dimanche 26 mai 2024

A chacun sa façon d'atterrir

 
Nous arrivons au terme de cette aventure. Elle fut intense physiquement et émotionnellement, nécessitant un sas de décompression avant de reprendre le cours normal de nos vies ; si tant est que ce voyage n’en faisait pas partie…

Sans réelle contrainte de temps pour Didier, cela passe par le chemin des écoliers. Atterrir en douceur en prolongeant la déambulation, doucement, au gré de ses envies.
Pour moi c’est de maintenant rentrer « vite » à la maison retrouver les miens, me reposer un peu, soigner la moto, avant de reprendre avec envie le boulot tout début de semaine prochaine.
Et pour nous deux, probablement ce besoin non exprimé de se retrouver seuls quelques jours pour digérer tout cela...

Nous comprenant mieux que bien, sans tension ni malentendu, nous nous séparons donc pour ces derniers jours sur le chemin du retour à la maison.

L’un sans l’autre cette épopée n’aurait pas été possible. De l’échouage de Chinguetti à l’enfer de Rosso, notre tandem a permis d’en sortir par le haut, sachant compter sur l’autre autant que nécessaire dans les moments les plus difficiles. Et le partage, parfaitement en phase, de toutes ces émotions, ces découvertes inattendues, ces rencontres inédites.

Une autre dimension de l’aventure a aussi été le partage avec vous, chers fidèles lecteurs et lectrices de mes chroniques qui j’espère ne vous ont pas lassé.
Dans les prochaines semaines, Didier publiera également des petits films de nos pérégrinations. Sûr que vous ne les manquerez pas.

Cette histoire se termine donc bien. Déjà nous pensons à la suivante.

PS : et merci beaucoup à mon équipe de direction du peu de dérangements durant cette escapade.


samedi 25 mai 2024

Le rucher extraordinaire d'Inzerki

Les allégories de l’Atlas dépeignent souvent un monde merveilleux où se mêlent paysages extraordinaires, couleurs à nulle autre pareilles, culture Berbère originale, animaux fabuleux – comme les fameux lions de l’Atlas, plus gros et plus féroces qu’ailleurs, disparus dans les années 50 – et pratiques séculaires singulières. C’est d’ailleurs l’une d’entre elle que nous allons découvrir aujourd’hui, et je dois le reconnaître avec un peu d’excitation.

Quittant la route secondaire d'Agadir à Marrakech, nous nous engageons sur une piste de latérite vers le village d’Inzerki niché dans les premiers contreforts de l’ouest de l’Atlas. D’abord assez large, la piste se resserre rapidement en longeant un petit oued verdoyant avant de le traverser. Puis, montant dans la montagne, elle se transforme en un sentier muletier rocailleux suivant les ondulations du relief. Au détour d’un virage serré, un serpent de plus d’un mètre file devant ma roue, avant de disparaître dans un fourré asséché. Nous continuons notre progression jusqu’à une petite plateforme où nous stoppons les machines pour mieux scruter l’environnement. Pas d’erreur possible, à moins d’un kilomètre, de l’autre côté d’une étroite vallée, parfaitement intégré dans l’environnement de terre ocre, une construction inédite dans les mêmes teintes à flanc de colline. Difficile de se faire une idée d’échelle à cette distance. Mais la construction est imposante. Nous en approchons en traversant la vallée par l’étroit chemin pour nous arrêter dans un cul de sac la surplombant. Un escalier de pierres abrupt descend dans la pente vers une maison de pisé effondrée. Comme sorti de nulle part, un homme sympathique nous aborde dans un français parfait :
-    Vous cherchez le rucher ?
-    Oui, tout à fait.
-    Venez, je vous y conduis. C’est un peu plus bas. Je suis apiculteur. Je travaille ici.
-    Et ça marche bien pour vous ?
-    L’année est très difficile à cause de la sécheresse. De 42 essaims, je n’en ai plus qu’une dizaine. C’est dur. Je vais vous faire voir.

Nous descendons entre des terrasses pour nous retrouver face à des cases de peut-être 1,2 m de long sur 1,8 m de hauteurs, séparée en 4 compartiments, 3 petits et un grand, construites en bois et terre crue.
-    Vous savez, il y a plus de 1000 cases, et la construction initiale date du16ème siècles.
Et il ajoute non sans fierté sous sa casquette et derrière ses petites lunettes :
-    C’est ici le plus ancien rucher collectif du monde. Il est classé au patrimoine mondial. Il n’y a pas si longtemps, plus de 40 familles d’apiculteurs travaillaient ensemble sur ce site remarquable.
Remarquable, il est bien plus que cela…


-    Et comment ça marche ?
-    Les colonies d’abeilles, 25 à 30 000 vivent dans des ruches en forme de tubes de 30 cm de diamètre et 1 mètre de long que nous disposons dans les cases. Deux par case. Une fois les ruches cylindriques pleines, les abeilles construisent alors des rayons supplémentaires dans les cases. C’est le miel que nous récoltons.
-    Et pourquoi cet endroit ?
-    Parce qu’il est parfaitement orienté, plein sud, entouré d’arbres à fleurs dans un climat normalement favorable. C’est pour cela que les familles amenaient ici leurs essaims pour la saison. Pour les faire produire davantage. Mais depuis quelques années, ça diminue beaucoup, à cause de la sécheresse. Et il faut bien dire que les moyens de production modernes sont bien plus efficaces.
-    Surement, mais votre miel est unique et rare.
-    C’est vrai, et c’est pour cela que vous ne trouverez jamais en magasin. Uniquement auprès de la dizaine de producteurs survivant encore avec cette pratique ancestrale.

