dimanche 19 février 2012

Echouer n'était pas une option

Mercredi 15 Février :
Colera camp de base n°3 6000 m > le sommet 7000 m

3h30 heures du matin. Au terme d’un court moment de « repos », tente ballotée par des bourrasques soutenues, et température polaire, il est temps de se préparer pour notre départ prévu à 5h précises.
Tout d’abord s’habiller dans notre espace réduit :
Sous-vêtements techniques longs, puis pour les jambes sous-pantalon en fourrure polaire plus pantalon type Gore Tex doublé en polaire, sans oublier les chaussettes « de compétition ».
Pour le haut du corps 2 fourrures polaires l’une sur l’autre, une veste Gore Tex et un anorak.
En ce qui concerne la tête, une cagoule en polaire, un bonnet laine doublé polaire, le masque de protection et bien sûr la lampe frontale.
Je n’oublie pas non plus les chaussures de montagne avec chaussons intégrés, les crampons (à ne fixer qu’une fois sortie de la tente), ni les sous-gants en soie sur lesquels sont enfilée de grosses moufles.
Et bien croyez-moi, mais passer tout cela à deux, vers 4 heures du matin, dans l’espace réduit d’une petite tente, à 6000 m d’altitude, par moins 25° dehors  et en moins de 45 minutes est déjà un challenge.
Puis vient le petit déjeuner à avaler assis par terre, déjà tout habillé dans l’espace réduit tel que décrit précédemment. Ni facile, ni agréable : tasses de thé et biscuits aux fruits secs.

5 heures piles. Comme convenu Yves et moi sortons de notre tente au même moment qu’Ivan, notre guide, et Bruno son assistant, de la leur. Peu de paroles échangées, chacun est concentré, le froid et le vent ne facilitent pas la communication. Nous savons ce que nous avons à faire.

Sans plus attendre nous entamons doucement notre montée sous l’éclairage des frontales. Malgré le vent soutenu le ciel est d’une pureté absolue. Nous progressons sous la grande arche de la voie lactée, magnifique ciel de l’hémisphère sud aux constellations originales où les halos évanescents des Grand et Petit Nuages de Magellan ajoutent une indéniable touche de poésie.
Le crissement des crampons sur la glace rythme notre lente progression dans un froid sibérien. A travers la cagoule la respiration difficile dans un air raréfié oblige parfois à la baisser rapidement pour retrouver un supplément d’air.
Je jette un œil à mon altimètre : 6250 m. Nous marchons depuis près de 2 heures et n'avons progressé que 250 m de dénivelé. Il fait de plus en plus froid et j’attends avec impatience le premier rayon de soleil.
Progressivement le ciel grise à l’Est. Le jour se lève enfin quand nous atteignons « Independencia », sorte de petite terrasse enneigée exposée au vent  sous la ligne de crête. Je tente une photo mais l’appareil est gelé. Un regard sur mon thermomètre indique – 35°. J’ai un doute sur la fiabilité de l’information tant l’électronique est mis à l’épreuve dans ces conditions extrêmes. Je bois quelques gorgées de thé chaud de ma petite thermos mais oublie de manger un peu de solide (erreur que je paierai plus tard).
Après quelques minutes, sans un mot nous reprenons notre lente avancée vers le sommet, Ivan en tête, je le suis, puis Yves, Bruno notre guide assistant fermant la marche. Chacun est dans sa bulle concentré sur sa progression, cherchant sa respiration, luttant contre le froid, attentif à chaque pas. Imperceptiblement nous ralentissons. D’un petit pas toutes les deux respirations, nous passons à 3. Je crois percevoir qu’Yves décroche mais n’ai pas la force de me retourner pour le soutenir le sachant acompagné par Bruno.
Vers 6500 m nous marquons un court arrêt. Yves est à la peine et ressent de fortes gelures à la main droite. Devant nous le dénivelé est impressionnant : forte déclivité sur « un mur » de glace. La mort dans l’âme Yves décide de renoncer et rentrer à Colera avec Bruno retrouver Claude resté en stand-by. Nos regards se croisent, quelques mots d’encouragements et nous nous séparons.

