mercredi 13 octobre 2010

Rekkam le Rouge

Mardi 12 Octobre :

Nous imaginions dormir dans le désert ce soir. Et bien nous y sommes, quelque part au milieu du plateau du Rekkam, chez Mustapha et sa famille dans le village de El Mdl (pas facile à prononcer pas plus qu’à trouver d’ailleurs) accessible uniquement par une piste depuis Matarka.
Inutile de chercher sur une carte ces quelques maisons de terre crue où vivent quelques centaines d’âmes, sans électricité ni eau courante, mais au pied d’un relai téléphone…

L’accès au plateau du Rekkam se fait par une piste abrupte à travers une forêt clairsemée de chênes verts et pins léger. Premiers tours de roue off-road pour nos motos sur ce voyage. Nous démarrons prudemment, scrutant le ciel en espérant échapper aujourd’hui aux averses.
Nous débouchons sur le plateau à environ 1000 m d’altitude. La vue saisissante donne sur un paysage rocailleux aride au fond de terre rouge humide où poussent quelques arbustes épineux. Nous laissons derrière nous un majestueux belvédère naturel donnant sur la plaine fertile irriguée par le rivière Moulouya.
D’abord roulante la piste s’enfile en zigzaguant doucement entre les légères ondulations du relief au creux lesquelles brillent de larges zones encore humides suite aux pluies diluviennes de ces derniers jours. La piste elle-même devient grasse et la terre rouge collante rend l’adhérence précaire qu’il s’agit de contrôler à la poignée de gaz. Très fun jusqu’au moment où sans prévenir la roue avant de ma moto se bloque et se dérobe. Gamelle inévitable ! Je me relève assez piteusement, surpris par la soudaineté de la dérobade. Heureusement pas de gros bobo. Juste une légère douleur au poignet gauche et au genou derrière la déchirure du pantalon. Le temps de reprendre mes esprits, Didier me rejoint pour relever la moto et constater les dégâts : valise gauche « explosée », levier d’embrayage cassé et roue avant coincée par la terre argileuse et les pierres accumulées sous la garde de boue. Heureusement tout est prévu : poignée de secours et sangles pour refixer la valise. Il faudra tout de même démonter le garde boue pour débloquer la roue ! Et dire que je pensais le rehausser avant de partir et par pure négligence ne l’avait pas fait. Ca m’apprendra…

Nous repartons d’abord prudemment, puis très rapidement le naturel revient au galop, grisés par l’enchainement des virages dans ces grands espaces où le rouge de la terre humide reflétée sur la basse couche nuageuse colore le ciel en rose, donnant au paysage une allure martienne.

Nous rejoignons une bande de goudron non indiquée sur la carte. Scrutant sur notre droite une nouvelle entrée de piste au cap sud-est, nous entrons après quelques kilomètres dans le village de Matarka et profitons de l’opportunité pour compléter nos réservoirs de 5 litres d’essence « ordinaire » achetés au seau et pas filtrée. Même pas peur !

Cap à l’ouest sur 50 kms de piste assez roulante avant normalement de devoir bifurquer plein sud pour 100 kms supplémentaires jusqu’au village de Anoual.
C’est déjà la fin d’après midi et la lumière rasante donne au paysage de magnifiques teintes dorées et contrastées : dégradés de bleus et gris, orange flamboyant, rouges intenses, étonnant vert émeraude, bleus profonds… Nous roulons comme dans un rêve entre deux lignes de crêtes, sur une vaste plaine ou pousse de grosses touffes typiques de ces zones désertiques, vers un horizon à perte de vue.

Quelques maisons de terre crue apparaissent furtivement dans le paysage, puis un village isolé. Comme souvent des gars désœuvrés sont assis là le long d’un mur, bavardant à côté de 2 ou 3 improbables guimbardes encore roulantes.
Nous nous arrêtons, coupons les moteurs, enlevons les casques et engageons une difficile conversation avec quelques mots de survie. Notre plan est de trouver ici un endroit pour passer la nuit. Les premières réponses sont plutôt expéditives :
- Prochaine ville dans 100 kms dans cette direction vaguement indiquée vers l’Est.
C’est déjà le crépuscule et il n’est pas question de rouler de nuit sur les pistes.
Nous insistons. L’ambiance devient progressivement plus chaleureuse et nous sommes finalement invités par Mustapha, jeune homme avenant de 27 ans qui parle 3 mots de français et fait preuve d’une vraie gentillesse spontanée à notre égard.
Son frères nous précède à mobylette jusqu’à la maison familiale 1 km plus loin. Imaginez un peu le convoi : mobylette fumante et déglinguée suivie par nos 2 motos dont un passager derrière Didier. Effet garantie en traversant le village.
Notre arrivée crée l’évènement dans famille. Il y a là 3 générations élargies aux cousins. Séances de photos sur les motos autour desquelles se pressent les garçons tandis que les filles jettent à distance des regards espiègles.
On se présente, échangeons nos prénoms, comparons nos âges - ils nous mettent 10 ans de moins quand nous leur mettons 10 ans de plus - montrons des photos de famille et des films de voyages entre verres de thé à la menthe et franches rigolades, installés dans la maison de notre hôte, une simple pièce non meublée. Tout est simple. A un moment Mustapha apporte sur la table basse un poulet aux olives, du pain frais et des fruits. Nous sommes presque gênés mais ne boudons pas notre plaisir devant un tel festin inattendu, poursuivant tard dans la soirée notre « discussion ».

Nous cherchions juste un endroit pour passer la nuit et venons de passer une exceptionnelle soirée entre Hommes, simplement à échanger joyeusement sur nos modes de vie tellement différents, essayant de se comprendre avec visiblement le même intérêt de part et d’autre. Instant de grâce.

Aucun commentaire: