lundi 12 août 2019

Surtout, ne pas oublier

Nous quittons la parenthèse enchantée des îles Lofoten par Narvik, ville portuaire stratégique nichée au creux d’un vaste fjord. Malheureusement pas le temps de poursuivre jusqu’au Cap Nord. Non pas pour le voir, à priori rien de réellement passionnant, mais pour la satisfaction d’être allé toucher un bout du monde. Ce sera pour une prochaine fois ou pour jamais. Il reste tant à découvrir.


Au bord de la nationale 6 descendant sur la rade de Narvik, une stèle commémorant la fameuse bataille éponyme qui, en 1940, permit aux alliés leur première victoire contre l’occupant Allemand. Des touristes arrêtés là pour jeter un rapide coup œil en même temps que de profiter du point de vue unique sur le port. Et, pour la première fois depuis le début de ce voyage, il pleut et fait un peu froid.

Pourquoi cette fois-ci, mais je ne peux m’empêcher de repenser aux nombres de fois incalculables où nous croisons, sans plus y prêter vraiment attention, ce type de monuments commémoratifs des 2 guerres mondiales dont l’Europe a été le creuset. En même temps ils sont fait pour ça ces monuments : la mémoire. Et pourtant, elle s’émousse. Sauf peut-être pour les Allemands, désignés coupables de beaucoup de ces atrocités. Ce qui, sans vouloir négliger « leur » responsabilité, ne peut pas disculper tous les Européens de cette époque de leurs errements politiques.
-       Tu sais ce que je me dis en voyant ce type de monument un peu partout en Europe ?
-       Non, mais ça m’intéresse.
-       Que pour les Allemands ça doit rester vachement culpabilisant.
-       J’suis pas trop d’accord. Car la génération d’après-guerre a fait ce qu’il faut pour le surmonter, en faisant acte de repentance.
-       Oui, mais quand même. Que ce soit chez nous, ici, en Europe Centrale ou du Sud, ils apparaissent comme les grands responsables. Ces monuments nous le rappellent tout le temps…
-       C’est vrai. Mais c’est peut-être aussi ce qui a permis de construire l’Europe, une zone unique de prospérité et de sécurité multiculturelle dont les Allemands ont été un des moteurs puissants. Sacrée belle œuvre malgré ses complexités !

Et de constater avec inquiétude les dérives populistes auxquelles nous assistons aujourd’hui : Italie, Angleterre, Autriche, Hongrie, Pologne, Russie. Sans parler des USA et du Brésil… Même chez nous en France dans une certaine mesure.
En fait les gens ne veulent plus d’Europe car ils n’en voient plus la beauté, faute d’avoir vécu ce qui s’est passé avant la longue période dont nous profitons encore. Et dire qu’il n’a fallu que 2 générations pour oublier les souvenirs de guerre et de chaos économiques vécus par nos grands-parents. Seulement 2 générations pour tomber dans une léthargie de la normalité – paix et stabilité économique – alors que bien peu de choses pourraient dérégler tout cela et nous faire dériver vers de funestes aventures…

Suis-je en train de me prendre la tête ?
Comme un fait exprès, mais par le plus grand des hasards, nous descendons ce soir dans l’hôtel de campagne tenu par Pieter et son épouse. Bâtisse en bois des années 20, avec 4 chambres, sanitaires communs et salon de thé – construite dans les Années Folles – cet entre 2 guerres où l’on voulait profiter, oublier les horreurs de la précédente et ne pas voir la montée des périls annonciateurs de la suivante.
Fossile d’un autre temps, à l’intérieur rien n’a bougé : parquet grinçant, téléphone à manivelle, poêles en fonte, machine à coudre à pédale, photos jaunies, pots de chambre. Sentiment étrange de se trouver d’un coup à l’époque de nos arrières grands-parents, avec une agréable impression de légèreté et d’insouciance. 
Quelques années plus tard l’Europe entrait dans un nouveau cataclysme que nous rappelle la bataille de Narvik.
Et cette petite musique qui revient en boucle : surtout de pas oublier, se laisser aller à la facilité en se disant que « notre monde » va forcément continuer à tourner rond.

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