Reste environ 500 m de dénivelé. Nous ne sommes plus que deux, Ivan en tête. Nous avançons de plus en plus difficilement sur une forte pente enneigée balayée par de violentes rafales : 1 pas toutes les 4 respirations… Notre marche ressemble un peu à celle saccadée des mantes religieuses. C’est dur mais nous poursuivons notre lente progression avec régularité, le sommet en vue sur notre gauche. Je n’ai pas froid et me dis que le sommet ne peut pas nous échapper.
Notre trajectoire s’incurve doucement vers la gauche, abritée par un impressionnant surplomb rocheux. Le sommet au-dessus duquel pointe le soleil est maintenant dans l’axe de notre trajectoire. La pente devient encore plus forte et glacée. Chaque pas doit être précis pour un bon accrochage des crampons. Et c’est comme si soudainement mes pieds ne parvenaient plus à mordre franchement la glace. A plusieurs reprises je manque mes prises et glisse « dangereusement ». Je me relève mais la tête me tourne. J’ai chaud, j’ai froid, ne sais plus exactement où j’en suis, où je suis... Il faut que je m’allonge, que je dorme « tout de suite ». Puis la conscience reprend le dessus. Mais qu’est-il en train de m’arriver ? De toute façon ça n’a plus d’importance, toute mon énergie a disparu. Je suis totalement atone. Je relève la tête vers le sommet. Tel un flash électrique la lumière éblouissante du soleil me stimule violement. J’aperçois Ivan en contre-jour. Visiblement il ne comprend pas immédiatement ce qui se passe. J’ai faim, je veux dormir. Plus rien n’a plus d’importance maintenant. Je m’assois sur la neige la tête entre les moufles. Ivan me tend une barre énergétique que je me force à avaler ainsi qu’un sachet de miel concentré. J’essaie de boire également. Le thé est glacé dans la thermos. Je me retourne vers le sommet. Plus que 300 m de dénivelé. Un « rien », mais je n’y arriverai jamais. De drôles de pensées me traversent l’esprit : tout arrêter et me laisser aller maintenant. Puis je croise le regard bienveillant de mon épouse, je sens sa chaleur, le sourire de ma fille, les encouragements de mes garçons, de amis si chers, et mes équipiers dans cette expédition que je ne peux pas décevoir. Je me relève, m'invective, demande à Ivan de me suivre, au cas où… et refais quelques pas. Je pleure, essaie de générer des images positives. Le visage de ma femme ne me quitte plus. J’avance en vers et contre tout ne lâchant plus le sommet des yeux. A cet instant rien au monde n’a plus d’importance que d'atteindre cet objectif pour ne pas décevoir, pour ne pas me décevoir.

Plus que 150 m. Cette fois le sommet ne peut plus m’échapper, j’en suis certain. J’avance comme un automate les yeux rivés sur l’objectif. Tout mon corps est parcouru de violents frissons,  stimulantes bouffées d’adrénalines, énergie du désespoir. Dernière moi je sens la présence rassurante d’Ivan. Je ne peux pas non plus le lâcher si près du but.
Encore 50 m. Je me sens mieux et retrouve une certaine paix intérieure. Mes pas redeviennent plus précis. Une merveilleuse sensation de bien-être m’envahit. Mes larmes de rage se transforment en joie intense. J'ai la sensation d'une incroyable légèreté, comme si mes pieds ne touchaient plus le sol.
J’y suis, nous y sommes : Ivan, mes équipiers, ma femmes, mes enfants, mes amis. Je me retourne et tombe dans les bras de mon guide.
Rapide coup d'oeil sur l'altimètre : 7000 m. A cet instant nous sommes au Paradis et profitons de ce moment magique « au-dessus de tout », embrassant sans bruit du regard des perspectives uniques sur la « terre de hommes ».


vendredi 17 février 2012

Colera le bien nommé !

14 février : Nido > Colera, camp 3 – 6000 m


Après une nuit difficile, comme attendu – difficulté d’endormissement puis oppression respiratoire génératrices de cauchemars épouvantables – le jour se lève enfin dans notre tente envahit par le givre qui retombe en fine « neige » sur nos duvets. Moins 18° dehors, moins 5 à l’intérieur.
Petit dej à l’étroit dans notre « capsule spatiale » (tente 3 places), porridge et thé insipide après les contorsions d’habillage.
Nous sortons de l’ombre quand les premiers rayons du soleil distillent un semblant de chaleur réconfortante sur un paysage à couper le souffle, chapelet de sommets de plus de 5000 m entre lesquels « coulent » de spectaculaires glaciers dont les craquements nocturnes participent à la magie de l’atmosphère.
Le temps de démonter le bivouac à toute petite vitesse dans un air glacial, nous quittons Nido vers 11h pour le camp supérieur « Colera », ultime étape avant notre tentative d’ascension finale.
Approche éprouvante sur des pentes abruptes, pierreuses et glacées dans un décor d’une puissance brute et sauvage.