Accompagnés d'Issam nous poursuivons notre déambulation avec précaution afin de ne rien abimer de ce patrimoine si fragile. Marcher uniquement sur les chemins étroits pour ne pas affaisser les toitures. Toucher ces charpentes polies par les années comme une caresse pour en ressentir les vibrations.
Mais il faut bien l’admettre, si rien n’est fait, le rucher extraordinaire d’Inzerki ne sera rapidement plus qu’un souvenir.



vendredi 24 mai 2024

Reconnexion


Contournant Tan-Tan, nous longeons une sorte d’hippodrome géant, lorsque surgit une horde de dromadaires au galop poussés par gars armé d’une longue baguette à la main gauche, tandis que sa main droite gère la poignée gaz de la petite moto sur laquelle il est assis. Image drôle et exotique pour notre esprit occidental familier des courses de chevaux. Mais ici, le dromadaire, le plus souvent appelé chameau, est le meilleur ami de l’Homme. Parfaitement adapté aux conditions extrêmes du désert avec sa réserve de graisse, sa capacité à ingérer des grandes quantités d’eau en une fois, puis s’en priver de nombreux jours, ses longues pattes souples permettant d’enjamber les obstacles, ses larges pieds souples également pour ne pas s’enfoncer dans le sable, et sa faculté d’ingestion de presque toute matière organique, il peut transporter Hommes et matériels sur de longue distance sur tous les terrains, tout comme fournir lait et viande. Bref, le super véhicule saharien full options ! Alors pourquoi ne pas aussi jouer avec en le faisant galoper dans des courses effrénées ? Ce que font les gens d’ici, comme dans beaucoup d’autre pays du Moyen-Orient. Jeter un œil sur des vidéos, le spectacle en vaut la peine. Montés, ils ressemblent à des créatures de bande-dessinée laissant dans leur sillage un éphémère nuage de poussière, façon moto-cross dans Joe Bar Team.

Soudain le ciel se charge des gros nuages lâchant quelques gouttes éparses de pluies « sèche » immédiatement évaporée. Il fait presque froid jusqu’à ce que nous rejoignions les premiers villages typiques de ce Maroc rural, avec leurs cafés aux terrasses desquels les hommes se retrouvent pour discuter autour d’un thé à la menthe ou d’un café le plus souvent allongé de lait chaud. Culture du troquet tellement sympa ici.

Nous retrouvons donc avec plaisir ce Maroc traditionnel où vivent les gens. Celui aussi des petits commerces et des restaurants à Tajine et grillades où il fait si bon s’arrêter déjeuner pour quelques dizaines de Dirhams. Ce midi sur la place très animée du village de pêcheurs de Sidi-Infni, sorte de petite Jemaa El Fna provinciale.

Sur les petites routes à virolo, il fait bon rouler visière grande ouverte pour ne rien manquer de ce qui s’y passe. Capter les sons et les odeurs de cet environnement si différent du nôtre que l’on s’y sent privilégiés. Puis trouver au hasard le bon endroit pour s’arrêter. Hasard qui ce soir à bien fait les choses. Sur les conseils d’un gars rencontré sur le bord de la route, un très bel hôtel traditionnel, perdu dans un paysage de moyenne montagne, dominant une vaste vallée plantée d’arganiers au-dessus d’un lac. Rien n’a ajouter ni à enlever, juste profiter !




jeudi 23 mai 2024

Nostalgie

Sortir du désert a souvent un parfum de nostalgie, spleen de quitter un monde à part où la confrontation de l’être avec l’immensité brute, aride et rude, vous emmène dans une dimension inédite. Celle, bien au-delà du dépassement personnel, de la modestie face aux éléments naturels. Là où l’âme se révèle comme le lien immatériel entre soi et l’univers. Aucun doute, nous y reviendrions.

Les nuages orangés par réflexion de la couleur du sol se fond plus gros et plus nombreux, projetant sur la terre aride leurs ombres comme d’éphémères négatifs photographiques.
Sur le bord de la N1, les champs d’éoliennes se développent massivement là où le vent ne cesse quasiment pas de souffler.
Nous roulons face à ce vent qui nous avait poussé vers l’Afrique noire, soulevant des gerbes de sable doré venant crépiter sur les visières de nos casques. Les kilomètres défilent, un peu monotones. Pause toutes les heures pour soulager les fesses des pilotes soumises à rude épreuve depuis presque 4 semaines.

Layoune, première ville significative depuis Nouackchott. Et sa magnifique oasis où des centaines de flamants roses ont trouvé refuge avant de poursuivre leur voyage vers le sud de l’Europe.

Puis Cap Juby, base Latécoère de l’Aéropostale sur la ligne du courrier Afrique – Europe où nous faisons escale pour un café. Endroit magique chargé d’ondes des pionniers d’une aventure légendaire dépassant largement sa dimension technique, quand des hommes, touchés par la grâce de leur mission au-dessus de ces terres vierges, ont magnifié leurs aventures dans des récits inoubliables. Et me revient alors la rencontre d’hier avec ce petit garçon angélique. Comment n’avais pas pensé au Petit Prince ? Merci à celles et ceux qui ont fait le lien en m’envoyant des messages suite à ma chronique. Merci beaucoup. Ça m’a réellement touché.

El Ouatia. Face à la mer nous contemplons le couché de soleil en écoutant le son unique de l’Océan. Devant nous, à un peu plus de 100 milles nautiques, les iles Canaries. Notre remontée se poursuit.

mercredi 22 mai 2024

Un ange est passé

 

Vers le Nord, nous refranchissons le tropique du Cancer sur la N1 au milieu de cette immensité désertique pour rejoindre la baie de Dakhla. Magnifique lagune où se dessine de subtils dégradés de ciel, de mer et de terre. Elégantes arabesques de sable et de sel, dans des eaux aux mille nuances de bleus, irisées par le soleil de fin d’après-midi sur lesquelles planent – tels de grands oiseaux multicolores – les kite-surfers venus ici s’exercer sur le spot parfait. Sorte de paradis de la glisse du bout du monde.

