vendredi 17 octobre 2025

Lumières Berbères

On pénètre le Maroc rural par les routes secondaires, fines cicatrices d’asphalte semblant flotter entre ciel et terre. Le ruban s’étire en épousant la géographie comme une veine de vie au cœur d’un paysage immobile. De part et d’autre, des chaumes de blé, ponctués d’oliveraies clairsemées dont les troncs noueux racontent l’éternité. Ces panoramas respirent l’ordre ancien du monde, celui que le temps n’a jamais vraiment bousculé.
Des bergers sans âge, silhouettes minces et drapées, guident leurs troupeaux de moutons poussiéreux à travers les collines roussies. Dans son austérité splendide, la scène a quelque chose de biblique.

Quelques maisons en pisé se fondent dans la terre dont elles sont nées. Les murs craquelés par le soleil exhalent encore la chaleur du jour. À l’ombre d’un figuier, des enfants rient, surgissant du halo de poussière qu’un âne soulève sur le chemin. Ils agitent la main, lancent des “bonjour” et s’évanouissent aussitôt dans un éclat de lumière. Les villages se succèdent, accrochés aux oueds asséchés, portant des noms qui sonnent comme des poèmes. Dans chaque bourgade s’élève une petite mosquée carrée, blanche ou ocre au minaret dressé comme une antenne pour communiquer avec le tout-puissant. 

Ici la lumière ne se contente pas d’éclairer : elle façonne, tranche, caresse et révèle. Elle fait vibrer les pierres, brûle la peau, dore la poussière et magnifie la moindre ride du relief. Le vent chaud apporte des senteurs de foin sec, de cuir, d’argile, et parfois une note épicée venant d’une échoppe fumante. On avance lentement, aspirés par cette succession de plateaux arides, reliefs minéraux et vallées lumineuses.

Puis vient le crépuscule. Le ciel devient une fresque incandescente : or, cuivre, puis pourpre profond avant que l’indigo ne vienne apaiser la scène. Les reliefs se métamorphosent : la colline devient montagne, une ombre d’arbre se fait géant, un troupeau s’étire comme une fresque vivante.
Aux terrasses des cafés, sous la lueur blafarde d’ampoules nues pendues à des fils hésitants, les hommes palabrent. Leurs voix se mêlent aux cliquetis des tasses et au parfum sucré du thé à la menthe. Les femmes, invisibles derrière les murs des foyers, orchestrent le dîner : les oignons caramélisent, les épices montent en volutes parfumées.

Le muezzin lance son appel ; la vallée s’apaise dans une lumière bleutée. On coupe le moteur devant la maison d’hôtes d’Habiba. Une porte s’ouvre, un sourire nous accueille. La soirée s’annonce parfaite.

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