Nous approchons des 6000 m et le souffle déjà court se fait encore plus saccadé. Chaque pas demande un effort. Devant moi je vois Claude à la peine. Accroche-toi Claude ! ai-je envie de crier, mais n’en ai même pas la ressource, totalement absorbé par mon propre combat.

Nous atteignons Colera le bien nommé vers 17h, petit plateau inhospitalier balayé par des vents sibériens au pied du sommet quelques 1000 m plus haut.
Le temps se gâte et notre priorité immédiate est de monter le bivouac pour se protéger des éléments hostiles, très fortes rafales accompagnées de grésil. Nous sommes épuisés et le montage est laborieux. Chaque geste est un effort, un essoufflement, une asphyxie, à en perdre par instant toute notion de temps et de lieu… étrange.
Il faut manger. Même pas faim, mais pas le choix, demain nous tentons l’assaut final : réveil prévu à 4h par moins 25° peut-être sous les bourraques. Il ne faudra pas perdre une seconde avant de partir au risque de geler sur place.

Au moment du briefing Claude nous annonce sa décision de ne pas tenter l’assaut final, fatigue accumulée et prévisions météo difficiles l’ont amené à prendre cette sage et « chevaleresque » décision qui augmente les chances de succès d’une équipe réduite à 4 : Yves, Ivan notre guide, Bruno son assistant et moi.

Dernier check médical réalisé par Ivan dans le cadre le cadre d’une étude sur les effets de l’altitude pour laquelle nous sommes les cobayes : tout est OK. Ne reste plus qu’à souhaiter que la météo ne contrarie pas notre projet…

Je termine cette rubrique à la frontale dans la tente assaillie par de violentes rafales sous une température polaire. Il est temps d’essayer de dormir un peu, moment que j’appréhende le plus depuis le début de cette expédition tant il est difficile de trouver le sommeil réparateur à ces altitudes. Au moins la nuit devrait être courte !


jeudi 16 février 2012

Vers l'ascension finale

Mardi 13 février : Nous quittons Mulas (camp de base) ce matin à 5 et non pas 6. J’en ai les larmes aux yeux, Bruno ne nous accompagnant pas pour la tentative de montée finale. Suite aux contrôles médicaux d’hier soir, tension encore trop élevée, il a pris la sage décision de ne pas tenter le diable et rester au camp de base à faire des « ronds dans l’eau ». Alors que nous nous faisions une joie de poursuivre l’aventure ensemble, et peut-être de fouler un petit morceau de paradis. Ce sera pour une autre fois.

Nous faisons donc notre deuxième montée vers Nido, après le portage d’avant-hier pour équiper le camp, avec cette fois l’intention d’y dormir en vue de l’ascension demain vers Colera, camp 3 à 6000 m, puis, si la météo le permet, l’assaut final mercredi.
A vrai dire les prévisions ne sont pas fameuses, mais tout peut encore changer… Alors croisons les doigts.

Montée sans histoire, bel et intense effort, chacun tendu vers le même objectif. Où l’on écoute le moindre signal corporel dans cette bataille contre les effets de l’altitude.

16h30 : nous y sommes donc, dans un état un peu second, pas vraiment agréable, quand la tête tourne et que les boyaux glougloutent au moindre mouvement brusque. Ici tout marche au ralenti. L’économie de mouvement est la règle pour ne pas risquer de tomber en syncope.
On se restaure un peu par ce qu’il le faut. L’après-midi tire à sa fin sous quelques flocons épars. Diner sans appétit puis tenter de trouver le sommeil.

J’appréhende la nuit à ces altitudes ou la physiologie déréglée génère toutes sortes d’informations inhabituelles au cerveau, et qu’au moindre endormissement suit un réveil brutal, le corps oppressé, horrible impression d’asphyxie.



dimanche 12 février 2012

Porter haut, dormir bas

 7h30, nous partons pour la montée vers le camp n°2, Nido de Condores 5500m, que nous devons équiper en vue de l’assaut final prévu milieu de semaine et qui devrait normalement se dérouler en 3 étapes :
-    Lundi, remontée vers Nido, où nous passerons la nuit,
-    Mardi, ascension jusqu’à Colera, 6000 m, où nous bivouaquerons dans des conditions assez difficiles,
-    Mercredi, départ de Colera vers 5h30 pour tenter l’assaut final. Si tout se passe bien nous devrions atteindre le sommet en début d’après-midi…
Tel est donc le programme vu d’aujourd’hui, encore susceptible de bouger fonction des conditions météos. De la neige est annoncée pour la nuit prochaine sur le sommet, et du vent assez fort pour Mercredi avec des températures très basses, - 30° ! Mais tout cela peut encore évoluer. « Le temps change si vite en montagne… »

