mardi 21 août 2012

Belles rencontres dans un village Viêt

Nous déambulons sans but précis dans les ruelles d’un village traditionnel Viêt, croisant les regards d'habitants affairés à leurs occupations quand une voix faible et éraillée semble nous interpeler. Passé l’instant de surprise Pieter et moi nous approchons d’un tout petit homme assis sur le seuil d’une porte. Il souhaite visiblement nous dire quelque chose. Son visage émacié et échevelés aux airs de petit chat est éclairé de deux billes noires très expressives au milieu d’une figure marquée de très jolies rides d’expression. Une barbichette clairsemée entoure un sourire radieux orné d’impressionnants chicots noirs tels que je n’en ai rarement jamais vu. Nous finissons par décoder certains mots de français. Agé de 89 ans, très fièrement le p’tit homme nous récite quelques règles de grammaire du cours élémentaire, suivies de mots nostalgiques et bienveillants sur son instituteur Français. Trop brève rencontre avec un témoin d’une époque où la langue de Molière était encore enseignée à l’école des colonies d’Indochine, et qui avait tant à raconter.

Un peu plus loin nous stoppons devant la porte d’une très vielle maison en bois, lorsqu’un homme souriant et joufflu, coiffé d’une belle et dense chevelure blanche nous invite à entrer chez lui. Franchissant le seuil nous traversons une petite cour carrée pavée de grosses pierres polies par le temps, avant de pénétrer dans une pièce assez sombre, construction traditionnelle en bois sur toute une longueur de la cour, recouverte de petites tuiles de terre cuite en forme de cœur sur une seule pente. Donnant sur la cour, trois ouvrants en bois à pans multiples ressemblant vaguement aux volets de nos maisons des années 70. A l’intérieur, au centre un petit temple bouddhiste, à gauche des photos jaunies des aïeuls fixées sur le mur, à droite une simple table de bois sur laquelle trône une théière et quelques tasses crasseuses, entourées de bancs où nous nous asseyons. Le plancher hors d’âge de la pièce est monté sur des sortes de pilotis 15 centimètres au dessus du niveau de la cour. Notre hôte s’assoit face à nous, dos au mur sur lequel, ostensiblement de nombreux « diplômes » encadrent une typique gravure traditionnelle de paysage. Tout sourire il a visiblement envie de parler et ne se fait pas prier pour raconter avec force conviction son histoire traduite par Trieu :
Agé de 65 ans il représente la 7ème génération d’une même famille ayant habité cette « antique maison » (je cite le traducteur) construite par ses ancêtres en 1740. Une telle construction ancienne en bois est tout à fait exceptionnelle au Vietnam. Mais notre homme est surtout un vétéran de la guerre contre les Américains. Armé d’une jolie baguette de bois, il nous compte ses faits d’armes lors de 5 engagements « décisifs » où il fut impliqué, pointant les distinctions correspondantes dont il fut gratifié pour sa bravoure. Puis il nous montre ses blessures, éclats de bombe toujours incrustés dans les chaires qui lui valurent un retour à la maison, mentionnant avec émotion la disparation de son frère qui n’avait pas eu la même chance combat, remerciant Bouddha de lui permettre de profiter encore aujourd'hui de la vie. Et de conclure en ces termes :
- Maintenant nous sommes bon amis avec les Américains, avec un chaleureux et sincère sourire.
Puis, visiblement soulagé de nous avoir raconté tout cela, il nous offre le thé sans plus de manière.
Au moment de sortir, franchissant le seuil de la porte je lui pose la question sur ce qu'il allait faire de cette maison.
- La transmettre à mes enfants pour qu’ils puissent faire de même avec les leurs. C’est notre bien le plus précieux.

Nous retrouvons la rue sous la pluie. A petits pas rapides, une vielle dame courbée vaque à ses occupations.
Nous recroisons le p’tit bonhomme échelé et édenté qui tout sourire nous lance quelques mots incompréhensibles.
A la sortie du village, sous un très ancien préau, lieu de rassemblement traditionnel pour les palabres, un homme seul, jambes croisées, perdu dans ses pensées ne semble pas nous remarquer passer devant lui.

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