jeudi 20 décembre 2018

En passant par Sao Paulo


En période de Noël, voyager dans l’hémisphère Sud a souvent quelque chose d’anachronique. Alors en pleine saison chaude, sous 30° on découvre des zones publiques ornées de sapins artificiels enneigés et scintillant de mille feux, au pied desquels sont disposés, tels des lutins venus de notre monde, des Pères Noël emmitouflés dans leurs manteaux rouges. Des paquets dorés enrubannés aussi, pour entretenir la magie de ce moment de fête universel où le temps semble parfois suspendu aux cadeaux que l’on va s’échanger.
Si le côté consumériste du rituel peut agacer, il n’empêche qu’il signifie quelque chose de sincère propre à notre espèce. Alors pourquoi bouder notre plaisir.
En sortant des beaux quartiers de San Paulo protégés comme des coffres forts, on traverse les zones plus populaires avant de contourner les favelas colorées ouvertes aux 4 vents. Ce grand écart crée les conditions de la violence à laquelle est confrontée la Brésil : 60 000 morts par an par armes à feu ! Triste record mondial que des pouvoirs successifs ne parviennent pas à endiguer. Gangrénés par une corruption les ayant totalement décrédibilisés, les gouvernants ont créé ici la fracture sociale à l’origine de tous ces crimes, pour la plupart impunis. Et l’on s’étonne de la montée récente du populisme...
1h45 de voiture pour parcourir 41 km dans un insupportable cloaque routier. Autre illustration de l’incurie des politiques face au déficit d’infrastructures qui freine le développement du pays et pourrit la vie des gens.
Sous 35°, le vibrant embouteillage reste étonnamment silencieux. Y circulent à pied des marchands ambulants. En nage ils tirent des petits chariots chargés de sodas et autre junkfood bon marché. Aucun coup de klaxon, preuve que nous sommes dans une normalité nonchalante de la vie des gens d’ici. Il a y pourtant de quoi péter un câble.

L’arrivée à notre rendez-vous est quelque peu surréaliste ; comme le sont parfois ces moments dans les pays émergents :  immeuble rutilent au parking garni de luxueuses voitures, berlines allemandes noires ou chatoyantes sportives italiennes. Dans le lobby, sapin scintillant et hôtesses de catalogue.
Tout sourire, nos hôtes au look de play-boy arrivent un peu en retard. Retardés par le trafic routier, ils sur jouent des excuses de n’avoir pas pris l’hélico. Car San Paulo est aussi la ville au monde où ils sont les plus nombreux, histoire d'éviter le bourbier de la vie réelle sur le plancher des vaches.

Nous, on est juste venu là vendre « les meilleures poules du monde ».

Joyeux Noël à tous ! 


