lecteurs, toutes ces sensations, mieux les traduire en mots plus justes. Mais pour cela aussi le temps était compté.

Nous bouclons la boucle, fatigués mais comblés par cette séquence de vie « plus forte », heureux de retrouver les nôtres. 
Les retrouvailles sont toujours des moments particuliers, instants magiques où les regards se confondent, intenses émotions quand le petit supplément d’âme acquis donne aux relations une nouvelle dimension. Ne serait-ce que pour cela, voyager en vaut vraiment la peine.



dimanche 21 mai 2017

L'amitié entre les peuples


C’est fou comme de revenir en Europe fait se sentir à la maison. Se dire qu’on appartient à cette même communauté hissant le drapeau étoilé, espace de liberté et de paix ; de prospérité aussi. Sortant d’Ukraine, l’arrivée en Roumanie donne immédiatement cette impression : routes impeccables, signalétique claire, villages proprets, gens souriants. Il reste évidemment quelques anachronismes du passé pas si lointain de la période Ceaucescu, mais que de changements spectaculaires pour ce « petit » pays depuis son adhésion à l’Union Européenne. Et puis ce côté latin dans lequel on se retrouve si bien.

Je dois me rendre chez Dan A Baya Mare, un ami de Didier et Jo qui m’accueille pour la nuit avant mon vol demain vers Paris. C’est aussi lui qui va gentiment assurer la logistique de retour de ma moto.
Dans une vaste vallée de moyennes montagnes, Baya Maré est dominée par une spectaculaire cheminée semblant disproportionnée. Des flashs clignotants donnent une étrange aura à sa verticalité de plus de 350 mètres. Plus haute que la Tour Eiffel ! Il s’agit en fait du pot d’échappement d’une usine de cuivre aujourd’hui arrêtée qui dispersait ses gaz toxiques à bonne hauteur au-dessus de la ville. Elle ne tourna en fait que 4 ans tant ses effets étaient nocifs, à tel point que dans certaines conditions les habitants de la ville devaient porter des masques filtrant l’air vicié. Scénario digne du Meilleur des Mondes, quand les Roumains asservis n’étaient que les pions d’un dictateur mégalomane de la pire espèce.

Nous sommes invités ce soir à diner chez un ami douanier de Dan et son épouse. Juste le temps de se changer et me voilà partis pour une sacrée soirée.
Le couple nous reçoit ainsi qu’un autre couple de leurs amis. Il y a là aussi toute une flopée d’enfants. Ambiance familiale. J’adore. Le maître de maison est d’un abord sympathique, milieu de la trentaine joviales et gentiment bedonnante, pantalon militaire, tee-shirt à l’effigie du drapeau Américain. Tout juste arrivé qu’il me sert sa « trouspinette » locale, un tord-boyaux de prunes distillées, et nous voilà partis dans des cul-secs entrecoupés de chips et cacahuètes. Chaleureuse ambiance avec musique locale à tue-tête : la dolce-vita Roumaine. A moins que ça n’en soit la fièvre de samedi soir.
Parlant de tout et de rien, on se tape dans le dos et sur le ventre, histoire d’éprouver sa virilité latine en même temps que l’amitié Franco-Roumaine. J’essaie de le questionner sur son boulot. Il nous raconte l’importance de « la tradition » dans ce beau métier, comprenez le billet de 20 Euros glissé dans la liasse de documents pour faciliter le passage en douane des camions, mission ô combien importante de l'agent, et qui lui permet d'arrondir ses fins de mois. Du coup, tout le monde y gagne.
Alors que nous commençons à tous être un peu « fatigués », il nous ressert un verre et nous invite, uniquement les hommes, à le suivre. Descente de quelques marches pour se retrouver au sous-sol de la maison dans une sorte de caverne d’Ali Baba. Est entreposé ici tout un bric à brac d’objets insolites, soi-disant des antiquités, ainsi que bon nombre de bouteilles d’alcools, "cadeaux traditionnels", ou saisies des douanes. Et je ne vous parle pas du petit pressoir électrique dernier cri de notre homme passionné de vin, ni de son alambic artisanal pour extraire l’essence de son nectar.
Et Dan de me commenter sur l’économie parallèle qui se développe en Roumanie. Il y a de l’Italie des années 60-70 dans tout cela…
Allez, encore un p’tit cul-sec pour faire passer, et nous remontons manger les saucisses de mouton délicieusement piquantes.
Vers minuit, notre homme revient avec uniformes et insignes que je dois enfiler pour la photo. Un grand moment cette séance de photo façon village people. On rigole beaucoup, on s’embrase, on picole encore. Heureusement que pour éponger il y a un solide et délicieux plat de pommes de terre sautées.
Les enfants dorment sur le canapé. Il est temps de rentrer. On se quitte alors avec la connivence de ceux qui ont un peu dépassé les bornes, juste ce qu’il faut pour sceller l’amitié entre les peuples.

