jeudi 2 décembre 2010

Good morning Vietnam

Moins 5° à Paris, 13h20, malgré la neige et le temps exécrable le vol vers Hanoï part à l’heure. Le très beau 777 de Vietnam Airlines décoré de la fleur de lotus couleur or sur fond bleu-vert prend son envol en douceur.
Dans l’avion, plein de jeunes retraités en goguettes partant en voyage d’agrément. Il y a aussi quelques plus jeunes couples semblant à la fois rayonnants et stressés. C’est le cas de mes voisins qui me racontent leur appréhension du moment où ils devront prendre leur bébé adoptif dans les bras de sa maman. Devant mon embarras, la jeune femme m’explique que c’est pour le bien de l’enfant et de la famille qui n’a pas les moyens de l’élever. Mal à l’aise j’écoute sans plus de commentaire en me demandant s’il s’agit bien là d’adoption ou d’enlèvement légal ?
6 heures du matin, après 10h30 de croisière nous nous posons à Hanoï. Malgré l’heure matinale, et tandis que nous attendons les agents des douanes encore endormis, la chaleur moite est déjà étouffante. Plus de 30° de différence avec Paris. Après une demi-heure ils arrivent enfin un peu ébouriffés. Nous sommes visiblement le premier vol international de la journée. Formalités vite expédiées, puis transfert à pied vers le terminal « domestic ». Surprise je remonte dans le même avion vers Saïgon.

Saïgon, son vieil aéroport avec les silos de protection des chasseurs datant de la guerre du Vietnam envahis par la végétation. Puis le choc de la rue et de la circulation : des milliers de petites motos vrombissantes comme des frelons entres lesquelles slalome mon taxi ; à moins que ce ne soit les motos qui slaloment entre les taxis. Malgré l’épouvantable trafic chacun reste courtois. A l’évidence ici les gens sont gentils. Je n’ose imaginer le cloaque de la circulation quand les voitures auront remplacées les motos…

Hôtel Park Royal: accueil souriant, service impeccable tandis que « des petites mains » s’affairent à décorer un sapin de Noël digne des plus beaux rêves d’enfants, chargés de boules, guirlandes multicolores et recouvert de neige en bombe.

Le temps d’une douche et sans transition nous partons directement en campagne rencontrer des éleveurs de porcs… En fait d’éleveur, après 2h30 de voiture dans des conditions épiques nous arrivons à une ferme-motel. Ne riez pas encore…
Une petit bout de femme assez sexy, visage tout rond illuminé d’un large sourire, moulée dans jean serré et perchée sur des talons aiguilles nous accueille.
Passés les préliminaires sur le météo du Vietnam, elle nous explique devoir déménager prochainement sa ferme dont les odeurs perturbent l’activité de son nouvel établissement en plein développement, un motel ! Devant notre surprise, non pas concernant les effluves porcines mais plutôt quant au succès de sa nouvelle entreprise – il faut imaginer quelques petits appartements dans un lieu perdu en pleine campagne, certe bucolique mais tout de même à plus de deux heures de Saïgon par une route improbable – elle répond d’un clin d’œil entendu en ventant la discrétion du lieu (le moins que l’on puisse dire) tout en enfilant la tenue de protection de rigueur pour la visite aux cochons ; les autres, vous savez, ceux qui ont un groin. Nettement moins glamour…

dimanche 21 novembre 2010

Parti vers l'Est, revenu par l'Ouest

Détroit – Paris : dernier « run » pour rentrer à la maison, impatient de retrouver les miens après un tour complet de la planète en 12 jours, 3h et 27 minutes, ponctués de nombreux rendez-vous de travail avec tant de gens différents que j’en ai un peu le vertige. Incroyable compression de l’espace-temps, parfaite illustration du concept de village mondial.
Je rentre avec le sentiment du devoir accompli, vidé, mais comme toujours heureux et ému à l’idée de retrouver les êtres chers.
Chemin faisant, en terminant un tel voyage je me repose la sempiternelle question : où fait-il bon vivre ? A peu près convaincu que la plupart des gens doivent répondre la même chose : « chez moi » ; démonstration s’il en était besoin que le bonheur à plus à voir avec le cœur qu’avec les conditions matérielles. Evidemment lorsque l’on peut concilier les deux…

Assis dans l’avion en place 21D, mon voisin ronfle bruyamment. Malgré le léger sédatif pris pour dormir lors de mes vols intercontinentaux je n’arrive pas à m'assoupir ; sans doute l’accumulation des décalages horaires et l’excitation du retour provoquant un désordre hormonal que l’organisme ne parvient pas réguler. L’esprit divague, réflexions décousues, improbables associations d’images défilant dans une semi-torpeur. Le temps passe lentement, trop lentement, bercé par le ronron des moteurs de l’A330, sans doute le plus bel avion de transport actuel, long courrier bimoteur fin et élégant. De temps en temps une hôtesse passe proposer un verre d’eau, histoire de ne pas trop se déshydrater dans l’air sec de la cabine climatisée.
Je jette un œil par le petit hublot de la porte. A son pourtour quelques cristaux de glace se sont formés, comme une fine dentelle autour d’un miroir. Nous sommes au milieu de l’Atlantique. A l’Est le ciel commence à rosir.

- Mesdames, Messieurs, votre commandant. J’espère que votre vol a été agréable. Nous commençons notre descente vers Paris Charles de Gaulles où le temps est gris, la visibilité de 400 mètres et la température de 6° Celsius. Pour votre information nous ferons un atterrissage automatique.

A l’évidence un pilote passionné ce commandant. Toujours agréable de sentir l’intérêt du professionnel pour ce beau métier.
Malgré le brouillard l’avion pause les roues sur le tarmac dans un parfait « kiss landing ». Incroyable technologie.
Juste une heure pour attraper la connexion de Nantes et boucler ma grande boucle. Plus que suffisant.

jeudi 18 novembre 2010

Monsieur le Président,

Français arrivant d’Asie, je suis depuis quelques jours au cœur de ce grand et beau pays dont vous avez la charge.

Très honnêtement on ne peut pas dire que l’accueil initial sur le territoire des Etats-Unis d’Amérique soit particulièrement chaleureux : attente interminable aux douanes et agents jouant les gros bras. Sans vouloir vous offenser, cela ressemble un peu à ce que l’on nous jouait lorsqu’il s’agissait d’entrer en URSS avant la pérestroïka. Mais il vrai que depuis l’attentat du 11 septembre 2001, le rapport au monde de l’Amérique à changé, et il faut bien admettre que vous n’y êtes pour rien.
La barrière une fois franchie l’immersion est un immédiate : décors impeccables, souvent impressionnants, parfois un peu kitsch. Enseignes lumineuses au dessus des bars diffusant de l’excellente musique rock où vos compatriotes mangent à toute heure de la junk-food avec les doigts en buvant bières et soft drinks. Evidemment les dégâts sur la santé ne vous ont pas échappé, et je crois même que votre épouse a crée pour l’exemple un petit jardin bio dans le parc de la Maison Blanche. Rigolo mais à mon avis pas très efficace.
En revanche, ce qui est très sympa en arrivant en Amérique, c’est qu’aussitôt repéré par les vos compatriotes (allez savoir comment), ils n’hésitent pas à vous aborder très naturellement, histoire de savoir d’où venez, ce que vous venez faire et s’ils peuvent vous donner un coup de main. Bien que j’avoue n’avoir pas essayé, j’imagine même qu’ils seraient fiers de vous filer 10$ si on leur demandait, flattés d’une telle reconnaissance par le modeste étranger venu goûter la réussite de leur American Dream.
C’est vrai qu’ils sont tellement fiers de leur drapeau qu’il en y a partout. Même si ça fait parti du décor, à force ça fini par lasser.
Unie derrière le drapeau votre nation est extraordinairement solidaire des p’tits soldats acteurs de la « pax americana ». Pas toujours facile à comprendre pour le visiteur non averti.
Comme vous savez, vous avez un grave problème de santé public. L’obésité oppressante où le slim devient presque l’exception prend des proportions catastrophiques. Je n’imagine pas que cela ne puisse avoir de conséquences non seulement sur les coûts de la santé, mais aussi sur le dynamisme de votre grand pays. Mais ce que je vous dis…
En revanche, en pleine crise économique vos compatriotes arborent un comportement exemplaire. Si à l’évidence ce n’est pas simple pour tout le monde tous les jours, autant que je puisse en juger les gens ici ne se plaignent pas, n’hésitent pas à se remettre en cause, font preuve de souplesse et de mobilité ; certainement l’un des génies de l’Amérique qui nous donne un bel exemple.
Tellement confiants dans leur capacité à améliorer leur situation économique, leur consommation frénétique basée sur les systèmes de crédit revolving n’est-il pas un peu dangereux ? Pas sûr que la dépression actuelle après la crise des subprimes servent de leçon. Mais finalement où est la raison dans cette affaire ?
Et même si le roi dollar est un peu battu en brèche, le billet vert reste ici LA valeur étalon, référence absolue de la réussite sociale.
Heureusement Dieu est là pour donner bonne conscience à tout le monde. D’ailleurs n’avez-vous pas vous-même prêté serment sur la Bible ? Curieux tout de même pour un grand pays à vocation laïque.
Mais reconnaissons honnêtement que malgré ses excès, votre démocratie fait l’admiration de beaucoup pays englués dans des systèmes vieillissants où le renouvellement politique n’existe pas…
Votre élection a d’ailleurs inspiré beaucoup de citoyens non américain dont je fais parti, et votre popularité internationale redore partout l’image des Etats-Unis qui en avait tellement besoin.

