mardi 19 juillet 2011

Merveilleux enfer

Bien qu’inoubliable la nuit au refuge du Goûter est à oublier : Didier allongé en chien de fusil sur une petite table, Pierrot sous la table sur un tapis de camping, Pascal et moi assis sur les petits bancs de part et d’autre de la même table et Jean-Louis dehors dans sa petite tente. Ca ressemble un peu au Radeau de la Méduse façon montagne…
Inutile de préciser que dans ces conditions, à presque 4000 m d’altitude et sans acclimatation, nous ne fermons pas l’œil et comptons les quarts d’heure.

1h30 du matin. Le responsable du refuge déboule dans le réfectoire en gueulant :
- Debout la d’dant. Vous avez 5 minutes pour dégager !
Avec Pascal nous ingurgitons à la hâte quelques barres de céréales, buvons un peu d’eau froide et nous équipons pour tenter l’ascension. Le ciel est clair. Il va faire froid c’est sûr.
De leur côté Didier et Pierrot trouvent un place inconfortable dans le sas d’entré avant de pouvoir squatter un dortoir lorsqu’ils seront libérés.

Dehors la pleine lune illumine le paysage d’une lumière argentée et glaciale. Le vent se lève amplifiant le froid Sibérien. Combien peut-il faire ? Moins 10, moins 15 ? Nous chaussons nos crampons de glacier, vérifions une dernière fois l’équipement, nous encordons, puis entamons doucement la montée à petits pas cadencés, au rythme de notre respiration et du crissement des crampons dans le neige gelée, Pascal en tête de cordée.
Est-ce bien la réalité ? Je profite de l’instant, marchant comme dans un rêve vers le toit de l’Europe sous le ciel étoilé. Instant de grâce.
La première partie de l’ascension, assez facile, rejoint un premier mamelon par une large pente glacée assez raide avant de longer une étroite ligne de crête à environ 4350 m. A notre droite une vue vertigineuse sur les vallées piquetée des éclairages des agglomérations. Où est le ciel ? Où est la terre ? Nous voguons dans une autre dimension.
Nous redescendons un peu dans une vallée avant d’entamer la longue montée finale. L’effet venturi du aux reliefs renforce le vent et le froid avec. Courte pause ravitaillement. A cette altitude et par ce froid manger et boire demande un effort pourtant indispensable. Pascal n’est pas au mieux, ne parvient pas à se réchauffer et demande de faire un pause intermédiaire au refuge de Vallot. Nous y sommes presque. Arrêt d’une demi-heure. Certes, ici il n’y a pas de vent, mais sans exercice l’organisme ne se réchauffe pas. Il faut repartir.
Nous ressortons de l’abri de fortune. Allez, c’est maintenant que ça se joue !
Je me sens très bien, presque euphorique. A l’est le ciel grise doucement annonciateur de l’aube. Après quelques minutes Pascal se retourne pour me lâcher :
- Ce ne va pas Fred. J’arrête !
- Hors de question Pascal. C’est l’occasion de ta vie. Tu as déjà du renoncer une fois à 4500 m (pour raison météo). Cette fois-ci c’est la bonne. Allez Pascal ! Dans 45 minutes le soleil va se lever. Tu verras ça ira mieux.
Nous repartons. Devant Pascal est en difficulté c’est évident. Il n’avance plus, titube légèrement. Je l’invective.
- Allez Pascal, accroche-toi ! Nous allons le faire ensemble.
- Non Fred, je n’en peux plus.
Mais il s’accroche et continue d’avancer.
Il est environ 6 heures lorsque le soleil pointe à l’horizon, illuminant le paysage d’une chaude lumière orangée projetant nos ombres à l’infini tels des géants. Nous sommes à 4500 m et la pente est forte. Les crampons scintillent au soleil. Pascal se retourne. Je lis l’épuisement dans son regard et passe en tête de cordée.
- Ne lâche pas Pascal. On y est presque.
A partir de cet instant nous ne faisons plus qu’un, sachant pertinemment que nos destins sont liés. Impossible de monter ou de descendre l’un sans l’autre.
Les premiers rayons du soleil nous réchauffent imperceptiblement mais le vent se renforce. Nous progressons doucement, s’arrêtant quelques secondes toutes les 2 ou 3 minutes. Je me sens parfaitement bien et tente de passer une partie de mon énergie à mon coéquipier.
4600 m, nous voyons le sommet, marchant prudemment sur une fine arrête glacée. Pascal repasse en tête pour mieux gérer son effort. Je sais que maintenant rien ne pourra l’arrêter.
4700 m, nous y sommes presque mais perdons le sommet de vu.
4750 m, la pente devient moins forte. Je ne marche plus, je vole, euphorique, jubilation intérieure, satisfaction personnelle d’être là, ici et maintenant.
4840 m indique mon altimètre. Nous y sommes ! Je regarde Pascal fixement en le remerciant du fond du cœur pour son effort. Il est ailleurs. A quoi pense t-il ? Je sais que sans lui je ne serais pas là. Lui sait également qu'il ne le serait pas sans moi. Nous ne parlons pas, profitant juste de l’instant magique au sommet de l’Europe. Je fais un 360° : La France, l’Italie, la Suisse. Si Dieu existe, à cet instant précis il est avec nous.

1 commentaire:

Perry. a dit…

Bravo! Bel effort, epreuve de mental, d'amitie et de perseverance. Dommage que le manque d'oxygene en altitude affecte autant la civilite de certains. Etant aussi dangereuse que magnifique, on s'attend a mieux des soit disants "pros".
Ca ne fait rehausser le lustre de vos efforts!