jeudi 6 décembre 2018

Changement d'époque


Vienne, Autriche, avec l’équipe de gouvernance de l’une de nos importantes participations : Allemand, Autrichien, Brésilien, Américain, Ecossais, Anglais, Suédois, Français, nous nous retrouvons avec plaisir pour 2 jours de travaux intenses.
Il est tout juste midi. Nous démarrons par un rapide déjeuner informel debout, quelques sandwiches disposés sur des assiettes, en parlant du temps qu’il fait. Et naturellement le mouvement initié en France par les Gilets Jaunes est LE sujet de conversation. 
A l’étranger, les images relayées par les médias font un effet désastreux et je suis bombardé de questions sur le pourquoi du comment tant de violence.
Tout d’abord dédramatiser en relativisant l’importance de l’état d’insurrection apparent : tant bien que mal j’essaie d’expliquer (une nouvelle fois) que protestations et manifestations font partis de notre culture, quelque chose de notre patrimoine Gaulois où l’on aime la confrontation pour faire entendre sa voix et défendre ses intérêts. Si le plus souvent je m’en sors avec humour, j’avoue ici peiner face à la violence de ce qui est en train de passer. Sauf à justifier l’expression d’un malaise profond, accumulé de longue date, sans doute de ceux à l’origine du Bexit en Grande Bretagne, de l’élection de Trump aux USA, et de la montée des populismes un peu partout en Europe.
Nous qui avions pourtant élu un jeune et brillant Président et pensions échapper au marasme ambiant, nous y sommes bel et bien.
Tandis que d’autres l’on exprimé dans les urnes en élisant d’épouvantables populistes, « nous » l’exprimons dans la rue contre le pouvoir en place que nous venons juste de choisir.
Alors qu’est ce qui ne va pas ?
A l’évidence nous changeons d’époque. Nul doute que les attentes des femmes et des hommes d’aujourd’hui changent aussi, attentes instantanément relayées par des réseaux sociaux à la puissance extraordinaire. Et cela donne à beaucoup l’impression d’être laissé pour compte quand ils confrontent leurs doutes et difficultés à ceux des autres. Où l’on en oublie parfois la réalité objective, certes pas toujours simple, en partageant ses états d’âmes à la communauté qui s’y reconnais et l’amplifie. Car on croit d’avantage ses « amis » que les médias traditionnels représentant pour beaucoup une certaine intelligentsia fustigée par les extrêmes. Et c’est comme cela que Trump est arrivé au pouvoir ou que les extrêmes droites prospèrent en Italie, Hongrie, Pologne, Autriche et dans une certaine mesure en Grande Bretagne...

De tout cela nous débattons avec passion pour constater la montée des périls comme celle d’un tsunami où, dans un autre registre, du réchauffement climatique qui finit par impacter concrètement la vie quotidienne quand il s’agit de taxe carburant-carbone, l’étincelle qui a allumé le feu des manifs encours chez nous.
-       Et pourtant, me lance un collègue, en France santé et éducation sont quasi gratuites n’est-ce pas ?
-       Ben oui, mais pour nous c’est normal.
-       Et vous avez aussi un système d’aide social unique au monde ?
-       C’est vrai aussi. Et d’ailleurs cette semaine Sylvain Tesson disait que « La France est un paradis où les gens ont l’impression de vivre en enfer ». Il faut voyager pour s’en rendre compte. Mais il n’empêche que beaucoup de gens tirent le diable par la queue. 

En fait le problème est peut-être aussi ailleurs.
Nous avons choisi un jeune et brillant Président. Mais depuis son élection il semble ne plus écouter « les gens ». Il ne leur « parle » plus. Il avance à marche rapide, certes sur le programme pour lequel il fut élu – je le crois un vrai projet de réformes indispensables au changement d’époque – mais que les gens trouvent totalement injuste et déconnecté de leur réalité concrète immédiate ; forcément.

Pendant ce temps-là, de l’autre côté de l’Atlantique, la popularité de Trump prospère par ce qu’il semble justement parler le langage des gens, en s'adressant directement à eux, ce que confirme un autre collègue en affirmant que ses trois colocataires de bureaux n’ayant pas voté Trump le soutenait maintenant…

Brrr, vu de chez nous ça fait peur, tout autant que ce qui se passe chez nous fait peur à nos voisins, installant les germes de funestes tensions.

...
En arrivant dans ma chambre d’hôtel je lance l’application France Info. Le flash reporte la déclaration du premier ministre annonçant l’annulation pure et simple d’un grand nombre de réformes. Tellement prévisible...
Pendant ce temps, le Président, qui semble vouloir garder sa posture non exécutive, ne s’adresse toujours pas aux Français, s’isolant encore d’avantage de la population. Exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire ! Alors qu’il s’agit justement de créer du lien, en écoutant et expliquant les réformes nécessaires au changement d’époque. Communiquer avec les moyens d’aujourd’hui, ceux-là même que les gens utilisent et comprennent – et qui lui ont permis d’accéder au pouvoir – quitte à faire évidemment des compromis, mais aussi rebondir sur de bonnes propositions, plutôt que de garder une posture « du monde d’avant » pour finir par reculer.

Le monde change. La manière de gouverner le doit aussi si l’on veut éviter le chaos.