Votre temps étant précieux je ne voudrais pas abuser. Si je peux me permettre un dernier mot : soyez prudent. Autant votre popularité est grande en dehors de vos frontières, autant il existe aux Etats-Unis une frange significative de la population conservatrice activiste n’ayant pas encore digérée votre élection qui utilise tous les prétextes pour vous faire porter le chapeau de la crise actuelle, prête à tout pour vous écarter du pouvoir…

Recevez Monsieur le Président mes plus respectueuses salutations.

mardi 16 novembre 2010

Autour de la terre

10 000 m d’altitude quelque part au dessus de l’archipel du Japon.
Distraitement je jette un œil sur le moniteur de suivi du vol : vitesse sol 1185 km/h ! Je crois bien n’avoir jamais volé aussi vite. Poussés par un puissant jet-stream nous filons vers Chicago dans un triple 7 d’American Airlines.
Comme toujours pas très glamour les compagnies Américaines. A part le commandant de bord très sympa, l’équipage commercial est « délabré » : hôtesses difformes en tenues négligées, pas un sourire aux passagers, procédures de sécurités expédiées de manière approximative, service brutal… Zéro absolu pointé.

L’avion est plein. Moitié d’Américains, moitié de Chinois. Choc des cultures et des civilisations : fat boy contre M. Lee.
Le contraste d’attitude est saisissant : d’un coté de corpulents occidentaux sûrs d’eux rentrant à la maison, de l’autre des « petits Chinois » modestes et curieux, presque complexés, mais partant à la découverte d’un monde qui les fascine. Coca Cola contre thé vert.

Long vol au dessus du Pacific, immense océan bleu profond à l’horizon duquel, à travers le hublot je distingue clairement la courbure de la terre. Un jour il faudra j’aille voir plus voir haut, là où le ciel est noir et piqueté d’étoiles, histoire d’embrasser la planète d’un seul coup d’œil…
Parti de Shanghai à 18h pour arriver à Chicago le même jour à la même heure, 14 heures de vol d’un continent à l’autre, portant notre projet d’entreprise autour du globe je poursuis ma course contre temps.

A détruire !

Nous roulons vers nos installations de Pixian, dans la grande banlieue de Chengdu, à bord d’une magnifique Mercedes 350 ML flambant neuve directement importée des Etats-Unis – compteur de vitesse en miles, température en degrés Fahrenheit – prêtée par notre constructeur de bâtiments.
Un peu surpris par le côté pour le moins ostentatoire de l’engin, Shuchen, notre manager local, m’explique que nous devons aujourd’hui impressionner nos interlocuteurs. Il faut faire riche, et ici les signes extérieurs sont de puissants leviers. Zut, je n’ai ni Rolex ni costume Armani. Il falloir faire sans les accessoires mais avec la grosse auto...
En fait même si pour nous n’est encore officiel, n’ayant encore reçu aucun avis, il est déjà certain que allons devoir rapidement abandonner notre siège social et unité de production principale. Nous partons donc pour rencontrer les officiels et tenter d’obtenir la meilleure indemnisation possible, raison du grand jeu.
Et Shuchen de me prévenir :
- Tu vas voir, c’est impressionnant.
- Qu’est-ce qui est impressionnant ?
- Tu verras par toi-même…

Nous entrons dans Pixian totalement empoussiérée et encombrée par des norias de camions de chantier chargés de gravas, puis prenons la direction de nos installations. La route est maintenant carrément défoncée par le balai incessant des camions jusqu’à ce qu’une déviation nous oblige à emprunter une voie détournée. Incroyable « spectacle » : sur des kilomètres on démolit maisons et boutiques. Quelques habitants hagards semblent un peu perdus au milieu de cet immense chantier de destruction massive. Certains récupèrent les briquettes rouges, matériaux de construction de base des maisons, pour les entasser dans de petites remorques derrière des triporteurs – vélo ou moto façon pick-up – et finalement les revendre un peu plus loin aux entrepreneurs en charge de la reconstruction de lotissements neufs à l’autre bout de la ville… Ici un canapé rouge échoué sur les décombres d’une maison, là une baignoire émaillée comme une barque flottant encore dans la tempête. Ambiance de bombardement où les constructions encore debout sont marquées d’un idéogramme au milieu d’un grand cercle tracé à la peinture rouge signifiant : « A détruire ».
Je fais préciser à Shuchen :
- A détruire où à démolir ?
- A détruire, Fred. C’est bien écrit à détruire.
Mais finalement quelle importance ?
Et Shuchen d’ajouter, visiblement affecté :
- C’est triste n’est-ce pas ?
Le moins que l’on puisse dire en effet.
Il s’agit en fait d’un gigantesque projet d’implantation industriel de 400.000 personnes, vous avez bien lu quatre cent mille, relocalisé ici et nécessitant non seulement la construction d’immenses usines de matériels électroniques, mais aussi de nombreux logements. Ni plus ni moins qu’une ville entière ! J’en ai la chair de poule, avec cette impression de vivre l’improbable scénario d’un film d’anticipation dont le titre pourrait être quelque chose du genre : Electronic’City.
Chine, usine du monde…
Nous arrivons sur nos installations, ilot au milieu des gravats. Surréaliste.
- Et pour nous, que va-t-il se passer ?
- Nous sommes sous pression, et allons devoir dégager dans les prochains mois. Me répond Shuchen. Et d'ajouter :
- Mais nous allons résister pour obtenir la meilleure indemnisation possible. Tu comprends, c’est tactique de leur part.
- Mais de la part de qui ?
- Et bien de l’administration.
- Mais nous n’avons pas été prévenu n’est-ce pas ?
- C’est exprès. Ils veulent nous forcer à négocier l’indemnisation. Y’a pas de règle précise. Alors chacun compte ses sous…
Belle bataille en perspective.

Entrant dans le bureau je branche mon ordinateur sur le cable ADSL. Bizarrement pas de connexion. On vient de nous couper l’internet. Les hostilités commencent.

samedi 13 novembre 2010

Quand deux époques se côtoient

Il est très possible que ma dernière chronique soir vous ait, si j’ose dire, laissé un mauvais goût… Et comme il ne faut surtout ne pas tirer de conclusion générale à partir de rares cas aussi « extraordinaires » soient-ils, je vous propose de passer à autre chose, toujours la Chine à deux visages.

Nous quittons ce matin la banlieue de Canton vers la campagne quelques 150 km à l’Est. Notre petite Citroën Elysée (ZX trois volumes fabriquée localement) de location se faufile dans un trafic dense dont un grand nombre de camions assurant la liaison entre la mégapole et le reste du pays. L’autoroute aérienne soutenue par d’énormes piliers de bétons longe la ligne de TGV également aérienne, dans de longue et belle trajectoires courbes et parallèles au dessus d’une alternance de zones industrielles et résidentielles. Ces milliers de blocs de bétons ajustés au millimètre sur des kilomètres ont quelque chose de pharaoniques, sorte d’aqueduc contemporain canalisant le flux de terriens motorisés.
Nous laissons l’autoroute pour nous engager sur une petite route de campagne également en béton zigzaguant entre les rizières. C’est la moisson. Dans les micros parcelles de petites machines récoltent les épis murs, les plus étroites étant moissonnées à la main à l’aide faucilles par des petites dames en habit traditionnel coiffées de chapeaux chinois ; images de carte postale postcoloniale auxquelles ne manquent plus que le noir et blanc et les bords jaunis.
De loin en loin les paysans ont étalé directement sur la route les grains de riz bruts, profitant du sol sec et lisse pour les faire sécher au soleil en les remuant régulièrement à l’aide de larges râteaux de bois. Ici une très vielle dame apparemment, tourne la manivelle d’une sorte de machine à baratter dans laquelle une jeune fille verse le grain séché tandis que l’autre coté sont expulsées les balles de riz volant aux quatre vents et qu’en dessous coulent régulièrement les grains blancs.
Un peu plus loin nous croisons une procession. En tête deux hommes portent le portrait d’une vieille dame installé sur une petite plate forme de bois dont les bras reposent sur leurs épaules. Au milieu du groupe on joue des percussions au son cuivré suivies d’un groupe de femmes toutes habillées à l’identique sous une large, longue et épaisse coiffe triangulaire de feutre blanc. Suivent enfin ceux que j’imagine être les proches de la défunte dans une ambiance visiblement bon enfant.
Nous traversons un village. C’est jour de marché. Petits commerçant et paysans vendent leurs articles installés pèle mêle sur la rue, accroupis devant les boutiques permanentes. On trouve de tout à l’image des marchés du monde : fruits et légumes, textiles, chaussures, quincaillerie et électronique de pacotille à trois sous qui n’en valent pas d’avantage. Ne pouvant passer en voiture nous attendons que l’on veuille bien nous faire de la place. Tout cela dans la bonne humeur.
La route devient "routin". Les images bucoliques de succèdent : bananiers appuyés à des maisonnettes de paysans-pêcheurs au bord de petits étangs où l’on élève traditionnellement des canards dont les fientes assurent la nourriture des poissons péchés deux fois l’an. Plus loin des buffles broutent en pataugeant dans la boue d’un fond de rizière encore humide ; puis des plantations d’Eucalyptus.

