vendredi 24 novembre 2017

Les yeux bridés



35° à Bangkok, moins 5 à Pékin. J’ai pourtant tout prévu mais n’arrive pas à me réchauffer dans la chambre mal isolée du Beijing International Hôtel, grand établissement dans la pure tradition Chinoise des années 80, lorsque l’état monopolisait encore ce business. Pas terrible, service brut, mais pratique et pas cher.
Il est 21h30 et je décide de partir courir un peu le long de la grande avenue menant jusqu’à la place Tiananmen et la Cité Interdite.
Collants longs, petite polaire, coupe-vent, gants, col et bonnets, parfait accoutrement pour amuser la galerie en traversant le lobby.
Me voilà dehors piqué par un vent glacial. Je trottine le col remonté sur le nez et les yeux mi-clos pour me protéger de l’air vif. Un jeune Chinois à vélo me rejoint, se retourne en me dévisageant, puis me tape la causette dans sa langue. Normal, j’ai les yeux bridés me dis-je en souriant, ce qui ne fait qu’accentuer encore la fermeture de mes paupières, (comme dirait mon assistante préférée…)
Je me réchauffe doucement. A cette heure pourtant tardive l’avenue est encore chargée de voitures à touche-touche. Je me souviens de ma première visite ici au tout début des années 90, me rappelant alors les embouteillages de vélos noirs de petits bonshommes habillés en tenues Mao… Quel bouleversement en seulement juste une génération.
Les vélos encombrent maintenant les trottoirs. Mais plus les mêmes qu’à cette époque. Pagaille de centaines de bicyclettes oranges et jaunes comme laissées à l’abandon. En fait elles ne le sont pas tout à fait. Juste la conséquence du système de « Velib» local sans station. A toute heure, vous pouvez prendre un vélo n’importe où et le laisser n’importe où. Juste à scanner le QR code de l’engin sur votre smartphone et une appli vous donne la combinaison de déblocage du système entravant la roue, tout en prélevant le montant de la location. A priori génial ! Sauf que c’est le « bordel », chacun laissant les vélos n’importe où, n’importe comment ; et je ne vous dis pas la maintenance…
Je n’ai plus froid en arrivant sur la place Tiananmen pourtant balayée par un courant d’air polaire. Pas vraiment le temps de m’attarder car il se fait tard. Mais toujours la magie de cette perspective unique sur la Cité Interdite protégée par d’imposantes portes rouges, lourdes comme celle d’un coffre-fort, derrière lesquelles tant d’intrigues ont fait la grande histoire de la Chine éternelle.
Un souvenir me revient comme un boomerang. Nous étions là avec ma femme dans les années 90, émerveillés par la majesté des lieux. Un break biologique devenait nécessaire et nous nous dirigeons vers les toilettes publiques, si je me souviens bien situées sous un coin de la grande place. En sortant je retrouve Flo, pas vraiment dans son assiette.
-      -  Ca va pas ?
-      -  J’ai pas pu faire pipi !
-      - Comment ça, t’es malade ?
-      - Non, mais les toilettes des dames étaient collectives et ça m’a coupé l’envie !
-      - Ben oui, c’était pareil chez les hommes…

Ce souvenir coquasse me refait plisser les yeux. Faut qu’j’arrête, ils vont me reprendre pour un des leurs…


mercredi 22 novembre 2017

Art éphémère




Quelque soit la saison, Bangkok est étouffante. A se demander pourquoi des hordes de touristes s’y précipitent, flux continue de vols charters en provenance du monde entier attiré par l’exotisme de cet étonnant pays doté d’un sens unique de l’accueil.
Pour le business la capitale Thaïlandaise reste l’un des « hub’s » de l’Asean. La position géographique y est certainement pour quelque chose. Mais il a autre chose que seuls les Thaïlandais réussissent : assurer la continuité des échanges commerciaux malgré une situation politique pour le moins singulière, avec ses soubresauts réguliers faits de protestations populaires rapidement reprises en main par les militaires contrôlés par une monarchie bienveillante et paternaliste. Etonnant, mais cela fonctionne depuis des décennies et personne ne semble avoir à y redire tant ici les gens sont d’une rare gentillesse. Comme si finalement les sourires gommaient tout le reste. Le pouvoir du sourire et de l’optimisme comme lien social… Et j’en vois qui s’amusent de mon idéalisme. On ne refait pas.

Le rendez-vous du jour est dans l’un des très beaux hôtels de la capitale. On m’y attend dans le business center, salle de réunion aveugle climatisée, à la sauce Américaine. Je déteste, à l’exception des petits bouquets d’orchidées joliment disposés sur la table. Les clients sont « des amis » et j’y viens donc seul en tenue décontractée. Ils sont six et je vois bien que ce déséquilibre les met un peu mal à l’aise en même temps qu’il les fascine. Je viens de l’autre bout du monde, et il ne peut être question de toujours voyager en délégations…
Quatre heures de discussions intenses avec mots choisis de part et d’autre pour ne pas tendre des débats aux enjeux importants. Pas vraiment de conclusion tranchante, mais la poursuite des échanges par écrits, chacun cherchant à construire le partenariat dont il est question. Normal aussi que ça n’aboutisse pas aussi simplement aux compromis acceptables de part et d’autre. Il y a encore du chemin à faire, ce dont nous convenons autour d’un excellent diner dans un restaurant Japonais choisi avec soin par mes hôtes.
Nous nous quittons dans une atmosphère chaleureuse, seule manière de poursuivre la construction d’un deal prometteur.

Je décide de rentrer à pied vers mon hôtel, établissement de qualité mais beaucoup moins cher.
J’aime ces petits moments de liberté au contact de la vraie vie des gens. Non pas que les affaires ne soient pas une part de cette vraie vie, mais elles ne concernent finalement que quelques « privilégiés ». Alors sortir du contexte a toujours quelque chose de rafraîchissant, permet en tout cas de relativiser les enjeux et profiter de l’instant, juste pour soi.
Sous la sky-road des centaines d’échoppent proposent les même choses : street food aux senteurs épicées et produits de première nécessité. Micro-économie qui fait vivre modestement des milliers gens. Modestement certes, mais librement, le sourire au coin des yeux.
Au détour d’une rue, une petite fille et sa maman confectionnent des bracelets et autres colliers de fleurs. Magnifique artisanat de l’éphémère. Sauf qu’il s’agit ici d’art de la rue dans sa plus simple et belle expression. L’art n’ayant d’autre but que de produire des émotions positives en élevant l’âme de l’artiste et du public, je m’arrête les regarder et profiter des effluves légères, ému par la grâce de cette jeune femme et de sa fille, touché par l’utilité de leurs créations finalement toutes aussi importantes que celles qui me font avancer sur un registre évidemment très différent. Nous nous sourions. La petite fille me donne une fleur et je ne peux m’empêcher de l’embrasser sous les yeux étonnés mais bienveillants de sa maman.
J’aurais voulu prendre une photo mais n’ose pas en rajouter, préférant rester sur cette impression de grâce, lors de l’une de mes pérégrinations sur la petite planète.