Naïma nous y accueille pour une soirée agréable et une nuit reposante.

Requinqués nous reprenons la route avec plaisir. A notre gauche s’étale l’Atlantique. L’eau turquoise du trait de côte se dilue dans l’océan bleu vers le la ligne d'horizon parfaite derrière laquelle se sont perdus les immigrants en quête d’eldorado rencontrés hier.

La lumière change doucement. Moins métallique peut-être. Le ciel aussi, d’un bleu moins poussiéreux, plus propre. L'air est plus respirable. Puis, imperceptiblement, quelques flocons nuageux évanescents apparaissent dans l’azur, signes avant-coureurs d’une prochaine sortie du Sahara profond.

Nous descendons de nos machines face à l’hôtel Namara de Boujdour. Tandis que Didier s’occupe des formalités d’enregistrement avec la sympathique jeune femme Sahraoui à l’accueil de l’établissement, sur le trottoir un petit garçon en blouse blanche revenant de l’école m’aborde avec jovialité. Dix ans peut-être, sourire jusqu’au oreilles et dents du bonheur :
-    Alors Monsieur, tu fais le tour du monde avec ta grosse moto ?
-    Pas tout à fait, juste un beau voyage en Afrique. Nous arrivons du Sénégal et de Mauritanie.
-    Tu sais, moi aussi je suis Mauritanien.
-    Et tu viens d’où ?
-    D’un petit village, dans le désert, à 100 kilomètres de Nouakchott. Et vous ?
-    Atar, Chinguetti, Tidjidja, Aleg, Diama…
-    Oh, Chinguetti, le berceau de notre civilisation !
-    Tu connais ?
-    Non, pas encore. Mais j’y compte bien.
-    Au revoir Monsieur. Je dois y aller.
-    Bonne chance alors.

Il me sourit. Un ange est passé.




mardi 21 mai 2024

Naufragés


De nouveau sur pieds après l’enfer de Rosso, nous reprenons la route transsaharienne vers le nord. Port d’attache à encore 5000 kilomètres. Immenses solitudes désertiques, immuables et magnétiques, tellement propices à l’introspection. Voyage dans une autre dimension quand le vide addictif ouvre des perspectives enivrantes. Route improbable ponctuée de stations-services délabrées tous les 300 kilomètres où rodent des chiens errants.

Au hasard nous stoppons dans l’une d’entre elles. Ambiance de western sous les bourrasques de poussière. Bouteilles de plastiques roulants sur le sol, vieux pneus cuits par le soleil, bouteilles de gaz rouillées et pompes hors services.
On entre dans la salle où siffle le vent à travers les ouvertures dézinguées. A l’intérieur quelques jeunes hommes désœuvrés attablés comme des zombis. Au comptoir on commande une boite de sardines, un œuf dur et du pain, puis nous attablons sur le regard curieux du petit groupe. Et nous commençons notre « pique-nique » en engageant la conversation.
Nous comprenons qu’ils sont Maliens, survivants d’un passage raté vers l’Espagne (quelques 3000 kilomètres plus au nord). 

Babakar, jeune homme grand et fin aux yeux inquiets, nous explique dans un français nerveux :
-    Tu comprends, avec Wagner il ne fait plus bon vivre là-bas. Et il n’y a rien à faire si ton père n’est pas militaire ou politicien. On a donc décidé de s’en aller. On est parti à 105, d’abord à pied à travers le désert, puis sur une grande pirogue en bois avec 2 moteurs depuis les côtes Mauritaniennes. On a suivi la côte vers le nord comme de simples pêcheurs. Puis plus de carburant. Alors le bateau est allé se perdre dans la mer bleue. On a dérivé sans eau douce et sans manger pendant 7 jours. Certains sont morts. D’autre sont devenus fous et se sont jetés à l’eau. Grâce à Dieu nous avons été sauvés par des pêcheurs qui nous ont débarqué pas loin d’ici. Regarde mes pieds, regarde mes mains, ils sont encore tous gonflés par tout ce temps dans l’eau. On est des survivants ! On est des survivants je te dis !
-    Et maintenant, vous faites quoi ?
-    On attend. On est perdu. On pêche un peu pour survivre…
Nous sommes sans voix.
Venant d’on ne sait où, une petite dame entre dans la salle avec son bidon de 5 litres d’eau à la main et un simple cabas. Elle achète 2 œufs durs et un pain au patron de ce lieu improbable visiblement plein de compassion pour les naufragés. Personne ne parle plus. Juste des regards qui en disent long.

Un peu gênés nous quittons les lieux en leur souhaitant bonne chance. Ils nous sourient sans plus de commentaire.
Tels des intrus nous ne faisons que passer dans un monde qui n’est pas le nôtre. A moins que nous ne voulions le considérer comme le nôtre...

