mercredi 28 janvier 2015

Qui est Charlie ?



Sur l’aéroport de Bologne le ciel bas chargé de lourds nuages bourgeonnant à quelque chose de ces atmosphères un peu fantastique des films de Tim Burton.
Dans l’aérogare est exposée une spectaculaire Lamborghini Huracan au profil acéré comme un avion de chasse. Sauf que l’engin est destiné à un usage routier pour pilote fortuné capable de dompter une bête affublée d’un démoniaque 10 cylindres de plus de 600 CV.
Comme prévu, un chauffeur nous attend à la sortie : Mercedes Classe S, nous sommes bien accueillis.
L’hôtel réservé par notre hôte est d’un goût exquis : grande bâtisse, ancien théâtre du 19ème, reconditionnée en petit hôtel de luxe au décor mixant contemporain et baroque Italien avec fresques et dorures.
La soixantaine élégante, col roulé et pantalon noirs sur talons aiguilles, regard un peu triste, celle que j’appellerai Giulia nous rejoint pour diner à l’excellent restaurant du lieu.
A peine installés, elle me demande des nouvelles de la France. Devant mon hésitation elle précise :
- Bien oui, les attentats à Paris. C’est terrible ajoute-t-elle, dans un français presque parfait agrémenté d’un délicieux accent roulant les R comme dans un opéra de Verdi.
- Je ne peux que confirmer aussi mon désappointement devant tant de barbarie, en évitant soigneusement de stigmatiser.
- Etes-vous Charlie ? me demande-t-elle alors.
- Oui dans la circonstance, même si je ne suis pas particulièrement adepte des provocations parfois gratuites des journaux satiriques. La moquerie peut-être blessante au point d’empiéter sur la liberté individuelle, au lieu de la promouvoir, comme on voudrait sans doute trop simplement le laisser croire.
- Je pense comme vous me dit-elle.
Nous poursuivons le dîner sur ces considérations, évoquant entre autre les déclarations directes mais pleines de finesses du Pape François dans ces circonstances (nous sommes en Italie), et réservant les discussions business pour le lendemain matin.
11h30 le lendemain, je quitte le bureau de Giulia pour l’aéroport prendre mon vol suivant vers Amsterdam.
Météo glaciale en Hollande. Sur l’autoroute salée et quelque peu congestionnée, la voiture file vers notre rendez-vous du soir.
Hôtel rococo d’un goût douteux façon quartiers chauds d’Amsterdam. Le temps de prendre la chambre et je retrouve mes contacts pour un premier rendez-vous de travail avant le diner.
A peine installés, mes deux interlocuteurs me demandent des nouvelles de « La France ».
- Je suppose que vous faites allusion aux attentats parisiens.
- Tout à fait. Nous avons été très impressionnés ce week-end par les rassemblements de protestation partout en France, et même en Europe.
- C’est vrai que le moment était particulier. Nous étions plus de 4 millions ; la plus grande manifestation depuis la libération, de toutes origines, moment un peu magique il faut le reconnaitre.
Et mes interlocuteurs d’ajouter tout de go, et le plus sérieusement du monde :
- Comme quoi, votre esprit frondeur a parfois du bon.
Je souris en relançant le sujet :
- Et vous en pensez quoi ?
- Nous avons été bouleversés (très touchant quand cela du fond de cœur de 2 solides teutons), mais ne comprenons pas bien Charlie.
- Comment cela ?
- Bien je veux dire l’humour très provocateur de Charlie Hebdo me dit l’un d’eux. Pour nous c’est presque indécent.
J’hésite à leur lâcher que par solidarité je m’y suis abonné après les attentats, avant de l’expliquer, « au nom de liberté d’expression ».
A l’évidence ils ne me comprennent pas bien.
- Vous les Français êtes vraiment un peuple à part.

Pour une fois j’ai pris cela pour un compliment venant de nos voisins Hollandais.