Au terme d’un je crois fructueux rendez-vous avec un gros éleveur de volailles, nous sommes ici pour ça, nous rentrons vers Canton. Tandis que Hu conduit la voiture, assis à l’arrière en compagnie de Shuchen nous parlons budget 2011 avant de sombrer doucement dans un demi-sommeil, bercés par le ronron régulier du moteur.
L’arrivée sur Canton est calamiteuse, coincés dans des bouchons de camions dégueulant leur épaisses fumées d’échappement à hauteur de nos fenêtres. Pas d’autre choix que de se faire asphyxier en souriant.
Rapide dîner léger puis je monte me détendre au fitness center de l’hôtel. Sur l’écran géant est retransmit en direct la cérémonie d’ouverture des « Asian Games ». C’est vrai, j’avais oublié.
Jeux Olympiques de Pékin 2008, expo universelle de Shanghaï et Asian Games de Canton cette année. Ne cherchez plus où est la puissance économique.
Spectacle magnifique réglé au millimètre. Image d’une Chine moderne, accueillante, tolérante, tournée vers l’avenir et soucieuse de l’environnement. Bien sûr ne soyons pas naïvement béats, mais l’intention est là et la démonstration éblouissante.
Et de me demander ce qu’à tout juste deux heures de voiture peuvent bien penser les paysans croisés aujourd’hui en regardant ces images. Même pays, même moment, autre époque.

jeudi 11 novembre 2010

Aux frontières du réel

L’histoire que je vais vous relater m’a été racontée hier soir.
Autant vous prévenir tout de suite, elle est assez horrible.
D’aucun diront que je me suis fait mystifier, « long nez » perdu dans une soirée arrosée parmi des chinois passablement éméchés.
Possible, mais je ne le crois pas. Le contexte n’était plus aux plaisanteries mais plutôt aux confidences de fin de soirée, lorsque les langues se délient sans plus de retenue.
Du point de vu du conteur que je suis il est aussi assez délicat de rapporter une telle histoire, au risque de jeter le discrédit sur les Chinois, ce qui n’est en aucun cas mon état d’esprit tant il serait ridiculement réducteur de conclure en généralité quelque chose très certainement complètement marginal. Ceci étant dit :

Nous en étions en fin de repas à parler nourriture en référence au dicton chinois disant que « tout ce qui sur terre marche, rampe ou nage peut se manger », encore attablés devant les restes d’un délicieux crapaud, terminant à cinq une grande bouteille de cognac dans les volutes bleutées de cigarettes brunes bon marché.
- As-tu déjà mangé du serpent me lance Monsieur Wang (nom d’emprunt pour les raisons que vous pouvez imaginer) ?
- Evidemment lui répondis-je, et d’ajouter crânement, mais ce n’est rien à coté des « trois cris ».
Pour les non initiés, il s’agit d’un plat composé de petites souries vivantes tout juste nées : premier cri lorsqu’on les saisit entre les baguettes ; second en les trempant dans la sauce ; troisième à la mise en bouche.
- Et du cerveau de singe vivant, t’en as mangé me relance mon interlocuteur ?
- On me la raconté en effet, mais non je ne pourrais pas.
Nous parlons ici de manger du cerveau de singe vivant dont le haut du crâne est coincé dans un trou au milieu de la table puis décalotté d’un coup de sabre…
Puis d’ajouter :
- Mais il a y encore « mieux ».
Ne parlant pas la langue, peut-être a-t-il pu aussi dire « pire ». Laissons-lui le bénéfice du doute si vous voulez bien.
- Que peut-il y avoir de pire ? ajoutais-je.
- Manger de l’humain.
- De l’humain ?!.
Stupéfait, j’imagine alors quelque chose autour de cadavres sur lesquels serait prélevé quelque organe aux vertus extraordinaires. Les Chinois sont en effet très friands de tout ce qui symboliquement est susceptible d’apporter longévité ou puissance. Si vous voyez ce que je veux dire…
- Ben oui, de l’humain insiste t-il avec une pointe d’ironie.
Interloqué et dubitatif j’attends la suite…
- De l’embryon humain précise t-il.
- Comment cela ?
- Et bien des embryons humains de trois à six mois. Il parait que c’est bon pour la longévité.
A cet instant une impression indicible de dégoût accompagnée d'une grimace horrifiée m'envahit presque jusqu'à la nausée.
Et Monsieur Wang d’ajouter :
- J’en ai mangé une fois… sans le savoir. On ne me l’a dit qu’après !
Je me repasse aussitôt mentalement les plats du dîner. Comprenant mon inquiétude il précise fort "gentiment" qu’il n’y en avait pas au menu de ce soir. Et de me proposer un toast pour digérer l’information. Allez, cul sec !

Me remettant toute juste de mes émotions je ne peux m’empêcher de lui poser la question du prix :
- Entre 6000 et 20 000 yuans (600 à 2000 €) le plat ; évidemment suivant l’âge de l’embryon précise t-il.
Tu parles. Et pour me rassurer de répondre du tac au tac :
- Mais c’est interdit !
- Balle de touche répond t-il (L’équivalent en Français de notre expression « Jocker »).
Suis-je bête ? Comment en effet pourrait-il y avoir d’interdit contre l’inimaginable ?

mercredi 10 novembre 2010

Le jour le plus long

Lundi 5 heures du mat’ : p’tites nuit entrecoupée de rêves apparemment décousus. Dehors il pleut à verse, prémisse de la tempête annoncée. Le boule au ventre je descends petit déjeuner en écoutant distraitement France-Info : l’actualité sportive après le week-end puis la poursuite des mouvements sociaux contre la réforme des retraites et toujours les spéculations journalistiques sur le remaniement ministériel annoncé… Merde in France !
Pas faim et pas envie de partir. Y’a des jours comme ça où la pression professionnelle combinée au trop de plein de voyages, plus exactement à l’éloignement, pèsent lourd. Serait-il facile de faire autrement ? Tu parles...
Chercher cette énergie vitale qui me porte : la vie à fond dans toutes ses composantes – personnelles, familiales, amoureuses, amicales, professionnelles – en tentant de tout concilier. Quel défi ! Sûr le temps est le vrai luxe. Vouloir tout faire exige de vivre au chrono, au risque d’aller trop vite et ne plus voir que le défilement de paysages furtifs aux fenêtres d’un train lancé à grande vitesse, alors qu’on aimerait tant pouvoir profiter d’avantage, s’arrêter tranquillement, prendre le temps d’observer, de découvrir, tout simplement de mieux jouir de l’instant. Quadrature du cercle…
6 heures, je referme la porte de la maison encore endormie, quittant avec mélancolie une nouvelle fois les miens, port d’attache ô combien important.
Décollage dans 1h25. Je roule vite vers l’aéroport sous les trombes d’eau.
Parking de la voiture puis enregistrement « just on time ». Par hasard je croise en salle d’embarquement 4 équipiers de 2 entreprises du Groupe. Les uns partent vers les Amériques et l’autre vers l’Asie. Le monde est notre village. Quant à moi ce sera les deux : la Chine puis les USA, aujourd’hui Ying et Yang de l’économie mondiale. Je pars vers le soleil levant pour revenir à la maison par l’Ouest dans 12 jours, tour du monde express pour soutenir le développement de notre aventure industrielle.
Petit vol Nantes-Paris dans une désagréable somnolence un peu nauséeuse, puis transfert du terminal 2D au 2E, opportunité pour se dégourdir les jambes. J’émerge un peu en préparant mentalement mon rendez-vous téléphonique de 9h30.
Rapide arrêt à une boutique Duty Free acheter des parfums, cadeaux pour nos clients Chinois. Vendeuse souriante à l’accent Italien d’excellent conseil. Charmante.
9h45 : conférence téléphonique puis embarquement dans le triple 7 de China Southern Airlines. Avion à moitié plein, je suis surclassé en business. Petit privilège des grands voyageurs.
Sous les rafales l’avion décolle en crabe avec une heure de retard du au trafic ralenti par le temps exécrable sur la plate forme de Roissy CDG.
Ca turbule sec pendant la monté initiale. Nous traversons l’épaisse couche de nuage dont les volutes grises ressemblent à de la neige sale. Sans transition la cabine est d’un coup inondée d’une lumière intense, presque surnaturelle. Tels des lasers parfaitement alignés, les rayons du soleil transpercent les hublots remplissant l’espace de leur énergie cosmique. Au même instant l’air devient calme, lisse, froid, ciel d’un bleu profond au dessus d’une opaque couche de nuages immaculée.
Volant à 900 km/h vers l’Est nous atteignons notre altitude croisière. Mon trac se dissipe doucement dans la stratosphère, laissant pour quelques heures la pression sur la « Terre des Hommes », bercés par le ronron régulier des moteurs de la belle machine volante.
C’est vrai, j’aurais aussi aimé être pilote de ligne.