lundi 20 mai 2024

En enfer à Rosso



Nous étions entrés au Sénégal par le poste de Diama venant du Diawling National Park par la piste. Arrivée bucolique et agréable entre phacochères et envolées d’oiseaux au coucher de soleil.
Pour ne pas refaire la route à l’envers, bien qu’ayant très mauvaise réputation, nous prenons l’option d’en sortir par le poste de Rosso, seul autre poste ouvert vers la Mauritanie avec passage en bac du fleuve Sénégal.
Notre nuit à St Louis ne s’est pas très passée. Malgré la diligence de l’hôtelier qui n’avait pas hésité à tronçonner le portail pour permettre de rentrer nos motos, et l’ambiance bon enfant de l’établissement où nous avons (mal) diner, Didier et moi sommes attaqués par une crise de diarrhée aiguë pendant la nuit. Maladie classique du voyageur mangeant en conditions locales. Il fallait bien que ça finisse par arriver. Pas de chance, juste le jour d’un passage de frontière impératif, du fait de la durée très limité du « passavant », le visa des véhicules.
Hardis petits, on prend les pilules qui vont bien, on serre les fesses, et nous voilà donc en route vers Rosso.
Sur le bord de la route menant vers une sorte de cul-de-sac en fond du village poussiéreux, une file ininterrompue de camions de peut-être 2 kilomètres, puis un portail déglingué en fer forgé attaché par une grosse corde crânement tenue par un gars à la tête patibulaire. Nous nous arrêtons, enlevons nos casques et sommes immédiatement assaillit par toute une faune d’individus débraillés proposant leurs services pour « faciliter » le passage. Nous nous étions préparés et avions décider de faire sans aide en essayant de trouver le chemin dans cette cour des miracles.
Franchissement de la première étape, le poste de police, avec succès, sous la pression des passeurs. Puis nous passons au guichet de la douane. Contrôle des passeports, coups de tampon, et au moment de récupérer nos documents, tandis que le chef est en train de compter et agrafer ostensiblement des liasses de billet de banques, un agent nous dit sans broncher, "c’est trente euros pour la décharge administrative". Nous réagissons un peu vivement et la tension monte légèrement. Et c’est à ce moment que je suis rattrapé par notre désagrément de la nuit. Ma tête tourne un peu et je dis à Didier qu’il faut avancer sinon ça ne va pas l’faire. Nous payons. Repartant vers les motos, dans la foule quelqu’un m’appelle par mon nom. Comment peut-il savoir ? Je ne relève pas. Le gars du portail ouvre et nous avançons nos machines prêtes pour l’embarquement.
A partir de cet instant, pour moi tout devient confus. Je ne tiens littéralement plus debout et vais m’assoir par terre dans un petit coin à l’ombre. Je sais pouvoir compter sur mon équipier mais ne lui suis plus d’aucune aide. Le bac arrive et il faut charger les motos. Comment ne suis je pas tombé ? Impossible de tenir debout. Assis sur le pont dans un espèce de vertige incontrôlable, le bac démarre en crachant sa fumée de diesel qui me donne la nausée.
Quelques minutes plus tard, arrivée sur la rive Mauritanienne il faut décharger les motos. Je remonte tant bien que mal sur ma machine, manque de nouveau de tomber, descend en première la rampe immergées – pourvu qu’il n’y ait pas d’obstacle – ressort sur la terre ferme, gare difficilement ma machine à côté de celle de Didier, monte les quelques marches vers le poste de douane et m’allonge à l’ombre dans l’entrée sur le carrelage crasseux, sans demander mon reste, au nez et à la vue de toute la jungle locale du même acabit que celle de l’autre côté du fleuve. 

Dans le brouhaha ambiant, je distingue par moment la voix de Didier qui essaie de gérer la situation, à la fois les formalités d’entrer en Mauritanie et mon état pitoyable. De ma position prostrée à même le sol, je vois passer des pieds poussiéreux et des boubous gonflés par le vent. De temps en temps une personne bienveillante me touche l’épaule et s’enquiert de mon état. Mais je suis dans un état second, fiévreux et secoué de spasmes douloureux. Je demande du pain espérant que quelques bouchées puissent un peu me calmer. Quelqu’un m’en amène. Une autre personne me propose une natte, mais je n’ai pas l’énergie de me relever.
De son côté Didier est harcelé par toute cette mafia jouant sur la confusion du moment. Inquiet de mon état, il paye donc à tous les râteliers, sauf au dernier, pour faire avancer notre dossier le plus rapidement possible et s’extirper au plus vite de ce cauchemar.
Documents en main il vient me chercher. Je ne peux pas rester là. Je dois me relever. Je me relève, remet la tenue et remonte chancelant sur la moto. Au moment de partir un officier nous fait vider les bagages, le dernier râtelier non payé…
Nous partons enfin. Je roule devant comme un zombi à 60 km/h sous plus de 40°. Quelques kilomètres et nous nous arrêtons dans une boulangerie où je m’affale littéralement. Devant notre situation le propriétaire nous offre une natte et des coussins crasseux sur la terrasse dégoutante de son restaurant mitoyen. Dans cette situation seul le geste compte et le reste n’a plus d’importance. J’essaie de reprendre mes esprits. Reste encore 150 km jusqu’à Nouakchott et je ne sais pas encore comment je pourrais y arriver dans cet état.
Heureusement, Didier au petit soin reste cool. J’essaie de mon côté de générer des images positives pour oublier les spasmes. Une heure passe. Nous repartons en remerciant le restaurateur pour sa gentillesse. Après plusieurs arrêts nous atteignons Nouakchott à la nuit tombante. Je suis au bout de ma vie. 

Merci mon « poteau ». Tout seul ça n’aurait pas été possible.

PS : au delà du récit réel de cette aventure, Rosso est probablement l'un des pires passages de frontière au monde. En tout cas il en a la réputation. Didier et moi, pour en avoir franchi de nombreux, n'avons jamais vu cela.


samedi 18 mai 2024

Tout est possible en Afrique !



Quittant Dakar nous partons pour une trop courte excursion vers l’intérieur du Sénégal.
Apparaissent les premiers baobabs, arbres monumentaux dominant la brousse d’acacias.
Ici et là, des zones d’écobuage d’où s’élève une fumée âcre. C’est la fin de la saison sèche et on prépare les sols à la repousse d’herbe fraîche dès l’arrivée des premières pluies.