Alors que le suis dans un FlixBus vers Angers, rapport qualité-Prix imbattable, aux dernières nouvelles mes camarades sont toujours sur la route en Roumanie, en direction de chez Dan, à réparer des crevaisons multiples. Et devinez sur la moto de qui ?




Instantanés d'Ukraine



Pressé par le temps je m’attendais à une traversée de l’Ukraine en solo pénible : 1500 kilomètres à moto en 2 jours sur des routes approximatives… Mais il n’en a rien été.
Tout d’abord une météo parfaite sur une machine confortable facilite bien les choses.
Puis il y a toutes ces images et ces rencontres inattendues.

Si l’agriculture ici prospère, c’est tout de même le choc de deux modèles : d’un côté ces méga fermes de production de céréales, de porc et de poulet. Ce pays dispose d’un potentiel agricole extraordinaire. De l’autre ces toutes petites fermes où, souvent des personnes « âgées » semblent survivre sur des modes ancestraux, de simples petits jardins méticuleusement entretenus sans mécanisation et quelques vaches. Ces gens d’un autre temps se déplacent encore à voiture à cheval, grossiers tombereaux de bois brute avec des roues de voiture, images surréalistes de la confrontation de deux époques digne des « Visiteurs ».
Et tous ces complexes industriels en ruine, innombrables usines désaffectées vestiges de l’Union Soviétique.

Les ravitaillements d’essence donnent souvent l’occasion d’échanger quelques mots avec les gens du coin. Intrigué par ce voyageur à moto, ce bonhomme tout sec qui m’aborde et me débite toute une tirade évidemment complètement inintelligible pour moi. Et il insiste comme si de rien n’était. Je tente alors de lui expliquer notre périple passant par Bakou. Il me tombe alors dans les bras, m’embrasse, veux m’offrir des gâteaux et m’inviter à dormir chez lui. Dommage que le temps presse.
Cette nuit, dans le petit hôtel ou je me suis arrêté pour 20 euros diner et petit dej compris, on frappe à ma porte en milieu de nuit. Surpris, dans un demi-sommeil j’ouvre la porte. C’est l’amour qui passe. Je remercie la jeune femme de son attention… puis retourne me coucher comme une masse. Nous nous recroisons ce matin au petit déjeuner, juste l’occasion d’échanger un sourire et puis s’en va.

Approchant de la zone frontalière des Carpates où Slovaquie, Hongrie et Roumanie se touchent, le paysage de moyenne montagnes devient plus varié, les courbes parfaites à moto dans les forêts où alternent sapins et feuillus de différentes essences.
A la sortie d’un village, toutes sirènes hurlantes une vielle Mercedes de police me rattrape. Je suis à vrai dire un peu intrigué par la voiture. Mais bon, ils ont bien l’air flics. Deux jeunes gars plutôt affables. L’un des agents me fait comprendre que j’aurais franchi une ligne blanche… Possible mais pas récemment. Je nie. Ils insistent. Je nie de nouveau et tente d’expliquer notre périple. Petit conciliabule et ils me laissent repartir.
Puis de nouveau, à la sortie d’un autre village, cette fois-ci une vraie voiture de flics me rattrapent et m’arrête. Décidément c’est la journée. Plutôt l’endroit, au carrefour de toutes ces frontières où sans doutes les pigeons sont nombreux. Cette fois-ci nous tombons dans la caricature : un jeune gars un peu timide avec gros type transpirant. On me fait comprendre que j’aurais grillé un stop. Très sincèrement je ne vois pas et proteste vigoureusement. Ils me prennent mes papiers et veulent me conduire je ne sais où. Je ne bouge pas puis demande de voir l’endroit de l’infraction. Effectivement, à environ un kilomètre, un panneau stop totalement invisible dans les herbes folles juste avant un passage à niveau désaffecté. Toutes les voitures passent au ralenti pour amortir les secousses de la chaussée défoncée, mais personne ne s’arrête. Ils veulent me faire payer. Je proteste de nouveau avec virulence sous l’œil amusé des villageois assistant à la scène. Le ton monte. J’ai récupéré mes papiers mais ils me prennent la clé de la moto. Les bras croisés je toise le gros méchant en affirmant haut et fort que je n’accepte pas ce « racket », mot que tout le monde comprend. Le petit me redonne ma clé. Au moment de monter sur ma moto le gros met sa main sur son arme de service. A ce moment-là une voiture Hongroise passe sans s’arrêter. Ils se précipitent pour le rattraper. Je ne serai pas le pigeon du jour.

Et pendant ce temps mes camarades "patouillent" à la frontière Moldave…



vendredi 19 mai 2017

Odyssée Russe



Kilomètre 9100 de notre périple : les hommes sont fatigués et les machines aussi (surtout celle de Didier). La mienne vient de retrouver une nouvelle jeunesse, remettant son compteur à 5 chiffres à zéro en passant la barre des 100 000 kms. Pas mal pour une vénérable machine de 30 ans dans son jus.
Après la traversée du Caucase par la route militaire, des images encore plein les yeux, le transit par la Russie pour rejoindre l’Ukraine devait être une simple formalité. Il n’en a rien été.