Mardi 5h30 : Petit matin calme sur l’aéroport de Canton au terme d’un vol de 10h30 au cours duquel le temps s’est compressé de 7 heures. Voyager vers l’Est grignote le temps heure par heure au long du franchissement des fuseaux horaires.
Dans une demi-torpeur je passe les formalités douanières Chinoises avant de me rendre au terminal B pour ma connexion vers Nanning porte B213.
A travers les verrières de l’aérogare je profite du levé du soleil sur le tarmac où commence le balai des avions vers toutes les destinations intérieures Chinoises.
Rapide stop au salon de la compagnie pour boire un jus d’orange et manger un œuf dur en envoyant les e.mail traités pendant mon vol depuis Paris. Quelle révolution technologique tout de même. Dire qu’il n’y a pas 15 ans, partir au bout du monde était synonyme de coupure avec sa base pour plusieurs jours. Tandis qu’aujourd’hui, presque partout sur le globe il suffit d’appuyer sur le bouton « on » de l’ordinateur et du téléphone cellulaire pour retrouver instantanément la connexion avec le monde, incroyable gain de temps en même temps que véritable addiction au signal de réception… Ne pas avoir de réseau n’est même plus supportable. Et je me souviens du propos de ma grand-mère paternelle, décédée il y a tout juste un quart de siècle au bel âge de 90 ans qui, à l’aurore d’une vie simple à la campagne, me répondit sans hésiter : « le téléphone », à la question de ce qui lui semblait avoir été le plus grand progrès technologique au cours de sa longue vie. Ce qui à l’époque m’avait semblé presque étonnant, elle qui avait vu naître l’électricité, l’automobile, l’avion, vu l’homme poser le pied sur la Lune…
Que dirions-nous aujourd’hui ?
Arrivée à Nanning où je retrouve mes équipiers Chinois accompagnés d’un client. Sans transition nous filons vers le couvoir pour une visite express. Il fait presque chaud et j’ai quelque peu l’impression de baigner dans mon jus, parti de la maison depuis déjà plus de 24 heures. En fait de visite de couvoir, nous passons surtout 2 heures à palabrer en fumant une sorte de pipe en bambou trempant dans un bac au fond duquel une eau pour le moins saumâtre fait office de filtre ; chicha à la mode chinoise. L’odeur acre de la fumée me monte à la tête et je prends une aspirine de précaution…
14h30 : entassés à 8 dans un minibus nous quittons Nanning vers Guilin, 400 km au Nord-Est. La journée continue les genoux coincés dans le dossier du siège de devant. Je n’arrive pas à trouver de position relaxante tandis que nous slalomons entre les camions sur l’autoroute. La route est longue…
20h : nous apercevons Guilin et je n’ai qu’une envie, m’allonger sur un vrai lit. Au lieu de cela nous entrons dans un restaurant pour diner avec des clients. Je m’invective intérieurement. C’est un marathon : « cours, Forest cours ! » Pas le moment de lâcher alors que les choses sérieuses commencent maintenant. Il s’agit de faire bonne figure, histoire de convaincre malgré la barrière de la langue. On picole. On rigole. Je joue le jeu. Et comme toujours en Chine, le dîner semble se terminer en queue de poisson par un « au revoir » un peu précipité sans poignée de main. Tout est normal.
21h30 : nous rejoignons enfin l’hôtel. J’ai une réunion téléphonique dans 30 minutes avec la France où il sera 15h et les USA où il sera 9h. Petite planète.
23h45 : fin de la réunion. Encore un appel sur skype avec la Belgique pour calage final d’un budget.
00h45 mercredi matin : fin du jour le plus long pour le p'tit soldat Grimaud, modeste acteur de la bataille économique mondiale .
Claqué, vidé, je m’affale sur le lit comme un zombi. Dormir vite maintenant. Demain sera un autre jour.

jeudi 4 novembre 2010

Lapin à Moscou

Moscou a ce charme si bien chanté par Gilbert Bécaut dans sa chanson « Nathalie ». Capitale de culture et d’histoire où il fait bon se promener le long des grandes avenues, empruntant le métro baroque de la très grande époque soviétique lorsqu’il s’agit de traverser la ville par les sous-terrains.
Nous avons rendez-vous aujourd’hui avec un apparatchik de l’aviculture Russe, de ceux qui ont fait carrière en gré des opportunités politiques, surfant sur un système où la promotion n’est que le résultat de l’entretien d’intérêts bien placés basés essentiellement sur la flatterie, les « petits » cadeaux et la cooptation. Somme toute rien de bien original, mais passage obligé pour le développement de nos affaires dans le plus grand pays du monde.

En sortant de l’hôtel « Cosmos », ce voyage a décidément quelque chose de spatial, je passe sous l’immense statut du Général de Gaulle trônant devant le monumental bâtiment.
Clin d’œil à la France dans un pays où les héros politiques sont légion.
Le long de l’avenue des kiosques à journaux proposent une large offre de magazines, mais aussi de livres variés, de la littérature classique au dernier bouquin d’actualité. Nous sommes ici en pays d’écrivains.
L’hiver approche. Les passants pressés portent déjà grands manteaux et confortables fourrures.
Nous prenons le métro en direction de notre lieu de rendez-vous. Irina appelle le bureau de notre interlocuteur histoire de reconfirmer l’heure exacte de la rencontre. Je la vois alors froncer les sourcils en me regardant avec un air quelque peu désolé. Il y a visiblement un problème. Après avoir raccroché, elle m’explique très embêtée que notre homme a du répondre à une obligation protocolaire de dernière minute et ne pourra finalement pas nous recevoir… Un peu cavalier tout de même, d’autant que nous sommes venus principalement pour ça ! Se confondant en excuses, Irina m’explique toute sa surprise, très étonnée et déçue de n’avoir pas été informée préalablement de ce dédit pour le moins curieux, ajoutant que la secrétaire lui disait avoir contacté l’ambassade de France pour leur demander de m’informer de l’annulation du rendez-vous ! Procédé des plus singuliers ; dans la grande tradition des intrigues soviétiques. Y aurait-il eu influence de quelque concurrent bienveillant et bien renseigné pour nous barrer la route ? Tant pis, nous ferons sans. Le soir même je m’applique à lui adresser une fort diplomatique lettre d’invitation. La partie d’échec se poursuit.
Mon téléphone cellulaire sonne :
- Bonjour Fred, c’est Chantal à l’accueil, (elle m’appelle depuis le siège de Groupe en France), j’ai pour toi un appel de l’ambassade de France concernant votre rendez-vous à Moscou…
- Oui, oui, merci Chantal. Dis leur que je suis au courant.