Notre arrêt à la nuit tombée nous fait descendre dans un improbable hôtel de campagne, le seul de la petite ville de Mbaké. Il a dû avoir son heure de gloire quand le patron était encore jeune. Aujourd’hui en fin de carrière comme son établissement. A l’entrée un lion naturalisé perd ses poils. A l’intérieur les couches de peinture se sont empilées pour former, au fil des années, une croute patinée dont les éclaboussures jonchent le sol et les vitres des fenêtres.
Venant de nulle part, baissant la tête pour franchir le seuil de la porte, un très grand homme en noir entre dans la salle. Il porte autour du cou des amulettes. Le garçon de service se précipite lui baiser la main, puis le patron. Je comprends le mot marabout. Sans doute vient-il pour un service particulier. Trente minutes plus tard il repart comme il était venu.

Nous reprenons la route vers Dahra. Très frappante est la forte poussée de l’Islam. Dans
toutes les localités des mosquées récentes dominent les habitations. Comme c’est vendredi, les chants lancinants presque continus des Muezzines occupent tout l'espace.
Dans chaque village, toujours cette activité de commerces et services qui semblent ne jamais s’arrêter. Puis ces cases en terre couvertes de chaumes protégées par des palissades légères parsemant la brousse.

Ne trouvant pas de restaurant pour la pause déjeuner, nous entrons dans le village de Koki. Au pied de la mosquée des « p’tites dames » vendent du pain, des mangues et du café. Nous leur en achetons et démarrons un pique-nique près d’elles, assis par terre adossés contre un mur ombragé. A peine installés qu’une flopée d’enfants s’approche en rond autour de nous, observant le moindre de nos faits et gestes, tandis qu’un autre groupe s’affaire autour des motos. Dix, vingt, trente, puis peut-être cinquante. Pour tout dire l’ambiance n’est pas très agréable, presque un peu oppressante. Mais bon, ce sont des enfants, alors on donne le change jusqu’au moment ou Didier propose aux p’tites dames de leur offrir des mangues. A peine a-t-il donné la monnaie que, telle une volée de pigeons affamés les enfants se précipitent sur les dames, les mettant à terre pour leur chaparder les fruits dans un nuage de poussière, puis disparaissent. Moment d’une rare violence qui nous laisse coi. Tombée durement de sa chaise qui s’est brisée, la plus jeune se relève un peu estourbie. Nous nous confondons en excuses quelque peu dépassés par ce qui vient de se passer.
Envolés, les enfants reviennent comme si de rien n’était. Les dames ne semblent pas leur en tenir rigueur. Mais l’atmosphère redevient pesante. Il est temps de reprendre la route.

Notre boucle Sénégalaise nous ramène à St Louis pour repasser demain en Mauritanie.

Premier arrêt dans un hôtel de passe dont le « maître d’hôtel » nous vente la splendeur passée. Nous passons notre chemin pour finir un peu plus loin « Chez Marie-José ». Problème, impossible de rentrer les motos par la porte métallique du grand portail. Devant notre gène, ni une, ni deux, le gérant demande à son homme de main de le tronçonner pour permettre le passage de nos précieuses machines. En moins d’une heure l’affaire est entendue. Tout est possible en Afrique !



vendredi 17 mai 2024

Dakar


La nuit au Lac Rose ne fut pas des plus plaisantes, sur des matelas pourris, attaqués par des insectes irritants. On se lève donc avec la gueule de bois pour repartir de bon matin, sans grande motivation pour la piste sableuse. Nous en sortons sans dégât vers Dakar en traversant les villages grâce aux moyens de navigation modernes nous faisant passer par d’improbables ruelles ensablées. On peste en se disant que ça ne finira jamais pour finalement déboucher sur la N10 vers la capitale.

Cloaque est le mot juste pour décrire l’artère principale, et quasi unique, vers le centre-ville de la capitale de l’extrême Ouest du continent Africain. A se demander pourquoi tous ces gens veulent s’y rendre. Des milliers de véhicules de toutes sortent – camions, voitures, moto, carioles –  s’y précipitent dans une circulation anarchique enfumée par les échappements de moteurs diesel élimés crachant leurs panaches noirs. Ajouter à cela poussière et chaleur et vous pouvez essayer d’imaginer l’atmosphère irrespirable dans un bouchon géant où chacun essaye de se faufiler, du plus gros au plus petit. Les carrefours deviennent alors de véritables capharnaüms. Feux de circulation hors d’usage, sous un concert de klaxon, noyés dans le flux anarchique de circulation, des agents essaient de la réguler à grand renfort de gesticulation et coup de sifflets inutiles. Pathétique chorégraphie d’un opéra dramatique où, inexorablement, le système s’enraille dans un désordre total.

Contre toute attente, ou finit par en sortir vivant. Épuisés mais vivants.
On découvre alors les bons côtés de la ville : Ngor, le phare des mamelles, la perspective sur l’île de Goré, le monument de la renaissance Africaine, imposante statue d’une homme, d’une femme, et d’un enfant dressés vers l’Amérique.
Place de l’indépendance, Didier tente de faire prolonger notre « passavant » - autorisation de circuler dans le pays - au Bureau Régional des Douanes. Normalement une simple formalité. Il se heurte à la corruption du système. Nous refusons de payer et devrons donc sortir du Sénégal un jour plus tôt que prévu. Désagréable mais pas insurmontable.