Dès la sortie du camp de base nous abordons une pente assez forte sur sol gelé. L’aube se lève juste, et la lune presque pleine donne au paysage encore gris une agréable touche poétique.
Nous marchons en file indienne. En tête, Ivan, notre guide donne le rythme, tandis que Bruno, le guide assistant qui nous a rejoint pour la phase finale de l’expédition ferme la marche.
Soudain, comme un flash la montagne s’illumine derrière nous à l’instant où les premiers rayons du soleil passent la ligne de crêtes sur laquelle nous progressons dans l’ombre du relief.
L’effort devient plus intense. Nous approchons des 5000 m lorsqu’enfin nous profitons de la caresse bienvenue de l’astre du jour.
Avec l’altitude la respiration devient plus difficile, exactement synchronisée sur nos tous petits pas réguliers. Chacun est maintenant dans sa bulle, concentré sur l’effort intense de l’ascension : faire un pas, expirer, puis le suivant en inspirant et recommencer sans se distraire. Ne penser qu’à ça. Toute « erreur » de respiration est immédiatement sanctionnée par une oppressante sensation d’asphyxie.
5200 m, le camp 2 signalé par un petit drapeau semble maintenant à portée de main. Mais notre progression est si lente et l’air si rare…
Je jette un œil sur mon altimètre : 510 mbar, moins de la moitié de la pression atmosphériques au niveau de la mer. Ici chaque molécule d’oxygène compte double. Et ce drapeau qui semble ne jamais vouloir se rapprocher. Rester concentré, faire un pas, respirer, puis faire un autre pas et respirer encore. Je me retourne. Mes camarades ont aussi les visages marqués par l’effort.
5400 m, nous y sommes presque… Au moment où nous touchons au but le temps change brusquement. A notre droite, quelques 1500 m plus haut, l’imposant sommet de l’Aconcagua s’ennuage brusquement en même temps que la température chute. Nous enfilons nos vestes en « Gore-Tex ».
5480, nous y sommes enfin. Notre équipe de portage est déjà là, tentes montée, et bidons vivres mis à disposition. Ivan vérifie rapidement que tout est OK, nous avalons sans traîner un sandwich et déjà il faut redescendre au camp de base avant que la météo ne se dégrade trop.

Demain jour de repos avant l’ultime effort pour l’ascension finale. Notre équipe est au mieux, plus déterminée que jamais !



Nous ne serons très probablement pas en mesure de communiquer les 4, 5 prochains jours. Dans les conditions extrêmes je vais tenter de poursuivre cette narration au jour le jour et la mettrai en ligne fin de semaine prochaine, en espérant que le matériel ne nous lâche pas en route. Quoiqu’il en soit, très vite la suite. Et merci pour votre fidélité.

...

Au moment de la mise en ligne de cette chronique la neige se met à tomber sur le camp de base et la température baisse rapidement…



samedi 11 février 2012

Holiday on Ice...

Après l’ascension d’hier, la journée d’aujourd’hui est consacrée à la préparation matérielle pour le portage de demain au camp n°2, Nido de Condores (5600 m), que nous devons équiper pour servir de base intermédiaire avant le camp n°3 Colera (6000 m), dernière étape avant l’assaut final prévu pour milieu de semaine prochaine ; portage au terme duquel nous redescendrons au camp n°1 pour une nouvelle journée de repos, en vertu du principe « porter haut, dormir bas », stratégie à priori la plus efficace pour économiser l’organisme du grimpeur en hautes altitudes.

Nous parlons donc ici de 60 kg de vivres et matériels communs (nourriture, tentes, combustible, ustensiles de cuisines…), plus 20 kg d’équipements personnels (duvets, tapis isolants, crampons, matériels de télécommunication …) acheminés par l’équipe de 4 porteurs, plus 10 kg supplémentaires par personne (vêtements techniques et autres effets personnels) – nous quatre et nos deux guides – soit au total pas moins de 140 kg nécessaires aux 4 jours d’ascension finale.

