jeudi 7 décembre 2023

Et si nous allions au Taj Mahal ?

Le Covid est passé et nous pourrions nous dire que le business a retrouvé une certaine « normalité », faisant fi des guerres en Ukraine et au Proche Orient qui ont plongé le monde dans de nouvelles tensions telles que ma génération n’en a jamais connu. Mais là n’est pas mon propos du jour qui concerne les voyages d’affaires dont nous avions perdu l’habitude. Avantageusement remplacés, pensait-on, par les vidéo-conférences et leur extraordinaire compression de l’espace-temps. Et s’il est incontestable que cela a grandement changé certaines de nos pratiques, il reste heureusement parfois indispensable de se déplacer en personne pour aller à la rencontre de clients ou partenaires à l’autre bout du monde. Car rien n’égale la qualité d’une discussion en face à face. Plus encore quand il s’agit de travailler avec des personnes de cultures très différentes.

Au débotté me voilà donc reparti vers New-Delhi pour rendez-vous avec celui que j’appellerai Rajiv, important client et partenaire. Dix-huit heures de voyage « gate to gate », dont un long vol de jour. l’A330 d’Air-France et son équipage étaient parfaits.

Courte nuit au Shangri-La de Delhi. Nous nous retrouvons autour d’un l’excellent petit déjeuner. Heureuses retrouvailles entre amis, terme ici non galvaudé quand il est question de Rajiv. Puis séance de travail intense en passant à travers la présentation soigneusement préparée avec le patron de notre division aquaculture qui m’accompagne pour ce voyage. Seulement 8 slides aux mots choisis sur lesquels nous nous arrêtons fréquemment pour éviter toute incompréhension et tenter d’aligner les points de vue. Et tandis que nous concluons cette première séquence, Rajiv nous propose tout de go :

-        Et si nous allions au Taj Mahal ? Nous pourrions continuer à discuter dans la voiture !

Quelque peu pris au dépourvu, je me permets de commenter que ce n’est pas la porte à côté.

-        4h par la route. Et nous y allons avec mon minibus tout confort, précise-t-il en se levant sans l’ombre d’une hésitation. Nous pourrons continuer de travailler…

Nous voilà donc parti, dans un très beau van Mercedes aménagé en petit salon, vers le sud en direction d’Agra.

Rouler en Inde est une aventure à haut risque tant les obstacles imprévus sont nombreux : sur des routes approximatives, véhicules de toutes sortes, en tous sens, dans un concert de klaxon et d’appels de phares. Sans oublier les piétons inopinés, comme si, dans le flot du trafic, ils se croyaient protégés par je ne sais quel talisman… Stressant et fatiguant, encore plus quand il s’agit de rester concentrés en poursuivant l’échange professionnel aux enjeux importants.

Nous rejoignons Agra d’une traite en fin d’après-midi. Il était temps. Je suis un peu nauséeux avec une forte envie de soulager ma vessie. L’air frais nous revigore. Depuis le parking VIP, Rajiv étant aussi élu au parlement Indien, nous nous rendons à pied vers le mausolée érigé au 17ème siècle par l’empereur Moghol, Shah Jahan, en hommage à sa défunte épouse morte en couche pour son 14ème enfants. Travaux titanesques, 24h/24, réalisés en seulement 20 ans par 20 000 ouvriers et artisans.

Bordée de marchands du temple, une petite avenue nous conduit vers l’entrée sud de l’édifice. Beaucoup de visiteurs Indiens aux tenues chamarrées. Femmes en sari, Sikhs enturbannés, musulmans en djellaba, des familles de toutes générations, très peu d’occidentaux. Tous convergent vers la grande entrée, presqu’un palais aux proportions parfaites. Couleur ocre et marbre clair, ouvertures en forme d’ogive au-dessus desquelles s’élèvent une suite de coupoles blanches. Le fronton orné d’extrait de sourates du coran en incrustation de marbre noir sur blanc. Le tympan de la porte décoré de jade et autres pierres semi-précieuses. A couper le souffle.

Mais nous n’avons encore rien vu…

Avançant vers cette grande porte, le Taj Mahal se dévoile en perspective, telle la miniature d’un palais des milles et une nuit dans une boule à neige. D’ici il semble presque petit.

Franchissant le seuil on entre dans une nouvelle dimension. La ferveur de la foule est aussitôt perceptible, comme hypnotisée par le mausolée distant de plus de 500 mètres et dont l’image se reflète dans les longs bassins d’eau parfaitement alignés. Difficile de faire plus spectaculaire. De part et d’autre du Taj Mahal, en symétrie s’alignent aux points cardinaux les autres portes du site, toutes aussi majestueuses que celle que nous venons de franchir. Nous entrons littéralement dans un autre monde, sans aucun doute la volonté des concepteurs de ce lieu unique aux allures de paradis.

Portés par la foule venue visiter l’une des merveilles du monde, nous avançons vers ce qui ressemble à une grande mosquée persane de celles que l'on trouve à Ispahan ou Samarcande. Chacun s’essaye au meilleur selfie ou photo de famille comme l’un des souvenirs marquant d’une vie. Beaucoup de jeunes couples, main dans la main, femmes en tenues traditionnelles aux couleurs vives et messieurs souvent plus classiques. Des gens de tous âges. Quelques rares femmes musulmanes emprisonnées dans leurs sinistres abayas et nikabs noirs.

Nous approchons doucement du mausolée dont les proportions apparaissent maintenant monumentales. Tout de marbre blanc, l’édifice est d’une parfaite symétrie sur ses 4 faces : ouvertures en ogives sous une immense coupole dominant 4 plus petites, flanqué de 4 tours majestueuses. Juste sidérant tant les dimensions pourtant gigantesques sont parfaites et l’esthétique d’une pureté faite de sophistications et de sobriété mêlées.

Sobriété et pureté du marbre blanc.

Sophistication des formes où les courbes parfaites côtoient la rectitude des symétries.

En approchant d’avantage, maintenant écrasé par la masse de l’édifice, se révèlent une multitude de détails où la pierre taillée et polie ressemble à une dentelle minérale incrustée de marqueterie de jade, améthyste, et autres minéraux polychromes. A couper le souffle !

Nous entrons dans l’édifice comme dans une cathédrale. Au centre d’un vaste carré sous le volume de la coupole monumentale, caché derrière de fines cloisons de marbre sculptées telles des moucharabiés, les tombeaux du Shah et de sa défunte épouse à l’origine du chef d’œuvre. Impossible de ne pas s’arrêter quelques instants.

Nous ressortons sur la terrasse nord dominant la majestueuse vallée de la rivière Yamuna.

Le soleil se couche dans un ciel laiteux, halot orangé illuminant le marbre immaculé de la douceur du soir. Tel un ange, une petite fille habillée d’une tenue de fée rose traverse la place en sautillant retrouver sa maman, les bras grands ouverts, au côté d’une vielle dame au regard bienveillant. Je croise le regard de Rajiv tout sourire. Le moment est parfait. Il a parfaitement réussi « son coup ».