Attablés dans un restaurant de plage face à l’ile de La Madeleine, nous trinquons à notre arrivée à Dakar, objectif ultime de cette aventure. Nous y sommes parvenus, heureux et fiers d’y être.
Dakar est un bout du monde comme Le Cap, Brest, Ushuaïa ou Vladivostok. Bout du monde de la traite des Africains vers l’Amérique dans le commerce triangulaire avec l’Europe, bout du monde des aviateurs de l’aéropostale avant leur envol transatlantique, bout du monde d’un Rallye mythique qui nous a tant fait rêver. Mission presque accomplie ! Il est maintenant temps de rentrer à la maison. Telle une course en montagne, elle ne le sera complètement que lorsque nous pourrons de nouveau serrer nos belles entre nos bras.



jeudi 16 mai 2024

Même pas rose !

La journée de repos à Saint-Louis fut délicieuse. Climat agréable dans une ville au charme désuet des vestiges d’une « gloire coloniale » passée, égayée de toutes les couleurs contemporaines du Sénégal.
Se perdre dans les ruelles du centre-ville parmi tous les petits commerces est une immersion immédiate dans l’ambiance unique de l’Afrique noire d’abondance. Rien à voir avec les souks chiches de la Mauritanie intérieure où l’on ne trouve presque que des produits secs. Ici tous le frais est disponible, fruits et légumes, poissons et viande, en quantité. Même si, pour un Européen, il faut parfois avoir l’estomac bien accroché.

Quitter l’escale de l’Hôtel de la Poste a comme un parfum de nostalgie. Celle du désert peut-être. Aussi l’ambiance unique de ce lieu où tant d’histoires se sont raconté. Nous aurons la nôtre.
Faisant le tour de l’île, nous longeons les docks où sont alignés des centaines de longues pirogues de pêche multicolores en attente de la marée. Des filets y sont également étalés

avant d’être soigneusement repliés pour l’embarquement. A la pointe nord, figée depuis des décennies, une grande et élégante grue métallique rongées par la rouille ajoute une touche industrielle vintage au décor.

Reprenant le pont Eiffel en direction de Dakar, nous y croisons les derniers survivants de fourgons Goélettes Renault jaunes et bleue, vestiges des transports publiques d’une autre époque.
Puis la route s’en va plein sud vers Dakar en longeant la Langue Barbarie, fine et très longue bande de sable, à quelques encablures de la plage, où s’est développé un écosystème unique que les oiseaux ont colonisés. Semblant nous accompagner, de grands pélicans planent quelques mètres au-dessus des flots irisés tandis que de l’autre côté de la route des légumes s’épanouissent dans des jardins verdoyants.
Plus loin, côté mer des petits tas de sels au coin de salines grossièrement organisées.

Puis nous retrouvons les villages typiques, traversés en leur centre par la route poussiéreuse encombrés de camions, avec leur organisation presque immuable : les mécaniciens à l’entrée ou à la sortie, les quincaillers, épiciers, bouchers, marchands de fruits et légumes. Sortant de la brousse et d’une autre époque, quelques très anciens Berliet fumant comme des locomotives viennent encombrer une circulation dantesque.

Au hasard nous nous arrêtons déjeuner chez Sorkhna qui nous offre un Damada relevé : sorte de ragout de légumes variés et de viande, dans une sauce épicée sur du riz blanc.
Sorkna est une femme intéressante. Souriante et spontanée, 35 ans, éduquée à Dakar dans plusieurs spécialités dont la cuisine, mariée, mère de 5 enfants, elle mène rondement sa baraque et nous fait visiter sa petite affaire – restaurant, boutique d’articles ménagers, épicerie – puis sa maison sur le toit de laquelle elle élève mêmes quelques pigeons à côté de la niche d’Adolf, son berger allemand. Elle a aussi un peu d’humour Sorkhna, et parle de la parle de la France avec des étoiles dans les yeux. Mais que pourrait-elle faire de mieux là-bas ?
Nous nous quittons en nous souhaitant belles vies pour reprendre notre chemin vers le légendaire Lac Rose. 

Laissant la route nous empruntons une piste en latérite un peu sableuse entre les maisons. Quelques kilomètres et nous y sommes. Plutôt gris que rose, nous en avions une autre image. De celle de la grande époque du rallye Paris-Dakar et de ses arrivées grandioses sur ses berges. Nous l’imaginions plus grand, plus coloré, plus magique. Mais nous y sommes, roulant sur la plage salée en direction de Dakar…




mercredi 15 mai 2024

Presqu'à mi-parcours

Face au pont Eiffel enjambant le fleuve Sénégal, nous sommes installés à la terrasse de l’Hôtel de la Poste de Saint Louis.
L’endroit est chargé d’histoire. De celle héroïque de l’Aéropostale. Lieu d’escale de l’arc-ange Mermoz, du géant Saint Ex, d’Henri Guillaumet, Marcel Reine et les autres.
Ici on ressent les ondes de cet esprit pionnier. L’architecture post-coloniale bien sûr, dès le comptoir d’enregistrement orné de défenses d’éléphants, mais bien plus que cela. Les boiseries polies par les années, certaines peintes et repeintes, les poignées de porte et mains courantes en laiton, le magnifique patio où les plantes sont devenues des arbres, les nez de marches usés en montant dans les étages, les chaises un peu branlantes de la salle de restaurant, le petit salon, et surtout toutes ces photos et articles d’époques exposées sur les murs.
Vintage et authentique, l’établissement est tenu avec soin par un personnel prévenant, et nous profitons pleinement de ce nécessaire jour de repos après notre longue traversée du désert, avant de poursuivre demain vers Dakar.
-    Trop content d’être arrivé ici sans gros dégâts.
-    Moi aussi.
-    Sacré périple en Mauritanie tout de même !
-    T’as raison. Rude, magnifique, engagé, mais géant !
-    Je ne l’avais pas complètement imaginé comme ça.
-    Moi non plus. Il restera dans nos annales : toutes ces rencontres de bord de route, l’économie de la débrouille des Mauritaniens dans des conditions climatiques hostiles, Chinguetti, leurs racines culturelles profondes faites de tolérance et bienveillance, et ce désert immense et magnifique où tout est possible.
-    Que veux-tu dire par tout est possible ?
-    Je veux parler de l'indispensable engagement physique bien sûr, du plaisir de piloter nos machines dans ces grands espaces, mais aussi la dimension presque spirituelle de l’expérience.
-    Un peu comme ces pionniers de l’aéropostale qui repoussaient les limites du possible en assurant la ligne.
-    C’est ça, même si c’est évidemment sans commune mesure. Pour eux c'était toutes les semaines. Pour nous une parenthèse d'une semaine dans nos vies bien réglées.
-    Évidemment. Mais dans le monde aseptisé et incertain dans lequel nous vivons, c’est déjà pas si mal.
-    Pas si mal, et pas fini. Demain objectif le Lac Rose de Dakar. Nous serons à mi-parcours.