Pour ne rien laisser au hasard nous montons aussi à blanc les tentes et faisons un essai de cramponnage sur nos chaussures de haute altitude, petite escapade de 2 heures vers le glacier à proximité où nous retrouvons les fameux « penitentes » dont je vous ai brièvement parlé hier : spectacle féérique de ces statuts de glace naturelle sublimées par la lumière de milieu d’après-midi ; où l’on trouve aussi d’improbables et spectaculaires équilibres de rochers sur des pitons de glace translucide, comme s’ils avaient été délicatement posés par la main du géant des glaciers jouant à construire des cairns.
Nouveau check médical en fin d’après-midi : tension, fréquence cardiaque et taux de saturation d’oxygène dans le sang.
Après quelques petits réglages effectués les deux jours précédents, toute notre équipe est maintenant parfaitement au point et l’ambiance est au beau fixe.

vendredi 10 février 2012

Ascension du Cerro Bonnete - 5050 m

Ce matin réveil de bonne heure pour une ascension d’acclimatation haute altitude. Départ du camp de base n°1 pour un « petit » sommet à proximité : Cerro Bonnete, 5050 m.

La progression démarre doucement, sous la pleine lune, par une transversale de la vallée glacière à proximité du camp, avant de s’élever doucement vers l’objectif, un sommet rocheux évoquant vaguement une forme de bonnet.
Temps magnifique, températures largement négatives sous les zones d’ombre tandis que les sommets prennent des teintes étincelantes illuminés par la lumière du levant.
Dans un air absolument immobile le silence assourdissant est de celui des déserts ou des cathédrales, presque mystique.
Descendant des sommets, une cascade figée par la glace scintille au soleil. En s’approchant, l’écoulement de l’eau sous la glace de surface joue une petite musique légère et naturelle.
Nous progressons doucement sur des pentes pierreuses dans un environnement minéral absolu où glace et roches mêlées dans de subtiles nuances de brun, noir, gris, bleu, blanc donne au paysage une puissance brute de commencement du monde.

Avec l’altitude la respiration se fait plus difficile. Surtout ne pas manquer une expiration rythmée sur chaque pas, au risque de s’essouffler immédiatement.
4810 m, sur sommes à l’altitude du Mont-Blanc. Comme un fait exprès, sur notre droite apparaît un « fossile » de glacier niché au creux d’un repli du relief. Etonnamment la glace a fondu en laissant sur place d’étranges et imposantes pointes verticales, comme des statuts coiffées de chapeaux pointus et drapés de longues aubes blanches, d’où leur nom, les « Penitentes ».

Nous ne sommes plus qu’à 100 m du sommet. L’effort devient plus intense mais l’objectif ne peut nous échapper. Puis l’horizon se dégage sur 360°. Nous y sommes. Magnifique vision panoramique du massif de l’Acongagua totalement dégagé sous un ciel d’une profondeur exceptionnelle, dégradé du blanc marquant la ligne d’horizon vers un gris subtil glissant au bleu ciel, puis indigo. Pas le moindre nuage. Pas un souffle d’air. Pas un bruit. Nous approchons du paradis.




jeudi 9 février 2012

Camp de base n°1 Mulas - 4400 m

Le camp de base ressemble un peu à une base d’exploration internationale. Il y a la tente des Russes, celle de Chinois, des Allemands, des Polonais, la nôtre… Ambiance cosmopolite d’équipes qui poursuivent le même quête du Graal, fouler le sommet des Amériques.Nous sommes sur une autre planète : l’air est rare, les nuits glaciales et transparentes, la lumière du jour incandescente obligeant à ne jamais quitter nos lunettes de glacier et protéger le moindre centimètre carré de peau, au risque de brûlures aigües.
Ambiance technique aussi pour affronter les conditions extrêmes qui nous attendent : tenues grand froid, chaussures de haute montagne, crampons, sac à dos dernier cri, tentes d’altitude à toute épreuve, « centre de communication » par satellite grâce auquel j’ai le plaisir de partager avec vous ces petites chroniques en live tout en gardant le contact avec le bureau. J’adore la technologie !
Ambiance sérieuse également, où l’on ressent la concentration de chacun : ne rien laisser au hasard qui puisse entraver la progression de l’expédition. Un peu de stress enfin au moment des tests médicaux. Ici le cerveau marche un peu au ralenti. Tout du moins au début j’espère… comptant sur votre indulgence quant au style sans doute un peu approximatif d’une narration de haute altitude écrite en directe.


