vendredi 10 mai 2024

"Le savoir est une fortune qui n'appauvrit pas celui qui en offre"


Partis au lever du soleil, notre retour prudent vers Atar se déroule mieux que dans nos songes nocturnes. Nous y arrivons complètement déshydratés et stoppons à la première boutique pour acheter des bouteilles d’eau. Je ne crois pas avoir déjà autant apprécié le goût des gorgées descendant depuis les lèvres, la langue, la gorge et jusqu’à l’estomac.

A la recherche d’un café nous tombons sur Ahmed, jeune homme bavard, curieux, entreprenant et un peu sourd qui nous invite à avancer « chez lui » pour un véritable café Italien. Je lui fais remarquer que le goût n’est rien d’autre qu’un Nescafé.
-    Oui, oui, mais en bocal, pas en stick, précise-t-il sans rire.
Nous lui commandons aussi un jeu d’oranges pressées ; parfaitement authentique cette fois-ci.
 

Didier et moi ruminons sans le dire notre échec de la veille. S’arrêter si près des portes de cette cité mythique.
Je demande à Ahmed s’il pourrait nous trouver un 4x4 pour nous y rendre dans encombre.
-    Pas de problème les gars. Je vous organise tout cela.
La débrouille africaine se met alors en branle. Il appelle un ami, qui appelle un autre ami, et nous tombons immédiatement d’accord sur les conditions de « l’excursion ».

Motos garées dans la maison de l’ami d’Ahmed, douche rapide et petite sieste réparatrice, nous voilà donc repartis en mode léger vers Chinguetti. Deux heures plus tard nous entrons dans la petite citée totalement ensablée. Sans regret, il eut été impossible d’y venir avec nos motos, et même d’y circuler tant le sable s’est infiltré partout, formant par endroit des congères entre les maisons. Sans parler de l’oued ensablée traversant l’oasis entre l’ancien village et le nouveau. Bref, impossible de s’y rendre avec un maxi-trail, et sans aucune prétention, même pour un pilote confirmé.

En cette fin d’après-midi les habitants commencent à ressortir, couverts de leurs boubous,

bleus ou blancs pour les hommes auquel s’ajoute le chèche de rigueur, chamarrés pour les femmes dont la tête en est également couverte.
Comme en pèlerinage, nous nous rendons à la bibliothèque de l’érudit Ahmed Mahmoud. Dans la vieille ville, on accède à sa maison par une rue étroite entre les murs de pierres. Une porte en bois hors d’âge en marque l’entrée. Ahmed nous attend assis dans le patio ensablé. Accueil chaleureux dans un français parfait et invitation à s’assoir dans une salle où sont entassées des centaines de boites d’archives et une armoire fermée à clé.
Peau tannée piqueté de quelques grains de beauté, yeux noirs expressifs, front joliment ridé marqué de la tâche des musulmans pratiquants, cheveux courts grisonnants et barbe blanche, enseignant retraité de 75 ans environs, il commence par nous remercier d’être venu jusque là pour le rencontrer. Tout autant, nous le remercions de nous recevoir chez lui. Car il s’agit en effet d’une collection privée dont le plus vieil ouvrage manuscrit daterait du 12ème siècle.
-    Mais avant que je ne vous fasse découvrir quelques livres, laissez-moi vous raconter une histoire…
Et le voilà parti pour une longue introduction sur la beauté de l’Islam, religion d’amour et de tolérance, dont certains imposteurs se revendiquent, mais qui n’ont rien à voir avec ses fondements.
-    Mais notre belle religion est entachée d’une grande erreur, ajoute-t-il, le manque de considération pour les femmes.
Je renchéris en disant qu’elles représentent la moitié de l’humanité. Et la complicité s’installe immédiatement.
Il poursuit son histoire nous emmenant dans les méharées sahariennes de 32 jours vers Tombouctou ou Tindouf, transport de marchandises et des savoirs, par traditions orales bien sûr, mais aussi de précieux manuscrits dont certains sont arrivés jusqu’à sa famille.
L'astronomie des Arabes anciens, l’enseignement clé des savoirs, la poésie bien sûr, dont il nous compte puis fredonne quelques versets.
Nous sommes sous le charme, un peu ailleurs, transportés dans nos imaginaires de voyageurs au long cours.
Puis il ouvre l’armoire de métal fermé à clé, pour nous sortir quelques ouvrages. Impossible d’en apprécier l’authenticité. Mais sans aucun doute anciens et manuscrits, certains même illustrés d’enluminures polychromes, dont nous pouvons tourner quelques pages.
L’après-midi s’étire. Il est temps de terminer ce moment magique.
Nous finissons par une photo inoubliable autour de Ahmed, touché par tant de sollicitude et d’humanité.
Nous nous quittons sur une chaleureuse accolade. Il nous raccompagne jusqu’au pas de porte.

Au coucher de soleil nous montons sur la dune surplombant la petite citée. Derrière nous l’énorme masse du grand erg occidental. Vu d’ici, la menace parait inexorable.
Nous redescendons au campement préparé par Baba l’ami d’Ahmed (le jeune rencontré le matin). Diner très simple préparé par ses soins, pain cuit dans le sable et thé traditionnel, moment d’échange sur nos vie et l’état du monde.

23h. Il est temps d’aller dormir sous les étoiles. Comme elles sont plus belles ce soir à Chinguetti, comme elles le seraient à Tombouctou ou Samarcande.



2 commentaires:

Joseph a dit…


Bravo les gars! Votre opiniâtreté valait bien le coup. Mais, SVP pour tous: Prenez soin de vous.

Anonyme a dit…

Belle rencontre et récit captivant, un vrai plaisir de lecture, merci Fred 🙏