samedi 28 septembre 2013

Pour une paire de santiags



Nantes, Paris, Mexico-City, Merida, Queretaro, La Paz, Mexico City… Les rendez-vous s'enchainent entre les vols de liaison : poulet de chair, pondeuses, crevettes, intense et passionnant voyage d'affaires dans un pays qui ne l'est pas moins.
Un peu plus de 100 millions d'habitants et 12eme économie mondiale qui peine à décoller malgré de nombreux atouts notamment dans les technologies de l’information ainsi que l’agriculture dans une certaine mesure. Etouffé par une administration corrompue, certes en voie de "guérison", et la pression économique de son grand voisin Américain profitant d'une main d'œuvre corvéable et bon marché, qu’il laisse entrer massivement de manière illégale, pour assurer, à bas coût, et sans contre partie de prestations sociales, les tâches délaissées par les nationaux.
Mais  les choses changent et l'on sent ici une vraie volonté d'émerger, voir de prendre une revanche.
...

Il est 22h30 et je sorts profiter de la brise de mer du golfe de Cortes.
Je marche tranquillement, un peu perdu dans mes pensées, quand un gars m'aborde gentiment.
-        Buenas noches Senior.
Je lui réponds par la même formule, à vrai dire mes seuls mots d'espagnol, et poursuit en anglais pour lui signifier que je ne parle pas la langue.
Il me répond avec un large sourire dans un anglais parfait :
-        Would you agree to exchange your boots against mine ? (Serriez-vous d’accord pour échanger vos boots contre les miennes ?)
Après un instant de surprise je jette un œil sur ses chaussures, en vérité de très spectaculaires santiags Mexicaines aux bouts pointus, joliment travaillées, et talons biseautés. Elles en jettent ses bottes. Puis je regarde les miennes, de simples boots basses en cuir patiné par les années, plusieurs fois ressemelées, aux bouts également pointus et talons droits presque plats. Certes elles sont bien cirées, super confortables et pratiques quand il s’agit de passer les procédures de sécurité des aéroports ou les enlever et remettre en vol lorsque les pieds gonflent un peu. Y’a pas de détail quand il s’agit de le faire plusieurs fois pas jour. Mais à part ça, rien de très original.
Passé l’instant de surprise, je lui réponds que les siennes sont beaucoup plus belles et qu’il y perdrait sûrement. Mais le gars insiste :
-        Puis-je les essayer ? Tout en ajoutant le geste à la parole en retirant ses bottes pour se retrouver en chaussettes sur le trottoir.
Allez savoir pourquoi, mais je retire également les miennes, en fait une seule, par prudence, que je lui tends.
-        Ouha, Kenzo. Very nice shoes indeed ! S’exclame t-il avec enthousiasme avant d’enfiler ma chaussure droite et de se contorsionner pour en voir l’effet sur son pied nouvellement chaussé.
Et c’est vrai qu’elles ne sont pas mal ces pompes…

Etait-ce l’air marin où la fatigue de fin de semaine, mais me voilà également à  passer sans problème sa botte droite, plutôt confortable, avant de partir dans un joyeux fou rire, imaginant la scène s’il prenait à mon nouvel ami l’envie de s’enfuir en me laissant en plan. Mais à quoi bon s’enfuir avec une seule chaussure ? Quant à moi, je peux comparer à loisir l’effet vu du dessus de sa santiag droite. Sans doute un manque d’habitude, mais j’ai l’impression d’être affublé d’un organe supplémentaire tant l’engin est imposant, sorte de corne de rhinocéros aux allures phalliques. Peut-être une hallucination de voyageur abstinent…
-        Alors, on échange ? me relance t-il.
-        Non merci pas cette fois.
-        Pas cette fois ?
En vérité il ne lâche pas le morceau, et insiste même en expliquant qu’il a d’autres paires que je pourrais choisir si celle-ci ne me plait pas.
Par curiosité je lui demande combien il en a ?
-        Sept, une paire par jour ! Normal.
Ben oui, c’est normal… Il faut dire qu’ici les santiags c’est quelque chose, comme un signe particulier de virilité souvent assorti d’imposants ceinturons, vestiges contemporains d’une époque où les "Mexicanos" rivalisaient avec les "Américanos" pour la conquête de la Californie…
-        Et celles-ci (les miennes) tu les mettrais quel jour ?
-        Ca dépend, mais pour sortir avec ma petite amie.
-        T’as tout compris mon gars, c’est justement pour ça que je ne veux pas m’en séparer. Demain je rentre à la maison retrouver la mienne.