Demain nous allons tenter un 5000 m : le « Cerro Bonnete », puis retour au camp de base. Certainement une belle journée en perspective.

mercredi 8 février 2012

Longue marche d'approche

La journée promettait d’être longue, elle le fut : 9 heures de marche et 1100 mètres de dénivelés positifs depuis Confluencia vers Mulas (4400 m), camp de base pour l’Ascension de l’Aconcagua, presque l’altitude du Mont-blanc.

Départ à 7h30, au lever du soleil. Température proche de zéro. Nous nous engageons dans une large vallée contournant le massif de l’Aconcagua par l’Est. Nos ombres s’étirent devant nous comme pour indiquer la direction à suivre. Le fond de vallée recouvert de gros graviers blanc-jaunes sur lesquels poussent de maigres touffes ressemble à ces grandes plaines désertiques sahariennes, à la nuance près qu’ici les bords culminent à près de 5000 m.
Le soleil monte sur l’horizon et la température s’élève rapidement en même temps qu’un fort vent de face soulevant une désagréable poussière qui s’immisce dans les narines et la gorge, rendant la respiration plus difficile.
Nous avançons à petits au creux de cette interminable vallée en pente douce, buvant régulièrement pour ne pas se déshydrater dans cet air sec. Au-dessus de nos têtes le ciel d’un bleu profond, presque noir, contraste avec l’extrême intensité d’une lumière aveuglante si nous n’étions protégés par nos lunettes de soleil type glacier.
Pause déjeuner à 13h30 vers 4000 m d’altitude. Bruno commence à ressentir quelques effets désagréables de l’altitude : quelques vertiges et une légère nausée. Somme toute rien que de très banal pour quelqu’un qui découvre cette 3ème dimension.
Nous reprenons notre progression sur une pente plus accentuée. Rapidement le camp de Mulas apparait au loin au pied d’un impressionnant glacier descendant d’une ligne de crêtes au Nord-Ouest. Il semble à portée de main, si proche et si loin…

Nous avançons à pas de fourmis, pas et respiration cadencés. La vallée devient plus étroite. A notre gauche un torrent boueux descend bruyamment du glacier charriant avec lui des tonnes de rochers arrachés à la montagne. Les dernières centaines de mètres en faux plat nous amènent directement au camp de base de Mulas, sorte de base « lunaire » où transitent les grimpeurs pour quelques jours d’acclimatations avant l’attaque vers les camps supérieurs.


Acclimatation

Petite nuit pour ce premier bivouac. En fait nos duvets d’altitudes sont beaucoup trop chauds compte tenu de la température extérieure encore clémente en cette saison. 4° cette nuit pour des duvets prévus à moins 20° en température de confort… Pas facile de trouver son aise : trop chaud fermé, trop frais ouvert. Un détail qui devrait vite se régler…

Nous débutons notre marche d’acclimatation vers 9h après un copieux petit déjeuner. Départ tranquille au creux d’une vallée d’altitude montant doucement vers la face sud de l’Aconcagua. A cette heure encore matinale la lumière rasant les lignes de crêtes donne au paysage de belle couleurs chaudes entre les zones d’ombre encore gelées. Ecarts de température saisissants lorsque la caresse du soleil est encore masquée par les reliefs environnants. Nous marchons doucement, dans un silence à peine rompu par le crissement de nos pas sur les cailloux et le gazouillement matinal des oiseaux, longeant le torrent qui s’écoule du glacier en amont. De temps à autres des effluves sulfurées s’échappent du relief où s’écoule une eau chargée d’oligo-éléments, sources autour desquelles se développe une étonnante végétation sur un sol saturé de minéraux aux irréelles couleurs vives, bleu, vert, orangé, gris, noir, dessinant d’étranges motifs d’un tableau de peinture contemporaine.

Nous rejoignons maintenant le glacier que nous longeons rive gauche, énormes quantités de matériaux charriés par les millions de mètres cube de glace et roches mélangées descendant de l’Aconcagua, écoulement dont la puissance n’a d’égale que sa lenteur. Tel un énorme serpent repu, le monstre frémit régulièrement en creusant son impressionnant sillon. Au détour d’une courbe du relief apparait soudain la face sud du géant Aconcagua, impressionnant aplomb de roches brutes et chutes glaciaires sur plus de 3000 m. Comme hypnotisés par cette vision spectaculaire nous continuons notre progression en direction de l’imprenable forteresse dont certains aspects font aussi penser à une cathédrale Gothique puissance 100. Ne manque plus que le son des grandes orgues pour démultiplier l’intensité de l’émotion ressentie à cet instant.

