mardi 16 novembre 2010

A détruire !

Nous roulons vers nos installations de Pixian, dans la grande banlieue de Chengdu, à bord d’une magnifique Mercedes 350 ML flambant neuve directement importée des Etats-Unis – compteur de vitesse en miles, température en degrés Fahrenheit – prêtée par notre constructeur de bâtiments.
Un peu surpris par le côté pour le moins ostentatoire de l’engin, Shuchen, notre manager local, m’explique que nous devons aujourd’hui impressionner nos interlocuteurs. Il faut faire riche, et ici les signes extérieurs sont de puissants leviers. Zut, je n’ai ni Rolex ni costume Armani. Il falloir faire sans les accessoires mais avec la grosse auto...
En fait même si pour nous n’est encore officiel, n’ayant encore reçu aucun avis, il est déjà certain que allons devoir rapidement abandonner notre siège social et unité de production principale. Nous partons donc pour rencontrer les officiels et tenter d’obtenir la meilleure indemnisation possible, raison du grand jeu.
Et Shuchen de me prévenir :
- Tu vas voir, c’est impressionnant.
- Qu’est-ce qui est impressionnant ?
- Tu verras par toi-même…

Nous entrons dans Pixian totalement empoussiérée et encombrée par des norias de camions de chantier chargés de gravas, puis prenons la direction de nos installations. La route est maintenant carrément défoncée par le balai incessant des camions jusqu’à ce qu’une déviation nous oblige à emprunter une voie détournée. Incroyable « spectacle » : sur des kilomètres on démolit maisons et boutiques. Quelques habitants hagards semblent un peu perdus au milieu de cet immense chantier de destruction massive. Certains récupèrent les briquettes rouges, matériaux de construction de base des maisons, pour les entasser dans de petites remorques derrière des triporteurs – vélo ou moto façon pick-up – et finalement les revendre un peu plus loin aux entrepreneurs en charge de la reconstruction de lotissements neufs à l’autre bout de la ville… Ici un canapé rouge échoué sur les décombres d’une maison, là une baignoire émaillée comme une barque flottant encore dans la tempête. Ambiance de bombardement où les constructions encore debout sont marquées d’un idéogramme au milieu d’un grand cercle tracé à la peinture rouge signifiant : « A détruire ».
Je fais préciser à Shuchen :
- A détruire où à démolir ?
- A détruire, Fred. C’est bien écrit à détruire.
Mais finalement quelle importance ?
Et Shuchen d’ajouter, visiblement affecté :
- C’est triste n’est-ce pas ?
Le moins que l’on puisse dire en effet.
Il s’agit en fait d’un gigantesque projet d’implantation industriel de 400.000 personnes, vous avez bien lu quatre cent mille, relocalisé ici et nécessitant non seulement la construction d’immenses usines de matériels électroniques, mais aussi de nombreux logements. Ni plus ni moins qu’une ville entière ! J’en ai la chair de poule, avec cette impression de vivre l’improbable scénario d’un film d’anticipation dont le titre pourrait être quelque chose du genre : Electronic’City.
Chine, usine du monde…
Nous arrivons sur nos installations, ilot au milieu des gravats. Surréaliste.
- Et pour nous, que va-t-il se passer ?
- Nous sommes sous pression, et allons devoir dégager dans les prochains mois. Me répond Shuchen. Et d'ajouter :
- Mais nous allons résister pour obtenir la meilleure indemnisation possible. Tu comprends, c’est tactique de leur part.
- Mais de la part de qui ?
- Et bien de l’administration.
- Mais nous n’avons pas été prévenu n’est-ce pas ?
- C’est exprès. Ils veulent nous forcer à négocier l’indemnisation. Y’a pas de règle précise. Alors chacun compte ses sous…
Belle bataille en perspective.

Entrant dans le bureau je branche mon ordinateur sur le cable ADSL. Bizarrement pas de connexion. On vient de nous couper l’internet. Les hostilités commencent.

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