C’est l’heure du déjeuner. Nous finissons dans un restaurant sous-terrain au cœur du quartier administratif de Moscou.
Tandis que nous dégustons un excellent canard aux choux, recette Tchèque, entre quelques standards Russes, la sono diffuse essentiellement des chansons françaises : Dutronc, Patricia Kass, Goldman, Alex Red et j’en oublie.
Devant mon étonnement Irina m’explique que c’est tellement joli à écouter et si romantique.
L’amitié entre les peuples…

mercredi 3 novembre 2010

Parfum de Perestroïka

Se rendre en Belarusse pour vendre des poules - oui, oui des poules, vous savez celles qui font des œufs que les gens mangent de mille et une façons - a pour moi de prime abord quelque chose de presque « exotique ». Rendez-vous compte, aller dans le seul pays européen officiellement non démocratique, sorte de dinosaure géopolitique, fragment restant de l’ex-URSS. Plutôt alléchant si l’on fait fit des conséquences pour ceux qui y vivent. Cela dit, sans non plus de scrupule pour ce qui me concerne, partant du principe que les échanges commerciaux restent l’un des plus sûrs moyens d’ouverture au monde. D’aucun diront que je me donne bonne conscience. Et bien qu’ils y viennent et ils verront que cela a du sens, surtout lorsqu’il s’agit de satisfaire des besoins primaires (alimentaires) développés localement.

Une heure et demie après son décollage d’Amsterdam, l’avion de la compagnie nationale « Belavia » roule sur les taxiways vers l'aérogare de Minsk. Sur la droite de l’appareil des dizaines de vieux avions Russes pourrissent sur les parkings, cimetière d’Antonov, Tupolev et autres Iliouchine témoins d’une époque encore récente où les échangent battaient leur plein au sein de l’empire Soviétique. Ici l’on fabriquait surtout des tracteurs, des armes et du chocolat, tel que décidé par le plan.
L’aéroport à l’architecture dans le plus pur style poststalinien est quasi-vide, tout comme d’ailleurs notre avion qui ne compte pas plus d’une trentaine de passagers. Il faut bien reconnaître que la destination n’a à priori rien de très alléchante, sauf à avoir une réelle bonne raison d’y aller, comme vendre de poules…
Irina jolie blonde filiforme de 25 ans aux yeux clairs illuminant un visage rond et souriant sous des cheveux un peu filasses, et Tatania sexagénaire un peu courbée, stéréotype de la femme Russe d’âge mure, nous accueillent tout sourire. Elles sont nos agents pour la Russie et ses satellites et vont notamment assurer ici les traductions dans un pays où l’anglais n’est que très peu pratiqué.
Rapide dépose des bagages à l’hôtel « Planeta », bâtiment sans intérêt mais tenu de façon impeccable au bord d’une grande avenue toute aussi bien tenue. Je me dis que c’est calculé pour impressionner les rares visiteurs étrangers. Mauvais à priori ayant pu constater le lendemain matin lors mon jogging quotidien dans les ruelles du centre ville, puis au cours de notre déplacement en campagne, combien le pays est soigné et mon jugement « primaire » mal à propos.

Dîner avec Evgeny et son équipe dans un restaurant à la mode du centre ville. Décors clinquant dans un style baroque moderne du plus mauvais goût où des écrans plasma miment des feux de cheminée. Moche mais nickel. Cuisine simple et de qualité arrosée d’excellents vins Bulgares. Nous écoutons Evgeny, petit homme sympathique, quadra dynamique au visage ressemblant curieusement à Nicolas Ceaucescu jeune avec ses lunettes à fine monture métallique très années 70, nous compter son épopée industrielle. En quelques années, avec force détermination et esprit pratique, il a su hisser son entreprise au premier rang de la production de volailles de ce petits pays. Ne comprenant un traitre mot de Russe, je l’observe attentivement discuter avec nos agents. L’homme a sans conteste du charisme et ses yeux souriants donnent confiance. Irina qui le connait depuis des années m’en dit aussi le plus grand bien. Nous verrons…

Après une heure de route en direction de la rivière Bérézina, celle la même où Napoléon connu la sienne, la voiture nous dépose à la porte d’un complexe de production d’œufs de consommation. Bâtiment hors d’âge et personnel comme fossilisé dans une torpeur de l’époque soviétique. Seule une femme, Valentina, semble sortir du lot. Nous parlons rapidement affaires dans un bureau glacé puis l’on nous emmène en voiture à quelques km de là devant ce qui ressemble à un camps militaire Russe en opération… en fait un musée dédié à leur « ligne Maginot » construite entre les deux guerres pour se protéger des risques d’invasions venant de l’Ouest, à une époque où l’Allemagne menaçait l’Europe de toute part. On y trouve ainsi tout un arsenal de l’armée rouge jusqu’à la période de guerre en Afghanistan : tanks, canons, jets, hélicoptères, missiles, systèmes de télécommunication... Impressionnant et quelque peu surréaliste de se promener par une belle journée ensoleillée entre des machines de guerre dont on nous expliquait il n’y pas si longtemps qu’elles représentaient la plus grande menace pour « le monde libre ».
Un peu ébahit je croise le regard souriant de Valentina visiblement assez fière de son coup. S’adressant à Irina elle ajoute comme si de rien n’était :
- Les temps changent. Malgré quelques soubresauts de l’histoire le mouvement est inévitable.
Sûr, nous allons travailler ensemble.

vendredi 22 octobre 2010

Epilogue

La boucle est donc bouclée au terme d’une dernière étape marathon de 16h et 1250 Km ! au long de laquelle, pilotant nos machines tels des automates, l’esprit s’évade revoyant les images de cette aventure faite de rencontres et de grands espaces.
Bien sûr ce fut une grande partie de moto, réintroduisant « Misses » Ténéré et Africa-Twin dans leur environnement naturel où elles ont montré ce pourquoi elles avaient été imaginées, faisant rêver à leur époque toute une génération d’adolescent dont nous faisions parti.
Mais ce fut bien plus que cela.
Voyager en moto tout terrain c’est voyager léger, donc simplement. C’est se déplacer au contact de la nature et des gens sans « protection » ni lourd artifice ; ressentir physiquement l’environnement : images panoramiques, odeurs, météo, nature du sol, vers des lieus difficilement accessibles ; à chaque arrêt l’opportunité de contacts immédiats avec des gens curieux d’aborder des voyageurs peu ordinaires.
Ce voyage fut donc tout cela et bien d’avantage encore, nous découvrant avec Didier une rare complicité et des compétences complémentaires dans ce type d’aventure.
Vous avez aimé ?
Et bien sachez qu’il y en aura d’autres, partagées en live et construites suivant la même approche : découverte à moto de nouveaux espaces et rencontres inattendues.

A très vite.

Au fait, vous savez quoi ? Et bien ce matin j’ai quant même un peu mal aux fesses.

mercredi 20 octobre 2010

La route de tous les Tanger...

Mardi 19 Octobre :

Nous quittons Fatima et Mohamed par une sympathique photo de famille à la porte de leur maison aménagée en gite, endroit recommandable pour qui cherche à passer quelques jours au calme, en toute simplicité dans une ambiance familiale traditionnelle marocaine et un environnement remarquable.
Puis nous reprenons la route dans les brumes de l’Anti Atlas, ni voyons goute sur des routes approximatives et étroites. Gare aux croisements dans ces conditions dangereuses où il semble que nous n’ayons pas tous la même appréciation du risque si j’en crois le comportement du chauffeur d’un fourgon qui m’oblige à terminer ma route dans le fossé pour l’éviter ; heureusement sans gravité.
Nous remontons vers le nord en direction de Tanger, contournant Marrakech pour filer rapidement vers Casablanca puis Rabat sur une impeccable autoroute.

22h nous laissons les motos à la station Shell de Kenitra à la garde d’un gars recommandé par l’hôtelier. Drôle de type assez bougon au look de clochard.
- Ici on paye à l’avance m’assène t-il sans plus de ménagement !
Sur quoi le lui réponds :
- Ben moi j’suis plutôt du genre à payer après le service.
- Ah mais MONsieur, c’est qu’y’a un règlement ici !
C’est qu’il a de la gouaille le bonhomme…
Et de nous raconter tout de go son histoire : Le Pas de Calais, son mariage avec une française, sa fille de 14 ans, son divorce et sa décision de rentrer s’installer au pays avant d’en être expulsé par Nicolas… où il vit dans une caravane « pourave », échouée sur une station Shell, à surveiller les voitures que des clients lui confient pour la nuit.