Un coup d’œil sur l’altimètre : 4055 m. Nous venons sans problème de franchir la barre des 4000 m, une première pour Bruno. L’équipe fonctionne à merveille. Comblés par ce spectacle grandiose nous prenons la pause dans ce décor extraordinaire, modestes visiteurs de cette nature d’une autre dimension.
La redescente vers Confluencia est une formalité vite avalée sous un soleil de plomb et un vent soutenu. A l’arrivée contrôles médicaux pour tout le monde : tension artérielle, fréquence cardiaque et saturation d’oxygène dans le sang. RAS. Nous pouvons donc continuer ; ce dont personne ne doutait évidemment…


Demain très longue journée pour rejoindre le camp de base pour l’Aconcagua, Mulas, perché à 4400 m.

dimanche 5 février 2012

Veillée d'armes

Penitentes, bourgague de montagne perchée à 2600 m sur les contreforts de l’Acongagua, véritable départ des expéditions pour le sommet.
Nous y sommes « enfin » pour entamer demain une tranquille marche d’approche vers Confluencia, premier camp d’altitude autour de 3400 m, à tout petit rythme pour l’acclimatation.
Cette journée a donc été consacrée aux derniers préparatifs administratifs et techniques : obtention des permis d’ascension puis nouvelle révision et séparation du matériel entre l’indispensable pour la journée de demain et ce qui peut être directement transféré à dos de mûles vers le camp suivant, Plaza de Mulas perché à 4300 m, que nous devrions rejoindre dans 3 jours.
Puis nouveau transfert par minibus jusqu’à Penitentes, dernier hôtel mais aussi celui que nous retrouverons à la descente. Peut-être aussi la dernière connexion internet pour les 14 prochains jours… Nous verrons bien. Quoi qu’il en soit, promis je tiendrai à jour ma chronique quotidienne et la mettrai en ligne dans la mesure des possibilités techniques. Le « live » pourrait donc être quelque peu différé, situation qui je dois le reconnaître est pour moi inédite. « Se couper du monde » pour 2 semaines… Comment faisait-on avant ? Cela dit, pour être tout à fait honnête nous disposons d’un téléphone satellite pour garder le contact tant avec les proches qu’un lien avec l’entreprise en cas d’urgence.
Quant à notre petite équipe elle s’organise dans une excellente ambiance, forte de personnalités complémentaires tendues vers le même objectif:
Claude, rationnel dans l’approche du challenge mais un peu anxieux sur ses capacités physiques du moment,
Yves le plus concentré d’entre nous, sans doute le plus affûté aussi, qui pour rien au monde ne voudrait rater sa deuxième tentative,
Bruno qui découvre avec envie et curiosité la très haute montagne,
Quant à moi, déterminé comme jamais j’exclu toute hypothèse d’échec, sans parvenir à évacuer une légère appréhension sur la solidité de ce satané genou gauche.
Nous sommes accompagnés par Yvan, notre guide, qui sera assisté d’un adjoint, Bruno, à partir de Plaza de Mulas où nous retrouverons aussi une équipe de 2 ou 3 porteurs jusqu’au camp 3 Berlin avant l’assaut final.

Ce soir temps dégagé, lumière magnifique sur les reliefs dorés balayé par un vent soutenu.

samedi 4 février 2012

Transit vers Mendoza


Nous quittons ce matin Santiago du Chili pour Mendoza en Argentine, ville de départ des expéditions vers l’Aconcagua.

8 heures précises, Luis, notre chauffeur pour le transfert nous attend déjà à la réception de l’hôtel. Petit homme jovial portant allègrement plus de 70 printemps, visage rieur sous une chevelure blanche coiffée d’une éternelle casquette, allure générale un peu « tordue à droite », il a visiblement roulé sa bosse et connait son affaire. Bagages rapidement chargés dans le minibus nous partons pour une longue traversée de la Cordillère de Andes, quittant les plaines vinicoles bordant Sandiago pour s’élever doucement sur de spectaculaires routes sinueuses grimpant dans l’imposant massif montagneux, paysages exceptionnels sous une lumière cristalline. Nous traversons la célèbre station de ski aujourd’hui quelque peu défraîchie de Portillo,  pour rejoindre le col culminant à 3500 m où, sous un vaste hangar commun aux deux pays, s’effectuent rapidement les formalités douanières entre Chili et Argentine. Puis la route redescend sur le versant Argentin, panoramas tous aussi spectaculaires d’un monde minéral aux milles nuances brunes, où les plis géologiques prennent parfois des allures de mille feuilles géant au chocolat.
A un moment Luis stoppe le minibus sur le bas-côté en pointant du doigt sur la gauche.
- Aconcagua s’exclame-t-il alors fièrement !
En arrière-plan des premières lignes d’horizon du relief tourmenté, sous un ciel radieux d’un bleu profond se dresse la masse énorme du géant, face sud enneigée. Nos regards se croisent sans plus de commentaire - il est parfois des silences qui en disent long - avant que nous descendions prendre les photos pour fixer l’instant. Et là franchement, personne ne fait malin, prenant pleinement conscience du défi qui nous attend.