mardi 14 mai 2024

L'inimitable odeur de l'eau


Vers le Sud, depuis Tidjikja nous sortons doucement du désert.
Progressivement les troupeaux se font plus grands, quelques vaches apparaissent, puis de sortes de buffles à grandes cornes. Les chevaux sont moins faméliques, les gens moins émaciés.
Des cases rondes en pisé couvertes de chaume remplacent les abris de fortune uniquement fait de branches de palmiers desséchées.
Des femmes en boubou portent des calebasses sur la tête avec l’élégance naturelle des plus beaux modèles de mode.
Des écoles apparaissent, avec leurs centaines d’enfants lançant de grands signes à notre passage auxquelles nous répondons à coup d’appels de phares et de klaxon.
Sur le bord de la route, des carrioles à 3 ânes lourdement chargées, version V8 de la voiture à cheval, remplacent les animaux de bâts décharnés transportant péniblement 2 bidons d’eau en plastique jaune au milieu de nulle part.
Puis, comme un miracle, un effluve vient titiller nos narines desséchées. Difficile à qualifier au début, mais comme une évidence, l’odeur inimitable de l’eau en approchant du fleuve Sénégal.

Boghé, sur le bord du fleuve, côté Mauritanie, où nous nous égarons dans le marché.
Moment un peu surréaliste de 2 blancs hirsutes et transpirants, encombrés de leurs grosses motos, au milieu de toutes cette activité trépidante. Et ces petites moqueries à notre attention dont nous rigolons.
Nous suivons maintenant le fleuve bordé de rizières. L’air devient plus respirable. Nous reprenons vie. Nos cerveaux embrumés se réactivent.
Pleins d’essence à Rosso, poste frontière un peu glauque que nous évitons pour aller vers Diama par la piste, où le gars laisse largement déborder le réservoir de la machine de Didier sur le moteur brulant… On croise les doigts…
Très bon moment de moto entre les phacochères et les milliers d’oiseaux au coucher de soleil dans la réserve de Diawling.
Diama enfin, que nous atteignons à temps avant la fermeture du poste frontière avec le Sénégal. Formalités vites expédiées, il n’y a personne d’autre que nous.
Reste 35 km de nuit vers St Louis. Pas le choix. Malgré nos éclairages puissants, expériences sous haute tension, entre animaux, piétons, carioles non éclairées, camions hors d’âge, voitures borgnes et autre nid de poule.
21h, fatigués mais enchantés, nous atterrissons à l’Hôtel de la Poste de Saint-Louis du Sénégal, lieu mythique de l’aéropostale où résidaient Mermoz, Saint Ex, et les pionniers de la ligne du courrier.

 