J’ouvre la porte de l’hôtel de La Poste de Rabat, comme si ici le temps s’était figé au beau milieu des années 50. Ici tout est vintage : le zinc d’accueil, le tableau à clés, l’escalier, les toilettes au palier. 220 Dirham la chambre « luxe » double avec douche. On ne mégotte pas. Plus de 22h et 750 km au compteur, la marchand de sable passe.

mardi 19 octobre 2010

Virolos à gogo

Lundi 18 octobre :

C’est bien beau de sortir du désert pour reprendre la route, encore faut-il la reprendre dans le bon sens.
Aujourd’hui c’était mon tour de rouler en tête. Je sorts de Foum Zguid vers le nord retrouvant un réel plaisir de conduire sur route goudronnée. Notre itinéraire est d’aller jusqu’à Tioulit, petit village au cœur de l’Anti Atlas, non loin de Tafraoute où se trouve le Gite de Fatima et Mohamed des amis de Didier.
Nous roulons vers le nord sur jusqu’à Tazenakht et nous arrêtons faire le plein. En payant le pompiste je lui demande la distance restante jusqu’à Tata.
- 250 km M’sieur.
Très sûr de moi je lui réponds du tac au tac que ce n’est pas possible car nous en avons déjà parcouru une centaine depuis notre départ de Foum Zguid.
- Mais vous êtes dans le mauvais sens M’sieur !
Quel idiot je fais, croisant sans plus de commentaire le regard condescendant de Didier qui depuis quelques km déjà ne comprenait pas ma logique.
Reprenant la carte avec plus d’attention nous refaisons l’itinéraire…

Le massif de l’Anti Atlas est une chaine montagneuse de moyenne Altitude, impressionnante formation de granit rose dont les plans successifs donnent à l’horizon de spectaculaires perspectives.
La route y serpente de vallée en vallée, reliant les villages dont les maisons de pierres et terre crue se fondent parfaitement dans leur environnement, parmi les arganiers devenus célèbres pour leur fameuse huile aux vertus « magiques » tellement prisée des femmes.
Curieusement nous ne croisons plus d’hommes désœuvrés, seulement des groupe de femmes souriantes, en habits traditionnels colorés, à pieds ou dos de mules, qui transportent brins de maïs, fagots de bois, où baies sauvages ramassées dans la montagne dont elle produisent, une fois séchée, une excellente farine à déguster avec du miel.
Le revêtement routier est excellent et nous roulons à allure soutenue, enchainant virage sur virage, entre accélérations et rétrogradages dont les décibels résonnent sur les parois d’un décor en cinémascope.

Arrivant chez nos hôtes Didier relève le compteur : 380 km « et pas un pète de jeu ».
A ce rythme là il ne faudra pas oublier de ralentir pour s’arrêter à la maison.

lundi 18 octobre 2010

Nique-nique sur l'Iriki

Sortir du désert est toujours un moment un peu mélancolique. Tandis que la pression de la navigation et du pilotage diminue en retrouvant le goudron, arrive une soudaine lassitude nostalgique de ces grands espaces où le regard se perd dans des perspectives infinies en libérant l’âme des tensions existentielles.
Nous sommes ce soir à Foum Zguid, le corps fourbu, mais l’âme toute propre, comblés par cette longue navigation Saharienne, déjà impatients de poursuivre notre voyage vers le Nord à travers l’Atlas et ses petits villages de montagne.

En partant ce matin de Mahmid nous nous attendions à un départ difficile et n’avons pas été déçus, démarrant par 20 kms de piste sableuse entre les dunes. Si notre technique est maintenant assez au point : regarder où l’on veut aller et pas où l’on roule, alléger l’avant de la moto autant que possible et surtout garder de la vitesse et du régime moteur, n’empêche que ça reste toujours un bel engagement physique.

Pour ne pas risquer de nous planter au milieu des Dunes de Chigaga, nous roulons vers le nord-ouest en direction de la ligne de crête du Jbel Bani bordant la dépression de vallée du Drâa, alternant zones plus ou moins roulantes fonction de la géologie du sol : fins graviers crépitant sous les pneus à crampons, douce pellicule sableuse ou inconfortables pistes caillouteuses. En toutes circonstances nos motos font merveille, incroyables machines à voyager tout terrain. De temps en temps nous croisons quelques chameaux en liberté (en réalité des dromadaires qu’allez savoir pourquoi, les autochtones appellent chameaux…) broutant les maigres arbustes résistants à ces conditions climatiques extrêmes.
Puis la vallée débouche sur lac Iriki, en réalité un lac fossile devenue vaste plaine inondable parfaitement plane, couleur lunaire grise argentée où la diffraction de la lumière génère de spectaculaires et magnifiques mirages pouvant en certaines circonstances tromper la lucidité du voyageur fatigué, convaincu d’apercevoir telle une éphémère chimère, l’oasis tant attendue.
Roulant derrière Didier, je vois soudain la valise gauche de sa moto se faire la belle et partir en tonneaux avant de s’immobiliser à la verticale comme si quelqu’un l’avais posé là. Surpris Didier s’arrête puis fait demi-tour pour constater les dégâts. Au moment de stopper sa moto à hauteur de la valise rebelle, il s’affale lamentablement dans la zone légèrement sableuse.
- Si ça continue va falloir que ça cesse !
Nous rions aux larmes en faisant une réparation de fortune à l’aide d’une sangle très serrée.

Sortant du lac nous passons par un check-point militaire où 2 gars en tenues dépareillées enregistrent les passages sur cette zone « sensible ».
A peine arrêtés l’un des acolytes nous branche misère sexuelle du militaire en faction pour 2 mois dans le désert sans « nique-nique la gazelle ».
Consultant le cahier de passage manuscrit, je retrouve sans peine trace de mes passages précédents. Du coup, devenant familier le gars nous invite à nous assoir près de lui et commence à « parler cul » sans aucune retenue en me passant la main sur le genou, proposant même d’aller manger un œuf avec lui dans sa cabane ... Nous abrégeons après avoir huilé la chaine de son vélo, dont il nous explique l’effet expiatoire en période de libido trop prononcée… et d’ajouter au moment de partir :
- Z’avez pas préservatifs ?
- Pas besoin, on fait de la moto.
Pas sûr qu’il ait bien compris.

dimanche 17 octobre 2010

La grande débrouillle

Samedi 16 Octobre :

Amar est le sympathique propriétaire de l’auberge Kem-Kem où nous avons passé la nuit à Trafraout (celui dans le sud qui n’est pas indiqué sur les cartes, car il existe au moins 2 Tafraoute au Maroc, donc un plus connu dans l’Atlas).
Petit homme jovial à la tête ronde illuminée d’yeux pétillants d’intelligence, son sourire enjoué surmonté d’une fine moustache lui donne un air de ces joyeux personnages que l’on retrouve dans les films de Marcel Pagnol.
Berbère d’origine, 40 ans bien qu’en faisant plus de 50, il est en fonctionnaire de l’état civil et nous explique son histoire pendant que nous prenons le petit déjeuner : dès l’âge de 8 ans, alors qu’il était encore berger à Merzougha il s’intéresse aux quelques visiteurs étrangers venu découvrir ce site remarquable, laissant paitre son troupeau sur les rives du lac au pied du grand Erg pour aller au contact des visiteurs tenter de leur vendre quelques fossiles trouvés dans les montagnes ; en fait un prétexte pour parler français « en vrai » et surtout comprendre les comportements des touristes alors encore peu nombreux. De là lui est née l’idée de développer une activité économique basée sur cette nouvelle ressource, idée concrétisée quelques 20 ans tard avec la création de sa modeste mais impeccable auberge au milieu de nulle part, sur « Kem-Kem », confluent de plusieurs oueds débouchant sur un lac asséché. Et lorsqu’il s’agit d’en faire la promotion, il a cette jolie phrase :
- Comme on ne peut pas lutter avec les murs, c’est avec le cœur qu’on fait la différence.


L’étape du jour nous conduit vers l’ouest dans l’extrême Sud, de Tafraout vers Mahmid, en rasant la frontière Algérienne.
Cette vaste région située au Nord du Grand Erg Occidental est baignée par les embruns sableux de cette énorme zone de dunes qui colorent reliefs et vallées d’une fine pellicule dorée, allant même parfois jusqu’à former d’impressionnantes congères, de celles que l’on retrouve « chez nous » dans les zones de montagnes enneigées l’hiver.
Nous roulons au cap au milieu de larges plaines bordées de reliefs montagneux dentelant l’horizon. En fond de vallée quelques excroissances rocheuses d’un noir intense brillant alternent avec de petites dunes blondes, créant des contrastes saisissant magnifiés par le ciel bleu cristallin. Impossible de ne pas tomber sous le charme de tels paysages exclusivement minéraux, sorte de jardin zen puissance dix.

De la contemplation nous passons au sport, accélérant sensiblement la cadence au fur et mesure de notre progression et de notre meilleure maîtrise des motos dans cet environnement. Nous ne faisons maintenant plus qu’un avec nos machines, profitant pleinement des grands espaces qui s’offrent à nous, allant même jusqu’à tenter quelques figures impossibles avant de renoncer et contourner la difficulté.