Malgré quelques chaleurs dues à la conduite quelque peu approximative de notre ami Luis ayant une fâcheuse tendance à l’assoupissement digestif, « sains et saufs » nous rejoignons Mendoza en fin d’après-midi, ville vivante et sympathique de 2 millions d’âmes.
L’hôtel Condor nous accueille.

17 heures précises, Yvan notre guide nous y rejoint. Petit homme trapu, cheveux rasés et peau tannée, la quarantaine finissante, il inspire confiance. Rapide briefing avant une vérification serrée de tout notre matériel. Rien ne doit être laissé au hasard. Nous devrons acheter quelques bouteilles plastiques à très grand goulot, pour éviter tout risque de gel au moment de l’assaut final, et pourvoir Bruno de super-moufles en duvet s’il ne veut pas risquer de perdre un doigt. Un saut au magasin de sport du coin permet de compléter l’équipement sans difficulté.


Minuit pile. Bruno dort comme un bébé sur le lit d’à côté, climatisation arrêtée malgré la chaleur encore étouffante pour ne prendre aucun risque de refroidissement nocturne pouvant diminuer nos capacités physiques. Ne riez pas… Mais difficile de croire que dans 2 jours nous marcherons à déjà plus de 4000 m par des températures fortement négatives.

jeudi 2 février 2012

Madrid - Santiago du Chili

Accoudés au comptoir d’un bar du Hall « R » de l’aéroport de Madrid, en transit vers Santiago du Chili, Yves, Claude, Bruno et moi avalons d’excellents sandwiches au Jambon Ibérique. Rien que de très banal, sauf que nous sommes vraiment partis pour une expédition de montagne d’une autre dimension, et tenter de fouler le sommet des Amériques, l’impressionnant Aconcagua du haut de ses 7000 m.
Yves, le 4ème équipier de cette aventure est un récidiviste. Petit homme sec à priori très affûté, la soixantaine passée, a déjà tenté cette ascension à l’automne 2010. Malheureusement une météo exécrable - vents violents et températures extrêmes - n’avait pas permis à son équipe d’atteindre le sommet. Depuis il n’a de cesse que de vouloir recommencer !
Claude, la soixantaine alerte également, plus ou moins le même gabarit qu’Yves en rêvait depuis des années et n’attendait que la bonne occasion. Un SMS sibyllin adressé fin de l’été dernier a précipité sa décision. Et je me souviens parfaitement de sa réponse à mon message : « faisons le rapidement, je ne suis plus tout jeune ». Tu parles… en pleine forme le Claude, malgré une opération pour hernie hiatale à l’automne. Et je ne vous parle pas de ses chaussures de trekking « vintage » au bout desquelles il a collé des rustines de vélo pour régler quelques problèmes d’étanchéité détectés au dernier moment. Du plus bel effet !
Bruno, mon frère cadet, n’a pas non plus hésité non plus à rejoindre le projet. Solide gaillard de 1,85 m et plus de 90 kg qui s’est préparé sérieusement, tant physiquement que techniquement, allant même jusqu’à faire l’acquisition d’un téléphone satellite. On n’est jamais trop prudent. Nous voilà donc sur le départ pour Santiago du Chili, avec armes et bagages techniques, bien déterminés à toucher le sommet de La Cordillère des Andes.

L’avion décolle, et s’engage dans un bel arc oblique vers le Sud-Ouest, 12h30 de vol transatlantique, croisant l’équateur, puis traversant le continent sud-Américain pour franchir le Cordillère quasi à la verticale de l’Aconcagua - sur la gauche de l'appareil images spectaculaires du sommet enneigé (même pas peur...) - avant de redescendre doucement se poser à Santiago. Longue navigation sans histoire dans un bel A340-600 d’Iberia.
Nous sommes maintenant de l’autre côté du monde, 30° au cœur de l’été, à priori la meilleure saison pour notre tentative.
Gageons que les éléments nous soient favorables.