vendredi 21 octobre 2016

Happy End



Le pied de Lou ne va pas bien. Nous décidons de remonter plus rapidement pour éviter tout risque d’aggravation. À regret, quittant les pistes de montagne nous prenons les routes secondaires vers le Nord à travers le massif de ľAtlas. Les villages se suivent sur ces chemins sinueux et je refais le film de ce voyage emprunt d’un sentiment mitigé, entre plaisir et frustration. L'accident est bête par définition, et se blesser durement à la première chute est juste un mauvais coup du sort. Mais inutile de ressasser tout cela et tentons de profiter quand même jusqu'au bout.
Arrêt pour déjeuner au bord de la route dans la cabane d'un vieux bonhomme tout fripé à l'air sympathique. La saleté des lieux n'a d'égale que l'air bienveillant du tenancier. Nous commandons l'une des tajines en cuisson sur les fourneaux à gaz alignés sur son étal. Pas de couverts, juste une galette de pain pour manger avec doigts. En préambule notre homme nous propose de se laver les mains dans un bac d’eau croupie... Même pas peur ! (Et rétrospectivement même pas malade non plus).
Le plat est de légumes est délicieux, caramélisé juste comme il faut. Nous ne boudons pas notre plaisir, en sirotant un thé à la menthe servit dans une théière en fer blanc, bosselée et noircie comme les cafetières de cow-boys dans les bons vieux westerns.
Je demande l’addition en préparant quelques Dirhams, l’équivalent de 5 Euros, quand notre homme me présente la note manuscrite avec le chiffre rond magique de 100 (10 Euros). C’est évidemment sans commune mesure avec la valeur de la Tajine, mais je n’ose pas contester, lui donnant, un regard droit dans les yeux, le montant demandé. Il me renvoie un petit sourire en coin. Nous nous sommes bien compris.
Les petites routes de montagne sont magnifiques et nous ne voulons pas en manquer une miette. Alors on traine pour profiter de la belle lumière de fin de journée sur ces paysages aux teintes singulières : terres écrues aux nuances de rouge mêlées de jaune, kaki, gris, noir, dans un pastel exceptionnel, sur lesquelles poussent de maigres arbustes au pied desquels s’épanouissent de délicats petits cactus d’une étonnante couleurs bleue lagon. De loin en loin quelques villages et maisons de terre isolées égayées par du linge multicolores séchant sur des murets de pierres. Et les saluts joyeux des enfants à notre passage…

Le temps presse. Nous rejoignons la vallée, un autre monde, pour rattraper l’autoroute vers Cacablanca puis Rabat et Tanger : 300 kms de nuit, sans phare pour Lou sur la Tenere, dans ma roue. Nous terminons "à l'arrache" dans un hôtel à Larache, juste le temps d’une courte nuit avant d’embarquer vers l’Europe demain matin.

Le voyage se termine ici, avec certes quelques déceptions, mais sans aucun regret. L’imprévu est l’un des ingrédients de l’aventure qu’il faut savoir prendre avec recul, même si cela fait parfois mal… au pied.




mardi 18 octobre 2016

En pays Berbère



Lou étant sur la voie du rétablissement, nous ralentissons notre remontée « d’urgence » et décidons de poursuivre nos pérégrinations par une diagonale vers l’Ouest à travers l’Atlas, empruntant prudemment routins et chemins muletiers.
Dans un décor de rêve alternant cols aux vertigineuses perspectives et vallées encaissées où se nichent les villages, la ballade en pays Berbère s’apparente à une voyage dans le temps, tant ici les conditions de vie semblent s’être figées à une époque pour nous depuis longtemps révolues : maisons de terre crue se confondant avec le paysage dont certaines, isolées, ne sont pas reliées au réseau électrique, ni sans doute à l’eau courante, rue en terre battue, peu ou pas de voitures, labour à cheval... Je me souviens avoir montré cela à mes grands-parents agriculteurs de retour de mon premier voyage au Maroc il y déjà plus de 30 ans. Et leurs commentaires curieux et intéressés, resituant ces conditions de vie au temps de leur petite enfance au début du siècle dernier. Et depuis, ici rien n’a changé, sauf, tel un choc de civilisations, l’arrivée des images du monde par les paraboles posées sur certaines maisons. Je demande vraiment ce que doivent penser ces gens de leur état en regardant « Plus belle la vie ». Certes, si l’on fait abstraction des considérations matérielles, les sensibilités de l’âme humaine ne sont probablement pas différentes que l’on vive à Imilchil où à Marseille.
 
Mais au-delà de ces considérations matérielles, ici les gens travaillent. Ils travaillent (dur) la terre, s’occupent de leurs bêtes, hommes et femmes avec apparemment autant d’engagement. Car ici les femmes sont omniprésentes, visibles, multicolores, la peau tannée, les yeux noirs et le visage découvert. Quelle différence avec les gens du sud de tradition musulmane concervatrice où les femmes restent recluses à la maison (dont elles assurent le fonctionnement).
Entre ces villages isolés, des petites écoles en préfabriquées où les instituteurs forment les enfants, en horaires décalés, pour offrir à chacun l’accès au savoir.
Et que dire de ces signes cabalistiques à l’esthétique puissante sur les façades de certaines maisons et bâtiments publiques, en fait l’écriture ancienne Berbère aux racines phéniciennes, également enseignée dans les écoles.
Nous avons ici à faire à une culture aux racines profondes, tolérante, dont je m’étonne, certainement par ignorance, que sur certains aspects elle soit apparemment restée aussi traditionnelle.
Mais nous ne faisons que passer, croisant juste quelques regards, échangeant un petit signe de la main, jusqu’au moment où, quand la lumière devient plus chaude, l’on s’arrête au café du coin siroter café au lait ou thé à la menthe, et que les enfants, fascinés par nos motos, engagent le contact par de joyeux « bonjours » auxquels nous répondons en souriant, bien qu’un peu gênés par le décalage de situation. Que vont-ils bien pouvoir raconter ce soir à la maison ? Que leur diront aussi leurs parents ? Sera-ce bienveillant à l’égard des « riches » visiteurs que nous sommes, comme un objectif possible pour leurs jeunes générations, ou fait d’incompréhensions semant les germes de l’intolérance comme nous savons si « bien » » le faire chez nous à l’égard de l’étranger ?  
  - Oui mais Monsieur, c’est qu’il y a une différence : nous ne faisons que passer chez eux en y dépensant notre argent, alors qu’eux veulent venir s’installer chez nous en profitant de notre système. C’est qu’ç’a n’a rien à voir !
Tu parles…
 

lundi 17 octobre 2016

Vers l'Atlas



Mon coéquipier étant toujours incapable de marcher, ni de mettre une botte de moto, et notre temps limité, après avoir envisagé tous les scénarios possibles – rapatriement sanitaire, aller-retour de Fred pour aller chercher voiture et remorque laissées au Sud de l’Espagne, jour(s) de repos supplémentaire(s) – nous décidons de tenter une remontée directe par le chemin le plus court, avec le secret espoir d’une amélioration sur le trajet… A la guerre comme à la guerre !
Nous repartons donc très prudemment, assez frustrés par ce qui nous est arrivé, mais sans nous départir de la bonne humeur que nous avons décidé de garder quoiqu’il en soit.

Quitter le Grand Sud est pour moi toujours très nostalgique, comme devoir sortir d’une parenthèse hors du temps et de l’espace habituel ; cette 4ème dimension dont je parlais l’autre jour. A intervalles réguliers je ne peux m’empêcher de regarder en arrière, vers cet horizon sans limite où la nature a gardé tous ces droits, nous autorisant juste quelques visites éphémères, histoire de nous remettre à notre modeste place de fragiles petits bonshommes.
Petits mais costauds ! Lou me suit avec fluidité et semble relativement à l’aise sur sa moto. Je suis soulagé. Nous roulons donc avec plaisir, tentant d’évacuer notre déception par le bonheur simple d’un moment oubliable entre nous, tout en se disant qu’on le refera.
S’arrêter au bord de la route manger un tagine de poulet avec les gens du coin suffit à notre bonheur. Tout comme se faire rattraper par la flèche du temps en se rappelant de ces mêmes instants avec mon père il a de cela presque 25 ans ; l’âge de mon fils. Alors ce n’est tout de même pas un pied blessé qui va nous voler ces instants précieux.

En quelques heures nous passons du Sahara aux forêts de cèdres de l’Atlas. L’air frais et vivifiant des routes d’altitude nous fait délicieusement frissonner. Tandis que le soleil passe derrière l’horizon, les bergers ramènent les troupeaux vers leurs enclos et les femmes rentrent aux villages.
En clair-obscur, déjà les premières neiges saupoudrent les lignes de crête. Il est temps de nous arrêter, au hasard, dans un petit gourbi au bord de la route où l’on nous sert une délicieuse soupe avec des galettes de pain sortant de four avant de dormir pour presque rien. Que demander de plus ?