Arnaque à Tidjikja

Au fin fond du désert Mauritanien, Tidjikja est loin de tout. Pour faire simple, 400 km de la première ville au nord, Atar, et au sud Aleg où nous sommes ce soir.
400 kilomètres c’est beaucoup pour un réservoir de moto. On y arrive presque à sec et il faut faire le plein pour en repartir. Donc ce matin on va à la première station-service pour prendre de l’essence et, pas de chance, il n’y a que du gas-oil. Pas grave, on se dirige vers la seconde. Idem.
J’interpelle un gars du coin en lui demandant s’il y a une autre station dans le village ?
-    Et bié non m’sié. Va au marché, et ti demande Mohamed Ahmoud.
Pas sûr d’avoir bien compris le nom…
-    Et il est où le marché ?
-    J’te fi voir. Suis-moi.
Ni une ni deux, il saute dans sa Mercedes pourrie dont nous suivons le panache de fumée dans les ruelles ensablée pour finir sur la place non moins ensablée. Pour rappel des non-initiés, rouler dans le sable mou, sans vitesse, est un exercice des plus périlleux avec nos grosses motos, sauf si équipées de petites roulettes sur les côtés. Un quad en fait... Remarquez que je n’ai contre les quads, ni pour non plus…
Nous voilà donc sur la place du marché. Un grand gars nous aborde en mâchouillant une tige de réglisse. Ca fait genre un peu kaïd.
-    Bonjour, nous avons besoin de 40 litres d’essence, 20 litres par moto, tu en as ?
-    Oui, et de la bonne, au marché noir d’origine Algérienne. Elle a fait un long chemin pour arriver jusqu’ici…
-    On imagine, mais elle ne coûte pas chère du tout au cul du camion de contrebande. Nous connaissons les prix là-bas. De l’ordre de 35 centimes d’Euros. Combien pour les 40 litres ?
Il réfléchit, prend un air très sérieux, et lâche sans rire, 4000 ouguiyas (la monnaie locale), soit plus du double du prix officiel.
Nous nous esclaffons et tentons de le ramener à la réalité, Didier et moi allant chacun de nos arguments rationnels. Mais rien ni fait.
-    Si tu veux l’essence c’est ce prix. Sinon c’est pas grave.
Et il s’en va.
-    Pas grave, pas grave, on va bien en trouver un autre ?
-    Peut-être mais où ? Et tu nous vois circuler dans les ruelles ensablées avec nos machines ?
Il nous tient, le sait, et revient à la discussion. Nous offrons 3000, lui 3500, pour finir à 3200. Soit tout de même 50% de plus que le prix officiel.
-    Mettez-vous là-bas je reviens.
Le là-bas est un coin tranquille à l’abri des regards indiscrets.
Un quart d’heure plus tard il revient avec 2 bidons de 20 litres chargés sur une petite moto… montrant ostensiblement combien il maîtrise la conduite sur sable. Mais passons ce détail avouons-le un peu humiliant pour en revenir à notre histoire.
Entourés comme toujours d’une ribambelle d’enfants, nous faisons les pleins raz-bord. Au moment de payer, compte tenu de l’inflation galopante, nous n’avons pas le montant disponible. On propose de payer en Euros. Il refuse et nous indique une boutique officielle de change sur le marché. J’y vais. Un gars avenant me dit qu’il ne peut pas changer aujourd’hui.
-    Mais pourquoi pas aujourd’hui ?
-    C’est comme ça M’sié. Va à la boutique là-bas ?
-    Là-bas où ?
-    Ci pas loin…
Un enfant m’accompagne. Il y a une sorte de comptoir en bois crasseux, mais je n’arrive pas savoir ce que fait vraiment cette boutique. Peu importe, je demande à changer 200 €.
-    Pas de problème M’sié.
-    Combien ?
-    6500 Ouguiya.
Je crois m’étouffer. Le cours officiel donne à peu près 8000 Ougiya.
-    C’est vrai M’sié, mais nous sommes loin de tout, alors c’est comme ça. Si t’en veux, c’est le prix… Sinon c’est pas grave…
On parlemente pour finir à 7500. Il me donne l’argent que je recompte deux fois pour éviter l’entourloupe. Le compte n’est pas bon mais il est juste. Il me demande alors une commission. Je le tue du regard, il ne baisse pas les yeux. Vexé je pars rejoindre mon coéquipier toujours caché dans son petit coin.
-    Alors, combien ?
-    Cassons-nous, je te dirai plus tard !

dimanche 12 mai 2024

12 jours de méharée

 

Quittant Atar, nous laissons derrière nous, sans l’avoir vu, « l’œil de l’Afrique », formation géologique si chère aux aviateurs. Car c’est du ciel qu’elle mérite d’être vue. Elle fut aussi l’une des inspirations de Saint Exupéry pour la planète du Petit Prince. Ce sera donc pour un prochain vol…

Pour l’heure nous prenons la route de Tidjika, 400 kilomètres vers la Sud-Est, au cœur du Sahara : 12 jours de voyage en caravane chamelière. L’ancienne piste est récemment goudronnée.

Sortant de l’axe principal, la petite route s’engage dans une vaste plaine ensablée entre 2 lignes de massifs rocheux presque noirs. Le contraste de couleurs est d’une beauté saisissante. Au fond de la vallée, des acacias clairsemés se sont adaptés à cet environnement rude, lui donnant un air de savane africaine en saison sèche.

Puis la route monte sur le plateau par des lacets étroits le long d’une falaise. Au détour d’une courbe serrée, une véritable cascade de sable s’écoule tel un mince filet d’eau dorée sur la paroi.

Sur le plateau, tandis que des perspectives océaniques se dégagent, la température rejoint les 50° mettant une nouvelle fois nos organismes à rude épreuve. Et s’hydrater beaucoup avec de l’eau chaude n’est ni agréable, ni évident.

Les quelques rares villages en pierres et huttes de palmier sont figés par cette chaleur suffocante. Et le plus chaud est à venir en juillet-août, où les températures peuvent dépasser les 55°. Littéralement infernal. A se demander comment ces gens peuvent survivre dans de telles conditions extrêmes.

Sur quelques centaines de mètres nous traversons une incroyable portion rocailleuse irisée de cristaux d’un bleu céleste, tels des bijoux de Swarovski dispersés dans la nature.

Et, comme un enchantement, une faille dans le plateau rocheux débouche sur une secrète oasis où s’épanouissent des jardins. Jusqu’à ce que l’eau s’épuise et, qu’envahit par le sable, le jardin se fossilise.

Les kilomètres deviennent pénibles sous cette chaleur accablante. A mi-chemin, les enfants d’un village nous accueillent pour un bon moment en leur compagnie à l’ombre d’une bien modeste boutique où nous achetons des bouteilles d’eau. Jouant avec eux, en plaisantant Didier leur demande de nous trouver une boite d’ananas qu’ils nous rapportent illico. Et on rigole autour du football, sport universel qui les fait rêver où que nous soyons. On se quitte comme nous sommes arrivés, sous leurs regards émerveillés par nos grosses motos.

Le parcours se poursuit en zigzaguant entre les dunes d’un champ à perte de vue dont certaines vagues lèchent la route. Sûr que les lendemains de tempête, circuler ici doit être dantesque.

Kilomètre 300, toujours pas croisé de véhicules, à l’exception de 2 ou 3 pick-up transportant animaux ou vivres divers.

De pénibles, les 100 derniers kilomètres, deviennent éprouvants. Heureusement que la beauté des paysages nous attire vers le prochain eldorado éphémère de derrière la dune ou  le prochain virage.

Tidlika enfin ! Il est plus que temps de s’arrêter au cœur de ce Sahara Mauritanien d’une beauté envoutante.