Sur ce, nous nous tapons la main dans un grand sourire et reprenons chacun nos chaussures en nous souhaitant bonne chance.

lundi 23 septembre 2013

3ème dimension



2000 pieds indique l’altimètre. Sur fond de ciel cristallin le soleil de ce début de matinée inonde la cabine d’une douce et tiède lumière. Dans l’azur quelques longs courriers signent leur passage de longues virgules éphémères, tandis qu’à l’ouest la lune évanescente tombe doucement sur la couche d’inversion marquant l’horizon d’une ligne grise un peu floue.
En bas la « terre des hommes » défile doucement, arborant les couleurs chaudes de ce début d’automne : parcelles dorées du bocage Vendéen délimitées par de jolies haies au vert jaunissant.
C’est l’été Indien. L’air parfaitement calme est sans le moindre nuage et nous glissons  comme dans un rêve sur les molécules invisibles qui le compose.
Jo, qui m’accompagne pour ce vol sans autre but que de profiter ensemble d’un agréable moment, est sous le charme de l’instant magique où l’on découvre ou redécouvre le plaisir inégalable de voler de ses propres ailes, s’affranchissant des contraintes terrestres pour profiter d’un espace de liberté démultiplié par la troisième dimension.
De là haut on ne voit que la beauté de notre petite planète réduite à l’échelle d’un jeu d’enfant, vision panoramique à nulle autre pareille, quand les champs deviennent un patchwork bien agencé, les routes de fines lignes bleutées parcourant la campagne, les voitures des p’tites voitures, et les villes des maquettes d’architecte. Et tout semble parfait, comme si d’ici la médiocrité n’était pas de mise. Et me revient en tête le commentaire d’une jeune passagère de mes nièces s’émerveillant lors de son premier vol de tous ces gentils hamsters dans les champs, confondant vu du ciel, les vaches avec ces charmants rongeurs.

Nous poursuivons notre promenade céleste au dessus de lieux familiers, comme des oiseaux revenant au nid, pour les observer sous des angles inhabituels au gré de grands huit paresseux dessinés en douceurs pour profiter de la vue sous tous les angles. Agréables sensations d’accélération provoquée par la force centrifuge qui nous enfonce dans les sièges lors des virages un peu serrés. Et l’on prend quelques photos, histoire, au retour, de faire partager aux amis terriens quelques unes des sensations éprouvées là haut.

Le temps s’écoule comme si de rien n’était. On l'oublie, un peu étourdis par le plaisir de se laisser porter par ici, puis par là, sans autre contrainte que de profiter de l'instant jusqu’au moment où les roues touchent de nouveau le sol – deux crissements comme des cris d’oiseau – que l’on descende de la machine, sourire aux lèvres et yeux brillants de ceux qui savent que certaines heures valent plus que d’autres.

jeudi 12 septembre 2013

Une petite partie de Golf ?



Livingstone,  Ecosse :

Nous arrivons sur notre nouveau site de production de vaccin de Livingstone. Le minibus s'arrête devant de hautes barrières électriques protégées par des cameras vidéos. Ici c'est un peu Fort Knox. On ne badine pas avec la sécurité quand il est question de santé humaine dans une unité où tout ce qui rentre et sort est contrôlé, et plutôt deux fois qu'une.
Visite d'usine guidée par une charmante écossaise s'excusant pour son accent. Tu parles, je ne comprends qu'un mot sur deux...
La rencontre de travail du jour réunit une intéressante équipe multiculturelle : Allemand, Autrichien, Suédois, Américain, Français, qu'il va s'agir de faire travailler ensemble au delà des écarts culturels. Nouvelle illustration concrète de notre globalisation.

Fin d'après midi. Nous sortons sous un ciel chargé typique des Highlands, même si nous n'y sommes pas : gros cumulus gris sur fond de ciel indigo et quelques averses éparses striant l'horizon. C’est simplement beau.

Le minibus nous dépose à l'hôtel, typique bâtisse de pierres taillées aux allures de manoirs. Des dédales de couloirs conduisent aux chambres confortables. Nous sommes  ici au milieu d'un golf de bonne facture. Ambiance feutrée pour une clientèle presqu’exclusivement masculine dont une majorité de 3eme âge habillés « grand style » de golfeurs britanniques : polos pastels, pulls écossais aux couleurs improbables et chaussettes assorties, pantalons à carreaux au pli parfait, chaussures impeccablement cirées. Et toute cette petite société se retrouve en soirée au bar à engloutir des pintes de bière. Les voix se fond alors plus fortes, les visages transpirant rougissent proportionnellement à la perte d'élégance des convives quand les chemises sorties des pantalons laissent déborder quelques formes généreuses.

Le petit déjeuner a des allures de foire d'empoigne, comme si le flegme ne pouvait revenir qu'après un copieux « bacon and eggs », avoir réajusté sa tenue vestimentaire, et s'être équipé pour la partie de golf.

J’ai souvent été amusé de constater comment marcher sur un green peut transformer un homme. Il se redresse et adopte une démarche contenue, un peu comme faire son entrée dans un lieu empreint de solennité. Un gazon parfait ne saurait tolérer "la médiocrité". Intéressant aussi d'observer la parade de ces Messieurs autour d'une petite balle blanche, prétexte à cultiver un art de vivre un peu élitiste. Sûr qu'il n'y en a pas pour tout le monde et que cela ne doit pas changer. Car nous sommes ici en Ecosse, à l’origine même de ce jeu très macho, où l’on plaisante encore sur l’étymologie du mot GOLF : « Gentlemen Only, Ladies Forbidden », ce qu’il faut bien le reconnaitre n’a rien de très gentleman… Mais nous touchons ici à des subtilités de l’humour britannique.