lundi 18 juillet 2011

Premiers vertiges

Petite nuit entrecoupée de rêves étranges, histoires d’expéditions alpines ayant mal tourné, fantasmagorie de ce fascinant inconnu que, dans un demi-sommeil, l’imaginaire tente d’appréhender sans rationalité.
Et s’il ne faisait pas beau, nous ne pourrions pas monter ! Plate excuse, histoire de ne pas y aller sans avoir à se dégonfler…
Et pourquoi faire cela alors personne ne nous y oblige ?

6h : je jette un œil pas la fenêtre. La couche nuageuse se déchire laissant apparaître un ciel cristallin entre les cimes immaculées. Ventre serré je m’oblige à ingérer un copieux petit déjeuner en échangeant quelques mots avec Didier. Le trac est perceptible, inutile d’en rajouter.
Nous retrouvons nos compagnons d’expédition au pied de l’immeuble, direction le Fayet pour prendre le petit train vers « le nid d’aigle », début de l’ascension à 2400 m.
Montant doucement sur la voie à crémaillère à des angles pour le moins inhabituel, nous traversons les bancs de brume matinale entre lesquels la montagne se dévoile furtivement comme pour mieux se faire désirer.
Nous y sommes. Objectif de la journée rejoindre le refuge du Gouter que nous apercevons 1450 m plus haut au bord d’une impressionnante coulée rocheuse.
L’ascension démarre tranquillement par un chemin rocailleux. Avec l’exercice, doucement « l’angoisse » se dissipe. Je cale ma respiration sur le rythme de ma marche, une expiration tous les deux pas pour faciliter l’acclimatation de l’organisme à l’altitude.
Sur notre droite un impressionnant glacier charriant des tonnes de glace et de roches mélangées descend de la montagne tel un bulldozer creusant un énorme sillon.
Sur notre gauche l’Aiguille du Midi pointe sur une ligne de crêtes acérées, monde minéral à l’état brut, piquant et acéré défiant le ciel.
Nous avançons doucement sous un soleil radieux, les yeux grands ouverts pour ne rien manquer du spectacle.
3000 m, pause déjeuné. Didier a du mal à réguler sa respiration. 900 m plus haut le Refuge du Gouter nous domine, qu’il va falloir rejoindre par la coulée rocheuse après avoir traversé au pas de course une zone de chute de pierres particulière dangereuse. Régulièrement des éboulis se déclenchent. On attend le « retour au calme » puis nous lançons successivement dans la courte traversée sous le regard vigilant des compagnons à l’affut de toute nouvelle alerte. Tout se passe bien.

La pente devient plus forte. Nous ne marchons plus mais progressons « à quatre pattes » sur les rochers vers l’objectif au dessus de nos têtes. Pris de vertiges et de nausées Didier est à la peine. Après concertation nous décidons de scinder l’équipe en 2 groupes, en tête Pierrot, Pascal et moi, derrière Jean-Louis et Didier.
Progression prudente sur un terrain impressionnant de part sa verticalité où la moindre erreur de prise peut être fatale. Je pense à mon camarade Didier en souffrance un peu plus bas qui n’a pas d’autre choix que de continuer d’avancer. Allez Didier !

Plus que 200 mètres. Au passage d’un goulet plus étroit en me contorsionnant je frotte mon sac à dos sur la paroi rocheuse et sens quelque chose se décrocher. Je me retourne et aperçois la tente tomber dans la pente. Merde, quel con ! Dans le meilleur des cas cette nuit la haut il fera moins 5°. A cette altitude impossible de dormir dehors sans tente. Les images se bousculent dans ma tête. Les options aussi dont la première de redescendre en espérant retrouver le petit sac de 3 kg couleur marron foncée arrêté parmi tous ces rochers. 250 mètres plus bas j’abandonne. Autant rechercher une aiguille dans une meule de foin. Il faut remonter calmement pour aviser. Je culpabilise « à mort » en pensant à mes compagnons, particulièrement Didier qui sera au bout du rouleau.
Arrivé au refuge du Gouter nous tombons sur un cloaque infâme où quelques dizaines de grimpeurs tentent de trouver un réconfort dans des conditions dantesques. Evidemment toutes les couchettes sont réservées. Après palabre avec un responsable très désagréable j’obtiens le droit de rester dans le réfectoire jusqu’à 1h30 du matin.
- Ca fait 145 euros et vous serez ensuite violemment expulsés juge t-il opportun d’ajouter !
Sans commentaires. J’enrage, ne réponds rien et paye cash à l’avance « la prestation ».
Avec Pierrot et Pascal nous tentons de nous installer dans un coin prenant grand soin de garder un peu de place pour Jean-Louis et Didier qui devraient finir par arriver dans ce bordel infâme.
L’ambiance est indescriptible : imaginez une sorte de cabane en bois ou s’entassent quelques grimpeurs dont certains déjà au bout du rouleau ne se comportent plus vraiment comme des Hommes normaux. C’est glauque, sale, inconfortable, ça pue mais au moins il fait chaud.
Une heure et demi plus tard nous nos deux compagnons nous rejoignent. Didier ressemble à un fantôme. Totalement épuisé il semble revenir d’outre tombe, d’un monde où il n’a pas eu d’autre choix que de s’échapper de la mort, mobilisant 120% de son énergie pour parvenir jusqu’ici. Emus aux larmes nous nous tombons dans les bras.
Honteux j’explique la situation. Didier me dit gentiment que toutes façons il ne se serait pas vu bivouaquer ce soir dans la tente et d’ajouter qu’il en resterait là dans cette ascension. Pierrot qui a cassé une chaussure doit aussi renoncer au sommet. Nous mangeons vite fait quelques barres de céréales en tentant d’évaluer la situation : Pascal se sent capable d’y aller après avoir du renoncer à 300 m du sommet en septembre dernier, je ne me vois pas en rester là, et Jean-Louis qui l’a déjà fait propose avec élégance de rester au refuge avec Didier et Pierrot.
Nous partirons donc à deux pour tenter l’assaut final et décidons de profiter du ciel clair pour une approche de nuit sous la pleine lune en partant dès 1h30.

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