D’abord ces routes aux interminables lignes droites dans les plaines céréalières avec pour seule distraction l’iconographie soviétique du vaillant peuple Russe, nombreux mausolées en béton peint, parfaitement entretenus, magnifiant les soldats vainqueurs de l’envahisseur nazi, ainsi que paysans et travailleurs ayant permis à la Russie socialiste de se reconstruire.
Heureusement qu’il y eut le plantureux déjeuner chez Malina pour égayer la journée, dans sa petite gargotte jouxtant le bordel pour routiers en mal « d’amour » le long de la nationale.
Et ses petits bourgs poussiéreux que l’on traverse presque sans y faire attention. Parfois une jolie église orthodoxe égaille le paysage de ses coupoles dorées où turquoises comme des bijoux précieux. Les kilomètres s’égrènent doucement sous les averses, et pour ne rien arranger dans la froidure.

Nous rejoignons l’autre côté de la Mer Noire, et longeons sa rive nord au-dessus de la Crimée jusqu’au petit poste frontière avec l’Ukraine. Comme un fait exprès, à notre arrivée un violant orage éclate. A moto, impossible dans ces conditions de sortir les documents sous la pluie diluvienne devant la guérite de l’agent chargé du premier contrôle visiblement surpris de nous voir arriver là. L’orage passe. Nous nous représentons. Il nous demande notre laissez-passer. Pas sûr d’avoir bien compris nous présentons les passeports et le formulaire d’entrée en Russie. Mais il insiste : un laissez-passer. Un deuxième agent le rejoint, puis une jeune femme baragouinant l’anglais aidée de Google traduction ; tous sur la même longueur d’onde à nous expliquer que nous sommes en zone de guerre. Nous jouons les veuves effarouchées, expliquant qu’en tant que français cela ne nous concerne en rien, que l’Ukraine est en zone Schenguen, et que donc rien ne nous empêche quitter la Russie par ce poste. Inutile d’insister davantage. Nous ne passerons pas et devons faire un détour de 700 km pour entrer par Belgorod au nord de l’Ukraine.
Déçus mais sans autre choix nous rebroussons chemin et reprenons la route. Au-dessus de nos têtes passent des hélicoptères de combat tandis que sur la route descend un convoi de porte-chars. La Crimée n’est pas loin et la zone visiblement pas complètement apaisée.

Le soleil se couche et il est temps de s’arrêter. Toujours des problèmes électriques sur la moto de Didier ne permettant pas d’utiliser les phares.
Au hasard nous entrons dans un village un peu retiré de la route principale. A peine arrêtés pour faire le point qu’un policier vient nous « renseigner ». Cela tombe à pic car nous cherchons un hôtel. Ni une ni deux, nous voilà en convoi jusqu’à un grand et vieux bâtiment, sans plus d’indication, au milieu du bourg.
Véritable fossile de l’ère Soviétique, tout y est : les affiches de propagandes, le comptoir en bois, l’hygiaphone, le vieux salon en velours, les tapis poussiéreux, portes déglinguées et bien sûr l’escalier en ciment. Nous devons être quasiment  les seuls clients.
A l’accueil une jeune femme très zélée se donnant un air sévère. Et la voilà partie dans un délire paranoïaque, copiant toutes les pages de mon passeport de grand voyageur sous l’œil vigilant de nos deux amis policiers expliquant qu’il y a beaucoup de contrôle en zone de guerre. Décidément, ils sont à fond. Pendant ce temps nous étudions la carte pour éviter toute mauvaise surprise sur la route de Belgorod. Nos anges gardiens passent des coups de fils à on ne sait qui pour confirmer l’option choisie. A vrai dire, rien d’autre à faire que d’en sourire sans se moquer. Ce n’est pourtant l’envie qui nous manque tant la situation est caricaturale. Mais bon, nous ne sommes pas chez nous. Et quand bien même…
Dans son genre la chambre de l’hôtel vaut aussi détour : lino marron imitation parquet, tapisserie à fleurs entièrement d’origine, poignées de porte façon cristal et coulures de peinture sur les carreaux. La salle de bain avec évacuation de la douche sous le lavabo. Bref, du 100% CCCP dans son état d’origine.
Le lendemain, après 400 kilomètres de liaison dans l’arrière-pays, et une panne d’essence (je vous laisse deviner qui de nous à la plus gros… réservoir… Si si, c’est bien celui-là qui est tombé en panne – heureusement qu’il y avait la demi-réserve) nous nous présentons aux douanes de Belgorod. Accueil chaleureux et formalités rapidement expédiées. Nous sommes loin des troubles de la Crimée.
Bye bye Russie, welcome in Ukraine.

Avec une journée perdue dans ces conjectures, il va maintenant me falloir tracer la route tout seul pour ne pas manquer mon avion de Dimanche en Roumanie. Dommage, nous n’aurons pas le temps de passer à Tchernobyl.