lundi 20 mai 2024

En enfer à Rosso



Nous étions entrés au Sénégal par le poste de Diama venant du Diawling National Park par la piste. Arrivée bucolique et agréable entre phacochères et envolées d’oiseaux au coucher de soleil.
Pour ne pas refaire la route à l’envers, bien qu’ayant très mauvaise réputation, nous prenons l’option d’en sortir par le poste de Rosso, seul autre poste ouvert vers la Mauritanie avec passage en bac du fleuve Sénégal.
Notre nuit à St Louis ne s’est pas très passée. Malgré la diligence de l’hôtelier qui n’avait pas hésité à tronçonner le portail pour permettre de rentrer nos motos, et l’ambiance bon enfant de l’établissement où nous avons (mal) diner, Didier et moi sommes attaqués par une crise de diarrhée aiguë pendant la nuit. Maladie classique du voyageur mangeant en conditions locales. Il fallait bien que ça finisse par arriver. Pas de chance, juste le jour d’un passage de frontière impératif, du fait de la durée très limité du « passavant », le visa des véhicules.
Hardis petits, on prend les pilules qui vont bien, on serre les fesses, et nous voilà donc en route vers Rosso.
Sur le bord de la route menant vers une sorte de cul-de-sac en fond du village poussiéreux, une file ininterrompue de camions de peut-être 2 kilomètres, puis un portail déglingué en fer forgé attaché par une grosse corde crânement tenue par un gars à la tête patibulaire. Nous nous arrêtons, enlevons nos casques et sommes immédiatement assaillit par toute une faune d’individus débraillés proposant leurs services pour « faciliter » le passage. Nous nous étions préparés et avions décider de faire sans aide en essayant de trouver le chemin dans cette cour des miracles.
Franchissement de la première étape, le poste de police, avec succès, sous la pression des passeurs. Puis nous passons au guichet de la douane. Contrôle des passeports, coups de tampon, et au moment de récupérer nos documents, tandis que le chef est en train de compter et agrafer ostensiblement des liasses de billet de banques, un agent nous dit sans broncher, "c’est trente euros pour la décharge administrative". Nous réagissons un peu vivement et la tension monte légèrement. Et c’est à ce moment que je suis rattrapé par notre désagrément de la nuit. Ma tête tourne un peu et je dis à Didier qu’il faut avancer sinon ça ne va pas l’faire. Nous payons. Repartant vers les motos, dans la foule quelqu’un m’appelle par mon nom. Comment peut-il savoir ? Je ne relève pas. Le gars du portail ouvre et nous avançons nos machines prêtes pour l’embarquement.
A partir de cet instant, pour moi tout devient confus. Je ne tiens littéralement plus debout et vais m’assoir par terre dans un petit coin à l’ombre. Je sais pouvoir compter sur mon équipier mais ne lui suis plus d’aucune aide. Le bac arrive et il faut charger les motos. Comment ne suis je pas tombé ? Impossible de tenir debout. Assis sur le pont dans un espèce de vertige incontrôlable, le bac démarre en crachant sa fumée de diesel qui me donne la nausée.
Quelques minutes plus tard, arrivée sur la rive Mauritanienne il faut décharger les motos. Je remonte tant bien que mal sur ma machine, manque de nouveau de tomber, descend en première la rampe immergées – pourvu qu’il n’y ait pas d’obstacle – ressort sur la terre ferme, gare difficilement ma machine à côté de celle de Didier, monte les quelques marches vers le poste de douane et m’allonge à l’ombre dans l’entrée sur le carrelage crasseux, sans demander mon reste, au nez et à la vue de toute la jungle locale du même acabit que celle de l’autre côté du fleuve. 

Dans le brouhaha ambiant, je distingue par moment la voix de Didier qui essaie de gérer la situation, à la fois les formalités d’entrer en Mauritanie et mon état pitoyable. De ma position prostrée à même le sol, je vois passer des pieds poussiéreux et des boubous gonflés par le vent. De temps en temps une personne bienveillante me touche l’épaule et s’enquiert de mon état. Mais je suis dans un état second, fiévreux et secoué de spasmes douloureux. Je demande du pain espérant que quelques bouchées puissent un peu me calmer. Quelqu’un m’en amène. Une autre personne me propose une natte, mais je n’ai pas l’énergie de me relever.
De son côté Didier est harcelé par toute cette mafia jouant sur la confusion du moment. Inquiet de mon état, il paye donc à tous les râteliers, sauf au dernier, pour faire avancer notre dossier le plus rapidement possible et s’extirper au plus vite de ce cauchemar.
Documents en main il vient me chercher. Je ne peux pas rester là. Je dois me relever. Je me relève, remet la tenue et remonte chancelant sur la moto. Au moment de partir un officier nous fait vider les bagages, le dernier râtelier non payé…
Nous partons enfin. Je roule devant comme un zombi à 60 km/h sous plus de 40°. Quelques kilomètres et nous nous arrêtons dans une boulangerie où je m’affale littéralement. Devant notre situation le propriétaire nous offre une natte et des coussins crasseux sur la terrasse dégoutante de son restaurant mitoyen. Dans cette situation seul le geste compte et le reste n’a plus d’importance. J’essaie de reprendre mes esprits. Reste encore 150 km jusqu’à Nouakchott et je ne sais pas encore comment je pourrais y arriver dans cet état.
Heureusement, Didier au petit soin reste cool. J’essaie de mon côté de générer des images positives pour oublier les spasmes. Une heure passe. Nous repartons en remerciant le restaurateur pour sa gentillesse. Après plusieurs arrêts nous atteignons Nouakchott à la nuit tombante. Je suis au bout de ma vie. 

Merci mon « poteau ». Tout seul ça n’aurait pas été possible.

PS : au delà du récit réel de cette aventure, Rosso est probablement l'un des pires passages de frontière au monde. En tout cas il en a la réputation. Didier et moi, pour en avoir franchi de nombreux, n'avons jamais vu cela.


4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bon rétablissement Fred !! Courage

Anonyme a dit…

Franchement , malade mais très bien écrit . 👍c est très agréable à lire . On a l impression d être sur place et de voir la scène . Bravo et courage pour la suite de vos aventures africaines

Anonyme a dit…

Bon fred c'est plus de notre âge ces voyages.
Maintenant club med avec flo

Anonyme a dit…

« Le courage s’accomplissait en lui comme la marche ou la respiration » in La Cinéscènie 😇