
Je décide donc de partir en excursion
dans « les environs », faire le tour complet du grand erg et m’engager
assez loin, depuis Taouz, sur la piste de Zagora-Mahmid.
Ayant par la force des choses le choix
de la monture, je privilégie la légèreté enfourchant la vénérable mais toujours
agile Tenere, modèle 1986 : moteur un peu juste mais super châssis en tout
terrain.
Partir seul dans le désert en moto est
une extraordinaire sensation de liberté un peu euphorisante, et j’enrage de ne
pouvoir partager cela aujourd’hui avec mon fils. Me reviennent alors à l’esprit
quelques images de montagne, lorsqu’il m’avait fallu poursuivre l’ascension du
Kilimandjaro en laissant en chemin ma femme malade avant l’assaut final, et mon
frère au camp de base de l’Aconcagua pour problème de surtension artérielle,
désagréables sentiments de culpabilité de continuer sans eux sans y voir été
pour rien.
J’essaie donc d’évacuer ces pensées négatives
en me concentrant sur le pilotage dans le sable mou et retrouver cette
sensation de glisse unique, à contrôler aux cales pieds et à la poignée de gaz.
Et pour tout dire, après quelques minutes de mise en jambe pour
(re)trouver le bon rythme, c’est un fun absolu.
Si au début je croise encore quelques
4x4 et motos venus tâter à la fraîche le bac à sable, sitôt les premiers
cordons de dunes passés ce sentiment de plénitude en se retrouvant « seul
au monde », au milieu de ces grands espaces naturels, comme probablement
peuvent le ressentir les marins sur l’océan.
Sans réelle fatigue je pourrais rouler
comme cela des heures vers des horizons aux perspectives pleines de promesses :
oued derrière la dune, vastes vallées derrière la ligne de crêtes, improbable
mirages ondulant au-dessus des lacs asséchés pailletés de cristaux salés.
Déjà 80 km que je roule dans cette
autre dimension et je dois penser à rentrer.
Au milieu de nulle part une petite
construction en pisé à côté d’un modeste cupressus, et un gars qui me fait
signe. Comme il est l’heure du déjeuner je décide de m’approcher. On verra
bien.
Affable, il m’accueille dans son « auberge »
pour partager une omelette Berbère.
Petit, affublé d’un épouvantable
strabisme et de dents noircies, nous faisons connaissance en buvant un thé. Originaire
de Taouz, Mohamed est âgé de 29 ans et travaille ici pour le tourisme :
quelques visiteurs d’Octobre à Décembre, puis en Avril. Presque personne le
reste de l’année…
- -
Et
tu gagnes ta vie en faisant cela ?
-
-Pas
vraiment, mais c’est un p’tit boulot. Toujours mieux que rien faire mon ami.
- -
Pas
encore.
- -
Une
petite amie peut-être ?
-
- P’t’être
bien, le sourire au coin des yeux.
-
- Et
tu vas te marier ?
-
- Ben
c’est qu’j’ai pas encore demandé à mes parents. J’ose pas…
-
- Comment
ça t’ose pas. T’as 29 ans…
-
- Oui
mais j’habite toujours chez mes parents avec mon frères et mes 7 sœurs, alors
tu comprends…
-
- Ben
non, j’comprends pas…
-
- Ben
si, ça ferait une femme de plus à la maison. Et ce serait compliqué. Alors j’ose
pas en parler.
- -
Et
elle s’appelle comment ta belle ?
- -
F-A-T-I-M-A,
me répond-il en sourdine, n’épelant que les lettres, comme un enfant gêné par
la question…
-
- Fatima ?
-
- Oui,
c’est bien son nom.
-
- Elle
est jolie ?
-
- Très
gentille et un peu grosse. Tu vois, une fille Coca-Cola !
-
- Et
c’est bien ?
- -
Oui,
trÔp bien.
J’en souris. Il tente un clin d’œil en
fermant les deux yeux et tordant la bouche.
Nous terminons le repas sur des
considérations un peu triviales sur les rapports hommes-femmes. Lui pense sexe
tandis que je suis sur un tout autre registre, rendant la conversation quelque
peu surréaliste.
Nous nous quittons là-dessus. Je dois
aller retrouver Lou, espérant que la journée lui ai
permis de récupérer.
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