Tandis que nous arrivons très en avance sur notre estimation en vue de Mahmid, je perds Didier de vu dans mon rétro. Après quelques minutes d’attente à l’arrêt, je rebrousse chemin, espérant que rien de grave de lui soit arrivé, pour le retrouver avec soulagement quelques kilomètres plus loin, tout sourire, à l’ombre d’un arbuste en train de démonter sa roue avant crevée. Je ne m’attarderais pas d’avantage sur les deux heures suivantes qui n’ont été que laborieux montages redémontages de roue (3 fois… mais toujours dans la bonne humeur), faute d’avoir pu (su) réparer correctement les fuites des chambres à air crevées - passons les détails de cette lamentable affaire - et finir par remonter au forceps une chambre à air de roue arrière sur la roue avant. Les connaisseurs apprécieront…

Arrivant finalement à Mahmid, nous voilà engagés à la tombée de la nuit sur une piste sableuse vers un campement dans les dunes.
Chemin faisant laborieusement dans l’obscurité, je m’en veux un peux de m’être laissé embarquer dans cette « galère » alors que nous aurions très bien pu bivouaquer tranquillement ou prendre un petit hôtel « en ville » et m’en excuse platement auprès de Didier qui me répond du tac au tac :
- T’inquiète, laisse faire, les soirées à priori foireuses finissent souvent par de bonnes surprises.
Toujours sa fameuse instinctothérapie…
Il ne pensait pas si bien dire. Nous venons de rencontrer un magicien professionnel espagnol, également clown à ses heures, qui a conclu la soirée par une série de numéros de cartes et balles époustouflants. Finalement pas si mal pour un samedi soir !

samedi 16 octobre 2010

Instinctothérapie...

Vendredi 15 octobre :

Tandis qu’hier soir en dinant, Didier et moi dissertions sur les « petites » choses de la vie, notamment sur les vertus supposées de la sablothérapie - rappelons juste pour les rares personnes qui ne sauraient pas de ce dont il s’agit, que nous parlons ici d’une médecine douce dont les bienfaits viendraient d’un enterrement du corps dans la sable, et souvent pratiquée dans les dunes du sud-marocain - Didier m’expliquait que son truc à lui c’est plutôt l’instinctothérapie.
Là je suppose que spontanément vous voyez mieux le concept : se laisser guider par son instinct en considérant qu’il nous guide naturellement vers ce qui est bon. Pourquoi pas en effet.
Au fait, aujourd’hui, l’instinct de Didier l’a amené par 3 fois au contact du sable. Troublant non ?

A part cela, notre navigation instinctive de Taouz vers Zagora nous a conduit dans les reliefs du Jbel Ougnat sur d’improbables pistes où circulent des petits camions convoyant du minerait blanc arraché à la montagne. En « jardinant » quelque peu (pour les non initiés, terme signifiant qu’on est un peu perdu et à la recherche de sa direction…) nous nous sommes retrouvés dans un cul de sac, sur une hauteur, au milieu d’une équipe de prospecteurs en pleine action. A vrai dire assez ahurissant de voir ces hommes équipés d’outils d’un autre age, creuser à la main d’impressionnants trous à flan de montagne à la poursuite des précieux filons, extrayant des tonnes de minerai blanc scintillant au soleil, presque fluoresçant, comme si la remonté au grand jour des entrailles de la terre lui conférait quelque magique propriété.

Rigolo lorsque nous croisons un 4x4 de location suivi par une très belle BMW 1200 GS dont le pilote en nage, seulement équipé d’un jean, blouson noir et casque de ville, nous demande un peu inquiet comment est la piste d’où nous venons. Sortant juste d’une longue zone de fech-fech à la conjonction de 3 oueds, avec un peu de malice nous lui souhaitons bien du plaisir, poursuivant notre route sur nos motos "vintage".

En fin d’après-midi un vent de sable venant du l’ouest trouble le paysage. Les particules en suspension diffractent la lumière du soleil tombant doucement vers l’horizon en un large halo diffus assez éblouissant. Suivant Didier, la poussière soulevée par la roue arrière de sa moto et aussitôt balayée perpendiculairement par le vent lui donne une allure de comète dont la chevelure laiteuse se dilue dans le cosmos. Juste beau.

L’instinct de Didier, aujourd’hui « capitaine route » nous emmène jusqu’à une petite auberge dans le village de Tafraoute à mi chemin en Taouz et Tagounite notre destination pour demain. Fourbus mais heureux nous rentrons dans la maison de pisé nous mettre à l’abri du vent en dégustant l’inévitable thé à menthe et, tout en sirotant le délicieux breuvage, entamons avec entrain un nouvel échange débridé sur le plaisir de voyager ici et maintenant, cultivant sans prétention, mais avec délectation notre instinctothérapie du bonheur.

vendredi 15 octobre 2010

Off-Road special

Jeudi 14 Octobre :

L’enduro géant démarré depuis 2 jours s’est poursuivi aujourd’hui avec une « spéciale » de 200 km entre Boudnib et Merzougha pour s’achever chez Larbi, l’ami qui nous avait accueilli Jo et moi l’an dernier dans sa famille pour la fête la l’Aïd. (Cliquez ici pour retrouver la chronique de novembre 2009).

Après ces quelques lignes introductives vous pourriez donc imaginer que nous n’avons fait que piloter nos motos dans la désert, façon Dakar, avec comme seul objectif d’arriver le plus rapidement possible à notre destination du jour. Ce serait mal nous connaître. Bien sûr que nous avons pris du plaisir de pilotage et nous sommes « tirés quelques bourres ». Mais en réalité cette journée a été ponctuée de pleins « d’histoires » qui mériteraient chacune une chronique.

J’aurais donc pu vous parler du comportement grossier d’un couple de touristes Italiens qui firent un scandale ce matin au moment de payer leur note d’hôtel, alors que, malgré la modestie de l’établissement, les prix sont clairement affichés. Sans parler de la vulgarité de l’esclandre quand il ne s’agit au final que d’une affaire de moins de 10€ totalement dérisoire dans leur budget de voyage en 4x4 tout équipé. Ces mêmes Italiens que nous avons rattrapé dans l’après-midi et qui n’eurent même pas la courtoisie de se laisser dépasser par nos motos plus rapides, nous bloquant derrière un nuage de poussière…

J’aurais pu vous parler de l’accueil chaleureux de Hanoun avec qui nous avons bu un thé, vieux Monsieur de 71 ans sous sa modeste tente au bord la piste, km 90 de notre « spéciale », et qui survit en vendant des cailloux…

J’aurais pu aussi vous parler de l’atterrissage quelque peu surréaliste d’un hélico de l’armée Marocaine à moins de 30 m de la tente de Hanoun et de nos motos, avec à son bord un médecin de l’organisation du Dakar suivant les reconnaissances de spéciales pour un prochain rallye ; tandis qu’au même moment 2 bolides passèrent en trombe sur « notre » piste.

J’aurais pu aussi NE PAS vous parler des 2 chutes de Did’ dans le sable à cause d’une Africa-Twin quelque peu rétive sur cette surface instable et inclinée... Mais ça n’aurait vraiment pas été équitable après ma piteuse chute dans la boue d’avant-hier…

En revanche je vous aurais bien parlé de la beauté à couper le souffle des paysages traversés, grande navigation dans un monde totalement minérale et à priori tellement hostile mais qui ne vous lâche plus une fois y avoir goûté ;

Parler également de cette rencontre avec des enfants très sympas dont les yeux brillent certainement encore d’avoir pu s’assoir sur nos motos et jouer de la poignée d’accélérateur, fascinés par le son du moteur et la montée de l’aiguille du compte tour à chaque coup de gaz ;

Et bien sûr des retrouvailles chaleureuses avec Larbi et sa famille, un an après notre première rencontre, aussi naturellement que si nous nous étions quittés la semaine dernière.

De tout cela j’aurai pu parler d’avantage, sans oublier les vrais moments de « déconades » avec Didier. Mais pour cela il faudrait des journées de plus 24h, et comme il est déjà plus de 23h55, je m’arrête là pour ce soir, un peu fatigué par la spéciale du jour et avant une autre grosse étape de 300 km de piste, demain, entre Merzougha et Mahmid.

A très vite pour la suite.

Toutes les photos du voyage en cliquant ici

mercredi 13 octobre 2010

Enduro géant

Mercredi 13 Octobre :

Pour ceux que la moto rebute, peut-être n’est-il pas utile de lire cette chronique et d’attendre la prochaine. Mais c’est vous qui voyez…

Réveil au petit matin dans la maison de notre nouvel ami Mustapha quelque part au beau milieu du Rekkam. Seuls quelques bellement de chèvres et le chant d’un coq trouble la quiétude de l’endroit. Ciel bleu profond, belle lumière, un petit matin comme on les aime.
Petite toilette à la mode locale, un mince filet d’eau simplement versé sur les mains à l’aide d’une bouilloire en fer blanc au dessus d’une bassine métallique. La journée peut commencer.
- Que vas-tu faire aujourd’hui Mustapha ?
- Rien !
Même s’il est évident que les activités possibles sont ici limitées, la réponse est pour le moins déconcertante.
Nous petit déjeunons de nouveau invités par Mustapha - thé sucré et crêpes au beurre rance - avant de nous dire au revoir, remerciant chaleureusement notre hôte pour son accueil désintéressé.

