Nous quittons la parenthèse enchantée
des îles Lofoten par Narvik, ville portuaire stratégique nichée au creux d’un
vaste fjord. Malheureusement pas le temps de poursuivre jusqu’au Cap Nord. Non
pas pour le voir, à priori rien de réellement passionnant, mais pour la
satisfaction d’être allé toucher un bout du monde. Ce sera pour une prochaine
fois ou pour jamais. Il reste tant à découvrir.
Au bord de la nationale 6 descendant
sur la rade de Narvik, une stèle commémorant la fameuse bataille éponyme qui,
en 1940, permit aux alliés leur première victoire contre l’occupant Allemand. Des
touristes arrêtés là pour jeter un rapide coup œil en même temps que de
profiter du point de vue unique sur le port. Et, pour la première fois depuis
le début de ce voyage, il pleut et fait un peu froid.
Pourquoi cette fois-ci, mais je ne peux
m’empêcher de repenser aux nombres de fois incalculables où nous croisons, sans
plus y prêter vraiment attention, ce type de monuments commémoratifs des 2
guerres mondiales dont l’Europe a été le creuset. En même temps ils sont fait pour
ça ces monuments : la mémoire. Et pourtant, elle s’émousse. Sauf peut-être
pour les Allemands, désignés coupables de beaucoup de ces atrocités. Ce qui,
sans vouloir négliger « leur » responsabilité, ne peut pas disculper
tous les Européens de cette époque de leurs errements politiques.
-
Tu
sais ce que je me dis en voyant ce type de monument un peu partout en Europe ?
-
Non,
mais ça m’intéresse.
-
Que
pour les Allemands ça doit rester vachement culpabilisant.
-
J’suis
pas trop d’accord. Car la génération d’après-guerre a fait ce qu’il faut pour le
surmonter, en faisant acte de repentance.
-
Oui,
mais quand même. Que ce soit chez nous, ici, en Europe Centrale ou du Sud, ils
apparaissent comme les grands responsables. Ces monuments nous le rappellent
tout le temps…
-
C’est
vrai. Mais c’est peut-être aussi ce qui a permis de construire l’Europe, une
zone unique de prospérité et de sécurité multiculturelle dont les Allemands ont
été un des moteurs puissants. Sacrée belle œuvre malgré ses complexités !
Et de constater avec inquiétude les
dérives populistes auxquelles nous assistons aujourd’hui : Italie,
Angleterre, Autriche, Hongrie, Pologne, Russie. Sans parler des USA et du
Brésil… Même chez nous en France dans une certaine mesure.
En fait les gens ne veulent plus d’Europe
car ils n’en voient plus la beauté, faute d’avoir vécu ce qui s’est passé avant
la longue période dont nous profitons encore. Et dire qu’il n’a fallu que 2
générations pour oublier les souvenirs de guerre et de chaos économiques vécus
par nos grands-parents. Seulement 2 générations pour tomber dans une léthargie
de la normalité – paix et stabilité économique – alors que bien peu de choses
pourraient dérégler tout cela et nous faire dériver vers de funestes aventures…
Suis-je en train de me prendre la tête ?
Comme un fait exprès, mais par le plus grand des hasards, nous descendons
ce soir dans l’hôtel de campagne tenu par Pieter et son épouse. Bâtisse en bois des années 20, avec 4 chambres, sanitaires communs et salon de thé – construite
dans les Années Folles – cet entre 2 guerres où l’on voulait profiter, oublier les
horreurs de la précédente et ne pas voir la montée des périls annonciateurs de
la suivante.
Fossile d’un autre temps, à l’intérieur
rien n’a bougé : parquet grinçant, téléphone à manivelle, poêles en fonte, machine à coudre à pédale, photos jaunies, pots de
chambre. Sentiment étrange de se trouver d’un coup à l’époque de nos arrières
grands-parents, avec une agréable impression de légèreté et d’insouciance.
Quelques
années plus tard l’Europe entrait dans un nouveau cataclysme que nous rappelle
la bataille de Narvik.

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