mardi 10 août 2021

Le Sentier des Cavaliers

 Nous reprenons la route, remontant le Verdon rive gauche à flanc de falaise. Je ne sais plus où donner de la tête tant les panoramas vertigineux s’enchainent sans discontinuer. S’il n’y avait la fine bande d’asphalte, nous volerions dans le grand canyon avec notre Gemini, quelques 1000 mètres au-dessus du Verdon dont on aperçoit le cours vert émeraude s’écoulant entre les falaises de craie.

Au hasard d’un virage, le départ d’un GR au nom évocateur : « Sentier des Cavaliers ».

-       On y va ?

-       Oui, bonne idée.

Et nous voilà partis pour une randonnée très engagée sur ce sentier des Cavaliers aussi appelé Vidal ou encore Imbut, démarrant par une descente abrupte jusqu’au fond des gorges. Comme c’est « l’heure de pointe », au bout du parking on démarre un peu à la queue leu leu, sur l’étroit sentier entre des petits chênes noueux et des bosquets de buis. Très rapidement la descente s’avère délicate. De hautes marches entre les rochers sur des appuis approximatifs. Chaussures de rando et bâtons, nous sommes bien équipés. Devant nous des familles descendent, à la peine, en simples baskets, prenant appuis dans la pente sur les mains et les fesses pour ne pas risquer la chute. Nous restons derrière pour ne pas « forcer » une descente déjà compliquée.

Par moment, le chemin équipé en voie ferrata, littéralement taillé dans la paroi calcaire, surplombe le paysage en de spectaculaires à pics. Sans assurance, le moindre faux pas pourrait être fatal. Chacun continue sa descente tant bien que mal et on sent que certains se demandent dans quoi ils se sont engagés. Mais bon, l’excursion se poursuit avec en bas la promesse d’un pique-nique au bord de l’eau dont la jolie musique égaye cet environnement brut.

Peu avant de rejoindre le lit de la rivière, une petite plaque à la mémoire d’un jeune garçon décédé ici accidentellement. Pas sûr que tout le monde l’a bien vu. Un peu plus loin, tandis que nous longeons le cours du torrent, une autre plaque, cette fois-ci immanquable, à la mémoire d’une jeune fille noyée. Rappels que nous sommes dans une nature magnifique mais hostile.

C’est l’heure du déjeuner. Chacun cherche son coin sur les rochers tièdes et polis au bord de l’eau. On profite du soleil de début d’après-midi donnant encore jusqu’au fond du canyon, et de la fraîcheur de l’eau vive. Agréable moment dans cet environnement préservé où l’on se sent vivre vraiment, ou plutôt différemment, comme un éphémère retour à « l’état sauvage ».

Mais il faut bien revenir à la civilisation. Et nul doute que beaucoup de souviendront de ce moment. Les 1500 m de dénivelé négatif vont devoir être remontés, et quelle remontée !

Nous reprenons nos bâtons et leur cliquetis rassurant sur le sentier, concentrés pour éviter tout faux pas. Une nouvelle plaque commémorative au-dessus d’un surplomb. A chaque fois cela me fait quelque chose de penser à cette vie interrompue accidentellement. Quel gâchis tout de même, même si, comme on dit souvent, il ou elle était heureux(se) quand c’est arrivé. Tu parles ! Peut-être était-il aussi à la peine, au-delà de ses propres limites, comme cette toute jeune fille que nous suivons à la remonté, suivie par son père tentant de la rassurer comme il pouvait, ou cette femme en surpoids totalement à la peine sur des appuis plus qu’incertains, ou encore ce couple de quarantenaires totalement essoufflés et un peu en panique, s’accrochant comme ils le pouvaient à une main courante surplombant un impressionnant éboulis de pierres, et auxquels nous passons quelques mots d’encouragement.

De nouveau une plaque commémorative. Cette fois-ci un jeune garçon de 14 ans dont la vie s’est envolée.

Ne pas faire d’erreur, rester concentrer jusqu’au bout...

Nous ressortons au sommet de la voie après 1500 m dénivelés positifs, heureux de cette belle randonnée à flanc de falaise, sans avoir eu le sentiment de prendre de risques inutiles. Absolument rien d’un d’exploit. Mais de vraies questions autour du principe de précaution : alors que tout est aujourd’hui normé et réglementé, est-il vraiment raisonnable de laisser librement s’engager des non-initiés dans une telle « aventure » objectivement dangereuse, sans avoir au moins prévenu des risques encourus et des conditions matérielles requises ? Chacun est évidemment libre de prendre ses responsabilités, mais en connaissance de cause. Ce n’était pas du tout le cas.

Aucun doute qu’à la fin des vacances, bon nombre de ceux étant passés par là s’en souviendront comme un acte de bravoure bien au-delà de ce qu’ils auraient pu imaginer.

Et finalement c’est peut-être ça aussi la vraie vie.


 

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