mardi 28 octobre 2025

Dans l'oeil du Sahara

Nous quittons Chinguetti par le lit de l’oued. Cap à l’est ! La piste, invisible à l’œil nu, n’existe que sur le GPS de Bruno, mince fil numérique confirmé par quelques traces éphémères au cœur d’un désert sans balise. Devant nous, cent quarante kilomètres de silence et de matières minérales à l’état brut : alternance hypnotique de dunettes, plages de graviers, champs de pierres brûlantes, et ces immenses étendues de sable ondulant où le regard se perd, la lumière brouille les contours du réel, et l’espace se dilue dans une perspective sans plus de verticalité. À force d’avancer, on entre dans une autre dimension, comme si notre progression se confondait avec la marche de l’univers. Et pourtant nous n’avions rien pris d’autre qu’une grande bouffée d’absolu…
Fort heureusement, notre vaillant pick-up se montre souverain dans cet environnement exceptionnel. 

L’arrivée sur Ouadane tient du mirage : la cité de pierre brune apparaît soudain, accrochée à sa falaise, au-dessus d’un oued asséché. La vieille mosquée domine les ruines. C’est ici que débute la « rue des quarante savants », jadis artère vivante d’un centre de culture et de savoir, quand les grandes caravanes transsahariennes faisaient halte entre Tombouctou et Marrakech. Aujourd’hui, le vent s’y engouffre en soulevant la poussière du temps.


Et notre route continue, plus à l’est encore, vers l’Œil du Sahara, la spectaculaire structure géologique de Richat. Quarante kilomètres de diamètre en trois cercles concentriques, comme les remparts naturels d’un trésor au milieu du désert. Longtemps, on crut à un cratère d’impact de météorite. C’est en réalité une merveille géologique née du soulèvement de la terre elle-même, spirale minérale que Saint-Exupéry contemplait depuis le ciel avant d’imaginer sa planète du Petit Prince.
Grace aux indications précises du GPS nous trouvons la première passe, un étroit corridor entre sable et pierre. Nous pénétrons dans le premier cercle, vaste plaine granuleuse où, à notre grande surprise, le sol craquelé témoigne d’anciennes pluies. Un peu plus loin, tel un miracle de la nature, un petit lac aux reflets dorés miroite sous le soleil où un échassier solitaire a trouvé son royaume. Et pourtant aucune végétation ne semble prendre racine ici. Nous contournons prudemment pour éviter l’ornière boueuse. 
Puis vient la deuxième passe, longue rampe sablonneuse avant de plonger dans le second anneau : encore des lacs sur des gravières arides dans ce désert cosmique.
La troisième passe nous entraîne vers le cœur. Descente vertigineuse sur une pente sableuse entre des rochers noirs. En bas, le sol devient pierreux, plus ferme, et le panorama s’ouvre sur un cercle parfait de falaises, une enceinte naturelle à 360°. Au centre, un promontoire rocheux permet d’en découvrir complètement le panorama. Au Sud et à l’Ouest scintillent quelques petits lacs comme des éclats de diamant. Vision de genèse, beauté à pleurer, silence de commencement du monde, émotion absolue. Nous venons d’atteindre le deuxième objectif de cette aventure.

Le soleil descend maintenant sur l’horizon. Il est temps de bivouaquer. Nous avions entendu parler du “camp boisé” où Théodore Monod venait retrouver parfois son épouse lors de ses méharées dans l'Adrar. En contrebas, une oasis apparaît que nous rejoignons rapidement : quelques acacias, deux puits creusés à même le sable, l’eau affleurant à moins de deux mètres. C’est bien là. Nous y installons notre camp pour la nuit. Autour de nous, le désert respire. Et dans la clarté des étoiles du Sahara, on jurerait sentir la présence paisible de Théodore.






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