samedi 25 août 2012

Apocalypse

Visiter à Saigon le musée de la guerre du Vietnam est une expérience dont on ne ressort pas indemne, de celle vécue au mémorial de Caen, où, indépendamment de toute considération politique ou partisane, les horreurs de la guerre vous sautent à la gueule comme la morsure cruelle d’une bête épouvantable à face humaine.
La cruauté des images n’a pourtant rien de plus spectaculaire que « les bons films » que l’on regarde tranquillement installé dans son canapé, sauf qu’ici les images, d’ailleurs bien souvent de qualité médiocre, montre une effrayante réalité de souffrances humaines qui touche profondément, comme si, bien plus que les photos un peu floues prises sur le vif, il y avait aussi un peu de l’âme des personnes fixées sur la pellicule.
Au delà même de sa propre émotion devant ces saisissantes images de destruction totale, corps déchiquetés, personnes terrorisées, maisons effondrées, nature meurtrie par la puissance de machines de guerre nées du génie humain…, on ressent aussi celle des autres visiteurs, mélange de sentiments échangés de manière non verbale par une attitude, un regard, une posture, une larme. Et je ne vais pas mentir en reconnaissant sans honte avoir plusieurs fois remis mes lunettes de soleil pour cacher mes yeux soudainement noyés, lorsque débordé par l’émotion le regard devient flou et que l’organisme se rebelle devant tant d’horreur, dans un élan d’empathie difficilement contrôlable.
A certain moment, ni tenant plus je me retourne faire quelques pas « à distance ». De l’autre côté de la salle une vieux Monsieur pose tête baissée sa main sur une grande photo murale. Une jeune fille visiblement désemparée quitte en pleur la salle tandis qu’un solide gaillard, assis à quelques mètres, hagard, laisse couler de chaudes larmes sur son T-shirt O’Neill.

Je ressorts au bras de ma femme avec la nausée, un peu groggy, mesurant la chance de n’avoir pas vécu de situation de guerre et me demandant qu’elle serait mon attitude dans ce type de circonstance où les hommes perdent la raison, égarés dans d'inimaginables comportements monstrueux.
Dans la cour je croise le regard d’Anne visiblement encore sous l’émotion.



Tandis que nous rentrons à pied vers notre hôtel, notre promenade nous mène dans un quartier d’antiquaires où toutes sortes de vieilleries sont exposées à l’attention des chineurs : mobilier des années 30, montres patinées au poignet de propriétaires "disparus", lunettes de pilote américains, briquets tempête, horloges à balancier, vaisselle en argent ; objets témoins d’une époque pas si lointaine où Saigon était un enclave occidentale un peu chic au cœur de l’extrême orient.
Posée sur une table haute des albums photos. J’en ouvre un au hasard et tombe sur des instantanés de familles, françaises peut-être, clichés kodak des années 70 aux couleurs délavées, et ne peut m’empêcher de ressentir un certain malaise. Que sont devenus ces gens souriants et visiblement heureux ? Par quelles circonstances cet album s’est-il retrouvé là ? Gêné je referme l’album et poursuit mon chemin.

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