A la fraiche, nous roulons maintenant vers les Sud-Ouest en direction de Anoual. Pur plaisir de pilotage à allure soutenue dans un paysage de western. Y’a pas à dire, faire de la moto dans ces conditions est probablement ce qui se fait de mieux pour ceux (celles) qui aiment, cocktail de sensations de pilotage aux saveurs décuplées par le contexte où tous les sens sont sollicités : découverte des paysages bien sûr, mais aussi vitesse et glisse sur ces pistes variées faites d’un mélange de graviers et de sable, odeur de poussière dans les narines, son du moteur alternant montées en régime et rétrogradages rageurs, effort physique, debout sur les cales pieds, serrant la moto entre les jambes pour faire corps avec l’engin et maîtriser les trajectoires. Parfois aussi quelques petites chaleurs en arrivant un peu vite sur une ornière perpendiculaire à la piste creusée par les pluies des derniers jours, histoire de rappeler sans frais les limites aux pilotes amateurs que nous sommes.
A un moment j’ai comme la désagréable impression que ma roue avant est voilée. Dans le doute j’imagine un ou deux rayons cassés, mais c’est en fait une crevaison. Nous réparons rapidement, profitant de la pause pour faire quelques joyeuses séquences vidéo dont Didier a le secret.
Ce n’est pas une course, et nous prenons le temps de nous arrêter au gré des changements de paysages, crevaisons… ou rencontre inattendues comme ce fut le cas après la difficile descente trialisante, du col de Belkassem, spectaculaires marches naturelles entre les rochers.
Sans casse mais en nage nous nous arrêtons au pied de la descente en vu d’une oasis de carte postale, aussitôt abordé par un jeune homme en mobylette flambant neuve qui nous invite à le suivre. Comme il semble plutôt sympa nous saisissons l’opportunité d’une nouvelle rencontre improvisée.
En fait lui et ses deux frères vivent ici, exploitant leur propre mine de plomb et autres minéraux. Très fièrement ils nous expliquent leur choix de vie : éduqués, n’ayant pas trouvé de travail « en ville », ils ont décidé de démarrer leur propre activité « sans attendre l’aide de l’état ni de personne ». Et leur petite entreprise semble plutôt bien aller. Nous bavardons en sirotant un thé à la menthe, profitant de la douceur du climat de cette fin d’après-midi sous quelques palmiers plantés là par un homme solitaire qui a abandonné les lieux des années déjà.
- Lors de notre prospection, nous avons trouvé un site favorable sur ces montagnes et nous sommes installés là il a quelques mois nous explique l’ainé dans un français impeccable.
Et d’ajouter au moment de nous séparer :
- Vous parlerez de nous dans votre blog ?
Voilà, c’est fait.

Toutes les photos du voyage en cliquant ici

Rekkam le Rouge

Mardi 12 Octobre :

Nous imaginions dormir dans le désert ce soir. Et bien nous y sommes, quelque part au milieu du plateau du Rekkam, chez Mustapha et sa famille dans le village de El Mdl (pas facile à prononcer pas plus qu’à trouver d’ailleurs) accessible uniquement par une piste depuis Matarka.
Inutile de chercher sur une carte ces quelques maisons de terre crue où vivent quelques centaines d’âmes, sans électricité ni eau courante, mais au pied d’un relai téléphone…

L’accès au plateau du Rekkam se fait par une piste abrupte à travers une forêt clairsemée de chênes verts et pins léger. Premiers tours de roue off-road pour nos motos sur ce voyage. Nous démarrons prudemment, scrutant le ciel en espérant échapper aujourd’hui aux averses.
Nous débouchons sur le plateau à environ 1000 m d’altitude. La vue saisissante donne sur un paysage rocailleux aride au fond de terre rouge humide où poussent quelques arbustes épineux. Nous laissons derrière nous un majestueux belvédère naturel donnant sur la plaine fertile irriguée par le rivière Moulouya.
D’abord roulante la piste s’enfile en zigzaguant doucement entre les légères ondulations du relief au creux lesquelles brillent de larges zones encore humides suite aux pluies diluviennes de ces derniers jours. La piste elle-même devient grasse et la terre rouge collante rend l’adhérence précaire qu’il s’agit de contrôler à la poignée de gaz. Très fun jusqu’au moment où sans prévenir la roue avant de ma moto se bloque et se dérobe. Gamelle inévitable ! Je me relève assez piteusement, surpris par la soudaineté de la dérobade. Heureusement pas de gros bobo. Juste une légère douleur au poignet gauche et au genou derrière la déchirure du pantalon. Le temps de reprendre mes esprits, Didier me rejoint pour relever la moto et constater les dégâts : valise gauche « explosée », levier d’embrayage cassé et roue avant coincée par la terre argileuse et les pierres accumulées sous la garde de boue. Heureusement tout est prévu : poignée de secours et sangles pour refixer la valise. Il faudra tout de même démonter le garde boue pour débloquer la roue ! Et dire que je pensais le rehausser avant de partir et par pure négligence ne l’avait pas fait. Ca m’apprendra…

Nous repartons d’abord prudemment, puis très rapidement le naturel revient au galop, grisés par l’enchainement des virages dans ces grands espaces où le rouge de la terre humide reflétée sur la basse couche nuageuse colore le ciel en rose, donnant au paysage une allure martienne.

Nous rejoignons une bande de goudron non indiquée sur la carte. Scrutant sur notre droite une nouvelle entrée de piste au cap sud-est, nous entrons après quelques kilomètres dans le village de Matarka et profitons de l’opportunité pour compléter nos réservoirs de 5 litres d’essence « ordinaire » achetés au seau et pas filtrée. Même pas peur !

Cap à l’ouest sur 50 kms de piste assez roulante avant normalement de devoir bifurquer plein sud pour 100 kms supplémentaires jusqu’au village de Anoual.
C’est déjà la fin d’après midi et la lumière rasante donne au paysage de magnifiques teintes dorées et contrastées : dégradés de bleus et gris, orange flamboyant, rouges intenses, étonnant vert émeraude, bleus profonds… Nous roulons comme dans un rêve entre deux lignes de crêtes, sur une vaste plaine ou pousse de grosses touffes typiques de ces zones désertiques, vers un horizon à perte de vue.

Quelques maisons de terre crue apparaissent furtivement dans le paysage, puis un village isolé. Comme souvent des gars désœuvrés sont assis là le long d’un mur, bavardant à côté de 2 ou 3 improbables guimbardes encore roulantes.
Nous nous arrêtons, coupons les moteurs, enlevons les casques et engageons une difficile conversation avec quelques mots de survie. Notre plan est de trouver ici un endroit pour passer la nuit. Les premières réponses sont plutôt expéditives :
- Prochaine ville dans 100 kms dans cette direction vaguement indiquée vers l’Est.
C’est déjà le crépuscule et il n’est pas question de rouler de nuit sur les pistes.
Nous insistons. L’ambiance devient progressivement plus chaleureuse et nous sommes finalement invités par Mustapha, jeune homme avenant de 27 ans qui parle 3 mots de français et fait preuve d’une vraie gentillesse spontanée à notre égard.
Son frères nous précède à mobylette jusqu’à la maison familiale 1 km plus loin. Imaginez un peu le convoi : mobylette fumante et déglinguée suivie par nos 2 motos dont un passager derrière Didier. Effet garantie en traversant le village.
Notre arrivée crée l’évènement dans famille. Il y a là 3 générations élargies aux cousins. Séances de photos sur les motos autour desquelles se pressent les garçons tandis que les filles jettent à distance des regards espiègles.
On se présente, échangeons nos prénoms, comparons nos âges - ils nous mettent 10 ans de moins quand nous leur mettons 10 ans de plus - montrons des photos de famille et des films de voyages entre verres de thé à la menthe et franches rigolades, installés dans la maison de notre hôte, une simple pièce non meublée. Tout est simple. A un moment Mustapha apporte sur la table basse un poulet aux olives, du pain frais et des fruits. Nous sommes presque gênés mais ne boudons pas notre plaisir devant un tel festin inattendu, poursuivant tard dans la soirée notre « discussion ».

Nous cherchions juste un endroit pour passer la nuit et venons de passer une exceptionnelle soirée entre Hommes, simplement à échanger joyeusement sur nos modes de vie tellement différents, essayant de se comprendre avec visiblement le même intérêt de part et d’autre. Instant de grâce.